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La force du sexe faible. Pudeur et morale féminine selon Rousseau

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La force du sexe faible. Pudeur et morale féminine selon Rousseau

« À tes yeux l’unique parure, la beauté suprême et qui nargue toutes les atteintes du temps, l’ornement le plus glorieux d’une femme, c’est la pudeur. »

Sénèque, Consolation à Helvia, 16, 4

La pudeur entre naturalité et artifice

Le dix-huitième siècle français a été marqué par un débat enflammé sur la pudeur qui a intéressé différents domaines, de la philosophie à la littérature jusqu’à la jurisprudence et à la théologie1, l’objet de controverse étant moins la notion de

pudeur en soi que son origine, naturelle ou artificielle. Deux conceptions s’opposaient, certains auteurs concevant la pudeur comme une inclination naturelle et originale, tandis que d’autres la considéraient un produit conventionnel de l’institution sociale.

On peut compter Montesquieu parmi les partisans les plus éminents de la première thèse. Dans le douzième chapitre du seizième livre de l’Esprit des lois – significativement intitulé De la pudeur naturelle – il définit la pudeur comme un principe universel posé par la nature et donc intrinsèque à la condition de l’homme en tant qu’animal rationnel : « D’ailleurs il est de la nature des êtres intelligents de sentir leurs imperfections : la nature a donc mis en nous la pudeur, c’est-à-dire la honte de nos imperfections ». Ce principe naturel, qui favorise la conservation de l’espèce en atténuant les désirs, doit être soigneusement préservé de toutes les influences extérieures, notamment de la dégénérescence possible en raison du climat : « Quand donc la puissance physique de certains climats viole la loi naturelle des deux sexes et celle des êtres intelligents, c’est au législateur à faire des lois civiles qui forcent la nature du climat et rétablissent les lois primitives »2. La théorie de Montesquieu est 1 Comme études générales sur la pudeur, on peut citer Janine Rossard, Une clef du romantisme : la

pudeur. Rousseau, Loaisel de Tréogate, Belle de Charrière, Bernardin de Saint-Pierre, Joubert, Constant, Stendhal, Paris, Nizet, 1974 ; Jean-Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Paris, Olivier

Orban, 1986 ; Claude Habib (éd.), La Pudeur. La réserve et le trouble, Paris, Autrement, 1992 ;

Hypothèses, 2010, 13, 1, p. 95-160 (dossier « La pudeur »). Sur les aspects plus étroitement

philosophiques du débat au dix-huitième siècle voir Paul Hoffmann, La femme dans la pensée des

Lumières, Paris, Ophrys, 1977, en particulier p. 383-389 ; sur les aspects juridiques voir Marcela

Iacub, Par le trou de la serrure. Une histoire de la pudeur publique, Paris, Fayard, 2008.

2 Montesquieu, De l’Esprit de lois, dans Œuvres complètes, éd. par Robert Callois, Paris, Gallimard

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reprise presque textuellement par Jaucourt dans l’entrée « Pudeur » de l’Encyclopédie, qui met à son tour l’accent sur l’appartenance constitutive (ou, pour ainsi, dire ontologique) de cette qualité au sexe féminin :

« PUDEUR, s. f. (Morale.) c’est une honte naturelle, sage et honnête, une crainte secrète, un sentiment pour les choses qui peuvent apporter de l’infamie. Les femmes qui n’ont plus que le reste d’une pudeur ébranlée, ne font que de faibles efforts pour leur défense. Celles qui ont effacé de leur front jusqu’aux moindres traces de pudeur, l’éteignent bientôt entièrement dans le fond de leur âme, et déposent sans retour le voile de l’honnêteté. La pudeur au contraire, fait passer une femme qui en est remplie par-dessus les outrages attentés contre son honneur ; elle aime mieux se taire sur ceux qui l’ont outragée, lorsqu’elle n’en peut parler qu’en mettant au jour des actions et des expressions qui seules alarment sa vertu »3.

Dans ce cas également, la conclusion, ne laisse aucun doute sur le caractère naturel de la pudeur : « L’idée de la pudeur n’est point une chimère, un préjugé populaire, une tromperie des lois et de l’éducation. Tous les peuples se sont également accordés à attacher du mépris à l’incontinence des femmes ; c’est que la nature a parlé à toutes les nations »4.

Cependant, tous les encyclopédistes ne partageaient pas cette manière de concevoir la pudeur. La plupart des philosophes, en particulier ceux qui embrassaient plus ou moins ouvertement des hypothèses proches du matérialisme, voyaient au contraire dans la pudeur le produit de conventions sociales sophistiquées. La Mettrie, par exemple, souligne, dans l’Homme machine, que le comportement des êtres humains, diamétralement opposé à celui des autres animaux en ce qui concerne l’accouplement, ne peut provenir que de préjugés : « Déjà adolescent, il [l’homme] ne sait pas trop comment s’y prendre dans un jeu que la nature apprend si vite aux animaux : il se cache, comme s’il était honteux d’avoir du plaisir et d’être fait pour être heureux, tandis que les animaux se font gloire d’être cyniques. Sans éducation, ils sont sans préjugés »5. Dans cette perspective, la pudeur typiquement féminine est

due uniquement à la force de l’éducation et des habitudes : elle est « fille du caprice et des préjugés »6 et ne peut trouver aucune justification réelle au niveau organique.

La position d’Helvétius, conceptuellement plus élaborée, n’est pas très différente dans ses conclusions. Dans De l’Esprit, il affirme que « la pudeur est une

3 Louis de Jaucourt, entrée « Pudeur » de l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des

arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Neuchâtel, Briasson-David-Le Breton,

Durand, 1765, t. XIII, p. 553.

4 Ibid.

5 Julien Offray de La Mettrie, L’homme machine (1747), dans Aram Vartanian, La Mettrie’s «

L’homme machine ». A Study in the Origins of an Idea, Princeton (N. J.), Princeton University

Press, 1960, p. 169-170.

6 Julien Offray de La Mettrie, La volupté : Par Mr le chevalier de M*** Capitaine au Régiment

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invention de l’amour et de la volupté raffinée ». Elle n’est pas un instinct naturel, mais elle n’est pas non plus – comme le voudrait La Mettrie – une règle de comportement contraire à la nature de l’homme. Le « bon usage » de la pudeur peut en effet avoir, comme le confirment des anecdotes tirées des relations de voyage contemporaines, des répercussions déterminantes aussi bien sur la société que sur le bonheur de ses membres :

« [Il faut faire sentir à la femme] qu’au Malabar, où les jeunes agréables se présentent demi-nues dans les assemblées, qu’en certains cantons de l’Amérique, où les femmes s’offrent sans voile aux regards des hommes, les désirs perdent tout ce que la curiosité leur communiquerait de vivacité ; qu’en ces pays, la beauté avilie n’a de commerce qu’avec les besoins : qu’au contraire, chez les peuples où la pudeur suspend un voile entre les désirs et les nudités, ce voile mystérieux est le talisman qui retient l’amant aux genoux de sa maîtresse ; et que c’est enfin la pudeur qui met aux faibles mains de la beauté le sceptre qui commande à la force »7.

