Recommandations pour la prise en charge du sepsis sévère et du choc septique
Survivre au sepsis (Surviving Sepsis Campaign)
C. Martin, F. Garnier et B. Vallet
Le 2 octobre 2002, est publiée lors du congrès de l’European Society of Intensive Care Medicine la « Déclaration de Barcelone ». En substance, cette déclaration rappelle le mauvais pronostic des états septiques graves et conclut que la prise en charge des patients pourrait être améliorée. L’objectif est de réduire de 25 % en cinq ans la mortalité du sepsis sévère et du choc septique. Après cette première phase de prise de conscience, une deuxième phase a suivi (2004), permettant d’établir des recommandations, fondées sur les principes de la médecine factuelle (voir ci-dessous). Une troisième phase (2004-2005) consiste à introduire dans les protocoles des unités de soins intensifs et des services d’ur- gence les recommandations sélectionnées.
Toute cette procédure porte le nom de « Surviving Sepsis Campaign » que nous avons traduit par « Survivre au sepsis ». Les documents de référence (textes long et court) n’existant pas en français, une traduction du texte court est proposée dans cet article. Le texte long a été publié par RP. Dellinger, JM. Carlet, H. Masur et al. Surviving Sepsis Campaign : guidelines for manage- ment of severe sepsis and septic shock Care Med 2004, 30, 536-55. Le texte court, ici présenté, n’apporte pas le rationnel et les appendices contenus dans la publication originale. De plus amples informations figurent sur le site www.survivingsepsis.org.
Les parties imprimées en italique indiquent les objectifs prioritaires choisis pour une implémentation rapide (année 2005) dans les pratiques cliniques (« Change package » de l’Institute of Healthcare Improvement, www.IHI.org).
Les recommandations de ce document sont approuvées par les sociétés savantes ci-dessous :
American Association of Critical-Care Nurses
Amercian College of Chest Physicians American College of Emergency Physicians American Thoracic Society
Australian and New Zealand Intensive Care Society
European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases European Society of Intensive Care Medicine
European Respiratory Society Infectious Disease Society of America International Sepsis Forum
Society of Critical Care Medicine Surgical infection Society
Réanimation initiale
Débuter immédiatement la réanimation des patients présentant une hypotension ou une augmentation de la lactatémie.
Objectifs de la réanimation :
– pression veineuse centrale : 8-12 mmHg ; – pression artérielle moyenne > 65 mmHg ; – débit urinaire > 0,5 ml/kg par heure ;
– saturation veineuse centrale en oxygène (SvcO
2) > 70 %.
Si la SvcO
2reste inférieure à 70 % avec une PVC entre 8 et 12 mmHg, il est nécessaire de transfuser des globules rouges afin d’obtenir un hématocrite > 30 % et ou d’administrer de la dobutamine jusqu’à une dose maximale de 20 µg/kg par minute. Grade B.
Diagnostic
Avant de débuter l’antibiothérapie, au moins deux hémocultures doivent être réalisées : une en percutanée et une sur chaque abord vasculaire en place depuis plus de 48 heures. Des prélèvements microbiologiques des autres sites doivent être réalisés en fonction du tableau clinique. Grade B.
Antibiothérapie
L’antibiothérapie intraveineuse doit être débutée dans l’heure qui suit le diagnostic de sepsis sévère ou de choc septique. Grade E.
Administrer un ou plusieurs médicaments actifs sur les agents fongiques ou
bactériens suspectés. Prendre en compte la sensibilité aux agents anti-infectieux
en fonction de l’origine communautaire ou hospitalière de l’infection.
Grade D.
L’antibiothérapie doit être réévaluée entre la 48
eet la 72
eheure suivant le début du traitement, l’objectif étant d’utiliser un antibiotique à spectre plus étroit. Grade E.
Une association d’antibiotique doit être envisagée chez les patients neutro- péniques et chez les patients infectés par Pseudomonas æruginosa. Grade E.
L’antibiothérapie doit être stoppée immédiatement si l’état de choc n’est pas d’origine infectieuse. Grade E.
Contrôle du foyer infectieux
Évaluer le patient afin de rechercher un foyer infectieux accessible à un drai- nage percutané ou à un traitement chirurgical. Grade E.
Choisir un moyen de traiter le foyer infectieux qui soit le moins délabrant possible tout en étant efficace. Grade E.
Instituer les mesures de contrôle du foyer infectieux dès que celui-ci est identifié.
Retirer les dispositifs d’accès intraveineux qui peuvent être potentiellement infectés dès que d’autres voies veineuses ont été mises en place. Grade E.
Correction du déficit volémique
Voir les recommandations concernant la réanimation initiale. Utiliser des cris- talloïdes ou des colloïdes. Grade C.
Réaliser chez les patients suspects d’avoir une perfusion tissulaire inadéquate une expansion volémique par 500-100 ml de cristalloïde ou 300-500 ml de colloïde toutes les 30 minutes. Répéter cette expansion volémique tant que la pression sanguine et la diurèse n’ont pas augmenté et en l’absence de signes de surcharge volé- mique intravasculaire. Grade E.
Traitement vasopresseur
Le traitement vasopresseur doit être débuté lorsque l’expansion volémique n’a pas permis la restauration d’une pression sanguine et d’une perfusion d’organe adéquate ou transitoirement en attendant que l’expansion volémique soit complétée, si elle suffit à corriger les anomalies de la pression artérielle.
Grade E.
