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Les démons d'Armide

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Academic year: 2021

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(1)

Lascia i sognati dèmoni D’Arvino e di Gulfiero; Porgi l’orecchio a storia Nojosa... ma davvero! Ferrario, quel tipografo Di cose antiche e nuove, Mi manda, oh che delizia! Da riveder le prove. Trovo una voce esotica, Mi par che sia fallata; Voglio emendar; bellissimo! La giusta l’ho scordata.1

Tels sont les vers qui introduisent une lettre à Tommaso Grossi, envoyée de

la campagne de Brusuglio un «Jeudi 29 Août», qui est sans doute de 1822,

puisqu’il y est question de la correction de l’ébauche du Discours sur les

Lombards (d’ailleurs, en 1822, le 29 août tombe bien un jeudi).

Pour saisir pleinement le sens du poème, il faut lire la suite en prose de

la lettre et, en particulier, le paragraphe qui le suit immédiatement: «Et mon

manuscrit à moi je ne l’ai pas ici; c’est pourquoi je dois forcément te

dé-ranger d’une manière barbare. Voici l’affaire: à la page 171 de la feuille

ci-jointe, la deuxième note a: Annal. Petav. Ce Petav il ne me semble pas que

je le connaisse: je le trouve bien dans le manuscrit qui a servi à

l’impres-sion, mais si celui-ci aussi avait une coquille? Mon pauvre Grossi, il faut ici

avoir de la patience, aller au Cabinet, sortir le tome 5 de ce Rer. Francic. et

voir à la page 13 quel est le vrai nom des annales citées».

Publiée par Arieti dans l’édition des Lettres chez les «Classici

Mon-dadori» en 1970

2

, cette poésie est néanmoins en quelque sorte «inédite»

1 «Laisse les démons rêvés / D’Arvino et de Gulfiero, / Tends l’oreille à une histoire / Ennuyeuse … mais vraiment ! // Ferrario, ce typographe / De choses anciennes et nouvelles, / M’envoie, oh délices! / Les épreuves à relire. // Je trouve un mot étrange / Il me semble erroné; / Je veux corriger; très bien! / Le mot juste, je l’ai oublié».

(2)

puisqu’elle est absente de toutes les éditions, jusqu’à présent publiées, des

œuvres poétiques de Manzoni, et surtout de celles de Tous les poèmes qui

pourtant, normalement, reproduisent aussi les morceaux contenus dans les

lettres. S’il est naturel de ne pas trouver le poème dans l’édition

Chiari-Ghisalberti, puisque celle-ci est antérieure à l’édition Arieti et donc à sa

découverte, il est étonnant de voir qu’il est également absent de toutes les

éditions postérieures à 1970, et particulièrement des éditions Martelli,

Lo-nardi-Azzolini, et à présent, Gibellini-Blazina

3

.

Il s’agit d’une parodie d’une pièce de Ludovico Savioli Fontana, La

so-litudine, qui débute précisément ainsi

4

:

Lascia i sognati dèmoni Di Falerina e Armida; Porgi l’orecchio a storia Più antica e meno infida. Sparta, severo ospizio Di rigida virtude,

_______________

2 Cf. A. MANZONI, Tutte le opere, éd. dirigée par A. Chiari et F. Ghisalberti, vol. VII (en

3 tomes), Lettere, éd. C. Arieti, t. I, pp. 283-284, (lettre n° 170), en part. p. 283. 3 On a fait référence à Tutte le opere, éd. M. Martelli, Florence, Sansoni, 1973; A.

Man-zoni, Tutte le poesie, éd. dirigée par G. Lonardi, commentée et annotée par P. Azzoli-ni, Venise, Marsilio, 1987, 2 vol.; A. MANZONI, Tutte le poesie, éd. dirigée par P.

Gi-bellini, commentée et annotée par S. Blazina, Milan, Garzanti, 1991. Le défaut n’a pas été relevé dans les comptes-rendus de ces éditions ni dans A. CICCARDELLI, «Rassegna

di studi sul Manzoni lirico», in Lettere Italiane, oct.-déc. 1991. Ce qui est le plus étrange est que l'éd. Gibellini-Blazina suive la publication de la version italienne de cette étude dans un volume collectif où on peut lire une contribution de Blazina lui-même! Ce volume était déjà mis en page, quand j’ai pu voir avec plaisir que le poème trouve finalement, pour la première fois, sa place dans la belle édition de A. MANZONI,

Poesie e tragedie, éd. préfacée, commentée et annotée par V. Boggione, Turin, Utet,

2002.

4 Je cite d’après les Poeti minori del Settecento, éd. A. Donati, Bari, Laterza, 1912, p. 11 (mais La solitudine a également été publiée, accompagnée d’amples annotations, dans le volume de «Classici Ricciardi» consacré aux Lirici del Settecento, éd. B. Maier, introd. de M. Fubini, Milano-Napoli, 1959, pp. 308-312).

(3)

Trasse a lottar le vergini In sull’arena ignude. Non di rossor si videro Contaminar la gota, È la vergogna inutile Dove la colpa è ignota.5

C’est juste en raison de ce lien intertextuel que j’ai choisi de diviser en

trois quatrains le texte de Manzoni, que l’éditeur de la correspondance

pré-sente sans distinction de strophes. Il s’agit en effet du mètre caractéristique

des Amori; un quatrain d’heptasyllabes dont le premier et le troisième vers

proparoxytons et libres, le deuxième et le quatrième paroxytons et rimés

6

.

Avant de procéder à une analyse, il convient de rassembler quelques

données philologiques sur le poème. L’édition Arieti publie la lettre en

question accompagnée de cette référence: «Autographe absent. Copie dans

la Libreria Vinciana, Milano, Fondo Guerzoni». Giuseppe Guerzoni reçut,

selon ses dires, «beaucoup de ... papiers de Manzoni en donation par

Ma-dame Giulia [Elisa, sûrement] Grossi, fille du poète

7

.» Ces papiers sont à

présent conservés aux Archives Municipales de Milan, entre autres le court

billet en vers – sûrement destiné à Grossi, même si la dédicace n’est pas

explicite – «Perplessità» et de nombreuses lettres. La cote en est: «Fondo

Grossi, cart. I, fasc. 3». Le manuscrit original de la lettre ne se trouve

cer-tainement pas dans ce fonds, à moins, mais cela est difficile à supposer,

qu’il ait échappé à l’attention et de Ghisalberti et par la suite, d’Arieti.

5 «Laisse les démons rêvés / De Falérine et Armide; / Tends l’oreille à une histoire / Plus ancienne et moins trompeuse. // Sparte, hôte sévère / De rigide vertu, / Organisa des combats de vierges / Sur l’arène, nues. // Elles ne virent pas la rougeur / Contami-ner leurs joues, / Inutile est la honte / A la faute inconnue».

6 Sur la fortune du mètre cf. S. CILLARIO, Ludovico Savioli, monografia, Prato,

Giachet-ti, 1902, pp. 29-30; G. CARDUCCI, Della poesia melica italiana e di alcuni poeti erotici

del secolo XVIII [1868], maintenant dans Opere, éd. naz., Bologne, Zanichelli, 1936,

XV, pp. 114-115.

7 Cf. Roma-Reggio. Numéro spécial du Corriere dei Comuni, «a beneficio degli

innon-dati di Reggio Calabria», Rome, Tipografia Elzeviriana dell’Officina Statistica, s. d. mais 1880.