Le plus impitoyable détracteur de l’innéisme de la pudeur fut sans doute Diderot qui fait de cette question un leitmotiv de sa polémique anticléricale, dès l’époque de la Lettre sur les aveugles. S’appuyant sur la psychologie de l’aveugle, le directeur de l’Encyclopédie tend à démontrer que toutes les idées morales et religieuses supposées, y compris la pudeur, dépendent en réalité de conventions insensées. L’aveugle de Puisaux – l’un des protagonistes de l’histoire – ne fait, « pas grand cas de la pudeur : sans les injures de l’air, dont les vêtements le garantissent, il n’en comprendrait guère l’usage »8. Cette conviction trouve, dans les Additions à la lettre,

une confirmation particulièrement dramatique dans le portrait émouvant de Mélanie de Salignac, une jeune femme aveugle-née : elle n’a pas une conception naturelle de la pudeur et n’est religieuse que pour ne pas causer de chagrin à sa mère9. Par une

amère ironie du sort, la jeune fille, meurt prématurément, à l’âge de vingt-deux ans, « d’une tumeur aux parties naturelles intérieures qu’elle n’eut jamais le courage de déclarer »10-. Ces idées seront largement développées par Diderot dans les écrits

suivants, du dix-huitième chapitre des Bijoux indiscrets jusqu’au Supplément au Voyage de Bougainville, où la dernière partie du dialogue entre A et B est consacrée à l’explication de l’origine presque entièrement conventionnelle de la pudeur : « L’homme ne veut être ni troublé ni distrait dans ses jouissances, celles de l’amour

7 Claude-Adrien Helvétius, De l’esprit, éd. par François Châtelet, Verviers, Marabout

Université-Éditions Gérard, 1973, discours 2, chap. 15, p. 138.

8 Denis Diderot, Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, dans Œuvres complètes, éd.

par Herbert Dieckmann, Jean Fabre (puis Jean Varloot) et Jacques Proust, Paris, Hermann, 1978, t. IV, p. 27.

9 « Elle avait le sentiment le plus délicat de la pudeur ; et quand je lui en demandai la raison :

“C’est, me disait-elle, l’effet des discours de ma mère ; elle m’a répété tant de fois que la vue de certaines parties du corps invitait au vice : et je vous avouerais, si j’osais, qu’il y a peu de temps que je l’ai comprise, et que peut-être il a fallu que je cessasse d’être innocente” ». Ibid., p. 101.

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sont suivies d’une faiblesse qui l’abandonnerait à la merci de son ennemi. Voilà tout ce qu’il pourrait y avoir de naturel dans la pudeur : le reste est d’institution […]. Aussitôt que la femme devient la propriété de l’homme et que la jouissance furtive fut regardée comme un vol, on vit naître les termes pudeur, retenue, bienséance ; des vertus et des vices imaginaires »11. La pudeur, en d’autres termes, est un sentiment

inculqué qui répond aux besoins de l’ordre social. Il n’appartient pas au « code de la nature » qui règle la vie à Tahiti, mais aux autres codes que les soi-disant sociétés développées ont fini par substituer au code de la nature : code moral, code civil, code religieux. Dans cette perspective de dénaturation, la relation entre l’homme et la femme, pour être légitime, doit se conformer aux lois établies, en particulier à la loi de propriété. Cette contrainte culturelle s’efface toutefois dans les conditions extrêmes qui restituent l’individu à la simplicité naturelle : « Dans la misère, l’homme est sans remords ; et dans la maladie, la femme est sans pudeur »12.

Vers la fin du siècle, ces argumentations sur l’origine conventionnelle de la pudeur convergent, dans la pensée de Sade. Le divin marquis n’hésite pas – dans la perspective d’un naturalisme poussé à ses conséquences les plus extrêmes et les plus paradoxales – à mettre en évidence l’immoralité manifeste de la pudeur par le truchement de Dolmancé : « La pudeur ne fut jamais une vertu. Si la nature eût voulu que nous cachassions quelques parties de nos corps, elle eût pris ce soin elle-même ; mais elle nous a créés nus […] et tout procédé contraire outrage absolument ses lois »13.

Une vertu naturelle ?

La réflexion sur la pudeur de Jean-Jacques Rousseau semble, à première vue, s’insérer de façon assez linéaire, quoiqu’ouvertement polémique, dans le débat contemporain. Dans la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, la notion de pudeur devient champ de bataille dans la dispute avec les autres philosophes (en particulier Helvétius et Diderot, le « frère ennemi »14 de Jean-Jacques), dignes représentants de

la « philosophie d’un jour qui naît et meurt dans le coin d’une grande ville, et veut étouffer de-là le cri de la Nature et la voix unanime du genre-humain »15. Ils sont en

fait coupables d’avoir réduit la pudeur à un concept complètement artificiel et moralement vide :

11 Denis Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, dans Œuvres complètes, cit., t. XII, p.

633.

12 Ibid.

13 Donatien-Alphonse-François de Sade, La philosophie dans le boudoir, dans Œuvres complètes,

éd. par Michel Delon et Jean Deprun, Paris, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1998, t. I, p. 75.

14 Expression tirée de Jean Fabre, « Deux frères ennemis : Diderot et Jean-Jacques », Diderot

Studies, 1961, 3, p. 155-213.

15 Jean-Jacques Rousseau, Lettre à d’Alembert, dans Édition du Tricentenaire-Œuvres complètes,

éd. par Raymond Trousson et Fréderic Eigeldinger, Paris, Genève, Slatkine, Champion, 2012, t. XVI, p. 565. Référence abrégée ET-OC par la suite.

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« Préjuges populaires ! me crie-t-on. Petites erreurs de l’enfance ! Tromperie des lois et de l’éducation ! La pudeur n’est rien. Elle n’est qu’une invention des lois sociales pour mettre à couvert les droits des pères et des époux, et maintenir quelque ordre dans les familles. Pourquoi rougirions-nous des besoins que nous donna la Nature ? Pourquoi trouverions-nous un motif de honte dans un acte aussi indifférent en soi, et aussi utile dans ses effets que celui qui concourt à perpétuer l’espèce ? Pourquoi, les désirs étant égaux des deux parts, les démonstrations en seraient-elles différentes ? Pourquoi l’un des sexes se refuserait-il plus que l’autre aux penchants qui leur sont communs ? Pourquoi L’homme aurait-il sur ce point d’autres lois que les animaux ? » (ET-OC, XVI, p. 566).

