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Mondialisme contre regionalisme: CEE et ACP dans les negociations de la Convention de Lomé 1970-75

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MONDIALISME CONTRE REGIONALISME : CEE ET ACP DANS LES NEGOCIATIONS DE LA CONVENTION DE LOME 1970-75

Jean-Marie Palayret Archives historiques des Communautés européennes, Institut universitaire européen Florence.

[In A. Varsori ( ed.) Inside the European Community. Actors and Policies in the European Integration 1957-1972, Baden-Baden, Bruxelles, Nomos /Bruylant, 2005, pp.369-398 , 2006]

Peu d’accords multilatéraux ont donné lieu à autant de jugements contradictoires que la Convention de Lomé . Dénoncée par ses détracteurs tiers-mondistes comme la transmutation de l’héritage colonial de ses fondateurs en oeuvre collective de coopération au Développement ou comme la consécration du principe des zones d’influence plaçant l’Afrique et les Caraìbes sous la domination de l’Europe, présentée par ses artisans comme un modèle de nouvelles relations économiques entre le Nord et le Sud, la Convention signée le 28 février 1975 dans la capitale du Togo fut le résultat de négociations qui comptèrent parmi les plus longues et les plus complexes jamais engagées par la Communauté. Il avait fallu plus de 18 mois de négociations et 183 séances communes CEE-ACP pour boucler des dossiers dont la technicité le disputait à l’importance politique de l’enjeu

I ) Les antécédents

L’histoire de cette Convention, qui regroupait autour de la CEE l’Afrique noire indépendante toute entière, les Caraibes et trois îles du Pacifique, remontait à une date bien antérieure.On se souvient, que pour des raisons politiques et économiques bien connues, la France avait obtenu, lors de l’élaboration du Traité de Rome, que les territoires ultra marins « ayant des relations particulières avec les Etats membres » soient placés sous un régime d’association les assimilant dans une certaine mesure au territoire européen des Etats membres, les faisant bénéficier par ailleurs de certains privilèges commerciaux et de l’allocation d’un fonds de développement alimenté par les six partenaires. Les principes de cette association faisaient l’objet de la partie IV du Traité ; les modalités en étaient fixées par une convention annexe couvrant une première période de cinq ans. Entre-temps, la plupart des territoires associés étaient devenus des Etats indépendants. La convention de Yaoundé I, signée le 20 juillet 1963 répondait au souci de De Gaulle de pérenniser la présence française en Afrique . Elle accordait des avantages commerciaux à dix-huit Etats de l’Afrique francophone, les EAMA (Etats Africains et Malgache Associés), instituait une aide financière de 730 millions d’unités de compte et, pour la première fois, des institutions paritaires chargées de gérer l’association. La seconde convention de Yaoundé (1969) put être considérée comme un simple renouvellement de la première . En réalité, si la plupart des dispositions institutionnelles, commerciales et financières restaient inchangées ,Yaoudé II enregistrait l’apparition d’un phénomène dont on allait abondamment reparler plus tard : l’érosion des préférences douanières. Pour la CEE, qui multipliait les accords bilatéraux avec les pays tiers (Maroc, Tunisie, Brésil), l’Association perdait de son importance1 En

participant à l’instauration du système généralisé de préférences tarifaires en faveur de 91 pays du tiers-monde pour tous les produits manufacturés et semi-finis, préconisé par la 2è. CNUCED (UNCTAD) en mars 1968, la Communauté créait une tension entre les volets « régional » et « mondial » de sa politique préférentielle. Les 18 EAMA devraient désormais compter avec des concurrents bénéficiant eux aussi de réductions tarifaires.

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Dès 1963, l’éventuelle adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun avait soulevé le problème des relations des pays du Commonwealth avec la Communauté européenne, et avait conduit cette dernière, sous la pression de l’Allemagne fédérale et des Pays-Bas, et malgré les réticences de la France, à se déclarer prête à étendre l’association « aux pays dont la structure économique et la production étaient comparables à celles des EAMA »2. Après une période de tâtonnements et une tentative d’accord (non ratifié) avec le

Nigéria, un véritable accord fut signé à Arusha, le 24 septembre 1969, pour une période de cinq ans avec les pays de l’Est africain anglophones (Kenya, Ouganda, Tanzanie). Cet accord était toutefois de portée limitée et visait essentiellement le régime des échanges : il ne comportait aucune disposition en matière de coopération financière et technique3.

La deuxième convention de Yaoundé n’était pas encore ratifiée que les Six, au sommet de la Haye (2 décembre 1969) donnaient le feu vert à la reprise des négociations pour l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE4. Les négociations d’adhésion devaient aboutir à

l’adoption du « Protocole 22 », annexé aux actes d’adhésion, aux termes duquel la Communauté offrirait à 20 pays du Commonwealth situés en Afrique, dans les Caraïbes et dans le Pacifique la possibilité de négocier avec elle l’organisation de leurs relations futures dans le cadre soit d’accords d’association, soit d’accords commerciaux. Ce protocole garantissait par ailleurs à la fois le maintien des avantages acquis par les EAMA et un traitement égal aux nouveaux associés. Enfin, sur les instances de Geoffroy Rippon, qui répondait lui même aux fortes sollicitations des pays du Commonwealth Sugar Agreement, il précisait que « la Communauté élargie aura à cœur de sauvegarder les intérêts de

l’ensemble des pays visés et dont l’économie dépend dans une mesure considérable de l’exportation des produits de base et notamment du sucre »5.

II) Une négociation « de Bloc à Bloc »

Si la conférence au sommet d’octobre 1972 avait invité la Communauté et ses Etats membres à mettre progressivement en œuvre une politique globale de coopération à l’échelle mondiale, les Chefs d’Etat et de Gouvernement n’avaient pas voulu renoncer pour autant à la politique d’association et lui substituer une politique mondiale encore en devenir. Ils avaient insisté sur « l’importance essentielle que la Communauté doit attacher au maintien et au développement de la politique d’association telle qu’elle a été confirmée dans le Traité d’Adhésion ».

Concernant cette dernière, la Communauté se trouvait au début de 1973 à la veille d’échéances précises et importantes. Le 31 janvier 1975 viendraient à expiration la Convention de Yaoundé et l’accord d’Arusha. A la même date expirerait le régime transitoire qui assurait pour leurs échanges avec le Royaume-Uni le statu quo aux pays visés par le Protocole 22. Il s’agirait donc, pour reprendre les termes de Deniau, « de réussir la synthèse

entre, d’une part un ensemble d’avantages acquis et garantis aux partenaires actuels de l’Association et, d’autre part, une véritable rénovation de cette Association qui, du fait même de son élargissement, implique des adaptations et des compléments très importants ».

En vue de faciliter la négociation prochaine, la Commission prenait la responsabilité de préciser, dans un mémorandum du 4 avril 1973, (dit « mémorandum Deniau ») quelles

2 R-M Lemesle, La convention de Lomé : principaux objectifs et exemples d’actions, 1975-1995. Notes

africaines, asiatiques et Caraïbes, p. 42.

3 AHCE, Fonds Franco Maria Malfatti (FMM) 41, “Contenu de l’accord créant une association entre la CEE et

la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya”, s.d.

4 Agence Europe, Bulletin quotidien n° 513, 19 février 1970.

5 Con O’Neill (sir) , Britains’ Entry into the European Community, Report on The Negociations of 1970-1972,

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pourraient être de son point de vue les caractéristiques essentielles d’un modèle d’association susceptible de rencontrer l’ensemble des préoccupations des pays concernés. Ce projet d’accord était largement inspiré de la formule de Yaoundé. Mais il prévoyait, outre l’accès au marché européen dans le cadre du libre-échange et l’aide financière garantissant un appui inchangé aux anciens associés, un système tout à fait nouveau de stabilisation des recettes d’exportation des produits de base6. Le Conseil de la Communauté accepta les 14 et 15 mai

de prendre le mémorandum comme base de discussion et de confier (contrairement à ce qui était advenu pour Yaoundé) à la Commission le mandat de conduire les négociations.7

Celles-ci s’articulèrent en trois périodes distinctes : le début, assez spectaculaire, marqué par la naissance sur le plan diplomatique du groupe des Etats ACP, puis le lent mûrissement dans les discussions techniques et même l’enlisement, provoqué par la crise du petrole et la discorde entre les Neuf, enfin la relance de Kingston, en juillet 1974, qui ouvrit la phase du dénouement.

