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DANS LES PRATIQUES THÉÂTRALES ITALIENNES (1965-2005)

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SCUOLA NORMALE SUPERIORE DI PISA UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE – PARIS III

CLASSE DI LETTERE E FILOSOFIA ECOLE DOCTORALE 267 – ARTS ET MEDIAS

Tesi di Perfezionamento / Thèse de doctorat Disciplines :

Discipline filologiche e linguistiche moderne / Etudes Théâtrales, esthétiques, sciences de l'art

Auteur Erica MAGRIS

THÉÂTRES ÉLARGIS :

LES TECHNOLOGIES AUDIOVISUELLES

DANS LES PRATIQUES THÉÂTRALES ITALIENNES (1965-2005)

Thèse dirigée par

Maria Ines ALIVERTI (Università di Pisa) Béatrice PICON-VALLIN (ARIAS-CNRS Paris)

Soutenue à Pise, le 9 décembre 2009

Jury :

Maria Ines ALIVERTI (Università di Pisa)

Lina BOLZONI (Scuola Normale Superiore di Pisa) Joseph DANAN (Université Paris III)

Béatrice PICON-VALLIN (ARIAS-CNRS Paris)

Didier PLASSARD (Université Rennes II – Haute Bretagne) Valentina VALENTINI (Università "La Sapienza" di Roma)

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Remerciements

Les personnes qui m'ont suivie et supportée pendant le parcours qui a mené à cette thèse ont été nombreuses et il n'est pas facile de les citer toutes en quelques lignes. Je souhaite remercier d'abord Mme Lina Bolzoni pour la confiance et la liberté qu'elle m'a accordées au sein du cours de perzionamento de la Scuola Normale, ainsi que mes directeurs, Mme Maria Ines Aliverti et Mme Béatrice Picon-Vallin, pour leurs conseils, leurs réflexions et leur encouragement constant. Un remerciement particulier va aussi aux artistes qui ont accepté de répondre à mes question et qui m'ont laissé observer leur travail, ainsi qu'aux responsables des archives que j'ai consultées pour leur disponibilité et leur compétence. Je tiens à remercier aussi mes amies françaises – Bénédicte Goinard, Hélène Drouet, Virginie Le Sénéchal, Melissa Van Drie – pour leurs relectures, et en particulier Aude Clément dont le regard attentif, subtil et patient a été indispensable dans la phase de rédaction et de correction du texte. Enfin, j'exprime ma reconnaissance à tous ceux qui m'ont aidée et soutenue pendant ces années, Francesco Belardinelli et ma famille, les amis de Pise pour leurs échanges toujours stimulants et ceux de Gênes pour leur affection qui, même à distance, a toujours été présente.

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Résumé

Cette thèse se propose d'analyser les enjeux de l'utilisation théâtrale des technologies audiovisuelles par l'étude du théâtre italien des quarante dernières années. L'Italie occupe en effet une position particulière dans le paysage théâtral européen : berceau du théâtre moderne, elle possède une tradition théâtrale spécifique qui a produit des réactions uniques lors de sa rencontre avec la mise en scène européenne. Dans les années soixante, l'éclosion des pratiques expérimentales a conduit à l'élaboration d'une culture théâtrale nouvelle dans laquelle les technologies de l'image et du son jouent un rôle important. Pour comprendre ces phénomènes, nous avons porté notre attention sur l'histoire des mouvements, sur les conditions de production et de diffusion et sur le rôle de la critique, que nous avons combiné avec l'analyse de nombreuses créations variées (spectacles, œuvres télévisuelles, vidéos), en essayant de comprendre l'évolution des motivations, des conjonctures et des résultats du rapport des hommes de théâtre avec les technologies. Nous avons ainsi construit un parcours historique organisé en quatre périodes (1965-1978; 1979-1989; 1990-1998; 1999-2005) qui met en évidence les transformations survenues dans les dispositifs technologiques utilisés (analogiques, électroniques et numériques) et dans les attitudes adoptées par les artistes. Cette reconstruction nous a montré que les technologies engendrent un phénomène d'élargissement du champ théâtral, de déplacement de la scène, de multiplication et de déstabilisation des pratiques théâtrales. Ainsi, les technologies se sont révélées non seulement comme un phénomène esthétique particulier, mais aussi comme une clé pour comprendre le théâtre contemporain.

Mots clés

Théâtre contemporain (1965-2005); Italie; technologies audiovisuelles; expérimentation artistique.

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Expanding Theatres: audiovisual technologies in Italian theatre practices (1965-2005)

Abstract

The purpose of this dissertation is to analyse the issues pertaining to the theatrical use of audiovisual technologies by Italian theatre, in the course of its experimentation and research over the last forty years. Effectively, Italy occupies a noteworthy position in the European theatrical landscape. Cradle of modern theatre, it possesses a specific theatrical tradition, which upon its encounter with European staging practices (mise en scène) produced unparalleled reactions. During the 1960s, the blossoming of experimental practices lead to the elaboration of a new theatre culture in which visual and sound technologies had an important role. In order to understand these phenomena, we focused on the history of different artistic movements, on the conditions of production and diffusion and on the role of theatre criticism. In combining these aspects with a prolonged analysis of numerous, varied creations (theatre performances, television productions, videos), we attempted to understand the evolution of the motivations, conjunctures, and outcomes of the relation between theatre creators and the technologies. We thus organised the dissertation chronologically, in four periods (1965- 1978; 1979-1989; 1990-1998; 1999-2005), which clearly denote the main developments of the technological devices used (analogue, electronic, digital) and of the attitudes adopted by artists. This reconstruction illustrated that the technologies engender an expansion of the field of theatre, the displacement of the stage, the multiplication and the destabilisation of theatre practices. The technologies were revealed not only as a remarkable esthetical phenomenon, but also as a key for understanding contemporary theatre.