Rousseau se sent dans l’obligation de consacrer quelques pages à la réfutation de l’argument selon lequel la pudeur n’existe pas dans la nature, il prend avec vigueur la défense de Montesquieu et des « innéistes » contre les partisans de l’origine conventionnelle de la pudeur16. En premier lieu, il rappelle que le fardeau de la

preuve devrait incomber à ceux qui nient le caractère naturel d’un sentiment original : ce sentiment, en tant que tel, ne peut être démontré, pas plus que la simple capacité d’éprouver un sentiment : « N’est-il pas plaisant qu’il faille dire pourquoi j’ai honte d’un sentiment naturel, si cette honte ne m’est pas moins naturelle que ce sentiment même ? Autant vaudrait me demander aussi pourquoi j’ai ce sentiment. Est-ce à moi de rendre compte de ce qu’a fait la Nature ? » (ET-OC, XVI, p. 566).

Néanmoins, Jean-Jacques juge possible d’avancer au moins trois arguments à l’appui de sa thèse. En premier lieu, il observe que la pudeur, à savoir le « mélange de modestie et de faiblesse » (ET-OC, XVI, p. 567), qui est une prérogative spécifiquement féminine, accomplit la tâche essentielle de garantir la consanguinité des parents et des enfants par le moyen de la fidélité conjugale, ce qui rend possible la formation du noyau familial et, par conséquence, de la société. Pour cette raison, « toute femme sans pudeur est coupable et dépravée ; parce qu’elle foule aux pieds un sentiment naturel à son sexe » (ET-OC, XVI, p. 568).

Le second argument, tiré de l’expérience plutôt que du raisonnement, peut être considéré comme une sorte de récupération – de signification inversée – de la méthode utilisée par Locke dans le premier livre de l’Essay on Human Understanding pour démontrer l’inexistence des idées innées : « Si la pudeur était un préjugé de la Société et de l’éducation, ce sentiment devrait augmenter dans les lieux où l’éducation est plus poignée, et où l’on raffine incessamment sur les lois sociales ; il devrait être plus faible partout où l’on est resté plus près de l’état primitif. C’est tout le contraire » (ET-OC, XVI, p. 569). En effet, alors que les rudes et simples

16 Cette position sera résumée par d’Alembert dans une lettre à Rousseau du 1759 : « Je ne les

louerais [les femmes] point en soutenant avec vous que la pudeur leur est naturelle ; ce serait prétendre que la nature ne leur a donné ni besoins, ni passions. […] Je me bornerai donc à convenir que la société et les loix ont rendu la pudeur nécessaire aux femmes ». Jean Le Rond d’Alembert,

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femmes de montagne conservent des mœurs timides et modestes – elles seront magistralement décrites par Saint-Preux dans la Nouvelle Héloïse17 – les femmes

raffinées et élégantes qui habitent la ville manifestent une « pudeur […] ignoble et basse » (Ibid.), dont le plus grand effet consiste à faire rougir de honte les hommes.

La dernière preuve, selon une stratégie rhétorique particulièrement chère à Rousseau, est un aperçu historique opposant la conduite vertueuse des femmes de Sparte et de la Rome républicaine, bien conscientes que « leur partage doit être une vie domestique et retirée » (ET-OC, XVI, p. 570), à la conduite irrémédiablement immorale des grandes dames de Paris ou de Genève. Ces dernières, en fait, sont corrompues par l’institution pernicieuse du théâtre préconisée par d’Alembert : « C’est ainsi que la modestie naturelle au sexe peu-a-peu disparue et que les mœurs des vivandières se sont transmises aux femmes de qualités » (ET-OC, XVI, p. 572).

L’opinion selon laquelle la pudeur serait une « institution naturelle », résultant de la différence entre les sexes, trouve son expression dans la plupart des œuvres littéraires de Rousseau. En particulier, cette idée est illustrée à plusieurs reprises par Julie, qui fait précisément de la pudeur la source de toutes les autres distinctions morales :

« L’attaque et la défense, l’audace des hommes, la pudeur des femmes ne sont point des conventions comme le pensent tes Philosophes, mais des institutions naturelles dont il est facile de rendre raison, et dont se déduisent aisément toutes les autres distinctions morales » (ET-OC, XIV, p. 280)18.

La même idée était déjà affirmée clairement et avec force dans la cinquième Lettre morale, adressée à Sophie d’Houdetot : « Si la foi des amants n’est qu’une chimère, si la pudeur du sexe consiste en vains préjugés, que deviendront tous les charmes de l’amour ? » (ET-OC, XVII, p. 363).

La pudeur entre socialité et conventionalité

La vision très linéaire et monolithique de la pudeur qui se dégage des pages de la Lettre à d’Alembert a conduit les contemporains de Rousseau aussi bien qu’un grand nombre de critiques, même récents, à minimiser la portée de cette question dans sa pensée. Les philosophes contemporains voient dans l’intransigeance de la position de Rousseau une simple reprise rhétorique, délibérément polémique, de la

17 Voir surtout la célèbre lettre du Valais (première partie, lettre 23), qui se termine en soulignant

l’harmonie qui règne dans cette région, entre l’innocence du monde naturel et les costumes des femmes qui y vivent: « Tout me rappelait à vous dans ce séjour paisible; et les touchants attraits de la nature, et l’inaltérable pureté de l’air, et les mœurs simples des habitants, et leur sagesse égale et sûre, et l’aimable pudeur du sexe, et ses innocentes grâces et tout ce qui frappait agréablement mes yeux et mon cœur leur peignait celle qu’ils cherchent » (ET-OC, XIV, p. 223).

18 En plus de la lettre 46 de la première partie, déjà citée, voir aussi, toujours dans la première

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théorie de Montesquieu, auquel Jean-Jacques est ouvertement associé par Jaucourt dans l’entrée de l’Encyclopédie ci-dessus mentionnée19. Sa conception de la pudeur

sert tout au plus d’argument pour l’accuser d’innéisme moral, comme le fait Helvétius dans De l’homme20.

La littérature critique, pour sa part, a analysé le problème composite de la pudeur presque exclusivement sous l’angle du schéma interprétatif de la « question féminine »21. Les interprétations féministes, souvent plus attentives aux prémisses

idéologiques qu’à l’étude approfondie des textes et de leur contextualisation, ont contribué à la création d’un mythe historiographique : « Rousseau le misogyne parfait »22. À partir de la lecture de Sarah Kofman23 et, pour ce qui concerne les études

anglophones, de Paul Thomas24, le stéréotype d’un « Rousseau sexiste », s’est affirmé

avec une force croissante, décliné de deux manières différentes. La première école de pensée (à laquelle on peut reconduire, par exemple, Sarah Kofman et Susan Okin25) a

interprété la théorie de la complémentarité entre les sexes de Rousseau comme l’expression cohérente de l’idéologie patriarcale qui caractérise l’ensemble de la pensée occidentale depuis ses origines. Une deuxième hypothèse interprétative – non nécessairement opposée à la première – soutient que la théorie de Rousseau reflète une idéologie machiste, typique de la modernité, qui viserait à exclure les femmes de la dimension politique en utilisant un modèle rigide de distinction sexuelle, qui trouverait sa justification dans l’anatomie26. Dans les deux cas, la théorie de la pudeur

de Rousseau27 – autoriserait une sorte de distinction substantielle (quasi ontologique) 19 Jaucourt cite comme références « Barbeyrac. Esprit des lois. J.-J. Rousseau ». Voir supra, note 3. 20 Voir Claude-Adrien Helvétius, De l’Homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation,

dans Œuvres complètes d’Helvétius, Paris, Didot l’aîné, 1795, t. IX ; reproduction Hildesheim, Georg Olms, 1967, t. V, p. 123-131.