(4)

Certes, la lettre ne figure pas parmi celles que Dante Isella

8

a éditées en

1986 après collation avec les manuscrits retrouvés. Mais la copie même à

partir de laquelle Arieti a établi le texte semble avoir disparu lors de la

fer-meture, au début des années soixante-dix, de la Librairie Vinciana. Elle

présentait des erreurs flagrantes: Arieti propose deux corrections au texte

du poème: «Gulfino» (copie) – «Gulfiero» (Arieti), v.2; «Di riveder»

(co-pie) «Da riveder» (Arieti), v.8. En outre, dans la partie en prose de la lettre,

qui suit l’extrait que nous avons déjà donné, la copie fait allusion au

para-graphe 5 du premier chapitre du Discours et Arieti corrige avec raison en

paragra-phe 4.

La parodie

9

apparaît d’emblée à l’esprit – dès les deux premiers vers –

comme une opération pour le moins à deux niveaux. Manzoni parodie un

texte de Savioli en faisant référence à un texte de Grossi. En réalité, le

pro-blème se complique davantage si l’on considère de plus près les deux textes

dont se réclame Manzoni: Savioli et Grossi font eux-mêmes allusion à

d’autres textes et ces allusions ne concernent pas seulement un mot ou un

personnage mais engagent profondément la structure même des œuvres.

Il faudrait ici traiter séparément le cas de Savioli et celui de Grossi.

A propos de Savioli, il nous suffit de dire pour l’instant que les lectures

qu’on a faites jusqu’à cette date de ses poésies en général et de «La

solitu-dine» en particulier nous semblent insuffisantes et réductrices. En ce qui

nous concerne, nous noterons seulement que l’invitation d’ouverture à

lais-8 Dans sa réédition «augmentée de lettres inédites ou dispersées» du travail d’Arieti, Milan, Adelphi, 1986.

9 Les amis de la «cameretta» de Porta et du «crocchio supraromantico» aimaient, comme on le sait, échanger entre eux des lettres plaisantes en vers, le plus souvent des sizains et des octaves. On trouve des exemples de Porta, de Grossi, de Rossari et même de Cherubini. De Manzoni à Grossi nous avons d’une part une octave, parvenue au Centro Manzoniano suite à un don des descendants d’Elisa Grossi (fille du poète), Lina et Roberto Pozzi (publié originellement par Ghisalberti dans les Annali

Manzo-niani, II), et d’autre part les vers à la manière de Métastase, connus comme

«Perplessi-tà», passés d’Elisa Grossi à Giuseppe Guerzoni qui les publia le premier (dans

Roma-Reggio, cit.) et qui sont maintenant conservés, comme on l’a dit, aux Archives

(5)

ser «i sognati dèmoni / Di Falerina e Armida» joue un rôle important dans

un poème d’une construction très subtilement agencée où une telle

invita-tion est en fait reprise et contredite plusieurs fois sous forme d’échos

in-ternes et en renvoyant à l’archétype épico-chevaleresque désigné par

l’auteur lui-même.

Pour ce qui est de Grossi, notre propos sera moins succinct et pour

cause: il nous ramène directement à Manzoni et à la tentative commune des

deux auteurs (menée en parallèle justement à l’époque de cette lettre et de

ces vers parodiques) de renouveler le genre épique, même si c’est à travers

les formes expressives diverses des octaves des Lombards pour l’un et de la

prose du roman pour l’autre. Dans les deux cas il s’agit de transformer

ra-dicalement et de réécrire un palimpseste épique et en particulier la

Jérusa-lem délivrée. On reviendra plus tard sur ce point.

Certes la parodie de Manzoni révèle tout de suite un système de

redou-blements et de miroirs qui, comme nous le confirmeront les vers suivants,

engage personnellement l’auteur.

La poésie débute avec un écart comique entre les deux magiciennes,

empruntées respectivement au Roland amoureux et à la Jérusalem, (ce qui

justifie les «sognati demoni») et les deux figures masculines, au service du

Bien et engagées dans «l’histoire», à savoir celle d’Arvino, qui conduisait

les croisés lombards et de Gulfiero, son fils (figures pourtant sorties de

l’imagination de l’auteur, comme le faisait remarquer Ambrosoli, un des

premiers critiques des Lombards: il est douteux, écrivait-il, que des

Lom-bards aient pu participer à la première croisade mais si cela était, leur chef

ne s’appelait assurément pas Arvino mais Giovanni da Rho...). Le souci

d’inadéquation (mais aussi, soit dit en passant, la ressemblance

involon-taire) résume bien ici de manière emblématique le rapport parodique très

profond auquel nous avons fait allusion et qui caractérise la volonté de

renouvellement que Grossi (et Manzoni) ont par rapport à l’archétype

épique.

Le troisième vers, «Porgi l’orecchio a storia», qui, de nouveau, coïncide

avec le modèle (on note une alternance calculée de coïncidences et de

dé-formations inattendues entre le premier et le second vers, comme entre le

troisième et le quatrième vers) rappelle à l’esprit un autre verbe à

l’impéra-tif placé en tête d’un heptasyllabe proparoxyton qui est au troisième vers, à

(6)

la même place justement que dans le poème de Savioli: «Volgi lo sguardo a

Solima» de la Pentecoste. L’écho n’est pas seulement phonique ou fortuit.

Il y a en effet dans ces trois premiers vers un enjeu polémique cher aux

Romantiques en général et tout particulièrement à Manzoni, et pour des

raisons toutes personnelles. Il faut ici relire un passage de la Lettera sul

romanticismo al marchese Cesare d’Azeglio:

La raison pour laquelle je considère détestable l’emploi de la mythologie, et utile le sys-tème qui tend à l’éliminer, je ne la dirais sans doute à personne pour ne pas provoquer un rire qui devancerait et empêcherait toute explication; mais je ne négligerais pas de vous la soumettre, car, si vous la trouviez sans fondements, vous sauriez me corriger sans rire. Cette raison est que l’emploi de la fable est une vraie idolâtrie. Vous savez beaucoup mieux que moi qu’elle ne consistait pas seulement à croire quelques faits na-turels et surnana-turels; les faits n’étaient que la partie historique; mais, la partie morale, et beaucoup de la partie dogmatique (s’il m’est permis d’appliquer à un cas de ce genre une parole associée aux idées les plus saintes), cette partie tellement essentielle, était fondée sur l’amour, sur le respect, sur le désir, poussé jusqu’à l’adoration, des choses terrestres, des passions, des plaisirs, sur la foi en ces choses comme si elles étaient le but, comme si elles pouvaient donner le bonheur, sauver. L’idolâtrie dans ce sens peut subsister même sans la croyance à la partie historique, sans le culte; malheureusement, elle peut subsister même dans les intellects persuadés de la vraie foi: je dis l’idolâtrie; et je ne crains pas d’abuser du vocable, quand Saint Paul l’a appliqué expressément à l’avarice, et en d’autres termes, il a donné la même idée de la gourmandise.

Or, qu’est-ce que la mythologie gardée dans la poésie, sinon cette idolâtrie? Et où en trouver la déclaration et la preuve la plus explicite sinon dans les arguments toujours employés pour la recommander? La mythologie, on l’a toujours dit, sert à représenter vivement, à rendre intéressantes les passions, les qualités morales, et même les vertus. Et comment la mythologie fait-elle cela? En entrant, autant qu’il est possible, dans les idées des hommes qui reconnaissaient un dieu dans ces choses, en employant le langage de ces hommes, en essayant de feindre une croyance à ce qu’ils croyaient, en gardant en somme de l’idolâtrie tout ce qui est compatible avec sa fausseté reconnue. Ainsi, l’effet général de la mythologie ne peut être que celui de nous transporter aux idées de ces temps, quand le Maître n’était pas venu, aux idées de ces hommes qui n’en avaient pas la prédiction ni le désir, de nous faire parler constamment comme si Lui n’avait pas en-seigné, de maintenir les symboles, les expressions, les formules des sentiments qu’Il a voulu détruire; de nous faire laisser de côté les jugements qu’Il nous a donnés des choses et le langage qui est la vraie expression de ces jugements, pour ne retenir que les idées et les jugements du monde païen. On ne peut pas non plus dire que le langage mythologique, du moment qu’il est employé dans la poésie, est indifférent aux idées ni qu’il ne se transmet pas dans celles que l’intellect tient résolument et consciemment. Et pourquoi donc se servirait-on de ce langage, sinon par affection à ce qu’il exprime? si-non pour produire un assentiment, une sympathie? à quelle autre fin écrit-on et parle-on? Et même si on voulait admettre que ce langage est indifférent, sans effet, que faire alors du grand argument de ceux qui combattent pour la mythologie, qui la veulent