A) Les Neuf sont divisés.

Les négociations relatives à la nouvelle convention devaient s’ouvrir, en principe, en août 1973. Ce point acquis, les positions des « Neuf » au sujet de la plate forme de négociations qu’ils devraient assumer face à cette échéance n’étaient pas uniformes. La Commission dut attendre plusieurs mois avant que le Conseil des Communautés ne fût en mesure de définir un mandat de négociations clair.

La première divergence portait sur les procédures. De l’avis de certaines délégations-notamment celle du Royaume-Uni-il aurait fallu convoquer une grande conférence euro-africaine, faisant abstraction de l’ouverture des négociations : les gouvernements invités y exposeraient leurs vues, leurs intentions au sujet des relations à entretenir avec la Communauté, après quoi l’on prendrait les décisions appropriées. D’autres délégations-notamment la délégation française-ne partageaient pas cette orientation : elles estimaient que la conférence de juillet devrait déjà représenter la pré-ouverture des négociations : les pays invités seraient informés des intentions de la CEE au sujet du renouvellement de la Convention de Yaoundé, et ils indiqueraient s’ils souhaitaient y adhérer. Les négociations seraient ensuite engagées avec les pays intéressés, d’autres voies (déjà retenues par la CEE) restant ouvertes aux autres pays. La différence des deux approches était évidente. Pour la France, il n’était pas question d’ouvrir avec les pays africains un débat d’ensemble sur leurs relations avec la CEE, ni de mettre en discussion l’acquis de l’association. Le Royaume-Uni rejetait cette alternative du « tout où rien ». La Communauté devrait être ouverte aux suggestions et prises de position qui viendraient des pays associés et surtout associables. Si la Belgique et l’Italie paraissaient assez proches de la position française les Pays-Bas rejetaient comme les Anglais l’existence d’un choix préalable et d’autres délégations n’avaient pas encore défini leur attitude 8. La lettre d’invitation à la conférence de juillet laissa entièrement

ouverte la question. Elle n’indiquait pas, en effet, que les pays intéressés devraient choisir avant l’ouverture des négociations véritables, mais soulignait que « la participation à cette

conférence (d’ouverture) laisse ouverte la question du moment auquel les pays concernés

6 AHCE, fonds Emile Noël (EN) 335, Mémorandum de la Commission au Conseil sur les relations futures entre

la Communauté, les actuels EAMA, et les pays d’Afrique, des Caraïbes, des océans indien et pacifique, visés au protocole n°22 des actes d’Adhésion  COM (73)500 , 4 avril 1973.

7 Agence Europe, Bulletin n° 1284, 16 mai 1973.

8 Agence Europe, Bulletin n° 1284, 16 mai 1973 ; AN/CAC 900489/38 Burin des Roziers à MAE a/s

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exerceront le choix de celle des trois formules dans le cadre duquel ils entendront négocier avec la Communauté »9.

Concernant le contenu , contrairement à d’autres politiques communautaires, les relations franco-allemandes ne constituaient pas en ce cas un élément susceptible de donner une impulsion décisive aux discussions. Le libéralisme économique et l’approche « mondialiste » du développement du gouvernement fédéral s’opposaient en effet à la vision française plus « régionaliste » des rapports entre l’Europe et les PVD .

La politique qui sous-tendait, dans les années 70, la politique de coopération de la RFA était caractérisée par le soutien au libre-échangisme mondial dans le respect du libre jeu des marchés. La tâche du gouvernement, dans le cadre de la politique d’aide au développement, aurait dû pour les dirigeants de Bonn, se limiter à promouvoir les exportations allemandes et à créer les meilleures conditions possibles pour les investissements privés d’Outre-Rhin, à travers la création d’infrastructures appropriées et la formation de main-d’œuvre qualifiée dans les pays bénéficiaires10. Le gouvernement de Bonn et le Bundestag étaient d’autre part

hostiles à la constitution des blocs régionaux, notamment en Afrique, en raison des intérêts très importants que la République fédérale détenait sur d’autres continents, comme en Inde, en Turquie, en Egypte ou au Brésil.

On avait, côté français, une vue plus « régionaliste » et dirigiste de la politique du Développement. Paris insistait volontiers sur le caractère éminemment contractuel et solidaire des relations à instaurer entre la Communauté et l’Afrique. Celle-ci restait la dernière zone géographique où la France conservait une influence suffisante pour appuyer ses ambitions de moyenne puissance sur le théâtre international. Le régime d’association, susceptible de favoriser le développement économique des Etats associés et qui avait permis de suppléer à la stagnation de l’aide bilatérale française pouvait contribuer au maintien de la stabilité politique (pro-occidentale) en Afrique noire et orienter celle-ci vers l’Europe. La France se présentait donc comme l’avocate des intérêts des EAMA dans la mesure même où ceux-ci coincidaient avec les siens. La France accueillait avec compréhension les propositions allant dans le sens d’une intervention des Etats industrialisés en faveur d’une planification mondiale de la production et de l’instauration de mécanismes de soutien des prix des produits de base11.

Les désaccords entre Bonn et Paris portaient aussi sur le régime des échanges et sur les propositions faites par la Commission de garantir les recettes d’exportation des pays associés. Concernant le contenu commercial la France, soutenue par la Belgique, considérait la « réciprocité » comme indispensable à la fois pour respecter les règles du GATT (art. XXIV) et pour maintenir dans l’accord un élément contractuel lui garantissant un caractère durable12.

Les négociateurs français précisaient qu’ils ne demandaient pas, dans ce cadre, l’octroi d’un quelconque régime « préférentiel » puisque les pays associés garderaient toute latitude pour

9 Ibid, n° 1299, 7 juin 1973. Selon Burin des Roziers, Deniau avait été le seul à s’opposer à la formule au sein

de la Commission. Complètement isolé, il avait dû se résigner à faire inscrire son désaccord au procès-verbal de la réunion, en précisant que l’expression retenue constituait une violation du traité d’adhésion, in AN/CAC 90089/38, cit.

10 F. Ansprenger, « Réflexions sur la politique allemande dans le tiers-monde » et W. Zeetelmeir, « L’aide

allemande au développement » in A. Ménudier. La République Fédérale d’Allemagne dans les relations

internationales, éd. Complexe, 1990.

11 Ces principes figuraient notamment dans le rapport présenté par P.Carrière devant le Conseil économique et

social le 22 février 1973 : « Les problèmes que pose à la France dans ses rapports avec les EAMA et les PTOM l’élargissement des Communautés européennes. » in JORF, 1974, n °7.

12 L’abandon du modèlede la zone de libre-échange aurait obligé à solliciter des Parties Contractantes une

dispense (Waiver) exceptionnelle en vertu de l’article XXV, Ce qui aurait soumis le maintien du régime préférentiel au bon vouloir des Américains et de leurs alliés des pays-tiers.

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étendre aux pays tiers les concessions faites à la Communauté13. « Les relations avec l’Afrique -affirmait M. Jobert, ministre des Affaires étrangères- sont fondées sur l’égalité des partenaires, égalité institutionnelle et commerciale que certains ont caricaturé en parlant de préférences inverses, mais qui permet de décider en commun une véritable coopération »14.