21 Sur les interprétations féministes de Rousseau voir Tanguy L’Aminot, La critique féministe de

Rousseau sous la Troisième République, dans Rousseau et la critique/Rousseau and Criticism, éd.

par Lorraine Clark et Guy Lafrance, Ottawa, Pensée libre, 1995, p. 139-154; Lynda Lange, « Rousseau and Modern Feminism » Social Theory and Practice, 1981, 7, p. 245-272; Ead., « Rousseau and Modern Feminism », dans Lynda Lange (éd.), Feminist Interpretations of

Jean-Jacques Rousseau, Penn State University Press, University Park, 2002, p. 24-42.

22 Sur l’insuffisance de l’image de « Rousseau misogyne » voir Gita May, « Rousseau’s

“Antifeminism” reconsidered », dans Samia. I. Spencer (éd.), French Women and the Age of

Enlightenment, Bloomington, Indiana University Press, 1984, p. 309-317.

23 Sarah Kofman, Le respect des femmes. Rousseau et Kant, Paris, Galilée, 1982.

24 Paul Thomas, « Jean-Jacques Rousseau, Sexist ? », Feminist Studies, 1991, 17, 2, Constructing

Gender Difference : The French Tradition, p. 195-217.

25 Voir Sarah Kofman « Rousseau’s Phallocratic Ends », Hypatia. A Journal of Feminist

Philosophy, 1989, 3, p. 123-136 ; Susan Moller Okin, « Rousseau », dans Women in Western Political Thought, Princeton, Princeton University Press, 1979, p. 99-194.

26 Voir, par exemple, Joan B. Landes, « Rousseau’s Reply to Public Women », dans Women and

the Public Sphere in the Age of the French Revolution, Ithaca, Cornell University Press, 1988, p.

66-89 ; Thomas Laqueur, Making Sex : Body and Gender from the Greeks to Freud, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1990 ; Mira Morgenstern, Rousseau and the Politics of

Ambiguity : Self, Culture, and Society, University Park, Pennsylvania State University Press, 1996.

27 Voir Laure Challandes, L’âme a-t-elle un sexe ? : Formes et paradoxes de la distinction sexuelle

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entre les sexes, qui finirait par reléguer les femmes dans une dimension complètement subordonnée28.

Les interprétations les plus récentes consacrées à la question féminine se sont notamment tournées vers les gender studies29. À rebours des études féministes

anciennes, qui se focalisaient sur la relation antagonistede Rousseau aux femmes,ces nouvelles publications s’intéressent au « versant féminin » de la personnalité et de l’œuvre de Jean-Jacques, jusqu’à conjecturer une fusion ou une inversion entre les genres. Dans cette perspective la question de la pudeur– vertu qui marque avec clarté la distinction entre les sexes – devient particulièrement épineuse et reste significativement ignorée (avec l’exception significative de Judith Still30).

Une analyse plus approfondie de la pensée de Rousseau, prenant en considération les prémisses anthropologiques décrites dans le Discours sur l’inégalité et largement développées dans le cinquième livre de l’Émile – consacré justement à la place de la femme « dans l’ordre physique et moral » (ET-OC, VIII, p. 824) – révèle toutefois la complexité de la question, que reflète l’originalité de sa conception de la pudeur par rapport aux autres philosophes. La portée de la réflexion rousseauiste sur la pudeur transcende, en effet, aussi bien la querelle personnelle avec d’Alembert que les considérations esthétiques et sociologiques sur le théâtre, elle a trait à des questions décisives d’ordre moral et politique.

Dès la Lettre à d’Alembert, par-delà l’affirmation réitérée du caractère naturel de la pudeur, il est possible de trouver des traces d’une origine complexe et ambiguë de ce sentiment, origine qui se situerait dans le passage crucial de l’état de nature à la société civile. Pour approfondir la connaissance du sentiment de pudeur, Rousseau recommande de « suiv[re] les indications de la Nature » et de« consult[er] le bien de la société » (ET-OC, XVI, p. 584). Si la première de ces indications implique l’attribution – typique chez Rousseau – d’un élément de normativité à la nature la seconde suppose la correspondance du sentiment de pudeur à une dimension

Confusion », dans The Progressive Poetics of Confusion, Newark, University of Delaware Press, 2011, p. 141-77 ; La Question sexuelle : interrogations de la sexualité dans l’œuvre et la pensée de

Rousseau, éd. par Jean-Luc Guichet, Paris, Classiques Garnier, 2012 ; Rosanne Kennedy, Rousseau in Drag : Deconstructing Gender, New York, Palgrave Macmillan, 2012.

28 Cette conclusion est également partagée par les lectures plus nuancées, qui ont tendance à mettre

en question le « sexisme » de Rousseau, comme Linda Marie-Gelsomina Zerilli, Signifying

Woman : Culture and Chaos in Rousseau, Burke and Mill, Ithaca, Cornell University Press, 1994,

p. 16-59 ; Lori Marso, (Un)Manly Citizens : Jean-Jacques Rousseau’s and Germaine de Staël’s

Subversive Women, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1999.

29 Voir Laure Challandes, L’âme a-t-elle un sexe ? : Formes et paradoxes de la distinction

sexuelle dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, Garnier, Paris, 2011 ; John C. O’Neal, « Gender Confusion », dans The Progressive Poetics of Confusion, Newark, University of Delaware Press, 2011, p. 141-77 ; La Question sexuelle : interrogations de la sexualité dans l’œuvre et la pensée de

Rousseau, éd. par Jean-Luc Guichet, Paris, Classiques Garnier, 2012 ; Rosanne Terese Kennedy, Rousseau in Drag : Deconstructing Gender, New York, Palgrave Macmillan, 2012.

30 Judith Still, Justice and Difference in the Works of Rousseau, Cambridge, Cambridge

University Press, 1993. Still fournit, en conclusion, une évaluation négative de la pudeur, interprétée comme une valeur qui s’oppose à la bienfaisance et, par conséquent, a l’égalité entre homme et femme.