(7)

précisé-ment pour l’effet qu’elle peut produire? Soit donc bénie la guerre qu’on lui a faite et qu’on lui fait; et que puisse devenir texte de prescription générale ce vers:

Vate, ah scorda gli Achei, scorda le fole

dicté dans une occasion particulière par une illustre de vos amies – laquelle fut une des très rares qui dans les faits anticipèrent les théories en cherchant, et trouvant souvent si splendidement, le beau poétique, non pas dans ces apparences rabâchées, ni dans ces formules convenues, que la raison n’entend pas ou qu’elle dément et dont la prose aurait honte; mais dans la vérité ultime, où l’intellect repose.10

Ce «dernier vrai, où l’intellect repose» est, à proprement parler, Dieu.

On comprend mieux alors le lien strict avec la strophe de la Pentecoste

10 A. MANZONI, Tutte le opere, éd. dirigée par A. Chiari et F. Ghisalberti, vol. V, t. III,

Scritti letterari, éd. C. Riccardi et B. Travi, pp. 228-230. Il s’agit du texte

effective-ment envoyé en 1823 qui a été publié la première fois, après collation avec l’auto-graphe (retrouvé et signalé par R. SANSEVERINO, «Manzoni’s letter on romanticism: A

missing manuscript found» dans Modern Languages Notes, I (1979), pp. 152-159) par Dante Isella (éd. cit. des Lettere, t. III, pp. 1244-1273, en part. pp. 1248-1250). Arieti avait publié le texte en collationnant l’impression qui en fut faite, sans l’assentiment et contre la volonté de l’auteur, dans le premier numéro du mensuel Ausonio (Paris, 1846, p. 21 et suivantes). Voici en détail les variantes par rapport au texte d’Arieti concernant le morceau cité: chichessia (Isella) – chicchessia (Arieti: devenu chiunque dans l’éd. de 1871); a che altro fine si scrive (Isella) – A che altro fine si scrive (Arieti et, après, l’éd. 1871); «Vate, ah scorda gli Achei, scorda le fole» (Isella) – Vate,

scor-da gli Achei, scorscor-da le fole (sans les guillemets et rentré scor-dans la ligne suivante: Arieti

et après l’éd. 1871); trite apparenze (Isella) – triste apparenze (Arieti et, après, l’éd. 1871). Comme on le voit, à l’exception du premier cas où Manzoni choisit en 1871 un autre mot, l’auteur semble, dans l’édition définitive, suivre davantage l’impression abusive de 1846 (ou l’une des suivantes, tout aussi abusive) que le texte réellement envoyé. Si l’on admet que «trite» n’est pas une coquille, soit Manzoni ne s’en est pas rendu compte, soit il s’en est rendu compte et admet comme une erreur heureuse le fautif «triste» de l’impression de 1846. Pour ce qui est de la modification du vers de Diodata Saluzzo (modification qui implique un processus analogue) cf., ci-dessous, note 12. Voir également, pour la comparaison entre l’ébauche, le «texte envoyé en 1823» (mais Puppo s’est en réalité basé sur le texte publié en 1846, puisque la rédac-tion de son essai est probablement antérieure à l’éd. Isella) et la rédacrédac-tion définitive (impression de 1871), M. PUPPO, «L’interpretazione manzoniana della letteratura

ro-mantica», in Atti del convegno Manzoni e l’idea di litteratura, Turin, Liceo Linguisti-co Cadorna, s. d. mais 1987, pp. 139-151. A propos de la Linguisti-condamnation de la mytho-logie pour la raison que «l’emploi des fables est une véritable idolâtrie», Puppo relève avec précision (p. 145): «La nouveauté de cette raison, même par rapport à celles fournies par les autres romantiques contre la mythologie, est ressentie avec finesse par Manzoni lui-même, qui confesse qu’il ne la dirait certainement pas à quiconque pour éviter de provoquer des rires.»

(8)

(dont la rédaction définitive débutera moins d’un mois après celle de notre

parodie): «Adorator degli idoli / Sparso per ogni lido / Volgi lo sguardo a

Solima / Odi quel santo grido: / Stanca del vile ossequio, / La terra a LUI

ritorni»

11

.

De la sorte est également évoqué l’autre vers que ce premier quatrain

nous rappelait à l’esprit, à savoir l’endécasyllabe de Diodata Saluzzo, que

l’édition Isella a restauré dans la première transcription de Manzoni, qui

était conforme à l’original: «Vate, ah scorda gli Achei, scorda le fole»

12

.

Arieti (qui se fonde sur le texte de l’impression de 1846 «Vate, scorda

gli Achei, scorda le fole») explique en note qu’il s’agit d’un vers de l’Ode

sulle rovine del castello di Saluzzo: il s’agit au contraire du treizième vers

du sonnet Abele. Proposta a un improvvisatore

13

. L’origine de l’erreur

11 «Adorateur des idoles, / Répandu sur tous les rivages, / Tourne les yeux vers Solyme, / Entends ce cri sacré: / Fatiguée d’un culte avilissant, / Que la terre retourne à LUI». Azzolini, dans le commentaire auquel nous avons fait allusion, remarque à propos de «Stanca del vile ossequio»: «L’idolâtrie est considérée comme le principe de toutes les autres servitudes spirituelles (cf. Osservazioni sulla Morale Cattolica, 1819, III)» (vol. II, p. 254), mais son explication semble erronée. Dans le texte, tout d’abord, il n’est parlé que d’idolâtrie. Vile ossequio est en effet, dans ce cas, un synonyme d’idolâtrie. Mais, par ailleurs, un extrait comme celui que nous avons cité nous ap-prend que l’idolâtrie n’est pas «le principe de toutes les autres servitudes spirituelles», mais qu’au contraire, toutes les servitudes spirituelles sont, pour Manzoni, idolâtrie. Reste aussi incompréhensible (alors que la Lettera sul romanticismo n’est pas citée) le renvoi au chap. III de la Morale Cattolica qui ne traite pas du tout de l’idolâtrie. 12 Manzoni, dans l’édition de 1871, préférera la variante de l’impression abusive de 1846

(«Vate, scorda gli Achei, scorda le fole»), peut-être parce que l’erreur lui a échappé ou peut-être aussi parce qu’il l’a trouvée heureuse (j’ai indiqué en note 10 un autre cas qui pourrait être analogue): l’exclamation «ah», pathétique, qui pousse le sonnet jus-qu’au climax final, soulignait davantage l’«occasion particulière» dans laquelle le vers était introduit que sa valeur possible de «prescription générale», la seule, en fait, à la-quelle Manzoni s’intéressait.