Keywords

Contemporary theatre (1965-2005); Italy; audiovisual technologies; experimental practices.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ...9

I. FONDATIONS ... 27

1. UNE CARTOGRAPHIE DU SYSTÈME THÉÂTRAL ITALIEN... 29

2. EXPÉRIENCES MARQUANTES ENTRE THÉÂTRE, LITTÉRATURE ET CINÉMA... 47

3. PRINCIPES PRAGMATIQUES ET THÉORIQUES ENTRE CRÉATION ET INTERPRÉTATION.. 71

II. ORIGINES : LA CONTAMINATION DIFFUSE (1965-1978)... 89

1. LA FASCINATION POUR LES TECHNOLOGIES... 91

2. SCÈNES OUVERTES ENTRE THÉÂTREPUBLIC ET EXPÉRIMENTATION : SONS ET IMAGES ENTRE CINÉMA ET ÉLECTRONIQUE... 105

3. LE THÉÂTRE DE L'IMAGE : LE CINÉMA DE L'INCONSCIENT... 141

4. CHEMINS CROISÉS DE LA VIDÉO ENTRE L'INSTITUTION ET LA PIAZZA... 157

III. ÉCLOSIONS : LA SPÉCIALISATION TECHNOTHÉÂTRALE (1979-1989) ... 197

1. L'ÉPOQUE DU POSTMODERNE... 199

2. LA NOUVELLE ALLIANCE ENTRE LE THÉÂTRE ET LES MASS-MÉDIAS... 207

3. DE LA NUOVA SPETTACOLARITÀ AU VIDEOTEATRO : LES CONTEXTES... 225

4. LES PRATIQUES MULTIPLES DU VIDEOTEATRO... 239

5. UNE VEINE PARALLÈLE : LA VOIX ET LA PAROLE... 265

IV. TRANSITIONS : DE LA "NORMALISATION" AU GERME DU NOUVEAU (1990-1998)... 275

1. L'ESSOR DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET LA POSITION DE L'ITALIE... 277

2. LE MILIEU THÉÂTRAL : "NORMALISATION" ET DÉPAYSEMENT... 295

3. UN CAS EMBLÉMATIQUE : GIORGIO BARBERIO CORSETTI... 317

4. CORPS, SENS, ESPACES, RÉCITS : EXPÉRIENCES EXTRÊMES DU THÉÂTRE... 331

5. L'AFFIRMATION D'UNE SYNERGIE RENOUVELÉE: LA "GÉNÉRATION 90"... 347

V. TENDANCES ACTUELLES ENTRE INNOVATION ET TRADITION: L'ESSOR DU NUMÉRIQUE (1999-2005)... 355

1. UN DÉSIR RENOUVELÉ DENGAGEMENT ET PARTICIPATION... 357

2. LES CONTEURS ENTRE COMMUNICATION ET INTERACTIVITÉ... 375

3. L'ÉLARGISSEMENT NUMÉRIQUE DE LA CRÉATION : LE "PROJET MULTITHÉÂTRAL" . 399 4. TRANSCODIFICATIONS ET DISPOSITIFS : PAGE, ÉCRAN, SCÈNE... 423

5. APPROCHES ISOLÉES DU NUMÉRIQUE EN TANT QU'OBJET DRAMATURGIQUE... 441

VI. ÉVALUATIONS, QUESTIONNEMENTS, PERSPECTIVES : UN REGARD SYNCHRONIQUE ... 455

1. UN BILAN PROVISOIRE : IDENTITÉ ET POINT DE VUE DES ARTISTES... 457

2. LES TECHNOLOGIES COMME DÉCLENCHEURS DE CHAMPS DE TENSION... 493

3. MÉTAMORPHOSES DE LA MISE EN SCÈNE : LE DÉVELOPPEMENT D'UNE LOGIQUE DU THÉÂTRE DIFFÉRENTE... 515

CONCLUSION ... 529

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BIBLIOGRAPHIE...539

ANNEXES ...643

1. TABLEAUX ...645

A. TABLEAU CHRONOLOGIQUE...647

B. LISTE DES PUBLICATIONS ITALIENNES DE ET SUR LE LIVING THEATRE, JERZY GROTOWSKI, EUGENIO BARBA...677

C. LISTE DES VIDÉOS RÉALISÉES ENTRE 1979 ET 1989 ...681

D. LE TEATRO DI NARRAZIONE ET LES MÉDIAS...685

2. TEXTES ET DOCUMENTS ...695

A. LE MANIFESTE DU CONVEGNO DI IVREA, 1967...697

B. PRÉSENTATION DU FESTIVAL RICCIONE TTVV, 1985...699

C. ENTRETIEN DE GIORGIO BARBERIO CORSETTI AVEC OLIVIERO PONTE DI PINO....701

D. "LA CAMERA CONCRETA" DE GIORGIO BARBERIO CORSETTI...713

3. FICHES ...715

A. FICHES BIBLIOGRAPHIQUES DES REVUES THÉÂTRALES ITALIENNES PRINCIPALES..716

B. FICHES BIOGRAPHIQUES DES ARTISTES (INDIVIDUS ET COMPAGNIES) ET DES CRITIQUES PRINCIPAUX...737

C. FICHES DES CRÉATIONS ANALYSÉES...763

INDEX SÉLECTIF DES NOMS CITÉS...783

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INTRODUCTION

L' "inquiétante étrangeté" éprouvée en regardant le gros plan du visage de Carmelo Bene-Hamlet se détacher du fond blanc, immatériel et étincelant d'un écran télévisuel, en écoutant son monologue délirant, sa voix déformée, en essayant de saisir le sens du montage des plans se succédant rythmiquement, accompagnés par des airs d'opéra;

l'éblouissement et le plaisir ludique suscités par les moniteurs déferlant sur les scènes de Giorgio Barberio Corsetti, qui deviennent des objets virevoltants, des praticables, des cages pour les comédiens, des véritables personnages; la répulsion immédiate et la fascination secrète face à l'inspection d'une caméra que la Socìetas Raffaello Sanzio fait pénétrer dans le corps de l'acteur, dans son nez, dans sa gorge, pour nous montrer le mouvement de ses cordes vocales; la sensation paradoxale d'appartenir à une communauté en écoute, à un vrai public, tout en étant à la maison, devant la télévision, en observant Marco Paolini, débout parmi une foule de spectateurs attentif, raconte l'une de nombreuses tragédies évitables qui sillonnent l'histoire italienne : ce sont là des émotions intenses qui ont marqué profondément notre parcours de spectateur et notre réflexion d'étudiante en études théâtrales. Très différentes entre elles, les œuvres qui les ont provoquées ont en commun l'usage d'éléments médiatisés, présentés à travers le filtre d'un média – sonore ou visuel –, qui troublent les coordonnées de l'hic et nunc théâtral et du face-à-face entre les acteurs et les comédiens. Les questionnements que ces créations soulevaient nous apparaissaient alors essentiels : pourquoi étaient-elles capables de susciter des sentiments si forts et contradictoires d'inquiétude, d'étrangeté, de stupeur et de participation? Pourquoi leur attribuions-nous, spontanément, une qualité théâtrale? D'où venait-elle?