En réalité, la France conservait en Afrique d’importants intérêts économiques qu’elle entendait sauvegarder. En dépit de la diversification croissante des échanges des associés, la domination française sur le commerce des EAMA perdurait. Grâce aux avantages commerciaux, la CEE dominait le marché d’importations des EAMA, et, à l’intérieur de la Communauté la France tirait particulièrement son épingle du jeu : en 1966, 61% des importations des EAMA provenaient de la CEE, dont 34,4% de la France (en comparaison les USA représentaient 9,4% et le Japon 2,2%).Une note du ministère du Développement industriel adressée au SGCI avertissait que « la suppression des préférences inverses ou

l’extension de la franchise auront des conséquences sur le niveau de certaines de nos exportations notamment de produits sidérurgiques et d’articles cotonniers »15.

Cette position ne rencontrait pas l’assentiment des Allemands qui « poussés par la volonté de mondialiser les échanges » de la Communauté penchaient vers la thèse des Britanniques. Soucieux de ne pas trop désavantager les partenaires asiatiques du Commonwealth, les fonctionnaires et parlementaires anglais dénonçaient les « préférences inverses » et plaidaient en faveur d’un système très ouvert dans le cadre duquel toute discrimination tarifaire entre les pays associés d’une part et l’ensemble des PVD d’autre part serait affaiblie ou supprimée 16. Une association régionale n’apparaissait à Bonn que comme

une phase transitoire vers une mondialisation de la coopération au développement17.

La France était favorable au système de garanties des recettes d’exportation proposé dans le mémorandum Deniau « De tels accords spécifiques –pouvait-on lire dans une note du ministère du Développement industriel - accordant de réels privilèges à certains

fournisseurs devraient, par le renforcement des liens bilatéraux, contribuer à assurer la sécurité des approvisionnements de la CEE, de la France notamment » 18.

Or ces garanties rencontraient chez les Allemands des réserves qui s’expliquaient par l’hostilité de principe que ces derniers manifestaient envers toute action de type interventionniste, et par leur volonté de ne pas créer de discrimination supplémentaire entre les Etats associés et les autres PVD. En l’absence d’accord mondial ils semblaient résignés à ne pas s’opposer à un système provisoire de stabilisation, à condition toutefois que la dépense fût contenue dans des limites très étroites, ce qui impliquait un plafonnement des crédits qui seraient affectés par la Communauté à ce type d’action, une intégration de cette aide dans la dotation du futur FED, ainsi que le refus de toute automaticité dans les

13 AN/CAC 900489/38, Burin des Roziers à MAE a/s « préférences inverses », 14 février 1973 et réponse de

Brunet (diplomatie), 28 février 1973.

14 Interview de Michel Jobert, Agence Europe,29 juin 1973.

15 AN/CAC 900489/38 Note du directeur des Etudes et programmes/ministère du Développement industriel à

SGCI, 2 juillet 1973.

16 Burin des Roziers croyait déceler dans l’attitude anglaise la double tentative de « tirer parti des implications

politiques résultant de la prise de position des Etats-Unis sur les préférences inverses pour annoncer une sorte de consultation politique entre les Etats membres, où ils tiendraient le premier rôle et de faire savoir qu’il convient de rechercher des formules nouvelles ou l’acquis serait moins repérable : en poussant à la suppression des préférences inverses, ils feraient perdre aux EAMA leur second atout consistant à ne pas être que de simples quémandeurs. EAMA et pays du Commonwealth seraient ainsi mis au même plan dans la négociation » in AN/CAC 900489/38, Burin des Roziers, à MAE, cit…

17 Ibid. 900489/39 Note SGCI a/s « entretiens franco-allemands du 26/27 novembre 1973 : Renouvellement et

élargissement de la convention de Yaoundé et Coopération au développement », 16 novembre 1973 ; NA-PRO. FCO 30/1688, Statham (Bonn) to Robinson (FCO), « « Association with the EEC for Developing Commonwealth Countries , discussions with Poensgen», 10 January 1973.

18 AN/CAC 900489/38 Note du Directeur des Etudes (Sarrazin) du MDI à Secrétaire général SGCI a/s

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mécanismes qui commanderaient les transferts de fonds. L’attribution de l’aide devrait se faire au cas pas cas, en fonction de la situation économique et financière des pays bénéficiaires.

Ce système, qui s’apparentait davantage à une aide financière additionnelle au FED qu’à un enrichissement commercial de l’Association ne satisfaisait guère Paris qui le considérait trop restrictif et trop précaire dans la mesure où il n’évitait pas le risque d’arbitraire ou de contestation lors de l’attribution des fonds.

B) Le dialogue s’instaure entre EAMA et Associables.

Dans le même temps à Abidjan, les ministres du commerce des pays africains avaient exprimé leur intérêt-confirmé deux semaines plus tard au sommet de l’OUA à Addis-Abeba-, pour une négociation « de bloc à bloc » avec la CEE.

1) Les craintes initiales des EAMA

Le 8 mars 1972, à Nouakchott, les EAMA avaient réitéré leur pleine adhésion au principe de l’élargissement de l’association et leur désir de participer aux négociations au côté des pays du Commonwealth. Certains de leurs dirigeants exprimaient cependant leurs craintes quant aux possibilités de sauvegarder l’acquis de Yaoundé. Une association élargie aurait pu compromettre ou diluer les avantages commerciaux et financiers dont ils bénéficiaient. Sur le plan commercial, le nouvel ensemble aurait une capacité d’exportation 2, 6 fois supérieure à celle des anciens associés alors que la capacité d’importation de la Communauté élargie ne serait accrue que de 44%. Les EAMA auraient moins gagné de l’élargissement de la CEE que les associables de l’extension des préférences de l’Association en ce que le marché des Six avait une capacité d’importation équivalant à 2, 8 fois celle du Royaume-Uni. Les entreprises des associables étaient déjà mieux positionnées dans le Marché Commun que les EAMA ne l’étaient sur le marché britannique. La menace était augmentée du fait que les PVD du Commonwealth offraient des produits concurrents des leurs. C’était surtout dans le secteur des produits agricoles que se concentrait la « concurrence préférentielle » entre associés et associables : café, cacao et huile d’arachide représentaient en 1971 23,8% des exportations totales des EAMA vers les Six. Si les EAMA exportateurs d’huile d’arachide (Sénégal, Mali, Niger) avaient de bonnes raisons de craindre le partage de leurs propres préférences avec le Nigéria et la Gambie, la plus grave menace pesait sur leurs exportations de cacao : le Ghana et le Niger assuraient à eux seuls plus de la moitié des exportations mondiales19.

Concernant les aspect financiers de la future convention, le problème résidait dans le fait que les pays du Commonwealth africain représenteraient à peu près les 2/3 de la population et du PNB de l’ensemble des pays africains associés en 1975, et que, sauf à multiplier par trois (en monnaie constante)20 la dotation du Fonds européen de développement (FED)21 il ne serait

pas possible à la Communauté d’assurer une aide égale aux pays du Commonwealth et aux EAMA en conservant à ces derniers le volume qu’ils recevaient jusque là22.

Tout en restant vivement attachés à l’Association, les « leaders » de l’Afrique francophone ne pouvaient donc se contenter de la simple reconduction du régime commercial

19 Sur tous ces points, on verra M. Cecchi, Fra « Mondialismo » e « Regionalismo », La Comunità europea e la

Convenzione di Lomé. Th. Univ. de Florence, 1998, pp. 126-129.

20 Le président du Niger Diori Hamani observait « tous les Dix-neuf ensemble, nous ne faisons même pas le

Nigéria ».