13 Voici le sonnet en entier: «Pallido, curvo sul funebre oggetto / Stette il primo infelice genitore; / Mirò di Abele il già deforme aspetto / In silenzio d’altissimo dolore. // Al corpo esangue avviticchiato e stretto / Non pianse, ma l’invase alto terrore; / Poscia gli uscì dal lacerato petto / Un grido funestissimo d’orrore. // A quel paterno gemito pro-fondo / Fattosi bruno tra le nubi il Sole, / Feral mestizia ricoverse il mondo, // S’impietosiro le celesti squadre./ Vate, ah scorda gli Achei, scorda le fole; / Dì la madre che fe’? che fe’ la madre?» (dans Versi, quatrième éd. corrigée et enrichie,

(9)

Tu-d’Arieti est probablement à rechercher dans le discours Intorno

all’ingiu-stizia di alcuni giudizi letterari... de di Breme qui désigne l’ode «Le

Ro-vine» comme l’«exemple du parfait poème romantique». Cette indication

induit, encore en 1830, la critique anonyme des Novelle de Diodata Saluzzo

dans la «Biblioteca Italiana» à présenter la poétesse comme la «Penthésilée

des Romantiques». Un tel compte-rendu est pour nous significatif puisque,

paradoxalement, c’est l’auteur même des vers «Vate, ah scorda gli Achei,

scorda le fole» qui est invité à choisir «des arguments plus dignes: Che non

son fole antiche e vani amori» (avec un retournement où ce sont les

Clas-siques qui accusent à leur tour les Romantiques de se perdre en «fole»)

14

.

Le renvoi à ce vers de Diodata Saluzzo n’est pas métrique mais

concep-tuel et se fonde aussi sur la force des verbes à l’impératif «Lascia»,

«Por-gi», «Scorda», «Volgi». Ce n’est pas un hasard si Visconti, dans le

para-graphe consacré à Mitologia e storia antica de l’«articolo secondo» des

Idee elementari sulla poesia romantica (passage encore marqué par des

impératifs analogues), évoquait également Savioli: «Cessons donc

d’allon-_______________

rin, Vedova Pomba e figli, 1816, vol I, p. 89. Trad.: «Pâle, courbé sur le funébre objet, /se tint le premier malheureux père; / Il regarda les traits déjà déformés d’Abel / En un silence de très profonde douleur. // Enveloppant et serrant le corps exsangue / Il ne pleura pas mais une profonde terreur l’envahit; / Puis de sa poitrine déchirée / Sortit un très funeste cri d’horreur. // A cette plainte profonde du père / le soleil s’étant as-sombri entre les nuages /une funeste tristesse recouvrit le monde. // Les troupes cé-lestes eurent pitié. / Poète, ah oublie les Achéens, oublie les histoires; / Dis, la mère que fit-elle? Que fit la mère?»). L’erreur d’Arieti est soulignée par R. TISSONI,

Consi-derazioni su Diodata Saluzzo, dans «Atti del convegno Piemonte e letteratura

1789-1870», Turin, Région du Piémont, s. d. mais 1983, t. I, p. 195 note 123, qui reproduit aussi le sonnet mais avec diverses inexactitudes (v. 2 genitore; – genitore,; v. 6

ter-rore; – terrore.; v. 10 Sole – sole; v. 11 mondo, – mondo; v. 14 fe’ – fè; v. 14 fe’ – fè).

Il faut remarquer que la citation manzonienne a été faite en septembre 1823, donc avant, au moins pour ce qu’on connaît jusqu’à maintenant, le début de la correspon-dance entre Manzoni et Diodata Saluzzo. En outre, dans l’éd. des Versi que j’ai citée (qui se trouve aussi dans la bibliothèque de la via Morone) le sonnet Abele est placé justement à côté d’un sonnet Al Marchese Cesare Tapparelli d’Azeglio («Dans le jour de la Commémoration des Défunts, après la mort de Metilde Tapparelli, comtesse de Rinco, sa fille»). Même par cette voie, si besoin il y avait, l’information que Diodata Saluzzo était «illustre [...] amie» du Marquis arrivait à Manzoni.

(10)

ger le catalogue des poètes et des drames fondés sur les miracles des

divini-tés païennes, comme la Semele de Schiller, et l’Urania de Manzoni;

n’introduisons plus les dieux abolis pour régler les événements des

inven-tions historiques, comme dans le Camillo de notre insigne historien Botta,

dont nous pouvons nous permettre d’indiquer une faute si nous ajoutons

que son nom est célébré avec raison en Europe et en Amérique. On ne

brode plus les chansonnettes et les odes avec des narrations, des similitudes

et des images tirées de la fable à la manière de Savioli et de Chiabrera»

15

.

Manzoni, qui, avant d’effacer dans l’édition de 1871 le renvoi explicite

aux «ideuzze» de son ami, avait longuement médité sur ces pages pour la

lettre de 1823

16

, avait déjà trouvé, en 1822, un incipit de Savioli pouvant

correspondre à son invitation et resservir de manière ironique (et

auto-ironique) à marquer la distance entre n’importe quel travail d’imagination,

ou pour mieux dire littéraire (même un mélange d’histoire et d’invention),

et la «prose» du réel («Porgi l’orecchio a storia / Nojosa... ma davvero!»).

En d’autres termes, dans le premier quatrain de notre poésie, le contrepoint

entre deux types de littérature est mis au second plan par l’opposition qui

sépare ces deux types de texte de l’extra-texte qu’est la vie présente

(la-15 Je cite le Conciliatore de l’éd. avec introd. et notes de V. Branca, Florence, Le Mon-nier, 1953, I, p. 377. Dans une note, Visconti, pour défendre Milton, observe que, se-lon l’Ecriture, «les faux dieux étaient des démons» et qu’ils peuvent donc être repré-sentés comme tels, quoique sans exagération. Tout de suite après, il parle de l’utilisa-tion de la mythologie dans un poème ironique tel que le Giorno: «Enfin la mythologie peut être utilisée dans un poème ironique, où il faut aduler quelqu’un en faisant sem-blant de rester sur le ton majestueux et cérémonieux, comme dans le Giorno de notre Parini: elle devient là une parodie. Je sais que Parini ne l’employa pas avec l’intention de parodier; mais ses vers donnérent souvent cet effet, comme s’il l’avait prévu lui-même: il est propre aux génies extraordinairement fantastiques de créer la beauté sans le vouloir ni le savoir, et sans le reconnaître après l’avoir produite». De même, dans l’«Articolo Quarto» (qui s’intitule Una composizione può essere in parte romantica e

in parte classicistica) Visconti fait allusion à Savioli («...comme dans les

chanson-nettes de Savioli, pleines de fioritures homériques liées à l’exposition de l’amour ga-lant dans nos villes», ibid., p. 406).

16 Voir en particulier la question du réemploi, dans des contextes divers, du langage mythologique, question qui nous ramène à l’intertextualité et à la parodie: et cf., à la note précédente, les propos de Visconti sur l’utilisation de la mythologie dans le

(11)

quelle, cependant, pour des hommes de lettres, est constituée en grande

partie d’un travail sur des textes, ici de la correction des ébauches). Le

rap-pel intertextuel du vers 4 met en jeu précisément le couple olim/nunc en

parodiant, vraisemblablement, l’usage qu’en font les conservateurs

(«nojo-sa» s’oppose, comme histoire d’aujourd’hui, à la «più antica» et, cela va de

soi, elle a, plus que cette dernière, les caractéristiques d’une vérité

contrô-lable).

Le second quatrain reprend de même la disposition du modèle: le nom

propre mis en relief au début du cinquième vers, suivi d’une apposition; le

complément de détermination au sixième vers; le verbe en début du

sep-tième. L’effet parodique éclate encore dans la comparaison entre l’histoire

«più antica et meno infida» et celle «Nojosa... ma davvero», ici entre les

septième et huitième vers de Savioli («Trasse a lottar le vergini / In

sull’arena ignude») et leurs correspondants «Mi manda, oh che delizia! / Da

riveder le prove», où l’exclamation ironique («oh che delizia!») – dont le

sens s’éclaire dans l’équivalence qu’elle instaure avec l’exclamation sans

ironie du premier quatrain «Nojosa... ma davvero!» – agit doublement pour

le lecteur qui a reconnu le palimpseste (quelle délice les vierges nues...).