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pleinement sociale et morale, ce qui semble exclure la possibilité même de son entière naturalité. Cette tension se retrouve, avec une certaine accentuation de son caractère problématique, dans le quatrième livre de l’Émile : « Quoique la pudeur soit naturelle à l’espèce humaine, naturellement les enfants n’en ont point. La pudeur ne naît qu’avec la connaissance du mal : et comment les enfants, qui n’ont ni ne doivent avoir cette connaissance, auraient-ils le sentiment qui en est l’effet ? » (ET-OC, VII, p. 596). Comme peut-on affirmer que la pudeur est à la fois naturelle et qu’elle naît de la connaissance du mal, s’il n’y a rien de mauvais dans tout ce qui est naturel ?

Il est possible de détecter la possibilité d’une solution à cette aporie apparente dans la reconstruction de l’évolution humaine, plus généalogique qu’historique, tracée dans le Discours sur l’inégalité. L’analyse de l’origine de la pudeur y est insérée dans la distinction entre l’amour physique, qui est accomplissement mécanique d’un désir amoureux conçu comme un simple besoin, et l’amour moral sentiment véritable, en revanche, « qui détermine ce désir et le fixe sur un seul objet exclusivement » (ET-OC, V, p. 133). Dans cette perspective, la pudeur paraît appartenir au second aspect de la passion d’amour et son origine semble être artificielle plutôt que naturelle, comme le suggère un passage qui montre clairement son statut de « dérivé » : « Parmi les passions qui agitent le cœur de l’homme, il en est une ardente, impétueuse, qui rend un sexe nécessaire à l’autre […]. Que deviendront les hommes en proie à cette rage effrénée et brutale, sans pudeur, sans retenue, et se disputant chaque jour leurs amours au prix de leur sang ? » (ET-OC, V, p. 132). Ce texte pose le problème et, dans le même temps, en laisse entrevoir la solution : il montre, en fait, avec clarté, la nécessité d’insérer la question de la pudeur dans le système des compensations – parfois nommées par Rousseau lui-même « suppléments »31 – qui contrebalancent la dégénération humaine, imputable au

développement des passions. Ces « antidotes » sont toutefois encore en dormance (ou, si l’on préfère, en puissance) dans l’état de nature au sens strict.

Autrement dit, la pudeur, ne peut pas être banalement reconduite, à une naturalité « première » (originelle, mais pré-morale), elle appartient à une naturalité « seconde », provenant de la dynamique du supplément social. Ce qui est condamné par Rousseau n’est donc pas, en réalité, le caractère social de la pudeur, qui permet l’accès à la moralité, mais plutôt sa conventionalité, qui représente une dénaturation (accidentelle et non nécessaire) de la socialité même. C’est en ces termes – qui compliquent grandement l’opposition monolithique entre naturalité et convention, typique du débat contemporain – qu’est conçue l’analyse de la pudeur, dans le cinquième livre de l’Émile, consacré, et ce n’est pas par hasard, à l’éducation des femmes. Ici, le sentiment de pudeur est mis de nouveau en relation avec l’amour ; il assume à l’égard de l’amour le double rôle (typique de chaque supplément) de « produit » et d’antidote. L’amour, comme on l’a vu, est « un sentiment factice, né de

31 Comme l’a montré Derrida, la pudeur est selon Rousseau un « produit du raffinement social ».

Voir Jacques Derrida, De la Grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 255. Sur la théorie du supplément, voir aussi Philippe Lejeune, « Le dangereux supplément de Rousseau », Annales.

Economies, Sociétés, Civilisations, 1974, 29, 4, p. 1009-1102 ; Jean-Claude Coste, « Les

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l’usage de la société » (ET-OC, V, p. 133) ; il contraste avec la sexualité, instinct physique, qui est inscrite dans la loi naturelle. Cette loi suppose une polarité physiologique et psychologique entre activité et passivité, qui se réalise dans la différenciation entre les sexes, à chacun desquels correspondent respectivement la volonté (mâle) et la résistance (femelle) : « Dans l’union des sexes chacun concourt également à l’objet commun, mais non pas de la même manière. De cette diversité naît la première différence assignable entre les rapports moraux de l’un et de l’autre. L’un doit être actif et fort, l’autre passif et faible : il faut nécessairement que l’un veuille et puisse, il suffit que l’autre résiste peu » (ET-OC, VIII, p. 825)32.

L’équilibre de cette dynamique est brisé par le surgissement de l’amour moral, qui transforme la « lutte » amoureuse en asservissement de l’homme par la femme. Contrairement aux femelles des animaux, la femme a, en fait, des « désirs illimités », elle peut facilement enflammer les sens du mâle et la nature ne la contraint pas à restreindre sa vie sexuelle dans des périodes spécifiques : « Voici donc une […] conséquence de la constitution des sexes, c’est que le plus fort soit le maître en apparence, et dépende en effet du plus faible » (ET-OC, VIII, p. 828). Il est donc nécessaire de supposer l’existence d’un supplément, né de la passion de l’amour mais qui en limite la force, accomplissant une fonction similaire à celle que l’instinct joue chez les animaux : « L’instinct les pousse et l’instinct les arrête [les femelles des animaux]. Où sera le supplément de cet instinct négatif dans les femmes, quand vous leur aurez ôté la pudeur ? » (ET-OC, VIII, p. 827).

La pudeur, qui préserve l’espèce humaine des dangers d’une activité sexuelle dérèglée, peut être rapprochée de la loi et de la raison. Pudeur, loi, raison sont autant d’expressions de la perfectibilité de l’homme, perfectibilité qui permet à l’individu d’accéder à une existence pleinement libre et morale, incommensurablement supérieure à l’innocence inconsciente de l’animal :

« L’Être suprême a voulu faire en tout honneur à l’espèce humaine : en donnant à l’homme des penchants sans mesure, il lui donne en même temps la loi qui les règle, afin qu’il soit libre et se commande à lui-même ; en le livrant à des passions immodérées, il joint à ces passions la raison pour les gouverner ; en livrant la femme à des désirs illimités, il joint à ces désirs la pudeur pour les contenir […]. Tout cela vaut bien, ce me semble, l’instinct des bêtes » (Ibid.). Cette analyse de la genèse complexe de la pudeur montre avec clarté l’originalité de la position de Rousseau par rapport à celle des autres philosophes, elle fait, en outre, émerger la centralité et la spécificité que le sexe féminin occupe dans le

32 Sur les différences entre les sexes selon Rousseau voir Allan Bloom, « Rousseau on the Equality

of the Sexes », dans Frank S. Lucash et Judith N. Shklar (éds), Justice and Equality Here and Now, Ithaca, Cornell University Press, 1985, p. 68-88 ; Id., « The Relation of the Sexes : Rousseauian Reflections on the Crisis of our Times », Independent Journal of Philosophy, 1988, 5-6, p. 31-36 ; Michael O’ Dea, « Rousseau et la sexualité des femmes : l’Émile et la Lettre à d’Alembert », dans Robert Thiéry (éd.), Rousseau, l’ « Émile » et la Révolution, Paris, Universitas, 1992, p. 279-284.

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processus de « conquête » de l’humanité, cette dernière étant comprise dans le sens le plus élevé (moral et social) du terme.