En 1998, en introduisant l'ouvrage Les écrans sur la scène, voué justement à étudier le rapport entre les technologies de l'image et le théâtre, Béatrice Picon-Vallin posait la question de manière plus provocatrice et radicale :"Ce que l’on désigne par l'appellation mal contrôlée de "spectacle vivant" est-il bien toujours un spectacle avec des acteurs vivants, en chair et en os? […] Et n' y aurait-il pas de "spectacle vivant" possible aujourd'hui sans acteurs présents sur le plateau, réellement présents […]?"1. Dans ce

1 PICON-VALLIN, Béatrice, "Hybridation spatiale, registres de présence", in PICON-VALLIN (dir.), Les écrans sur la scène, Lausanne, l'Age d'Homme, 2009 [1998], p. 9.

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volume, Picon-Vallin recueillaient des études importantes qui considéraient la variété et la richesse de ces pratiques actuelles de l'hybridation du théâtre.

En fait, l'utilisation théâtrale des dispositifs technologiques – écrans, images enregistrées et filmées en direct, microphones et de systèmes de spatialisation du son, dispositifs multimédias interactifs – même si elle est adoptée par un nombre d'artistes de plus en plus grand, en composant un paysage théâtral varié, en mutation permanente, est souvent perçue comme nouvelle et inédite. Elle possède pourtant une longue histoire.

Les techniques pour créer des illusions optiques et sonores, les machineries confondant les perceptions des spectateurs et provoquant leur émerveillement accompagnent l'

"invention" du théâtre moderne à la Renaissance, et, ensuite, au XIXe, déterminent des pratiques du spectaculaire préludant l'affirmation de la mise en scène. Au XXe siècle, les technologies de reproduction du son et de l'image – le phonographe, la photographie et surtout le cinéma – s'insèrent dans le processus d'affirmation du théâtre en tant qu'art et deviennent des outils de travail pour le metteur en scène. Comme le dit Béatrice Picon-Vallin à propos de Meyerhold et de son spectacle La Terre cabrée (1923), dans lequel, pour la première fois, il utilise sur le plateau des projections cinématographiques :

[...] l'homme de théâtre se définit comme organisateur ou monteur des éléments constitutifs du spectacle. Il acquiert un pouvoir qui lui permet de se considérer comme auteur, non comme interprète. Le statut du théâtre se transforme à travers ce mode de création qui systématise une intervention technologique et idéologique non pas camouflée mais au contraire soulignée, sur les différents matériaux scéniques. Il rend le théâtre indépendant de la litterature, l’éloigne de la peinture et donne à l’acteur de multiples points d’appui, qui sont à la fois des matériaux et des partenaires entre lesquels s’organisent des relations, en vue d’effets précis et puissants sur le spectateur2.

Les technologies audiovisuelles ont donc contribué à la définition des instruments et des modalités opérationnelles de la mise en scène, et assument, dans les créations de nombreux "pères" de ce nouvel art – dont le Russe Meyerhold, l'Allemand Piscator, les Tchèques Burian et Honzl, qui fut aussi un grand théoricien de la composition scénique – des fonctions scénographiques et dramaturgiques. Les années vingt et trente, en Russie et en Allemagne, constituent en effet la première époque de déferlement des dispositifs technologiques sur les scènes théâtrales. Par la suite, comme l'observe de nouveau Béactrice Picon-Vallin, leur présence s'intensifie au cours de deux autres périodes, qui comme la première, correspondent à des moments de crise sociale et politique "où les frontières entre les arts du spectacle, comme entre les autres arts et

2 PICON-VALLIN, Béatrice, Meyerhold, "Les voies de la création théâtrale", v.17. Paris, Cnrs, 2004 [1990], p. 151.

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ceux de la scène, se font, à chaque stade de plus en plus poreuses"3 : les années soixante aux USA, avec les pratiques "intermédias", et à Prague avec les espaces psychoplastiques de Josef Svoboda; enfin les vingt dernières années du siècle, au cours desquelles les usages des technologies électroniques et numériques se sont multipliés au fur et à mesure de leurs progrès et de leur diffusion dans la société.

De nouvelles perspectives d'études se sont ainsi ouvertes, et, dans l'analyse des transformations survenues, les chercheurs ont généralement assumé un point de vue international et transversal en mettant en relation des expériences significatives (spectacles, parcours d'artistes) associées selon leur tupe de support, leur format, les dispositifs technologiques qu'elles utilisent. Actuellement, les créations impliquant les technologies numériques sont au centre de vastes projets de recherche, qui, par la collaboration entre chercheurs de différentes disciplines et les artistes, visent à analyser les transformations des concepts-clé de la théorie théâtrale : la présence, qu'elles tendent à troubler, à multiplier, à déplacer; la notion de représentation qui s'estompe dans l'action et l'expérience.

Pour creuser ces problématiques, nous avons choisi dans cette thèse une approche différente, en combinant trois critères, dont le premier tend à concentrer la perspective de notre étude, les autres deux à l'élargir : limiter le champ de l'observation à un seul pays, l'Italie; considérer des dispositifs audiovisuels de plusieurs typologies et au cours d'une période assez longue, comprenant les quarante ans qui séparent les années soixante du début du nouveau millénaire.

L'Italie : globalisation et tradition nationale

Dans l'ouvrage dirigé par Béatrice Picon-Vallin sur La scène et les images, Brunella Eruli consacre un essai particulièrement intéressant et "intriguant" au théâtre italien4. Eruli prend en considération plusieurs expériences réalisées à partir des années soixante, observe dans le détail les œuvres d'artistes pourtant très différents comme Mario Ricci, Giancarlo Nanni, Giuliano Vasilicò, Memé Perlini, Federico Tiezzi et Socìetas Raffaello Sanzio, et elle cite également les conteurs Dario Fo, Marco Baliani et Marco Paolini, et les compagnies expérimentales Motus, Fanny e Alexander, Teatrino Clandestino, le théâtre d'objet du Teatro del Carretto et Teatro Gioco-Vita : dans la

3 PICON-VALLIN, "Hybridation spatiale", cit., p. 14.

4 ERULI, Brunella, "Dire l'irreprésentable, représenter l'indicible", in PICON-VALLIN (dir.), La scène et les images, Paris, CNRS, 2002, pp. 297-319.