Mais précisément là est la prose de la vie, et les vierges nues dans l’arène,

quoi qu’en dise Savioli qui est en réalité, dans le contexte du poème, bien

plus relativiste et moins naïf qu’il n’apparaît dans ces seuls premiers

qua-trains, viennent ressembler aux «sognati demoni».

S’il faut continuer cette lecture parallèle, la troisième strophe nous

pré-sente alors l’opposition entre l’idylle édénique de Savioli d’une part (mais

je suis perplexe quant à la pertinence du renvoi à l’«omnia munda mundis»

de S. Paul fait en note par Maier

17

; certes, celui-ci est inconcevable dans la

perspective de Manzoni, qui peut le mettre en jeu pour les protagonistes du

roman mais qui ne l’aurait sûrement pas appliqué à la païenne Sparte) et la

réalité de la faute chez Manzoni, d’autre part («voce [...] fallata»; «la giusta

l’ho scordata»: ce dernier vers s’oppose à l’ignorance de la faute dans le

vers final de Savioli).

Mais c’est le moment d’élargir notre discours.

(12)

Nous avons cité Visconti: or, l’Armida du premier vers de Savioli est

aussi la protagoniste de la parodie «à quatre mains» avec Visconti du Canto

XVI del Tasso. Dans la structure habilement composée de «La solitudine»

de Savioli (nous l’avons déjà suggéré mais il convient ici de le dire

explici-tement de manière succincte) le poète, en réalité, après avoir lancé

l’invita-tion initiale à laisser les démons de Falerina et d’Armida, construit

préci-sément un nouveau jardin d’Armide dans lequel il invite l’être aimé à rester

avec lui, «romito amante». Le projet échoue comme un rêve face à la

réali-té (et à l’histoire) parce qu’en effet le personnage féminin «medita / Veglie,

teatri e danze».

Le Rinaldo du Canto XVI del Tasso s’exprime de manière analogue à

l’aimée de Savioli: «E questo il modo insomma,/ Di trattare un guerriero

innamorato? / Lasciarlo sempre solo / A parlar colle belve e colle piante, /

‹Se non quando è con te romito amante›? / Cangiarlo in cacciator senza

fucile? / Cangiarlo in giardinier senza badile? / So che un certo Ruggiero, /

Che fu antenato mio, trovossi un giorno / In questo contingente in ch’io mi

trovo; / Vedete che il trovato non è nuovo. / Ma quei si stava in festa, / A

caccie, a giostre, a danze ed a conviti / In mezzo d’una bella compagnia /

Ed io solo così convien che stia! / Che invenzioni son queste? / Non si

trat-ta così con Casa d’Este»

18

.

On peut aller plus loin. Un critique a parlé récemment d’une manière

suggestive d’«Ermengarde entre Armide et le Christ»

19

. Selon cette

inter-18 «Est-ce la façon de traiter / Un guerrier amoureux/ Que de le laisser toujours seul / Parler avec les fauves et les plantes / ‹Si ce n’est quand il est avec toi, amant soli-taire›? / Le changer en chasseur sans fusil? / Le changer en jardinier sans pelle? / Je sais qu’un certain Roger, / Qui fut mon ancêtre, se trouva un jour / Dans la même si-tuation que moi; / Voyez-vous, l’argument n’est pas nouveau. / Mais lui il s’amusait: / chasses, joutes, danses et banquets / En belle compagnie; / Et moi je dois rester tout seul! / Quelle invention est-ce?/ On ne traite pas ainsi la maison d’Este». Il s’agit des v. 56-72. Déjà avant, d’une manière synthétique, aux v. 44-47: «Armida: Quando l’esser soletto / Con l’adorata donna / Spiacque ad amante mai?/ Rinaldo: Quando s’annoja» («A.: Déplait-il jamais à l’amant / d’être tout seul /avec la femme adorée?/

R.: Quand il s’ennuie»).

19 Cf. G. LONARDI, Introd. à l’éd. citée de Manzoni, Tutte le poesie, pp. 28-34, en part.

p. 34. Mais quelques-unes de ces réflexions, étaient déjà parues, sous une autre forme, dans les dernières pages de l’essai du même «Dramma, «romance» e romanzo», in

(13)

Er-prétation, Manzoni, face au langage de la passion de l’univers tassien (et

racinien), partagé entre les deux extrêmes du dire immoral et du silence,

effectue une «formation de compromis» lorsqu’il réemploie ce langage

dans deux «forme del margine»: la parodie (Canto XVI del Tasso) et le

délire (celui justement d’Ermengarda dans Adelchi, IV). Le lien entre ces

deux formes est également significatif de sorte que Lonardi peut indiquer

comment le vers tassien «Passa la bella donna e par che dorma», après

avoir été mis en parodie dans le Canto XVI («Parla la bella donna, e par che

dorma»), revit en sa forme sublime et sérieuse dans un moment culminant

du drame, lorsque Ermengarda confie à Ansberga son «testament» adressé

à Carlo: «… e sì gli dica: / Senza rancor passa Ermengarda». Ainsi surtout,

et c’est le point sur lequel le critique insiste le plus (mais il allègue aussi

d’autres références au Tasse et à Racine), la solitude d’Ermengarda reprend

celle de l’Armida tassienne, cette solitude justement que le Canto XVI del

Tasso tournait en dérision, pour la présenter à nouveau, sur le mode du

sérieux, à la lumière de la passion du Christ, de sa souffrance raillée («Sola

e debol son io: ... oh! non forzarmi / A supplicar così dinanzi a questa /

Turba che mi deride...»: cf. le «stuol de’ beffardi» dans l’hymne La

pas-sione, v. 49).

Ce n’est pas un hasard si, dans ce contexte de réminiscences, il nous est

possible désormais d’insérer Savioli. En effet, si l’on y prête attention, tous

les échos du poète bolognais signalés il y a trente ans par Aurelia Accame

Bobbio, sont relatifs à Ermengarda

20

. Dans notre discours, ces indications

_______________

mengarda e il pirata. Manzoni, dramma epico, melodramma, Bologne, Il Mulino,

1991.

20 «De Savioli semblent dériver des phrases et des cadences musicales qu’on retrouve dans le chœur d’Ermengarde: Vénus qui promet à son amant ‹dagli abbracciati altari› cette paix que l’épouse répudiée de Charles demande en vain aux ‹supplicati altari› (dans une première rédaction: ‹agli abbracciati altari›) (Le fortune); le ‹pupille cerule› que l’Aurore trouva ‹stanche e per veglia languide› en raison des peines d’amour (Al

sonno); l’amant confus et déchiré pour un ‹desiar fallace›, et des mouvements

ryth-miques comme ‹oh inutili Pianti, oh desir fallaci!› (La disperazione, et dans le chœur de Manzoni: ‹Oh Mosa errante! Oh tepidi Lavacri d’Aquisgrano!›). Mais cette mo-saïque de formules verbales, dont l’écho ne peut pas être dû au hasard, sans être, pro-bablement, conscient, démontre justement qu’elles émergeaient de la mémoire de Manzoni avec une spontanéité semblable à celle que connaît le parleur commun lors-qu’il utilise les mots familiers de son langage pour exprimer des sentiments, des

(14)

situa-peuvent se charger d’un sens encore plus riche. Ce qu’avait dit Bezzola, et

qui est repris à présent par Azzolini, n’est pas exclusivement vrai, à savoir

que dans le Canto XVI del Tasso «l’objectif polémique est surtout ce

lan-gage tassien dont le mélodrame a usé (et abusé)»

21

, car le contraire aussi est

vrai. Aussi dans le registre du sublime, le langage utilisé pour reprendre par

exemple le Tasse, est-il celui du XVIII

e

siècle, et entre autres celui de

Sa-violi. D’une manière plus générale, il existe, dans le domaine du sérieux,

une littérature qui reprend le langage de la poésie du XVIII

e

siècle et même

du mélodrame, non pas dans le but de le critiquer mais de le réemployer de

manière positive (on peut penser aux Inni Sacri, au Cinque Maggio et

même à la Pentecoste).