Figures de la pudeur : de Lucrèce à Sophie

La réflexion sur la pudeur développée dans la Lettre à d’Alembert et dans l’Émile trouve un complément théorique important – comme cela arrive souvent chez Rousseau – dans l’œuvre littéraire et, en particulier, dans les ouvrages qu’on appelle minora. Alors que les écrits majeurs sont toujours caractérisés par une image positive de la pudeur, certains écrits jugés « mineurs », marginaux à divers égards, mettent ouvertement en scène la pudeur violée. Les ouvrages en question sont : une tragédie inachevée, La Mort de Lucrèce, composée en 1754 le pastiche biblique Le Lévite d’Ephraïm33, la suite (également inachevée) du roman pédagogique, intitulée Émile et

Sophie, ou les Solitaires. Ces trois écrits – bien qu’ils appartiennent à des étapes différentes de la pensée de Rousseau et qu’ils présentent des différences stylistiques et de contenu assez marquées – ont en commun la description de deux transgressions de la pudeur, les plus graves qu’on puisse imaginer – le viol et l’infidélité conjugale – et leurs répercussions aussi bien individuelles, que sociales. Une analyse approfondie de ces textes se révèle particulièrement intéressante car elle permet, d’une part, de « vérifier » la pertinence de la théorie philosophique par le moyen de l’application romanesque et, d’autre part, de faire ressortir clairement l’ambiguïté particulière de la pudeur, qui coïncide avec la complexité anthropologique de l’ « homme de l’homme » (ou, dans ce cas, la « femme de la femme ») en tant que créature morale et sociale.

Le point de départ des trois œuvres est l’adhésion des protagonistes – la noble matrone Lucrèce, la jeune femme du Lévite et Sophie – à la vertu de pudeur : elles sont toutes trois des épouses fidèles et, en ce qui concerne Lucrèce et Sophie, deux mères prévenantes. Cependant, alors que dans le cas de l’épouse d’Émile la pudeur est une inclination naturelle (du moins selon le récit du cinquième livre du traité sur l’éducation, dont les résultats seront mis à l’épreuve dans les Solitaires), dans le cas de Lucrèce et de l’épouse du Lévite, il semble tout à fait évident que la pudeur est aussi et surtout le produit d’un code social spécifique, expression d’une naturalité « seconde ». La noble matrone Lucrèce, première incarnation du mythe de l’antiquité romaine qui a beaucoup marqué l’imagination de Rousseau34, peut être considérée

également comme la première incarnation de la moralité féminine dans son œuvre35. 33 L’œuvre fut écrite lors du départ précipité de Montmorency pour éviter l’arrestation après la

condamnation de l’Émile en 1762.

34 Voir notamment Denise Leduc-Fayette, Rousseau et le mythe de l’antiquité, Paris, Vrin, 1974 ;

Ralph A. Leigh, « Jean-Jacques Rousseau and the Myth of Antiquity in the Eighteenth Century », dans Robert R. Bolgar (éd.), Classical Influences on Western Thought, a.d. 1650-1870, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, p. 155-180.

35 Pour un parallélisme entre la figure de Lucrèce et celle de Sophie voir Maria Leone, «

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Jadis fiancée à Sextus, fils de l’usurpateur Tarquin le Superbe, Lucrèce a épousé le pusillanime Collatin sur l’ordre de son père, Lucrétius, gouverneur de Rome. En dépit d’une vertu granitique, elle éprouve pour Sextus une passion inavouée qu’elle s’efforce de combattre, effort d’autant plus nécessaire que Sextus a placé auprès d’elle la servante Pauline, afin de l’induire en tentation. Lucrèce évite toute distraction et tout contact avec la société, acceptant la distinction rigide – qui sera, au moins partiellement, reprise dans l’Émile – entre le monde féminin, privé et « passif », et le monde masculin, caractérisé au contraire par l’action en public; cette distinction rappelée par Lucrèce elle-même: « Pour moi je n’aurai jamais besoin d’autre société pour mon bonheur ni d’autre estime pour ma gloire que celle de mon époux, de mon père et de mes enfants » (ET-OC, XVI, p. 317) et confirmée plus loin : « La femme la plus digne d’estime est celle dont on parle le moins, même pour la louer » (ibid.).

La valeur de « supplément » que prend la pudeur émerge ici clairement ; elle se charge, cependant, d’une ambiguïté beaucoup plus marquée par rapport à ce qu’écrit Rousseau, presque simultanément, dans le Discours sur l’inégalité. Si, dans la tragédie, la pudeur est caractérisée principalement comme limitation morale de l’amour physique (la passion pour Sextus), elle paraît condamner la femme au malheur, au nom des conventions sociales – dans ce cas, les sentiments de la jeune fille opposés aux ordres du père. Lorsque Sextus rencontre enfin secrètement Lucrèce, celle-ci est contrainte de choisir entre le devoir et l’amour : elle préfère être violée par Sextus, plutôt que vivre sans honneur. La violation, bien qu’involontaire, du code de la pudeur ne peut trouver sa réparation que dans la mort : Lucrèce se suicide pour sauver son honneur et celui de sa famille, tandis que son ami Brutus, sur la vague de l’émotion suscitée par la fin dramatique de cette femme courageuse, guide la révolte populaire qui conduit à l’expulsion de Tarquin le Superbe et à la naissance de la res publica.

La violation de la pudeur est ici non seulement clairement imputable à la société, non à la femme, mais elle devient aussi un outil fondamental pour la « régénération » morale de la société elle-même. C’est paradoxalement la pudeur de Lucrèce, sentiment privé par excellence et apparemment impolitique, qui assure la transition de la tyrannie monarchique – exemple d’une société fondée sur l’arbitre et sur l’inégalité – à une république juste et fraternelle36.

Le lien indissoluble entre pudeur et société, ainsi que la valeur intrinsèquement politique de la pudeur, est réaffirmé et approfondi dans Le Lévite d’Ephraïm, poème en prose divisé en quatre chants, inspiré par l’épisode biblique raconté dans les trois derniers chapitres du livre des Juges37. La pudeur de la femme est dans ce cas violée

31-48.

36 Sur la valeur politique de la tragédie de Rousseau, voir Melissa M. Matthes, The Rape of

Lucretia and the Founding of Republics : Readings in Livy, Machiavelli and Rousseau, University

Park, Pennsylvannia State University Press, p. 99-116.

37 Sur ce texte, voir Aubrey Rosenberg, « Rousseau’s Lévite d’Ephraïm and the Golden Age », The

Australian Journal of French Studies, 1978, 15, p. 163-172 ; Thomas M. Kavanagh, « Rousseau’s Lévite d’Ephraïm : Dream, Text and Synthesis », Eighteenth Century Studies, 1982-1983, 16, p.