21 Soit 2,7 à 3 milliards de dollars au titre des FED IV à comparer au 1 million du FED III.

22 AN/CAC 88053/2 Note SGCI (Bernard) à Premier Ministre, 21 avril 1971 ; déclaration de P. Yace (Côte

d’Ivoire) à la 9ème conférence parlementaire CEE/EAMA, Kinshasa, 29 mars 1973, in Agence Europe, Bulletin

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et de l’aide financière de Yaoundé. Le 21 mars 1973, mandaté par les 19 pour présenter devant les Institutions communautaires les « orientations des EAMA » pour le renouvellement de l’Association, L.S. Senghor avait plaidé en faveur d’un maintien de la Convention de Yaoundé, mais comportant des améliorations. Pour le président du Sénégal , l’association CEE/EAMA représentait toujours un modèle pour le dialogue entre les pays industrialisés et le tiers monde. Les tentatives de nouer ce dialogue dans le cadre de l’ONU avaient échoué : « La troisième CNUCED a été, osons le dire, une dérision ». Les Européens et les Africains avaient fait ensemble quelque chose de plus concret, qui, tout en étant loin de donner entièrement satisfaction, « représente ce qui a été fait de moins mal jusqu’à présent dans ce domaine ». Passant aux améliorations essentielles à apporter à la convention, Senghor proposait que la dotation du FED fût augmentée, pour tenir compte de la hausse des prix en Europe et de la détérioration des termes de l’échange au détriment des exportations africaines. Anticipant les propositions de la Commission, il soulignait la nécessité d’établir les relations commerciales sur des bases plus équitables, qui permettent aux pays africains « de vendre davantage et au juste prix, au moyen d’une stabilisation des cours des matières de base et des produits tropicaux ». La réciprocité dans le domaine commercial aurait dû être maintenue pour des raisons juridiques et morales. Sur le plan juridique, reprenant l’argumentation française, Senghor rappelait que l’association était basée sur la zone de libre-échange, qui comportait la réciprocité commerciale : à défaut de celle-ci, c’était l’association elle-même qui serait remise en cause. Sur le plan moral, les pays africains « tiennent essentiellement à leur dignité dans leurs rapports avec l’Europe et refusent de se présenter en mendiants ». Enfin, de l’avis de Senghor, seuls les pays qui auraientexplicitement choisi l’association devraient participer à la négociation avec la CEE23

2) La méfiance des associables

Les pays associables du Commonwealth hésitaient à se prononcer en faveur d’une association ou s’y déclaraient franchement hostiles comme le Nigéria24,. La notion,

généralement admise par les EAMA, d’une complémentarité d’intérêts entre l’Europe et l’Afrique, leur était totalement étrangère. Polarisés sur les origines historiques de l’Association et sa dominante francophone, réticents sur ses structures institutionnelles qu’ils estimaient calquées sur celles de la CEE, ils y voyaient le risque d’une dépendance politique sans croire qu’elle fût indispensable pour obtenir les contreparties commerciales et financières utiles25. Un des points qui faisait hésiter les Etats associables était l’exigence de

la « réciprocité » exprimée par la CEE en ce qui concernait les avantages commerciaux. La plupart des Etats africains anglophones, menés par le Nigéria et le Ghana, ne l’estimaient pas justifiée. Ils arguaient du fait que ce système empêchait les associés de s’approvisionner sur les marchés les plus avantageux et les condamnait à demeurer exportateurs de produits de base et importateurs de produits finis26. Ils invoquaient l’exemple des « préférences

généralisées » instaurées par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le

23 Agence Europe, Bulletin n° 1248, 22 mars 1973 ; NA-PRO. FCO 30/1689, Furness (British Embassy Dakar)

to Laider, European Integration Dep., « President Senghor’s visit to Brussels and reverse preferences », 13 March 1973.

24 Le Nigéria était considéré comme l’un des plus hostiles à la convention de Yaoundé. Considérée par lui

comme « un renouveau du colonialisme sous une forme collective ». Il suscitait des perplexités du côté européen, où l’on pensait généralement que les autorités de Lagos repousseraient toute aide, préférant chercher à constituer, sous leur direction, une vaste entité économique d’Afrique de l’Ouest. NA-PRO.FCO 30/1690, « Records of discussions (Ratford/Ruyter) at the Auswartiges Amt on 7 February 1973 on the question of Commonwealth associables».

25 AN/CAC 90089/38, Note SGCI (s.a) “Les perspectives de la politique d’association de la CEE avec les pays

africains”, décembre 1972.

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développement (CNUCED) qui n’étaient assorties d’aucune réciprocité. Ils observaient que la Communauté ne pourrait longtemps maintenir des préférences commerciales au seul profit de ses associés et qu’au niveau très modeste où elles avaient été progressivement ramenées, elles offraient beaucoup moins d’intérêt pour eux qui étaient généralement plus compétitifs que les EAMA.27

En dépit de leurs divergences les associés et associables marquaient des points dans la constitution d’un front commun : d’après les orientations retenues dans la réunion d’Abidjan et confirmées par le sommet africain d’Addis-Abeba (plate-forme en 8 points) il avait été décidé qu’on demanderait à la CEE de renoncer à la réciprocité en matière commerciale et de ne pas lier la participation à l’assistance financière à une forme donnée de liens commerciaux. Plusieurs facteurs avaient contribué à surmonter les méfiances réciproques : - Les résultats décevants de la 3ème CNUCED (UNCTAD) de Santiago qui avait fait

abandonner aux PVD pour le moment tout espoir d’aboutir à un accord global susceptible de résoudre leurs problèmes .

- Les contacts avec les EAMA et l’action « pédagogique » du mémorandum Deniau avaient atténué les appréhensions des pays du Commonwealth quant au « néo-colonialisme » supposé de l’accord.

- Les accords de Lagos et d’Arusha avaient déjà révélé l’importance du marché européen pour les pays signataires et une ex-colonie britannique, l’île Maurice, avait entre-temps demandé et obtenu son adhésion à la convention de Yaoundé.

- A l’opposé, les EAMA constataient que le volet commercial de l’association n’était pas le plus satisfaisant : la conférence CEE/EAMA de Kinshasa (30 mars 1973) avait relevé que les EAMA avaient perdu leur exclusivité dans l’accès préférentiel au marché communautaire sans bénéficier de la contrepartie qui aurait pu être l’application par d’autres pays industrialisés, notamment les Etats-Unis et le Canada, de ce système. Elle constatait que les importations européennes en provenance des Etats africains et malgache avaient marqué en 1971 une nette régression en valeur. Les causes étaient essentiellement dues au fléchissement des cours de cacao et du cuivre. Les Etats associés ne seraient donc facilement consolés de la baisse des tarifs préférentiels -destinés de toute façon à disparaître- s’ils avaient pu obtenir par ailleurs des garanties sur les prix28.

Contrairement à ce qu’espérait la France, il n’y aurait pas « clivage » dès le départ entre les pays africains disposés à participer la nouvelle convention de Yaoundé améliorée, et ceux qui préféraient une association différente. Burin des Roziers attribuait la bonne volonté des Associables et le « flottement » qui commençait à régner parmi les « Dix-neuf » aux « intrigues des Anglais et des Allemands » mais surtout « aux ambiguïtés et aux équivoques de la position de la Commission ». En réalité les Anglais , en dépit de leurs réticences, en qualité d’ex-puissance colonisatrice, à imposer leurs vues à leurs anciens territoires dépendants, avaient clairement indiqué à ces derniers , parfois par diplomates Allemands ou Italiens interposés29, qu’ils estimaient pour leur part que les intérêts des pays africains et

caraibes du Commonwealth seraient mieux sauvegardés par le choix de la première option du Protocole 22. Ils s’étaient employés, avec un certain succès, à contrecarrer l’action du Secrétaire général du Commonwealth, Arnold Smith, qui souhaitait boycotter Yaoundé et négocier une nouvelle convention30. Du côté de La Commission, Claude Cheysson montrait 27 AN/CAC 90089/38 Note SGCI, cit..., décembre 1972.

28 Agence Europe, Bulletin n° 1255, 31 mars 1973 ; D. Pepy, « La deuxième convention de Yaoundé » in

L’Europe en formation, n° 116, novembre 1969, p. 13.