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diversité de ces pratiques théâtrales, elle repère des orientations communes "réceptives à la dimension poétique et musicale de la parole"5 et fondées sur "un langage théâtral visuel" opposé aux "implications idéologiques de la parole écrite et contre l'invasion de messages politiques qui affectait le théâtre de texte dont la version bourgeoise, tout comme la branche brechtienne, devenaient des exemples à fuir"6. Ce refus du sens logique et linéaire et cette attention portée sur la sensorialité du théâtre – la sonorité de la voix et la composition visuelle de la scène – produisent selon Eruli un court-circuit entre parole et représentation : "dans l'espace de la scène, nourries de la même incertitude, la parole et l'image se relaient et échangent leurs rôles : l'image contient le non-dit, la parole montre les couches obscures de l'image"7. Comme Eruli le suggère, ces pratiques de l'indicible et de l'irreprésentable se servent souvent de dispositifs audiovisuels qui déforment les sons et qui fragmentent l'espace scénique, en accentuant l'implication sensorielle du spectateur. Nous avons voulu creuser ce lien, en restreindrant notre recherche aux scènes italiennes pour observer les retombées d’un facteur de globalisation comme les technologies audiovisuelles dans le cadre d’une tradition nationale spécifique. La réflexion esthétique sur l'utilisation de l'hybridation technologique a été ainsi unie à l'étude historique du théâtre italien dans son contexte culturel, politique et socio-économique.

La "rédecouverte" d'un système théâtral particulier

Bien qu’appartenant au milieu italien, nous avons voulu adopter un regard distancié, de façon à l'interroger, à le comprendre et à l'expliquer comme si nous venions de le découvrir. Le cadre de la cotutelle nous a aidée : la France et l'Italie ont en effet des systèmes et des cultures théâtrales proches mais discordants, parfois complémentaires, et le point de vue français a ainsi permis de porter un regard différent sur la réalité italienne. Pour reconstruire le contexte, nous n'avons pas seulement considéré l'histoire des spectacles et des mouvements, mais nous aussi l'économie et la sociologie du théâtre, les occasions de diffusion des créations, le rôle de la critique et le développement de la pensée sur le théâtre. Après avoir défini les caractères institutionnels, nous nous sommes interrogés sur l’existence d’éléments culturels spécifiques, susceptibles de créer un terrain favorable au dialogue entre les artistes de théâtre avec les problèmes et les langages des dispositifs audiovisuels. A partir de ce

5 ERULI, "Dire l'irreprésentable", cit., p. 297.

6 ERULI, "Dire l'irreprésentable", cit., p. 298.

7 ERULI, "Dire l'irreprésentable", cit., p. 319.

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travail documentaire et critique, basé sur la lecture d’ouvrages, sur l’analyse directe des sources et sur la participation personnelle aux débats actuels, nous avons tracé une

"cartographie" du système théâtral italien. L’organisation des scènes italiennes dans ses aspects à l'apparence les plus négatifs – comme l’absence d’une politique centralisée et le manque chronique de moyens économiques – qui s'accompagne à une forte influence de la critique, nous a semblé les ouvrir, au lieu de les appauvrir, à la variété et à l’inventivité dans les formes de l’organisation et de la création. Dans ce contexte, des expériences intellectuelles et théâtrales – Pier Paolo Pasolini, Carmelo Bene et les avant-gardes internationales des années soixante – ont marqué profondément le milieu italien et des principes du travail théâtral – l'écriture scénique et le laboratoire –, introduits par les artistes et développés par la critique militante dans les années soixante, ont constitué une culture théâtrale commune. Ces sujets sont traités dans la première partie de la thèse, qui vise ainsi à poser les "fondations" de notre analyse. Une fois déterminées les conditions dans lesquelles les pratiques théâtrales impliquant les technologies ont pu se développer, il fallait établir dans quelle perspective et avec quelle méthodologie les examiner.

Une méthodologie en devenir

Nous avons porté notre attention sur des pratiques multiples, réalisées par des supports radicalement différents – analogiques ou numériques, chimiques ou électroniques – pendant une tranche chronologique assez large sans choisir de leur appliquer au préalable une grille de catégories théoriques. Notre priorité a été la collecte et l’interprétation des documents. Toutefois, pour élaborer les questions que nous avons posées aux sources, nous nous sommes appuyée sur des points de repère théoriques et historiques qui ont constitué le cadre de notre réflexion : les études du Laboratoire sur les arts du spectacle du CNRS; les études nord-américaines sur les médias, en particulier celles de Marshall McLuhan, Jay David Bolter et Richard Grusin, Lev Manovich; et enfin les ouvrages italiens de Valentina Valentini, Anna Maria Sapienza, Andrea Balzola et Anna Maria Monteverdi. En Italie, un secteur des études théâtrales s'est occupé particulièrement des enjeux technologiques des scènes nationales8. En nous

8 Cf. VALENTINI, Valentina, Teatro in immagine. Volume primo: eventi performativi e nuovi media, Roma, Bulzoni, 1987; VALENTINI, Valentina, Teatro in immagine. Volume secondo: audiovisivi per il teatro, Roma, Bulzoni, 1987; SAPIENZA, Anna Maria, La tecnologia nella sperimentazione teatrale italiana, Napoli, Istituto Universitario Orientale, 1992; BALZOLA, Andrea - PRONO, Franco (dir.), La nuova scena elettronica. Il video e la ricerca teatrale in Italia, Torino, Rosenberg & Sellier, 1994; AMENDOLA, Alfonso, Frammenti d'immagine : scene, schermi, video per una sociologia della sperimentazione, Napoli, Liguori, 2006.

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insérant dans ce sillon, nous avons pris comme point de départ les documents que ces chercheurs avaient utilisées et les problématiques qu'ils avaient soulevées, en essayant par ailleurs d'élargir davantage le champ de l’étude aux expériences et aux contextes négligés pour des raisons chronologiques ou idéologiques.