_______________

tions et des concepts tout à fait différents. Et si nous nous interrogeons sur ce qui fait que ces formules soient si différemment expressives chez l’un et chez l’autre poète, nous pour-rions trouver à chaque fois les raisons les plus variées. Par exemple les ex-clamations: ‹Oh Mosa errante! O tepidi Lavacri d’Aquisgrano!› sont imprégnées d’un réalisme historique qui exaspère le regret, comme la ‹pupilla cerula›, après l’image du regard tremblant, annonce l’immobilité du repos, présage de sérénité céleste, et en même temps évoque la souche germanique. Les ‹supplicati altari› qui arrivent les der-niers dans l’énumération des lieux en se substituant à ‹abbracciati› moins spirituel et chrétien, fixent dans une attitude concrète le destin de la femme: ‹sempre un obblio di chiedere Che le saria negato›. De ce réalisme psychologique dramatiquement vécu, on ne trouve aucune trace chez la belle passionnée de Savioli, ni chez n’importe quel autre amoureux du XVIIIe siècle, à l’exception de quelques créatures d’Alfieri,

appar-tenant déjà à un autre climat poétique.» (A. ACCAME BOBBIO, La formazione del

lin-guaggio lirico manzoniano, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1963, pp.

141-142); «Parfois il s’agit seulement de formules verbales qui, immergées dans la poésie de Manzoni, retrouvent une force et une vie nouvelle. Par exemple, ‹l’immobil fato› que nous retrouvons, pour citer un cas, chez Savioli, comme simple épithète ornemen-tale (‹l’incognit’urna dell’immobil fato›), revivifie, grâce à la position prédicative mise en évidence par l’enjambement, le sens original relié déjà jadis à la divinité, au fatum, aux lois: ‹Tal della mesta immobile Era quaggiuso il fato›» (ibid., p. 145. Sur cela cf. également p. 172 et note); «La ‹torba quiete› d’Ermengarde (Adelchi, IV, 204-205) a par contre une parenté plus proche avec la ‹torbida quiete› qui afflige l’amant dans la chansonnette Il furore de Savioli, amant qui se plaint justement de ce qui, dans la tragédie, arrive à Ermengarde: ‹I sogni a me presentano Quel ch’io temea veglian-do›» (ibid., p. 146 note).

(15)

Il faudrait rouvrir le dossier sur les rapports entre la poésie du XVIII

e

siècle et celle de Manzoni, point sur lequel les critiques se sont déjà

pen-chés, à commencer par Menegazzi et Accame Bobbio (presque oubliés par

les exégètes les plus récents), mais que l’on pourrait bien enrichir d’autres

indications et réflexions. Il n’y a pas lieu de les faire ici

22

. Il conviendra

plutôt de revenir sur le travail parallèle effectué par Grossi et Manzoni à

partir du palimpseste épique. En 1822, l’année de notre parodie, Manzoni a,

en effet, déjà commencé son roman.

Dans un bel article publié en 1986, Sergio Zatti a traité des rapports de

l’œuvre de Manzoni avec le modèle épique du Tasse et il a montré

com-ment ce modèle a été repris et profondécom-ment transformé (Zatti parle lui

aussi, et ce n’est pas par hasard, de «formation de compromis») dans la

prose du roman

23

. Cet essai oublie néanmoins de mentionner le fait qu’à

côté de Manzoni et dans une étroite complicité, Grossi travaillait lui-aussi à

transformer ce modèle, à réaliser une épopée nouvelle, ce qui est le point de

départ de notre poème.

Je dirais même que ce n’est pas par hasard si ce morceau est demeuré

ignoré pendant presque 25 ans. Le fait est que ce rapport entre les deux

22 Nous nous sommes référé à l’étude de G. B. MENEGAZZI, «Echi lirici settecenteschi

nella poesia di Manzoni», parue dans le volume La nube e il lampo: varietas, Modena, Formiggini, 1911 et au travail fondamental d’Accame Bobbio déjà cité. Pour ce qui concerne le rapport avec Savioli cf. aussi: A. BALDI, «Riflessi saviolani nel Cinque

Maggio», in Misure critiche, V (1975), 16-17, pp. 29-33 et in Manzoni scrittore

euro-peo, Naples, Morano, 1978, pp. 335-338. J’ajouterais seulement qu’il faudrait

considé-rer comme très significatif le fait que les échos de Savioli se regroupent autour d’Ermengarde, Cinque maggio et Pentecoste. Gavazzeni («Ragioni metriche manzo-niane (sul metro della prima Pentecoste», in Metrica, II, 1981, pp. 145-157) souligne les liens métriques entre les trois poèmes. Pourquoi ne pas voir dans Savioli une racine commune?

23 Cf. S. ZATTI, «I Promessi Sposi e il modello epico tassiano», in AA. VV., Il romanzo

della storia, Pise, Nistri-Lischi, 1986, pp. 155-209 (étude présentée dans une

deu-xième rédaction, qui tient compte aussi de notre contribution, dans S.ZATTI, L’ombra

del Tasso. Epica e romanzo nel Cinquecento, Milan, Bruno Mondadori, 1996). Publié

en même temps que le travail de Zatti, P. DI SACCO, L’impossibile idillio. Tasso in

Manzoni e Porta, in Studi tassiani, suppl. au n° 3-4 de Bergomum, 1986, pp. 83-99, ne

(16)

hommes de lettres n’a jamais été suffisamment pris en compte. Même

Da-niela Delcorno Branca, qui dans une importante étude sur la structure des

Fiancés

24

a parlé du passage de l’épopée au roman chez Scott et Manzoni,

ne nomme pas les Lombardi et, parmi ses nombreux renvois à la critique,

même étrangère, ignore (comme d’ailleurs le font Paladino

25

et Zatti)

l’an-cienne mais pertinente étude de Chini consacrée aux Lombardi et au

pro-blème de l’épopée pendant le Romantisme

26

.

Les lettres manzoniennes sont, avant tout, un riche témoignage de ce

travail mené en commun par Grossi et Manzoni

27

. Ce n’est pas le lieu

d’in-sister sur la manière dont elles ont été négligées: il suffit de penser au sort

réservé à notre poème. Pour un autre témoignage extérieur à ce corpus, on

peut prendre en considération la correspondance échangée entre Berchet et

Costanza Arconati, dans laquelle revient de manière constante et

simulta-née la demande de renseignements sur les travaux des deux amis, pour en

juger ensuite

28

. Mais le rapport étroit entre les deux textes au plan de

l’écri-ture est explicitement affirmé par Manzoni lui-même dans son roman:

Après avoir ainsi quelque peu fait honte au Griso, il lui donna des instructions plus amples et plus précises. Le Griso prit ses deux compagnons, et partit, d’un air allègre et crâne, mais en maudissant sans son cœur et Monza, et les condamnations, et les femmes, et les caprices des maîtres; et il marchait comme le loup poussé par la faim, le ventre desséché, et dont on peut compter toutes les côtes, qui descend de ses montagnes où tout

24 Cf. D. DELCORNO BRANCA, «Strutture narrative e scansioni in capitoli tra Fermo e

Lucia e Promessi Sposi», in Lettere italiane, 1980, 3, pp. 314-350.

25 Cf. V. PALADINO, «‹Meraviglioso› romantico: proposte del Conciliatore», in Critica

letteraria, XII (1984), fasc. 1, n. 42, pp. 29-52.

26 Cf. M. CHINI, Le teorie dei romantici intorno al poema epico e «I Lombardi alla

prima crociata» di Tommaso Grossi, Lanciano, Carabba, 1920.