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par un choix délibéré du mari, qui sacrifie sa bien-aimée pour accomplir son devoir social d’hospitalité. Le Lévite et sa femme, en voyage de Bethléem à la montagne d’Éphraïm, sont obligés, à cause de l’obscurité, de passer la nuit à Gabaa, ville de la tribu de Benjamin. Là, le seul à leur offrir l’hospitalité est un vieillard, lui-même originaire d’Éphraïm. Lorsque, pendant la nuit, des Benjamites viennent chercher le Lévite pour le sodomiser, le vieillard, pour le sauver, leur offre sa propre fille, encore vierge. Alors, le Lévite « prévient le généreux vieillard, s’élance au-devant de lui, le force à rentrer avec sa fille, et prenant lui-même sa compagne bien aimée, sans lui dire un seul mot, sans lever les yeux sur elle, l’entraîne jusqu’à la porte, et la livre à ces maudits » (ET-OC, XVII, p. 187). Après une nuit de sévices, la jeune femme meurt. Le Lévite, déchiré par la douleur, découpe son corps en douze morceaux qu’il envoie aux douze tribus d’Israël, réclamant vengeance.

Dans ce cas également, la violation de la pudeur conduit à un bouleversement politique : au démembrement du corps de la jeune femme correspond le démembrement du corps social, déchiré par une guerre fratricide. Le peuple d’Israël, ayant vaincu la tribu de Benjamin, se trouve dans une situation aporétique : il est déchiré entre la nécessité de suivre un idéal de justice spécifique, lié à l’accomplissement de la loi sacrée qui a uni les douze tribus (le serment étant de ne donner aucune jeune fille d’Israël en épouse aux hommes de la tribu de Benjamin), et un idéal de pitié et d’humanité au sens large, qui entend prévenir l’extinction de l’une des Tribus38.

Un vieillard de Lebona suggère un moyen pour surmonter l’aporie – choix fortement critiqué par les lectures féministes39 : il propose de faire enlever par les

Benjamites les vierges, parmi lesquelles se trouve sa fille, qui s’étaient rendues à une fête du Seigneur à Silo. Toutefois, dès que la suggestion est mise en acte, l’assemblée se trouve de nouveau divisée entre l’engagement pris envers les Benjamites et les revendications des parents des jeunes filles ou – pour ainsi dire – entre la défense de la naturalité de la pudeur féminine et la nécessité d’établir son entière sociabilité. Quand toutes les jeunes femmes font retour vers leurs familles et leurs fiancés légitimes, rendant ainsi définitivement vaine toute possibilité de régénération de la tribu des Benjamites, un nouveau personnage apparaît, Axa, fille de celui qui avait projeté l’enlèvement.

L’introduction de ce nouveau personnage féminin, sorte de « dédoublement » littéraire de la femme du Lévite, représente non seulement l’authentique élément d’originalité de ce récit par rapport à la narration vétérotestamentaire, il permet aussi

141-161. Je me permets aussi de renvoyer, pour des renseignements bibliographiques supplémentaires, à Marco Menin, « La fin de l’innocence. Une lecture du Lévite d’Ephraïm de Jean-Jacques Rousseau », Études Jean-Jean-Jacques Rousseau, 2010-2011, 18, p. 203-225.

38 Jean-François Perrin, « La régénération de Benjamin : du Lévite d’Éphraïm aux Confession »,

dans Jacques Domenech (éd.), Autobiographie et fiction romanesque : autour des « Confessions »

de Jean-Jacques Rousseau, Nice, Publications de la faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines

de Nice, p. 45-57.

39 Voir surtout Judith Still, « Rousseau’s Lévite d’Ephraïm : The Imposition of Meaning (on

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de saisir l’essence morale de la pudeur pour Rousseau. Le personnage d’Axa – exactement comme celui de Lucrèce – élève la figure féminine, d’instrument passif, simple victime de l’homme, à la dimension héroïque du choix éthique. La jeune fille a totalement intériorisé et sacralisé le concept de devoir, elle a pleinement conscience que la création d’une société vraiment juste, c’est-à-dire une société qui soit en mesure de garantir la protection de chaque individu – comme cela ne s’est pas produit pour le Lévite et sa compagne – exige le respect de la pudeur : « Béni soit le Dieu de nos pères : il est encore des vertus en Israël » (ET-OC, XVII, p. 198). Ce texte dégage clairement la spécificité de la morale féminine qui n’est pas subordonnée à la morale masculine, mais qui a la même dignité – comme le rappelle une affirmation du Lévite : « Sexe toujours esclave ou tyran, que l’homme opprime ou qu’il adore, et qui il ne peut pourtant rendre heureux ni l’être, qu’en le laissant égal à lui » (ET-OC, XVII, p. 195).

Dans la perspective du supplément moral, qui est intrinsèque à la pudeur dans ce deux minora, on peut mieux comprendre l’oscillation, parfois déroutante, entre naturalité et conventionalité, qui caractérise la pudeur aux yeux de Rousseau. La « naturalité » à laquelle il se réfère ne doit pas être entendue dans un sens historique et absolu, mais dans un sens social, c’est-à-dire lié au processus de perfectibilité. Comme toutes les manifestations de la liberté dans l’uniformité de l’état de nature (on peut faire référence à la raison ou à l’imagination), la pudeur peut être bonne ou mauvaise. Elle peut élever l’être humain bien au-delà de la condition originelle, comme elle peut le faire retomber. Cet aspect est particulièrement évident dans le troisième minora qui dépeint la violation de la pudeur, à savoir Émile et Sophie, ou les Solitaires.

Les Solitaires sont une œuvre énigmatique qui a longtemps été un casse-tête pour la critique, parce qu’elle semble remettre en question le projet éducatif réduit, en apparence, à un échec lamentable40. L’ouvrage – publié à titre posthume en 1780 – est

composé de deux longues lettres écrites par Émile, prisonnier volontaire sur une île déserte, à son ancien précepteur. Le protagoniste y raconte la dissolution de son mariage et ses vicissitudes de mari trahi. La vertueuse Sophie, bouleversée par la mort de ses parents et de sa fille, est victime d’une profonde mélancolie. Pour la distraire de son chagrin, Émile l’emmène à Paris. Ici le couple va se défaire rapidement et, au bout de deux ans, Sophie avoue sa faute : elle est enceinte d’un autre homme.