L' examen pointu de l’annuaire du théâtre italien Il Patalogo, qui, à partir de 1979 recueille chaque année le répertoire de tous les spectacles présentés dans les salles italiennes dans la saison théâtrale précédente et des principales revues théâtrales italiennes nous a donné à ce propos un double résultat. D’une part, en décryptant les génériques et les photos des spectacles, en cherchant dans les comptes rendus des indices, en parcourant les listes des festivals, nous avons recueilli des données sur les occasions de production et de diffusion, ainsi que sur les œuvres. Progressivement, nous avons construit un répertoire de créations classées par genre (spectacles, films, adaptations télévisuelles, installations) et type de dispositifs utilisés en considérant aussi des cas particuliers où les technologies interviennent dans le processus de création et dans la conception du spectacle, même si au final, elles ne sont pas présentes sur la scène. De l’autre, l'examen des articles nous a éclairé sur les attitudes de la critique italienne. Une relation de simultanéité, entre le déferlement des œuvres et des manifestations d'un côté, et la richesse et la pertinence des publications de l'autre, est apparue. Face à cette correspondance quantitative et qualitative, nous avons donc établi que le rapport entre les artistes et les critiques est un aspect fondamental du développement des pratiques théâtrales technologiques qu’il fallait observer avec attention.

A partir de ce répertoire, nous avons commencé les recherches des documents. Nous avons alors dû faire face la dispersion des archives italiennes, que nous avons consultées dans plusieurs villes, dans des institutions théâtrales, des festivals, des bibliothèques : à Milan, nous avons consultés les archives du Piccolo Teatro, du Centro di Ricerca per il Teatro, et la bibliothèque de la Scuola d'Arte Drammatica Paolo Grassi;

à Bologne, la médiathèque du département de Musique et Spectacle de l'Università di Bologna; à Turin, le Centro Studi du Teatro Stabile; à Riccione, les archives du festival Riccione TTV; à Rome, la médiathèque du Centro Teatro Ateneo del'Università La Sapienza et le Centro Studi du Teatro Stabile. Les matériaux divers consultés, comprenant des esquisses, des photographies, des programmes de salles, des vidéos de créations scéniques ont confirmé l’abondance et la variété des pratiques du passé, et demandé l'élaboration de méthodes d’analyse adaptées aux objets de fois en fois

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examinés. Comme pour l’observation du système théâtral en général, ce travail d’historien a été combiné avec l’attention portée sur le contemporain. Car l’utilisation des technologies audiovisuelles est un phénomène du présent, en devenir continu et rapide.

L’attention au contemporain entre observation, participation et formation

Nous avons donc observé les mouvements et les initiatives actuels, en suivant plusieurs artistes, en les rencontrant et en les interrogeant sur leur travail. Parfois, nous avons participé personnellement à des initiatives. Au festival Riccione TTV de 2004, nous avons été membre de la commission de sélection du prix Italia pour la meilleure vidéo théâtrale en 2004, et entre 2004 et 2006 nous avons participé aux activités (stages et résidences de création) de l’association Xlab Videofactory d’Anna Maria Monteverdi et Andrea Balzola, consacrée à la réalisation des créations multimédias et à la diffusion d’une culture artistique du numérique.

Pour comprendre les enjeux des technologies, en particulier numériques, nous avons suivi des formations spécifiques, en France et en Italie : en 2004, à l'Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) à Paris, nous avons participé au stage Captation du mouvement pour la danse et le théâtre, centré sur les possibilités du logiciel Max MSP pour la coordination du mouvement avec des effets visuels et sonores; au laboratoire PERCRO-Perceptual Robotics de la Scuola Superiore Sant'Anna de Pise nous avons suivi le cours de spécialisation organisé par l'ingénieur Massimo Bergamasco sur les réalités virtuelles et sur les problèmes de la perception tactile; à la Scuola Normale Superiore, le cours de spécialisation Progettare su Web. Metodologie e Applicazioni (Projeter dans le Web. Méthodologies et applications, Cortona AR, 10-22 mai 2004) sur les possibilités ouvertes par l'Internet à la recherche et à la communication scientifique ; en avril 2005, à la Città del Teatro de Cascina (PI), nous avons participé à l’atelier de Giacomo Verde sur Hacker Teatro : dal Teleracconto al V- jing teatrale [Théâtre Hacker : du Télérécit au V-jing théâtral].

Ces activités multiples nous ont permis de prendre conscience des interrogations et des opportunités que l'utilisation des nouvelles technologies est en train de soulever dans les milieux scientifique, intellectuel, artistique et plus spécifiquement théâtral. Ainsi, nous avons pu comparer les différentes approches de ceux-ci et observer les modalités d'articulation du dialogue entre la science et l'art. Notamment, l'approfondissement des

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problèmes techniques concernant la mise en place par les scientifiques des environnements virtuels sensibles et des interfaces réglant la relation entre l'homme et la machine, nous a permis de mieux comprendre si et comment les artistes conçoivent l'usage de ces dispositifs en essayant d'interpréter ce qu'ils demandent des technologies et des techniciens qui les accompagnent. La question du rapport de l'artiste avec le scientifique et avec les moyens technologiques, la transformation des processus de travail nous ont donc paru des nœuds capitaux qu'il fallait essayer d'étudier aussi dans le passé, en vérifiant si l'évolution des technologies a transformé l'approche des artistes d'une part, et comment les artistes les ont à chaque fois pliés à leurs projets et à leurs visions de l'autre.

Un parcours historique entre fresque et détail

Dans l'ensemble des matériaux réunis, nous avons sélectionné un corpus de créations à analyser dans le détail, en décidant de porter notre attention tant sur des œuvres les plus abouties, déjà distinguées par la critique, comme le œuvres télévisuelles de Carmelo Bene, Luca Ronconi, Carlo Quartucci, et les spectacles de Giorgio Barberio Corsetti et du Studio Azzurro, que les échecs et les réalisations mineures, comme le Tecnoteatro de Giuseppe Bartolucci et Gabriele Oriani et les mises en scène de Franco Enriquez, qui tout de même ont contribué à créer l'histoire et à mettre en évidence ses contradictions et ses occasions manquées. En établissant des connexions entre les œuvres et les contextes, nous avons créé un parcours, qui n'a pas la prétention d'être complet, mais qui veut mettre en valeur les articulations majeures de la relation entre les scènes italiennes et les technologies au fil de l'histoire et que nous proposons d'interpréter par une périodisation en quatre phases correspondant aux quatre parties centrales de la thèse.