29 AN-PRO.FCO 30/1688, procedings of « Sub-saharian Heads of Mission’s Meeting », December 1972. 30 NA-PRO. FCO 30/1690, Memo from FCO to the Nairobi Embassy , « Africa and the EEC », 12 february

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moins d’empressement que son prédécesseur à insister sur les notions de réciprocité et de libre-échange. Mondialiste de conviction, le nouveau commissaire au Développement devait en outre tenir compte des susceptibilités des pays africains qui paraissaient unanimes à rejetter ces engagements. Estimant que l’attachement du gouvernement français aux préférences inverses n’était ni plus ni moins qu’une forme de domination prolongée sur ses anciennes colonies, il préféra laisser le problème en suspens. Un accord tacite fut passé : le temps des préférences inverses était révolu . Rien n’était officiel, mais Cheysson allait désormais conduire les négociations sur cette base. Lorsque Paris s’en rendît compte, il était trop tard31.

III) Les premières phases de négociations :des hésitations à la crise

a) La conférence inaugurale de Bruxelles (25-26 juillet 1973)

La conférence inaugurale qui s’ouvrit le 25 juillet 1973 au Palais d’Egmont à Bruxelles réunît, face aux 9, à la Commission et au secrétariat du Conseil africain et malgache, les 19 pays africains et malgache déjà associés à la CEE, les 3 pays Est africains associés (Kenya, Ouganda, Tanzanie), les 9 pays africains, 4 pays des Caraïbes (Barbados, Jamaïque, Guyane, Trinidad et Tobago) et 3 Etats du Pacifique (îles Fidji, Samoa, Tonga) membres du Commonwealth. Les conseils des assemblées CEE/EAMA et CEE/Afrique de l’Est assistaient aux travaux.

La position de la CEE, présentée par Evar Nǿrgaard, ministre des Affaires économiques du Danemark et Président en exercice du Conseil, restait prudemment dans le vague. Elle laissait en suspens de nombreux problèmes sur lesquels la doctrine des Etats membres n’était pas encore arrêtée. La Communauté, précisait Nǿrgaard, souhaitait ne pas contraindre ses partenaires à opérer, dès le départ, un choix irréversible sur la formule d’accord à envisager avec la Communauté. La Communauté n’en jugeait pas moins « souhaitable d’entamer les négociations sur la base d’un modèle unique fondé sur la première formule visée du protocole n°22 ». La CEE présentait donc « une proposition globale comme base de discussion ». Les principes du futur accord étaient le décalque des propositions Deniau : 1) un régime des échanges prévoyant la libre entrée de l’essentiel des produits des Associés dans le marché de la communauté, sous réserve d’un régime particulier, à définir lors des négociations pour les produits agricoles homologues et concurrents de l’agriculture européenne. Ce régime devrait reposer sur une base contractuelle lui assurant la stabilité, de telle sorte qu’il ne puisse être remis en cause par des Etats tiers, notamment au regard du GATT. Toutefois, avait précisé le président, « La Communauté n’a pas encore pu se faire une idée définitive des structures commerciales de la nouvelle convention et souhaiterait recueillir l’avis des Associés sur la question ».

2) La sauvegarde des intérêts des Etats associés, dont l’économie dépendait largement des produits de base. Tout en rappelant que la CEE avait toujours été favorable aux accords mondiaux par produits, Nǿrgaard ajoutait que « La Communauté est pleinement consciente

du fait que, pour la majorité des pays représentés autour de cette table, les fluctuations des recettes d’exportation affectent souvent les programmes de développement d’une manière défavorable. Dès lors la Communauté est prête à étudier avec ses partenaires les moyens nécessaires pour pallier les conséquences négatives de ces fluctuations ».

3) Une aide financière assurant aux Etats déjà associés des avantages équivalents globalement à ceux dont ils bénéficiaient antérieurement, et plaçant les nouveaux

31 G. Saunier, Claude Cheysson, Histoire d’une pensée politique 1940-1981, Maîtrise d’Histoire, univ. Paris

VII, 1995, p. 90 ; AN/CAC 771473/49, Intervention de C. Cheysson devant la Commission paritaire de la conférence parlementaire de l’Association, Bruges, 28 juin 1973 : ibid, 900489/58 Burin des roziers à MAE, « entretien avec M. Cheysson », 10 juillet 1973.

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Associés sur un pied d’égalité. Le montant des aides ne pouvait encore être indiqué mais l’orientation générale de la coopération serait définie d’un commun accord d’année en année entre la CEE et les pays bénéficiaires.

4) La mise en œuvre de l’accord par les parties contractantes dans le cadre d’institutions paritaires.

5) La durée de la convention, prévue pour 5 ans, afin de tenir compte de l’évolution rapide des relations internationales sur les plans économique et politique.

6) Le président du Conseil concluait par l’espoir que « tous les Etats intéressés par l’association adopteront un même modèle de relations avec l’Europe » et que les négociations véritables débutent au plus tôt, de toute manière avant la fin de septembre 197332.

La réponse des pays ACP (finalisée tard dans la nuit) fut au contraire sans ambiguité. Burin des Roziers la résuma en ces termes : « Les trois orateurs [Briggs au nom des Etats membres de l’OUA, Ramphal au nom des Caraïbes et Kamisese au nom des Etats du Pacifique] se sont prononcés sans équivoque contre la réciprocité, et aucun n’a fait allusion

au choix entre les trois formules, comme s’il était désormais acquis que l’on négocierait sur la base d’une quatrième. Le mot d’association n’a été prononcé par aucun. Tous les trois ont parlé anglais »33.

Il ressortait de ces déclarations que les représentants des ACP désiraient remettre en cause l’ordre commercial et économique actuel, et refusaient d’être « liés par les stéréotypes existants ». Ils négocieraient uniquement sur la base des objectifs et des principes fixés à la Conférence d’Addis-Abeba. Et les pays africains insistaient sur deux de ces principes : ils exigeraient le respect du principe de non-réciprocité en raison de la disparité du développement entre les pays ACP et les pays de la CEE ; ils mettraient l’accent sur le libre accès des principaux produits agricoles tropicaux au marché communautaire, à des prix rémunérateurs. Les négociations devraient être différées à la mi-octobre 1973, afin de compléter leur préparation34. L’unité des ACP déplaçait le but des négociations. Celles-ci ne

porteraient pas sur l’une ou l’autre des trois formules proposées par la CEE, mais auraient comme objectif la conclusion d’un accord global de coopération répondant aux aspirations de tous les ACP35.

b) Une lente maturation (octobre 1973-juillet 1974)

Le 17 octobre 1973 s’ouvraient officiellement au Palais d’Egmont des négociations qui s’annonçaient longues et difficiles. On se bornera à évoquer ici les points d’accrochage qui subsistèrent sur la table des négociateurs, ambassadeurs et experts, pratiquement jusqu’à l’heure du marchandage final. Du point de vue tactique les deux parties se limitèrent au cours de la première phase à identifier les points d’accords, en escamotant les points donnant lieu à controverse comme la réciprocité et la stabilisation des recettes d’exportation. On se livra ainsi à une sorte de poker menteur, chaque partie observant l’autre et réservant sa position dans l’attente que l’autre explicitât davantage ses intentions. La difficulté pour les Neuf

32 Agence Europe, Bulletin n° 1333, 25 juillet 1973.

33 AN/CAC 900489/42, Burin des Roziers à MAE, « Conférences d’ouverture », 28 juillet 1973.

34 Agence Europe, Bulletin n°1334, 27 juillet 1973, pp. 3-4. A noter que cette position radicale n’était pas

unanimement partagée. Babacar Ba, porte-parole des EAMA, confiait à la presse le dissentiment des gouvernements comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire à l’égard des déclarations de Briggs rejetant toute forme de réciprocité . Selon le ministre de l’économie sénégalais, ce passage ne figurait pas dans le texte approuvé à 3 heures du matin : les pays africains s’étaient accordés contre la réciprocité des préférences, mais non contre la réciprocité des avantages.

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d’arrêter une position commune, jointe au changement de conjoncture économique conduisirent à une crise des négociations en juillet 1974.