27 Cf. Lettere, I, passim. Pour les lettres de Grossi, il faut se reporter au Carteggio de

Manzoni. Le lettere di Carlo Porta e degli amici della cameretta, avec notes et intro-duction de D. Isella, Milan-Naples, Ricciardi, 1967 ne dépassent pas 1821, date de la mort de Porta.

28 Cf. G. BERCHET, Lettere alla marchesa Costanza Arconati, éd. R. van Nuffel, Rome,

(17)

n’est plus que neige, qui s’engage, méfiant, dans la plaine, s’arrête de temps en temps, une patte levée, remuant sa queue pelée,

Lève en l’air le museau, flairant le vent perfide,

qui pourrait lui porter les odeurs d’homme ou de fer, dresse ses oreilles pointues, et roule des yeux sanglants, où brillent et le désir d’une proie, et la terreur d’être chassé. Au reste, ce beau vers, si l’on veut savoir d’où il vient, je l’ai tiré d’une extravagance inédite où l’on parle de croisades et de Lombards, qui bientôt ne sera plus inédite, et qui fera beaucoup de bruit; et je l’ai pris, parce qu’il me venait à point; et je dis où, pour ne pas m’embellir de dépouilles d’autrui: et afin que personne n’y voie une astuce, pour faire savoir que l’auteur de cette extravagance et moi-même, nous sommes comme deux frères et que je fouille à mon gré dans ses manuscrits.29

Là encore on se doit de dire que, malgré les informations très précises

four-nies par le texte, l’exégèse manzonienne a été jusqu’à présent insuffisante

30

:

elle donne les références de la citation (canto X dei Lombardi)

31

; elle

ren-29 Trad. citée, p. 286. Rey-Dusseuil, l’auteur de la traduction, Paris, Gosselin et Sautelet, 1828, fait cette note au vers de Grossi, qu’il cite dans l’original italien («Leva il muso, odorando il vento infido,»): «Lève le museau en interrogeant le vent trompeur. On va voir que ce vers est tiré d’un poème inédit de M. Manzoni» (!). Pour l’original de Manzoni, voir l’éd. de 1840, pp. 227-228, où le vers n’est pas en italique mais est écrit d’un caractère plus petit que le reste et il est suivi de l’illustration d’un loup. L’éd. Ca-retti (Turin, Einaudi, 1971, vol. II, p. 269), qui sert normalement à bien voir les chan-gements par rapport à l’éd. de 1827, représente là le vers en romain tandis qu’il était en italique dans l’éd. de 1827. Mais l’éd. Chiari-Ghisalberti des «Classici Mondadori» (1958²) et celle du seul Ghisalberti (Milan, Hoepli, 1964) donnent étrangement le texte de 1840 avec le vers en italique. Le passage est absent du Fermo e Lucia.

30 Cf., pour tous, le commentaire de Raimondi et Bottoni (Milan, Principato, 1987: c’est

à lui qu’on se réfère dans le texte) pourtant bien plus riche que les autres. Mais cf. aus-si G. GETTO, Manzoni europeo, Milan, Mursia, 1971, pp. 334-335. Letture

manzo-niane ne parlent même pas de ce fait. Mon indication est restée ignorée dans les deux

volumes Manzoni/Grossi, Milan, Centro Nazionale di Studi Manzoniani, 1991 (il s’agit des actes d’un colloque de 1990 pour le cent cinquantième anniversaire de l’édition de 1840 des Fiancés et le bicentenaire de la naissance de Grossi). Ce n’est pas un hasard, voudrait-on ajouter, si à la barre du titre correspond une division effec-tive de la matière en deux volumes, le premier dédié à Manzoni et le deuxième à Grossi. Une seule contribution est réservée, dans le second volume, aux Lombards: mais en est totalement absente l’indication, sur laquelle nous insistons, du travail en commun mené par les deux amis sur le palimpseste de l’épique traditionnelle (cf. G. BEZZOLA, Aspetti della polemica sui «Lombardi alla prima crociata» in

Manzo-ni/Grossi, Atti del XIV Congresso Nazionale di Studi Manzoniani, Lecco, 10/14

ot-tobre 1990, Milan, Centro Nazionale di Studi Manzoniani, 1991, vol. II, pp. 7-22). 31 Mais il faut remarquer qu’ici aussi il y a un réemploi dans un contexte différent, selon

(18)

seigne sur Grossi touché par la parodie anti-tassienne de Manzoni et

Vis-conti; elle fait savoir que Manzoni et Grossi étaient liés par une «amitié

cordiale» et que Grossi «était consulté [...] sur le sobriquet dont il convenait

d’affubler les bravi». Mais elle ne dit pas, et c’est presque en ce sens une

soustraction d’informations, que Grossi avait été consulté non pas de

ma-nière improvisée mais dans le contexte d’une procédure commune de

tra-vail et de lecture réciproque des deux œuvres...

32

Pour conclure, revenons encore à Savioli, en visant aussi le roman. Dans

le numéro 67 du 22 Avril 1819 du «Conciliatore», Borsieri donne le

compte-rendu d’une édition de l’Ane d’Or d’Apulée «traduit par Firenzuola» qui

venait de sortir chez Ferrario, «quel tipografo / di cose antiche e nuove»

33

.

Voici les conclusions de cet article: «Nous pourrions dire plusieurs choses

sur le grand succès rencontré par l’Âne d’or dans l’Italie savante. [...]. Mais

en laissant à plusieurs hommes de lettres, qui ont plus de temps et plus de

sagesse que nous, le souci d’accumuler ce savoir de bât, nous dirons

seule-ment que La Fontaine dépassa avec sa Psyché celle d’Apulée – quoique

ce-lui-ci garde le mérite de l’invention – et que Savioli en tira une chanson

(ajoutée à quelques éditions de ses Amori) dans laquelle la rare splendeur du

style peut presque nous faire oublier l’absence de vraie poésie, qu’on ne peut

pas obtenir à notre époque, en ce qui concerne la pensée et le sentiment, avec

_______________

le goût typique du pastiche et de la contrefaçon de Manzoni et de son cercle d’amis: en effet, dans l’original le vers se réfère à une lionne (cf. I Lombardi alla prima crociata, X, octave 16).

32 J’ai donné dans la première partie de ma thèse de doctorat, Un diagramma europeo:

Manzoni e Botta tra epica storia e romanzo, (en particulier dans le chap. III) d’autres

éléments sur le rapport entre Manzoni et Grossi, et surtout un cadre plus vaste à l’intérêt porté au genre épique et à ses transformations dans les échanges européens des premières années du XIXe siècle.

33 On peut remarquer que l’annonce de la publication de ce volume d’Apulée (dans le numéro 62 du 4 avril) est contemporaine de celle de l’ouverture de l’association à la «troisième édition revue et corrigée» de la Storia d’America de Botta (c’est l’édition que l’on trouve dans la bibliothèque de la via Morone) qui sortira chez Ferrario en quatre tomes de mai à septembre de cette même année 1819. Quelques mois après, courant janvier 1820, l’éditeur du Conciliatore publiera le Carmagnola.

(19)

les arguments de la fable»

34

. Il n’est pas sans intérêt de feuilleter cette

édi-tion, «avec six tables qui représentent les actions principales de la fable»

35

.