Au cours de ces périodes, celles qui se posaient e tant que technologies dominantes – le cinéma, la vidéo et ensuite le multimédia numérique – ont déclenché des réactions, des recherches et des pratiques particulières : de la "contamination diffuse" dans les années soixante et années soixante-dix, dans lesquelles l'audiovisuel traverse des milieux diverses et est à la base d'une multiplicité de créations qui se servent de supports différents, à la "spécialisation" technologique et générationnelle des années quatre- vingt; de la transition des années quatre-vingt-dix entre "normalisation" et retour aux sources du théâtre, aux nouvelles pratiques qui, dans la dernière décennie, ont réactivé les expériences du passé. Au niveau terminologique, nous avons essayé à chaque fois de mettre en valeur l'apparition des termes inédits – tels que tecnoteatro, teleteatro,

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videoteatro, scena elettronica [technothéâtre, téléthéâtre, vidéothéâtre, scène électronique] – dont l'invention correspond à l'exigence de définir les créations impliquant les technologies audiovisuelles. Cette diversification et instabilité linguistique indiquent la variabilité des approches et des pratiques, ainsi que la difficulté à les situer et à les décrire dans le paysage théâtral. Selon notre hypothèse, ces pratiques considérées comme "autres", "différentes", se situent effectivement dans un champ théâtral élargi, engendré par l'hybridation technologique.

La dernière partie de la thèse est justement consacrée à comprendre l'essence et les raisons de phénomène, dans une synthèse synchronique qui creuse les problématiques émergées au fil du parcours historique concernant la formation et les motivations des artistes, ainsi que les tensions touchant au statut phénoménologique et ontologique de la scène théâtrale et du théâtre en soi introduites par les technologies. Finalement nous avons essayé de comprendre si cet élargissement du champ théâtral a conduit a une modification structurelle de la logique théâtrale. Car, comme nos expériences de spectateurs nous l'avaient suggérées, nous croyons que les technologies audiovisuelles ne sont pas seulement un phénomène de l'esthétique théâtrale contemporaine intéressant et novateur qu’il faut interroger dans sa dimension historique, mais une clé pour comprendre les tendances, les possibilités et les apories du théâtre dans cette époque riche en expérimentations et en contradictions.

Avant de commencer ce parcours en six étapes il nous semble d'abord nécessaire de mieux motiver la pertinence du choix de l’Italie en précisant rapidement la position de ce pays dans le cadre du théâtre européen, à partir des origines de la mise en scène moderne jusqu’au seuil de la période que nous allons étudier.

Une premisse nécessaire : l' "anomalie" italienne

Par rapport à l'affirmation de la mise en scène moderne, le théâtre italien occupe dans le contexte européen une position particulière, déterminée par un ensemble de facteurs tenant tant d'héritages anciens que de vicissitudes contemporaines. Comme l'observe Claudio Meldolesi dans un ouvragre fondamental sur le théâtre italien au XXe siècle, la rencontre avec "la logique de la mise en scène historique" se réalise ainsi "dans des formes théoriques et productives si particulières" que les scènes italiennes vont ensuite se développer de manière "anomale"9. Dans les premières décennies du siècle, le milieu

9 MELDOLESI, Claudio, Fondamenti del teatro italiano: la generazione dei registi, Roma, Bulzoni, 20098 [Firenze, Sansoni, 1984], p. 3.

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théâtral italien est particulièrement intéressé par les innovations des metteurs en scènes européens, qui fréquentent assidûment les théâtres italiens. Edward Gordon Craig, Jacques Copeau et Max Reinhardt, travaillent souvent en Italie, en suscitant la curiosité du public et la discussion de la critique10. En 1906, Craig conçoit le décor pour la mise en scène de Rosmersholm de Ibsen jouée par Eleonora Duse au Teatro della Pergola à Florence, et, à partir de l'année suivante décide de s'installer dans la ville toscane. C'est là qu'il travaille à sa revue The Mask et, en 1913, fonde son école, dont la mise en place échoue à cause de la guerre. Par ailleurs, Reinhardt et Copeau interviennent en Italie avec une certaine régularité, avec des créations présentées à l'occasion du Maggio Fiorentino ou de la Biennale de Venise11. En 1934, l'Accademia d'Italia organise le Convegno Volta, des rencontres internationales sur le théâtre de masse et la politique théâtrale : Craig, Maeterlink, Hauptmann, Tairov, Copeau figurent parmi les intervenants. Cependant, ces contacts importants ont un impact limité dans les habitudes des scènes nationales, dont également les expérimentations les plus audacieuses – les soirées futuristes, la tentative de Luigi Pirandello d'animer le Teatro d'Arte (1925), et les recherches d'Anton Giulio Bragaglia sur la "maschera mobile" [masque mobile] et sur l'utilisation des lumières colorées au Teatro Sperimentale degli Indipendenti (1922- 1931) et ensuite au Teatro delle Arti (1937-1943) –n'aboutissent pas à transformer les rouages du système théâtral. Négligées par les intellectuels, qui généralement ne considèrent pas le théâtre comme une activité culturelle fondamentale12, et non suffisamment soutenues par la politique giolittienne (1903-1921) d'abord et fasciste par la suite, ces expériences se heurtent à l'importance que des acteurs liés au théâtre de tradition occupent dans le milieu théâtral et à la forme d'organisation dominante des compagnies itinérantes, compagnie di giro. Les troupes sont éparpillées sur le territoire

10 Sur les échanges internationaux et sur leur impact dans les premières trois décennies du siècle, Mirella Schino a récemment dirigé recherche ambitieuse qui vise à montrer l'ouverture et l'intérêt du milieu théâtral italien pour la mise en scène européenne. Une partie des documents analysés et des premières réflexions sont publiées in SCHINO, Mirella (dir.), L'anticipo italiano. Fatti, documenti, interpretazioni e testimonianze sul passaggio e sulla ricezione della grande regia in Italia tra il 1911e il 1934. Dossier, in Teatro e Storia, n°29, a. XXII, 2008, pp. 27-255. Précedemment, Maria Ines Aliverti a aussi contribué, avec ses articles, à éclairer pour la première fois la relation entre les scènes italiennes et le milieu théâtral européen, en particulier en se concentrant sur l'activité de Copeau en Italie.

11 Ces deux festivals internationaux, fondés en 1933 et en 1934 par des notables et intellectuels de Florence et de Venise, avalisées ensuite par le gouvernement central, sont l'héritage le plus fertile du fascisme et ils sont encore parmi les rendez-vous les plus importants de la vie culturelle nationale.