Régime commercial : les parties constataient leur accord sur de nombreux points :

l’objectif recherché était la croissance et la diversification des exportations des Etats associés sur le marché communautaire ; le régime commercial ne devrait pas poser préjudice aux relations commerciales des ACP avec les pays tiers. Les deux parties tombaient également d’accord sur la nécessité de trouver des formules aptes à favoriser l’intégration régionale des pays africains. CEE et ACP divergeaient cependant profondément sur le régime des produits homologues et concurrents de la PAC et pour certains produits agricoles transformés. La CEE s’opposait à la franchise totale exigée par les ACP. Tout en acceptant de relâcher la protection de son agriculture en appliquant aux ACP un « régime spécial » plus favorable que le régime général appliqué aux pays tiers, à définir produit par produit, la CEE soutenait que sa politique agricole n’était pas négociable36. Concernant les obstacles non tarifaires, les ACP

souhaitaient que la CEE supprimât les réglementations telles que les normes sanitaires, les accises (taxes à la consommation) sur les produits tropicaux qui freinaient leurs ventes dans la CEE. Mais les Neuf répondaient que ces obstacles étaient le fait de réglementations nationales qui échappaient à la compétence de la Communauté. A court terme, l’élimination de ces impositions apparaissait impensable, vues les exigences de la lutte contre l’inflation37.

Les ACP s’irritaient à juste titre des réticences de leurs partenaires à agréer leurs demandes, rejetées selon le cas au nom de la conformité à une politique communautaire (la PAC dans le cas des produits homologues et concurrents) ou au nom du respect dû aux prérogatives souveraines des Etats membres (cas des obstacles non tarifaires).

Concernant la coopération financière et technique, les propositions de la CEE avaient sur de nombreux points précédé les revendications des pays Associés et Associables : majeure participation à la gestion et à l’administration de l’aide au sein des institutions de l’association, responsabilité de programmer les interventions financières revenant aux Etats bénéficiaires, encouragement d’une certaine division internationale du travail et orientation des investissements en ce sens, prise en compte des besoins particuliers des pays les moins avancés, enclavés ou insulaires, préférence accordée aux entreprises locales lors des marchés de travaux financés par le Fonds Européen de Développement. D’autres revendications posaient toutefois problème en raison de leur irréalisme, comme celle consistant à ne pas lier la coopération financière et technique à l’instauration d’une forme particulière de relations avec la CEE. Une telle posture ne correspondait pas à l’orientation de la Communauté et au Protocole 22 qui avaient offert le choix entre trois formules, dont seule la première impliquait l’assistance financière. Les ACP réclamaient également l’adoption d’un système chiffrant, au moins de manière indicative, le montant des aides que se verraient attribuer les différents associés. La CEE n’avait jamais accepté formellement une telle répartition a priori de l’aide, même si, dans la pratique, les fonds des trois précédents FED avaient été distribués sur la base de critères garantissant à chaque Etat bénéficiaire un certain quota38.

Entre janvier et juillet 1974, les travaux procédèrent avec lenteur, empêtrés qu’ils étaient dans d’interminables discussions techniques. En dépit des demandes réitérées de la Commission au Conseil de préciser son mandat de négociations, les Etats membres ne parvinrent pas, au cours de cette période à s’accorder sur la réciprocité et le système

36 M. Cecchi, Fra « mondialismo » e « regionalismo », La Communità europea e la Convenzione di Lomé, th.

Cit., pp. 189-190 ; C. Schiffmann, “Histoire d’une négociation et d’une Convention” in, LeCourrier, n°31-spécial-mars 1975, p. 5.

37 Agence Europe, Bulletin n° 1410, 30 novembre 1973, p.9.

38 Ibid, M. Cecchi, Fra »mondialismo… », p. 191 ; Agence Europe, Bulletin n° 1368, 29 septembre 1973, p. 7 et

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stabilisateur des recettes d’exportation. Les représentants des ACP commencèrent, à l’été de 1974, à parler de « crise » des négociations. Des facteurs extérieurs contribuèrent en fait à la stase enregistrée dans les négociations.

A l’automne 1973, éclatait la crise pétrolière. Celle-ci allait très vite glisser de la question pétrolière à celle des matières premières.Ces bouleversements mettaient en relief la vulnérabilité des pays industriels et des pays en voie de développement les plus démunis. Ils allaient permettre aux pays sous-développés producteurs de matières premières de dialoguer sur une base de plus grande égalité avec les partenaires européens tout en montrant la solidarité économique de fait existant entre les pays de la CEE et les pays de l’hémisphère sud. Les négociations en cours à Bruxelles entre Etats européens et ACP constituaient de ce point de vue un véritable « banc d’essai » quant à la possibilité de définir en commun de nouvelles formes et modèles en matière de coopération internationale39.

Du côté de la Communauté, la crise faisait ressortir avec une force nouvelle les raisons profondes de la politique de coopération au Développement et donnait un nouvel élan à l’Association. Alors que depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’accès aux marchés, l’élargissement des débouchés dominaient les préoccupations des gouvernements, l’accès aux approvisionnements, le maintien de sources d’approvisionnements régulières, prenait désormais une importance comparable40. Selon la brillante formule d’Henri Teitgen, la

Communauté devrait désormais se fixer pour objectif « non plus d’assurer ses débouchés dans la concurrence, mais d’assurer ses approvisionnements dans la solidarité ». C. Cheysson, dans un discours tenu à Londres en janvier 1974, admettait que le nouvel accord devrait être innovateur en regard du précédent. Il constatait « Nous, Européens, ne pouvons prendre le risque d’une rupture avec les pays fournisseurs de matières premières, contrairement aux Américains qui importent très peu […] C’est parce qu’elle est importatrice de matières premières que la Communauté est conduite à accepter d’importer davantage de produits transformés »41. La crise pétrolière avait cueilli la CEE à froid, impréparée et

incapable de constituer un front uni : l’hostilité montrée par la France et par Michel Jobert à la tentative de Nixon de dresser un front des pays consommateurs contre l’OPEP provoquait l’irritation de certains membres de la Communauté. Les divergences avaient éclaté au grand jour lors de la conférence des pays consommateurs de pétrole de Washington le 11 février 1974. Ayant à choisir entre une dépendance inacceptable vis-à-vis de l’OPEP et une confrontation avec celle-ci sous bannière américaine, l’Europe avait tout à perdre en termes de croissance et de souveraineté. Soutenu par le social-démocrate allemand Helmut Schmidt, Valery Giscard D’Estaing choisît d’explorer une autre voie. Répondant à une demande ancienne des pays du Tiers-Monde pour un dialogue Nord-Sud (« groupe des 77 »), le Président français proposa, le 24 octobre 1974, une conférence internationale consacrée aux problèmes de l’énergie à laquelle il inclût les pays pauvres importateurs de pétrole, premières victimes de la hausse des prix.42

Les négociateurs africains avaient de leur côté trés vite pris conscience que la crise valorisait leur continent. L’Ivoirien Siaka Coulibaly déclarait que la privation de pétrole constituait pour les Européens « un superbe instrument d’information sur les problèmes du Tiers-Monde » et n’hésitait pas à considérer la crise comme une « aubaine » pour les négociations

39 G.Rist, Le Développement, Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences-Po., pp.235-236. 40 Phan Van Phi, Directeur à la DGI, au Colloque de Bruxelles des 24 et 25 avril 1975, sur L’Union douanière

et le commerce mondial, in Actes du colloque,CUREI, Grenoble, 1975, p. 63.

41 Interview au Nouvel Observateur du 24 février 1975, p. 37.

42Réunie en session extraordinaire du 9avril au 9 mai 1974 à la demande des pays

non-alignés, l’Assemblée générale des Nations Unies proclamait la «Déclaration sur l’instauration d’un nouvel ordre économique international »(NIEO) assortie d’un programme d’action.

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ACP/CEE43. Les plus radicaux d‘entre eux allaient même jusqu’à qualifier la

négociation :« une sorte de concession politique que nous faisons à l’Europe »44. La crise

économique jetait les bases d’un véritable partnership.