Mais ce qui importe davantage c’est qu’à la représentation de Savioli («E già

un placido sonno / Gli occhi d’Amor chiudea, / Quando alle quete coltri /

Perversa il piè volgea. / Apparia nella manca / La lucerna vietata; / Era

l’infida e mal secura destra / D’ingiusto ferro armata»)

36

, le Manzoni du

cha-34 Conciliatore, éd. cit., II, pp. 486-489. Cf., pour la thèse finale, le passage déjà cité

dans le texte de l’«Articolo secondo» des Idee de Visconti, où l’on parlait «des narra-tions, des similitudes et des images tirées de la fable à la manière de Savioli et de Chiabrera». En réalité Chiabrera aussi, dans son Alcina prigioniera, avait raconté l’histoire d’Amour et Psyché. Avec lui, à ce sujet, il faudrait rappeler au moins, au de-là du passage de l’Adone de Marino et de Lippi et Forteguerri, les reprises de Cassiani, Pindemonte et Arici, plus proches de Savioli et de Manzoni. Il faut ici reporter le pre-mier tercet du sonnet de Cassiani: «Sovra lo sposo al guardo suo disdetto / Con la lu-cerna ad una man sospesa / L’altra opponendo a farne ai rai difesa /Pendea Psiche a spiar l’ignoto aspetto» (in G. CASSIANI, Poesie scelte, Mantova, s. é., 1795, p. 58: l’édition est présente dans la bibliothèque de Brusuglio. «Au-dessus de l’époux inter-dit à son regard / La lampe à une main suspendue, / L’autre faisant écran aux rayons, / Psyché se penchait pour épier les traits inconnus»). Comme on l’aura remarqué, la description de l’écran fait à la lumière par la main qui ne tient pas la lampe est très si-gnificative par rapport à Manzoni.

35 L’édition n’apparaît pas dans les bibliothèques de Manzoni (qui possédait, à Brusu-glio, l’éd. des Œuvres de Firenzuola, Milan, Soc. tip. de’ Classici Italiani, 1802, 8°, 5 voll.: l’Ane d’or est dans le 3°, et même l’éd. Ferrario 1819 déclare expressément – p. VIII – être «faite sur celle de la collection des Classici italiani, qui peut se vanter d’être absolument expurgée») mais le fait n’est pas en lui-même résolutif. Un exemple parmi d’autres: dans les bibliothèques de Manzoni il n’y a pas l’Ipazia de Diodata Sa-luzzo qui cependant lui avait été sûrement offert par l’auteur. Le cas de l’Ane d’or est pourtant différent: Manzoni, qui possédait le texte, pourrait avoir vu ou feuilleté cette édition... A la page 160 (ou plus précisément au hors-texte entre les pages 160 et 161), on voit la table, de goût néoclassique, représentant de droite à gauche, en succession narrative: Psyché qui se pique avec une flèche d’Amour, Psyché regardant, avec une lampe dans une main et un poignard dans l’autre, Amour qui dort et enfin Psyché at-trapant par une jambe Amour qui s’échappe par la fenêtre.

36 Cf. Poeti minori del Settecento, cit., p. 74 (ce sont les vv. 47-54 de Amore e Psiche):

«Et un sommeil placide / Fermait déjà les yeux d’Amour / Quand elle, transgressant l’interdit, / Se dirigeait vers la couche tranquille. / Brillait dans sa main gauche / La lampe défendue; / Sa droite trompeuse et tremblante / D’un fer injuste était armée».

Amore e Psiche parut en 1759 dans le recueil pour les noces Aldovrandi-Barbazzi,

puis, avec les Amours, dans l’éd. Barraro de 1782. Entre autres les éd. bodoniennes de 1795 et 1802 comprennent, en plus des Amori, Amore e Psiche.

(20)

pitre XV des Fiancés, dans le style «bas» mais admirable de sa prose,

substi-tuera la «vraie poésie» de la «réalité»:

L’hôtelier lui donna l’aide qu’il demandait; de plus, il étendit la couverture sur lui, et lui dit rudement: «Bonne nuit»; mais Renzo ronflait déjà. Et puis, par cette espèce d’attrait, qui nous retient quelquefois à considérer un objet de dépit à l’égal d’un objet d’amour, et qui peut-être n’est autre chose que le désir de connaître ce qui agit fortement sur notre esprit, il demeura là un moment, à contempler ce client si fâcheux pour lui, en levant la lampe sur son visage, vers lequel, d’une main tendue, il rabattit la lumière, dans l’attitude, à peu près, où l’on peint Psyché, lorsqu’elle épie furtivement les formes de son époux inconnu. «Espèce d’âne, dit-il en lui-même au pauvre dormeur, tu l’as vrai-ment cherché. Demain, tu pourras me dire quel goût tu y trouveras. [...]»37.

37 Cf. éd. 1840, p. 292. Et cf. aussi l’éd. Caretti, II, pp. 346-347 où on peut tout de suite

vérifier les variantes par rapport à la «ventisettana». Ici la plus importante me semble être «Pezzo d’asino!» («Espèce d’âne!»), qui dans la «ventisettana» – comme dans le

Fermo – était «Matto minchione» («Fou d’imbécile»), mais soit dans le Fermo, soit

dans la première éd., l’exclamation «pezzo d’asino» était déjà, déplacée plus loin dans le monologue de l’hôtelier, au même endroit où elle revient encore en effet dans l’éd. définitive. Il faut souligner aussi que le Fermo, où l’épisode est dans le t. III, chap. VII (éd. Caretti, I, p. 434), offre un peu plus loin un autre écho probable du récit d’Apulée et de sa tradition figurative (cf. la troisième scène de la table décrite dans la note 372): «Tu as voulu te noyer, noie-toi; mais me saisir par une jambe, pour me tirer sous l’eau avec toi... ah! ce n’était pas une action d’honnête homme» (ibid., p. 436).

On retrouve des coïncidences et des renversements de fonctions entre le modèle an-cien et la narration de Manzoni. Si l’hôtelier joue le rôle de Psyché lorsqu’il regarde Renzo, la lampe à la main, c’est aux lèvres d’Amour que conviendrait plutôt l’apostro-phe qui suit («… tu l’as vraiment cherché. Demain, tu pourras me dire quel goût tu y trouveras...»), aussi bien que le défoulement du Fermo, qu’on vient de citer. On pour-rait résumer, en simplifiant: celui qui a fait une bêtise, et sera puni le lendemain, est dans la fable Psyché (celle qui regarde), et dans le roman, Renzo (celui qui est regar-dé). En réalité, ce n’est pas un hasard si aux yeux de l’auteur de la réflexion du hui-tième chapitre sur oppresseur et opprimé (mise en scène ici tout au long du chapitre, jusqu’à la fin) les filigranes jouent réciproquement l’un sur l’autre dans l’investigation pensive de la réalité humaine, aussi bien que de la «faute» et de la «punition»: n’est-ce pas en fait l’hôtelier qui trahit un «pauvre garçon»? Et aura-t-il «goût», le lendemain, à dénoncer Renzo, ou bien sera-t-il maltraité et soupçonné?

Il faudrait ensuite prendre en compte l’illustration de Gonin dont ne parlent ni Maz-zocca, ni Momigliano, ni Dalmasso, ni Franzi, ni Gregori (qui a écrit un bel article sur les Ricordi figurativi di Alessandro Manzoni). Mais s’il y a un cas où l’étude de la tra-dition iconographique est explicitement demandée par le texte, c’est celui de cette il-lustration dans laquelle Gonin était vraiment appelé à faire, dans le champ figuratif, la

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même opération de traduction-parodie que celle, sur le plan littéraire, de Manzoni qui parlait déjà lui-même d’un de ses «ricordi figurativi».

Sur l’épisode, les pages les meilleures demeurent celles, magistrales, des Letture

manzoniane (Florence, Sansoni, 1964, pp. 246-248), malheureusement absentes de la

«lecture» raccourcie dans l’éd. Sansoni du roman. De cette dernière est aussi absent – étrangement, car le texte est entièrement illustré sur la base de dessins de Gonin – le dessin relatif à l’épisode. Dans son interprétation, Getto insère aussi entre autres un plan «métanarratif».

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