12 Come l'observent Mimma Gallina et Romano Luperini, historiquement le théâtre ne participe ni de la formation courante des classes dirigeantes ni de l'élaboration de l'identité collective, cette fonction étant plutôt exercée par l'opéra et, à partir des années vingt, par le cinéma. Cf. GALLINA, Mimma, Organizzare teatro, Milano, Franco Angeli, 2003; LUPERINI, Romano, Il Novecento. Apparati ideologici, ceto intellettuale, sistemi formali nella letteratura contemporanea, Torino, Loescher, 1981.

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national, gérées par un capocomico, réglées sur le système des rôles hérité de la tradition, et elles manquent de références institutionnelles fortes. On s'y transmet de génération en génération un savoir artisanal traditionnel centré sur la figure du comédien. La virtuosité et l'éclectisme du comédien garantissent en effet le succès auprès des publics auxquels les compagnies s'adressent dans leurs tournées, qui se différencient pour leurs habitudes, leur niveau social, leur culture, leurs dialectes. Ainsi, la tradition du grand acteur, quoique dans une stratification complexe d'attitudes artistiques et productives, demeure un caractère marquant du théâtre italien de la première moitié du XXe siècle. Pour cette raison, les compagnies résistent à l'introduction de la nouvelle figure du metteur en scène et au renouveau du répertoire dramatique.

C'est Silvio D'Amico, critique et écrivain proche de Pirandello et de Copeau, qui progressivement parvient à diffuser l'idée de la nécessité de la mise en scène. Mais il ne s'agit pas de la mise en scène expérimentale des pères fondateurs, mais d'une fonction d'harmonisation des différents éléments scéniques. D'Amico s'engage sur plusieurs fronts : il écrit dans les journaux, il fonde des revues théâtrales, et finalement, en 1935, il institue l'Accademia Nazionale d'Arte Drammatica, organisée selon un double cursus de jeu et de mise en scène. Les premières personnalités italiennes que l'on peut qualifier de metteurs en scène, qui travaillent à la fin des années trente, assument une "fonction équilibrante"13, visant à rationaliser les modalités de création et à interpréter correctement le texte dramatique.

La première fracture : "un théâtre d'art pour tous"

La deuxième guerre mondiale détermine une fracture historique et culturelle. Elle entraîne la chute du régime et la montée de la lutte partisane, à laquelle participent de nombreux intellectuels et artistes, qui, une fois le conflit terminé, aspirent au renouveau de la culture, fondé sur les idéaux de la Résistance : la démocratie, la liberté, l'engagement. La véritable fondation de la mise en scène italienne date de ce moment historique, et corresponde à l'institution du Piccolo Teatro de Milan en 1947 par deux jeunes engagés Paolo Grassi et Giorgio Strehler14.

13 L'expression est de MELDOLESI, Fondamenti del teatro italiano, cit., pp. 36-43.

14 Né en 1919 à Milan, avant la guerre Paolo Grassi découvre très jeune sa passion pour le théâtre, mais après une mise en scène réalisée en 1937, il décide de se consacrer à l'administration et à la critique. Il est administrateur de la compagnie Ninchi-Dori-Tumiati et participe à la fondation du mouvement avant- gardiste Palcoscenico. Pendant la guerre participe à la lutte partisane et devient collaborateur de la revue socialiste L'Avanti. Strehler, né près de Trieste deux ans après Grassi, grandit dans une faille où les

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L'ambition de ses fondateurs c'est de faire du théâtre un art capable d'atteindre le publi le plus large. Mario Apollonio, Paolo Grassi, Giorgio Strehler et Virgilio Tosi écrivent dans le document de présentation de la nouvelle institution :

Nous allons recruter nos spectateurs, pour autant que possible, parmi les travailleurs et les jeunes, dans les usines, dans les bureaux, dans les écoles, tout en offrant des formules d'abonnement simples et avantageuses pour mieux serrer les rapports entre théâtre et spectateurs, tout en offrant tout de même des spectacles de haut niveau artistique à des prix réduits autant que possible. Il n'est donc question ni de théâtre expérimental, ni de théâtre d'exception enfermé dans un cercle d'initiés, mais au contraire de théâtre d'art pour tous. […] Le théâtre demeure ce qu'il a été dans les intentions les plus profondes de ses créateurs : le lieu où une communauté librement réunie, se révèle à soi-même, où elle entend une parole à écouter ou à rejeter15.

Pour la première fois, une institution-maison, hébergeant une troupe d'acteurs, une équipe d'organisation et un metteur en scène voit le jour. C'est une véritable révolution qui se produit, car il s'agit de la première structure fixe à gestion publique qui naît dans et pour une communauté spécifique : c'est un théâtre municipal, expression des intellectuels et des politiques éclairés d'une des villes les plus vitales de l'Italie, plus avancée que la capitale.

Le Piccolo Teatro devient le modèle qui détermine le système théâtral contemporain.

Dans les années cinquante, la totalité de l'intelligentsia italienne considère les théâtres publics, appelés stabili pour indiquer l'opposition de fond avec les compagnie di giro, le seul chemin pour la refondation des scènes nationales. Même si leur fondation reste confiée à l'initiative locale, les institutions publiques, associées à des grands metteurs en scène, dont Giorgio Strehler, Luigi Squarzina, Gianfranco De Bosio, forment une culture théâtrale commune et mettent en place un nouveau modèle d'organisation et d'esthétique. La fonction du metteur en scène, la position des acteurs, le rôle du texte sont transformés. D'une part, Strehler, Squarzina et De Bosio mettent au jour le répertoire théâtral en montant des pièces fondamentales de la dramaturgie contemporaine internationale, de l'autre, sous l'influence de Brecht, ils élaborent une manière originale de mettre en scène les classiques, à la fois philologique et actualisante

cultures et les langues sont métissées et où la musique est protagoniste. Il suit une formation musicale et il entreprend des études en droit, mais, une fois à Milan où il déménage avec la famille, il découvre sa passion théâtrale. Il s'inscrit à l'Accademia dei Filodrammatici et il fait la connaissance de Grassi, avec lequel il se lie d'une amitié profonde. Pendant la guerre, il est exilé en Suisse, où en des conditions économiques désastreuses, parvient à réaliser ses premières mises en scène d'Eliot, de Camus et de Wilder. Une fois la guerre terminée Grassi et Strehler se retrouvent à Milan, où ils parviennent à concrétise les aspirations conçues pendant le conflit.