La victoire travailliste en Grande-Bretagne et la demande consécutive de « renégocier » les termes d’adhésion eurent également des conséquences directes sur les négociations

CEE/ACP. Le représentant britannique n’exposait-il pas que la renégociation aurait dû, entre autres choses, mieux prendre en considération les intérêts des membres du Commonwealth et des PVD en général ? James Callaghan déclarait le 4 juin à Luxembourg que « la Communauté devait respecter le désir des associables d’éviter la réciprocité dans les échanges ». La Communauté élargie devait « adopter des politiques commerciales et d’aide tendant à faire bénéficier non seulement les territoires africains associés, mais aussi les PVD et le reste du monde ». Le Royaume-Uni allait ainsi renforcer au sein de la Communauté le camp des partisans de la non-réciprocité, adversaires de la position française. L’opposition traditionnelle entre la France et le clan mondialiste ressurgissait, à l’initiative de Londres. Le progrès des négociations avec les ACP se trouvait lié de facto à la définition d’une politique de coopération de la Communauté à l’égard de l’ensemble du tiers-monde, Londres exigeant que dans l’avenir les aides communautaires fussent divisées dans un pourcentage de 50/50 entre les Associés et les PVD. L’adoption par le Conseil, le 16 juillet 1974, du principe d’une aide financière et technique limitée en faveur des pays en voie de développement et le déblocage d’une aide exceptionnelle (de 500 millions de $) en faveur des PVD particulièrement frappés par la hausse des prix du pétrole (« Fonds Cheysson ») contribuèrent à débloquer la situation. La France continuait toutefois de refuser tout automatisme dans les nouvelles aides communautaires et prétendait soumettre les différents cas à l’appréciation politique du Conseil45. S’y ajoutait le problème du sucre :le représentant britannique au

Conseil, Peter Shore, souhaitait faire entériner par la Communauté l’engagement d’importer 1.400 000 t.de sucre en provenance des ACP à un prix négocié annuellement. En l’absence d’un tel engagement, la Grande-Bretagne s’opposerait à ce que la CEE proposât aux ACP les grandes lignes d’un système de stabilisation46.Les ministres des Neuf ne parvinrent pas, dans

ces conditions, à se mettre d’accord sur le mandat complémentaire à confier à la Commission pour avancer dans les discussions.

Les prises de positions des deux Parties sur le mécanisme de stabilisation des recettes

d’exportation, question préjudicielle sur laquelle le Conseil CEE n’était pas encore parvenu à

arrêter une position commune, illustraient ce raidissement. En avril 1974, faisant connaître leurs réactions au mécanisme suggéré par la Commission, les représentants des pays ACP déclarèrent que, considérant les récents développements intervenus sur le marché des matières premières, le schéma de stabilisation proposé n’était plus attractif pour eux : « The

parameters in the Commission’s files have become false ». Les évènements avaient rendu

caduque l’idée de stabiliser simplement les recettes. Désormais l’Europe avait plus à craindre qu’eux-mêmes des fluctuations des marchés mondiaux : le prix des principaux produits tropicaux exportés (hors pétrole) étaient en janvier 1974 de 73% supérieurs à leur niveau de 1972. Les ACP entendaient faire payer à l’Europe des prix réellement rémunérateurs, garantis pour chaque produit en proportion des coûts de leurs importations de biens d’équipement. Ils refusaient en revanche que la stabilisation de leurs recettes fût conditionnée par des garanties de fournitures. Cette revendication fut jugée irrecevable, parce qu’irréaliste, par la Commission. Pour Cheysson, soutenu en la matière par la grande majorité des Etats

43 Interview au Moniteur africain n° 656, p. 8.

44 Omar Giama, Ambassadeur de Somalie à Bruxelles, in Le Moniteur africain n° 682, 24 octobre 1974. 45 Agence Europe, Bulletin n° 1672, 23 janvier 1975, p.4.

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membres, la Communauté ne pouvait assumer à elle seule la charge de stabiliser les prix des matières premières. Il s’agissait là d’un « problème gigantesque » qui ne pouvait être résolu qu’à l’échelon mondial. Il faudrait se contenter pour l’instant d’une solution incomplète mais pragmatique, visant à stabiliser, au niveau régional, les recettes d’exportation pour un nombre limité de produits (arachide, cacao, café, coprah, coton et cuivre).

La Commission dût en revanche lâcher du lest sur l’entrée en franchise des produits

agricoles homologues et concurrents .Ses nouvelles propositions, présentées au Conseil le 8

février 1974, constituèrent un geste politiquement important : il s’agissait d’accorder le libre accès pour toute l’année aux agrumes, aux fruits et aux légumes des ACP. Pour les autres produits, elle suggérait une gamme de mesures, produit par produit, qui allaient de la suppression des droits de douane à la réduction des prélèvements. On concilierait ainsi la position de pays qui, comme le Royaume-Uni concédaient déjà la franchise douanière à tous les produits agricoles en provenance des pays du Commonwealth et ceux qui, comme la France et l’Italie, jugeaient indispensables le maintien de certaines précautions pour éviter de porter préjudice à leurs productions et au fonctionnement de la PAC. Le 4 juillet , le Conseil adoptait de nouvelles directives comportant des concessions majeures à l’égard des demandes formulées par les ACP : pour la plus grande partie des produits agricoles ou agricoles « transformés » des ACP, l’importation dans la CEE aurait été exemptée de droits et sans limitation quantitative.Cette liste comprenait des produits africains en concurrence directe avec les agricultures européennes (agrumes, fruits et légumes, viande bovine, etc…) ; le « calendrier saisonnier » qui conditionnait (dans la convention de Yaoundé) l’importation en franchise de certains fruits et légumes serait supprimé.

Ceci ne suffit pourtant pas à satisfaire les ACP qui continuèrent à protester contre la persistance des obstacles non tarifaires et l’introduction, à la demande de l’Italie et de la France, d’une clause de sauvegarde automatique, applicable à tous les produits, et permettant à la Communauté de résilier à tout moment les concessions accordées.

Confrontés au risque croissant de ne pas conclure les pourparlers dans les délais prévus,et de devoir négocier en conséquence de fastidieuses dispositions transitoires, les ACP prirent l’initiative qui allait débloquer la situation. Ils demandèrent la réunion d’une conférence ministérielle générale. Cette initiative rencontra l’assentiment de la France, qui exerçait désormais la présidence tournante au sein de la Communauté.

IV) La conférence de Kingston débloque la négociation

A l’invitation du gouvernement de la Jamaïque, une conférence ministérielle se tint à Kingston les 25-26 juillet 1974. Après deux jours d’intenses dicussions,la Conférence parvint brusquement à modifier les perspectives de la négociation. De nombreux aspects de l’association, parfois importants, restaient en discussion, mais les compromis politiques réalisés étaient fondamentaux. Les deux parties se disaient satisfaites : C. Cheysson estimait que Kingston marquait « le point de non-retour » de la négociation. Pour Sauvagnargues, Président du Conseil des Neuf, Babakar Ba, président du groupe africain ou Patterson, leader charismatique des pays de la Caraïbe, il paraissait désormais acquis que l’association serait conclue, et que tous les pays qui avaient participé à la conférence y adhéreraient. Tous exprimaient l’espoir que les négociations pussent se conclure avant la fin de l’année47.

47 C. Schiffman, « Après la réunion de Kingston », Le Courrier n° 26, juillet-août 1974 ; AN/CAC .900489/44,

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Sur l’insistance de la Présidence française, les ministres des Neuf acceptèrent enfin de s’engager sur les trois grands thèmes qui appelaient les réponses les plus urgentes : régime de libre-échange, mécanisme de stabilisation des recettes d’exportation, coopération financière48. Les représentants des ACP y ajoutèrent la coopération industrielle49. De leur

côté, les ministres des ACP, notamment celui du Nigéria, surent faire preuve de réalisme50.