40 Parmi les nombreuses contributions sur cet ouvrage, voir Guy Turbet-Delof, « À propos d’Émile

et Sophie », Revue d’histoire littéraire de la France, 1964, 64, 1, p. 44-59 ; Charles Wirz, « Notes

sur Émile et Sophie, ou les Solitaires », Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, 1963-1965, 36, p. 291-303 ; Raymond Trousson, « Rousseau et le roman de l’épreuve: Émile et Sophie »,

Hebrew University Studies in Literature and the Arts, 1983, 11, p. 18-37 ; Frédéric S. Eigeldinger, «

Histoire d’une œuvre inachevée : Émile et Sophie, ou les Solitaires », Annales de la Société

Jean-Jacques Rousseau, 1992, 40, p. 153-183 ; Id., Présentation, dans Jean-Jean-Jacques Rousseau, Émile et Sophie, ou les Solitaires, Paris, Champion, 2007, p. 7-50 ; Éric Gatefin, « De la difficulté de

conclure l’Émile : entre clôture théorique et ouverture romanesque », Annales de la Société

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La trahison de Sophie, qui en apparence discrédite la possibilité même de la morale féminine (« Ah ! si Sophie a souillé sa vertu, quelle femme osera compter sur la sienne ? » ET-OC, VIII, p. 1074-1075), confirme en réalité la « duplicité » morale de la pudeur, déjà évoquée dans une déclaration prophétique de l’Émile : « La femme n’a-t-elle pas les mêmes besoins que l’homme, sans avoir le même droit de les témoigner ? Son sort serait trop cruel, si, même dans les désirs légitimes, elle n’avait un langage équivalent à celui qu’elle n’ose tenir. Faut-il que sa pudeur la rende malheureuse ? » (ET-OC, VIII, p. 870).

Dans la suite de l’histoire – rapportée par Bernardin de Saint-Pierre41 – on

apprend les véritables raisons qui ont conduit Sophie à violer le code de la pudeur. Délaissée par Émile, elle a été victime des manigances d’une femme perfide qui lui a présenté un jeune homme malheureux par amour. Attendrie, elle s’est perdue sans avoir vraiment trahi. L’introduction de la figure de la mauvaise conseillère – semblable aux dames de Paris rencontrées par Saint-Preux dans la Nouvelle Héloïse ou, plus précisément, à la méchante marquise des Amours de Milord Édouard Bomston42 – montre avec clarté la différence entre la socialité de la pudeur et sa

dégénérescence, imputable à la conventionalité. Si la pudeur dégénérée est expression de l’égoïsme et de l’amour propre, la véritable pudeur se caractérise – pour reprendre les mots de Julie – comme l’unique forme véritable de l’amour : « Je ne connais point d’amour sans pudeur » (ET-OC, XIV, p. 296). C’est ainsi la pudeur qui donne pleine liberté à l’amour, liberté consistant, paradoxalement, dans la restriction volontaire de la liberté même. C’est pour cette raison, que la pudeur peut être considérée comme une conciliation parfaite entre l’ordre moral et l’ordre physique, comme « une sorte de mémoire diffuse dans le corps qui se souvient de cet ordre juste que déterminait la nature originelle »43.

Dans cette perspective, la pudeur « regagnée » par Sophie est infiniment supérieure au simple instinct « naturellement » donné ; elle est, en fait, un choix moral difficile et conscient, sans cesse réaffirmé : « Que de dangereuses victoires n’a-t-elle pas à remporter tous les jours sans autre témoin de ses triomphes que le Ciel et son propre cœur ? » (ET-OC, VIII, p. 1087). C’est la raison pour laquelle on peut, sans contradiction, soutenir que la pudeur qui caractérise Sophie est naturelle par rapport au sentiment artificiel (et donc dégénéré) des dames de Paris, mais elle est dérivée – car il s’agit de toute manière d’un code social – par rapport à l’état de nature, dans lequel il n’y a en réalité aucune forme véritable de moralité.

41 Voir Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre, La vie et les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau,

éd. par Raymond Trousson, Paris, Champion, 2009, p. 183-186.

42 Dans cette histoire, située quelques années avant les événements rapportés dans La Nouvelle

Héloïse, Milord Edouard rencontre à Rome une artificieuse marquise qui, connaissant l’horreur de

l’Anglais pour l’adultère, se fait passer pour veuve. Bien que vivement épris, apprenant la vérité Edouard refuse tout commerce avec elle. La marquise, pour le corrompre, lui offre une courtisane, Lauretta. La jeune « fille publique » a en réalité une âme sensible et tombe amoureuse d’Edouard. Par amour, Lauretta change d’existence (elle devient pensionnaire dans un couvent) et regagne la vertu : « La pudeur éteinte était revenue avec l’amour et Laure n’avait jamais prodigué sa personne avec tant de honte qu’elle en eut d’avouer qu’elle aimait »(ET-OC, XV, p. 1303).

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***

Marquant l’accès de l’individu isolé à son nouveau statut d’être social et moral44, l’ « économie » de la pudeur tresse des relations élaborées entre les sexes,

bien illustrées par l’exemple des minora. D’un côté, la pudeur semble destinée à préserver la santé et la liberté de l’homme, en subordonnant, pour ainsi dire, la femme ; d’une autre côté, en revanche, elle confirme la puissance invincible de la faiblesse féminine, consistant précisément dans sa plus grande proximité à l’état de nature, par rapport à la rationalité typique du mâle.

La pudeur, qui fait vivre la femme dans un monde réservé et privé, peut donc être interprétée comme une forme analogique de l’autonomie de l’état de nature, comme une transcription dans l’ordre social de la solitude originelle. C’est la raison pour laquelle, comme l’indique une note en bas de page du Discours sur l’inégalité, « les hommes seront toujours ce qu’il plaira aux femmes ; si vous voulez donc qu’ils deviennent grands et vertueux, apprenez aux femmes ce que c’est que grandeur d’âme et vertu. L’empire des femmes sur les hommes n’est point à elles, parce que les hommes l’ont voulu, mais parce qu’ainsi le veut la nature » (ET-OC, IV, p. 420). Rousseau reprendra le même jugement quelques années plus tard, dans une lettre à Lenieps : « Par tout pays les hommes sont ce que les femmes les font être, cela est forcé, cela est inévitable, c’est la loi de la nature. Pour bien philosopher sur les mœurs il ne faut jamais séparer les sexes, car elles dépendent toujours de leur liaison »45.

En conclusion, selon Rousseau, toutes les tentatives pour comprendre l’être humain en général doivent inévitablement prendre en compte la complexité et l’ambivalence de la nature féminine ; bien plus, comme nous le rappelle une formule surprenante de la Lettre à d’Alembert (qui réfute fermement la superficialité de nombreuses interprétations féministes) il faut partir de la nature féminine : « Voulez-vous donc connaître les hommes ? Étudiez les femmes » (ET-OC, XVI, p. 565)46.

Marco Menin

Université de Turin, Italie

44 « L’homme n’est point un chien ni un loup. Il ne faut qu’établir dans son espèce les premiers

rapports de la Société pour donner à ses sentiments une moralité toujours inconnue aux bêtes. Les animaux ont un cœur et des passions ; mais la sainte image de l’honnête et du beau n’entra jamais que dans le cœur de l’homme » (ET-OC, XVI, p. 569).

45 Lettre à Lenieps, 8 novembre 1758, dans Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau,

éd. par Ralph A. Leigh, Genève-Oxford, Institut et Musée Voltaire-The Voltaire Foundation, 1967, t. V, p. 213.

46 Une première version plus synthétique de ce texte est parue, en italien, dans la revue Spazio

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