15 APOLLONIO, Mario – GRASSI, Paolo – STREHLER, Giorgio – TOSI, Virgilio, "Teatro d'arte, per tutti", in LAZZARI, Arturo – MORANDO, Sergio (dir.), Piccolo Teatro: 1947-1958, Milano, Moneta, 1958, p. 23, version réduite du manifeste publié à l'origine dans l'importante revue dirigée par Elio Vittorini, Il politecnico, n° 35, gennaio-marzo 1947.

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:les mises en scènes des textes de Ruzante réalisées par Gianfranco De Bosio, les Goldoni de Strehler et de Luigi Squarzina se déroulent sur un "double parcours", où le regard critique sur la société contemporaine passe par l'analyse pointue des nœuds historiques contenus dans les pièces16.

Dans une situation où le théâtre n'existait que dans des formes commerciales et itinérantes, la nouvelle regia critica assume un rôle à la fois novateur et normatif qui conduit les théâtres stabili au monopole, en parvenant progressivement à limiter les initiatives alternatives18. La mutation sociale et économique du boom économique correspond à l'épuisement progressif de l'élan novateur exprimé par les théâtres publics en dépit de l'excellence artistique de leurs réalisations. Le théâtre n'échappe pas au mouvement de remise en question de la fonction de la culture dans la société de consommation en train de se constituer.

La deuxième fracture : les inquiétudes culturelles des années soixante Au début des années soixante, la culture italienne est en mouvement, s'ouvrant aux idées internationales les plus avancées dans le domaine des sciences sociales et humaines. Le développement de la société de consommation engendre l'exigence de redéfinir la notion humaniste d'engagement qui avait fondé les pratiques culturelles de l'après-guerre. Dans ce mouvement, il faut pourtant remarquer une différence entre le domaine plastique et musical, et les arts fondés sur la parole – en particulier la littérature, mais aussi le cinéma et le théâtre. D'une part, la nécessité de l'expérimentation formelle et linguistique est reconnue sans exclure l'expression d'une prise de position sociale et politique; de l'autre, l'obligation à l'intelligibilité et le primat de contenus demeurent contraignants par rapport à l'innovation des formes.

16 La notion de "double parcours" a été introduite in MELDOLESI, Fondamenti del teatro italiano, cit. pp.

278-286.

18 Cf. MELDOLESI, Fondamenti del teatro italiano, cit., en particulier p. 406 et TAVIANI, Ferdinando, Uomini di scena, uomini di libro. Introduzione alla letteratura teatrale italiana del Novecento, Bologna, Il Mulino, 1995, en particulier pp. 176 et suivantes; Taviani trouve exemplaire l'attitude de Silvio D'Amico : celui-ci se batte pour la mise en place d'un système diffusé d'institutions et de savoirs permettant la pratique d'une "bonne moyenne" artistique. Malheureusement, une fois son projet réalisé grâce aux théâtres stabili et à l'Accademia, la "moyenne" tend à étouffer la vitalité créatrice, qui manque de l'indispensable nourriture des exceptions.

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Ainsi, dans le milieu littéraire, les intellectuels réunis autour de la revue milanaise Il Verri commencent à assumer des positions antagonistes qui vont conduire à la fondation du mouvement "Gruppo 63"19 . Ceux-ci se battent pour donner à la littérature une place différente dans la société, en se rapprochant des avant-gardes historiques et des mouvements du Nouveau Roman et de l'Oulipo. Ils refusent l'équation "engagement politique = contenus politiquement engagés", qui domine le paysage littéraire italien, largement influencé par le réalisme et par la tradition esthétique remontant à Benedetto Croce et Antonio Gramsci. Renato Barilli écrit en 1963 que "pour les représentants les plus importants de notre culture récente, intégrer la littérature signifiait avant tout la mettre en relation avec des structures issues et développées dans le domaine politique, économique, moral : structures en fin de comptes propres au domaine de la 'raison pratique' ". Le "vice grossier que l'on appelle contenutismo [tendance de la critique à faire prévaloir le contenu d'une œuvre sur sa forme]" tient, selon Barilli, de la "méfiance radicale dans la dignité de ce plan d'action [de la littérature] et de la conviction qu'il ne peut se légitimer qu'en fréquentant les lieux légitimes d'autres plans, considérés plus sérieux et importants".20 Selon le Gruppo 63, le champ littéraire serait ainsi dévalorisé par rapport au champ politique. Le travail engagé de l'intellectuel consisterait au contraire dans l'expérimentation linguistique. Les signifiants vont ainsi assumer une importance égale aux signifiés, et le rapport au monde ne s'exerce plus à travers le traitement de sujets politiques et sociaux, mais par l'adoption de ses langages et l'étude de ses signes.

Un même phénomène de contestation se produit dans le milieu théâtral, où plusieurs critiques commencent à s'interroger sur les fonctions et les finalités des théâtres stabili.

Ils blâment la fermeture des institutions publiques et l'absence de prise de risque, et ils envisagent tous un théâtre "de combat", "insolite", "nouveau", "en rupture". Un jeune critique socialiste, Giuseppe Bartolucci, est le porte-parole de ce mécontentement. En 1964, il accuse les metteurs en scène critiques d'incompétence par rapport aux

19 Fondée à Milan en 1956 par Luciano Anceschi, professeur d'esthétique à l'Université de Bologne, la revue recueille des jeunes intellectuels tels que Umberto Eco, Edoardo Sanguineti, Nanni Balestrini.

Anceschi introduit en Italie la phénoménologie de Husserl en tant que clé de lecture de l'art et du monde.

Le Gruppo 63 prend son nom de l'année de sa constitution : en font partie des poètes des écrivains, des poètes, des critiques, des chercheurs, dont une partie constitue le noyau de la revue Il Verri. Ceux-ci se retrouvent la première fois entre le 3 et le 8 octobre 1963 à l'Hotel Zagarella de Palerme, en marge du festival de musique contemporaine "Settimana Internazionale di Nuova Musica" organisé par Francesco Agnello.

20 BARILLI, Renato, "Quale impegno?", in Il Verri, n° 8, 1963, ensuite publié in BARILLI, Renato - GUGLIELMI, Angelo, Gruppo 63. Critica e teoria, Torino, Testo&Immagine, 2003 [Milano, Feltrinelli, 1976], pp. 288 et 291.

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