Le résultat le plus probant de cette approche conciliatrice fut représenté par le compromis intervenu sur les grandes lignes du système de stabilisation des recettes

d’exportation des produits de base. Les deux parties partaient de positions très éloignées. Les

ACP demandaient un mécanisme général, automatique, visant non seulement à stabiliser leurs recettes contre les fluctuations excessives mais aussi à les valoriser en les indexant sur le coût de leurs importations. Prenant en compte les préoccupations allemandes et néerlandaises, la Communauté offrait un mécanisme d’assurance non automatique, impliquant une décision cas par cas, comportant un contrôle de l’utilisation des transferts compensatoires et donnant en principe à ceux-ci le caractère d’avance remboursable51.

On aboutit à un.compromis grâce aux concessions faites de part et d’autre : les ACP admirent que la CEE ne pouvait à elle seule s’engager dans un système de valorisation des prix des matières premières et des produits de base qui la placerait dans une position concurrentielle impossible vis-à-vis des autres pays industrialisés. La résolution du problème de la détérioration des termes de l’échange n’était envisageable qu’à l’échelon mondial. La CEE renonça pour sa part au contrôle systématique sur l’utilisation de l’aide, aux critères rigides conditionnant son octroi, ainsi qu’à l’exigence de son remboursement systématique52.Les

ACP avaient consenti que le mécanisme ne fût pas tout à fait automatique en échange d’un assouplissement des conditions d’octroi. La résolution résumant ces concessions laissait encore une grande place aux négociations pour des aspects essentiels comme la liste des produits éligibles ( pour faire avancer le dossier, la Commission avait proposé le 28 juin ,conformément aux demandes britanniques, d’en exclure le sucre qui aurait fait l’objet d’un régime particulier) ou le plafonnement des recettes affectées au financement du système, mais elle permettait d’affirmer que désormais le système de stabilisation, innovation principale par rapport à la convention de Yaoundé, serait introduit dans l’association.53 Le régime général des échanges constituait l’autre nœud de la négociation. Le communiqué

final de la conférence enregistrait des progrès significatifs. On y retrouvait aussi bien le principe de la « stabilité » du régime commercial (ce qui impliquait sa compatibilité avec l’art. XXIV du GATT) cher à la France et aux EAMA que le principe de l’asymétrie entre les deux parties, revendiqué vigoureusement par les « associables » : la CEE octroierait pour l’essentiel le libre accès aux produits des pays ACP, tandis que ces derniers ne seraient pas tenus d’accepter d’obligation correspondante. La querelle de la réciprocité, qui avait longtemps hypothéqué les progrès de la négociation était résolue54. Les pressions exercées

par les Etats-Unis furent sans doute décisives. Suite au voyage effectué par Claude Cheysson

48 Burin des Roziers notait à ce propos « la grande discrétion des Allemands et la souplesse relative de la

délégation anglaise conduite par Mme Hart, qui a permis à la Communauté de sortir de l’impasse où l’avait placée à Bruxelles, deux jours auparavant, l’intransigeance de M. Peter Shore »,in AN/CAC 900489/44, Burin des Roziers à MAE, « Conférence de Kingston », 30 juillet 1974.

49 AN/CAC 900489/44 DECE (Brunet) à MAE, note a/s « visite de Babacar Ba au MAE », 17 juillet 1974 50 Ibid, Burin des Roziers à MAE, « Conférence de Kingston », 30 juillet 1974.

51 AN/CAC 900489/41 Document de travail SGCI a/s « Directives de négociations avec les Etats ACP sur la

stabilisation des recettes d’exportation », 9 juillet 1974. Ibid, 900489/44 Note SGCI a/s « Préparation de la conférence de Kingston », 20 juillet 1974 : Ibid, Sauvagnargues à MAE « Réunion du Conseil à Kingston », 26 juillet 1974

52 Agence Europe, Bulletin n° 1572, 1er août 1974, p. 3-4.

53 AN/CAC 900489/44 Note SGCI a/s « Préparation de la conférence de Kingston », 18 juillet 1974. 54 Ibid.

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en Amérique du Nord en juin 1974, des consultations CEE-Etats Unis avaient eu lieu au plus haut niveau. Le 7 juillet, W. Eberlé, ambassadeur américain à Bruxelles, avait assuré Soames, Commissaire aux Relations extérieures, que les Etats-Unis ne feraient pas obstacle devant le GATT à « des accords d’association non-réciproques » pourvu qu’au cours des prochaines années les conditions d’échanges se fussent alignées sur les préférences généralisées, notamment en ce qui concernait l’Amérique latine55. Côté français, on avait fini

par se rendre à l’évidence que, quelle que fût la thèse suivie, anglaise ou française, dans le cadre de la convention de Yaoundé certains ACP accordaient déjà la franchise et même des préférences inverses à la Communauté, tandis que d’autres (Togo, Zaire) percevaient des droits sur les productions communautaires. Plutôt que de poser le principe du libre-échange réciproque et d’y prévoir de larges exceptions ne convenait-il pas mieux « pour rencontrer les préoccupations des pays ACP » et cesser de prêter le flanc aux critiques américaines, d’accepter le principe de non-réciprocité et de prévoir que les ACP pourraient néanmoins, s’ils le souhaitaient, accorder réciprocité et préférences inverses à la Communauté ? Si la réciprocité des échanges n’était plus imposée, elle ne serait pas non plus exclue56. Changeant

son fusil d’épaule, la délégation française allait dorénavant revendiquer la faculté, pour tel ou tel des ACP, d’accorder aux Etats de la CEE des avantages supérieurs à ceux découlant de la clause de la Nation la plus favorisée57.

Sur les règles d’origines prévues par la CEE pour déterminer les produits ayant droit au régime préférentiel, considérées comme trop rigides par les ACP, une résolution fut adoptée, précisant notamment les exceptions à la règle générale dite du « changement de position tarifaire » : même si un produit originaire d’un pays tiers et transformé dans un pays ACP ne changeait pas de position tarifaire, il devrait néanmoins être considéré comme produit originaire de l’association, si la valeur ajoutée atteignait un certain pourcentage, que les ACP proposaient de fixer à 25%. Des compromis apparaissaient désormais possibles58. Enfin, si

les positions de principe des deux parties sur les obstacles non tarifaires restaient inconciliables, celles-ci convinrent d’instituer « une procédure de consultation » en cas de difficultés, afin de minimiser l’effet des dispositions appliquées erga omnes à l’intérieur de la Communauté.

Pour ce qui concernait le troisième aspect essentiel de l’association, à savoir l’assistance

financière de la CEE, les deux parties se limitèrent à Kingston à un premier échange de vues.

Sauvagnargues indiqua toutefois de manière officieuse que la Communauté serait disposée à tripler la dotation du FED. On approcherait ainsi les 3 milliards d’u.c.. Babacar Ba, arguant de l’augmentation du nombre des pays associés, de la projection de leurs populations sur 1975, de l’ajustement du volume de l’aide compte tenu de l’inflation, des avantages à accorder aux pays les moins avancés, réclamait pour sa part, sans se faire trop d’illusions, un montant de l’ordre de 8 milliards d’u.c.. Sauvagnargues l’avertît qu’il excluait que la CEE pût se rapprocher, même de loin, d’un tel chiffre.

En revanche, les Neuf accueillirent favorablement le mémorandum présenté par les ACP au sujet de la coopération industrielle même si celui-ci comportait quelques propositions irréalistes. Les ACP proposaient des initiatives dans divers domaines : développement des infrastructures nécessaires à l’industrialisation, libre accès à la technologie européenne grâce à des accords avec les industries privées comportant notamment l’utilisation des brevets sur « une base préférentielle », formation de personnel qualifié, mise en place d’une division internationale du travail encourageant en Europe la réduction de certaines activités et ayant

55 Statement by Ambassador Eberlé at US/EC high level consultations, June 7th. 1974 ; AN/CAC 771473/51

Burin des Roziers à SGCI a/s « Compte rendu de la réunion du groupe EAMA du 17 juin 1974.

56 AN/CAC 771473/51, Burin des Roziers à SGCI. « Compte rendu …cit. »,17 juin 1974. 57 Ibid 900489/40 La Chevalerie (Dakar) à MAE, 20 décembre 1974.

Riferimenti

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