La noradrénaline ou la dopamine peuvent être utilisées comme médicament vasopresseur. Leur administration est réalisée par un cathéter introduit dans une voie veineuse profonde. Grade B.
Ne pas utiliser de faible dose de dopamine pour la protection rénale.
Grade B.
Placer, dès que possible, un cathéter artériel chez les patients nécessitant un agent vasopresseur. Grade E.
Envisager un traitement par vasopressine chez les patients qui présentent un choc réfractaire à l’expansion volémique et aux fortes doses de vasopresseur. La vasopressine n’est pas recommandée en première intention en remplacement de la noradrénaline ou de la dopamine. Administrer la vasopressine à une dose de 0,01 à 0,04 unité/minute. (Rajout au texte original en raison de la non-dispo- nibilité de la vasopressine en France au début de l’année 2005 : la terlipressine (Glypressine
®) peut être utilisée à la place de la vasopressine en injectant 1 mg en bolus IV direct pour les sujets de 50 à 70 kg, 1,5 mg pour les sujets de 70 à 90 kg, et 2 mg pour les sujets de plus de 90 kg. A priori la dose peut être répétée après 4 à 6 heures). Grade E.
Traitement inotrope
Envisager l’utilisation de dobutamine chez les patients qui présentent un bas débit cardiaque malgré l'expansion volémique. Le traitement vasopresseur doit permettre de maintenir une PAM supérieure à 65 mmHg. Ne pas augmenter artificiellement l'index cardiaque afin de maintenir un niveau supra-normal de transport en oxygène. Grade E.
Corticoïdes
Traiter les patients qui requièrent un traitement vasopresseur malgré l'expansion volémique par hémisucinate d'hydrocortisone : 200 à 300 mg par jour pendant 7 jours en 3 ou 4 injections ou en perfusion continue. Grade C.
En option :
– réaliser un test de stimulation des surrénales par du Synacthène
®(250 γ), arrêter l’opothérapie substitutive chez les patients qui ne présentent pas d’in- suffisance surrénale (augmentation du cortisol > 90 µg/l) ;
– diminuer les doses lors de la guérison du choc septique ;
– diminuer progressivement les doses de corticoïde à la fin du traitement ; – ajouter de la fludrocortisone (50 µg per os par jour). Grade E.
Ne pas utiliser une dose de corticoïdes supérieure à 300 mg par jour pour
traiter le choc septique. Grade A.
Ne pas utiliser les corticoïdes pour traiter un sepsis sans choc septique (en l’absence d’antécédent d’insuffisance surrénale ou de traitement antérieur par corticoïde). Grade E.
Protéine C recombinée (Xigris
®)
La protéine C activée est recommandée chez les patients présentant un haut risque de décès (deux défaillances d'organes ou plus, induites par l’infection) et en l'absence de contre-indications absolues telles que le risque hémorragique, ou de contre-indi- cations relatives qui contrebalancent les bénéfices potentiels du traitement. Ce produit est indiqué pour le traitement des patients adultes présentant un sepsis sévère avec défaillance polyviscérale et recevant le meilleur traitement sympto- matique. Grade B.
Administration de produits sanguins
Après correction du déficit volémique, et en l'absence de pathologie coro- narienne avérée ou de syndrome hémorragique, transfuser des globules rouges lorsque l’hémoglobinémie est inférieure à 7 g/dl, l'objectif étant une hémoglo- binémie entre 7 et 9 g/dl. Grade B.
Ne pas utiliser d’érythropoïétine pour traiter l’anémie en rapport avec le sepsis. L’érythropoïétine peut être utilisée pour d'autres raisons acceptables.
Grade B.
Ne pas utiliser de plasma frais congelé pour corriger les anomalies du bilan de coagulation sauf en cas de syndrome hémorragique ou de procédures inva- sives programmées. Grade E.
Ne pas utiliser d’antithrombine. Grade B.
Administrer des plaquettes lorsqu'elles sont inférieures à 5 000/mm
3(5 ⫻ 10
9/l), qu’il y ait saignement ou non. Administrer des plaquettes quand leur concentration est entre 5 000 et 30 000 (5-30 ⫻ 10
9/l) et qu’il y a un risque significatif de saignement. Maintenir une concentration de plaquettes supérieure à 50 000/mm
3(50 ⫻ 10
9/l) en cas de geste chirurgical ou de procé- dures invasives. Grade E.
Sédation, analgésie et curarisation
Utiliser un protocole de sédation pour les patients ventilés et présentant une
défaillance respiratoire. Évaluer le niveau de sédation en utilisant un score de
sédation subjectif et standardisé. Prédéterminer un score cible de sédation.
Utiliser soit des bolus intermittents de sédation soit une perfusion continue qui doit être interrompue quotidiennement afin d’évaluer l’état neurologique.
Réévaluer la titration. Grade B.
Éviter tant que possible l'emploi de curare. Si les curares doivent être utilisés pour une durée supérieure aux deux ou trois premières heures suivant le début de la ventilation mécanique, utiliser soit des bolus intermittents, soit une perfu- sion continue avec surveillance du niveau de curarisation. Grade E.
Ventilation mécanique et défaillance ventilatoire induite par le sepsis
Éviter les grands volumes courants associés à des hauts niveaux de pression de plateau.
Réduire progressivement sur 1 à 2 heures le volume courant (6 ml/kg de masse maigre) afin d’obtenir des pressions de plateau de fin d’inspiration < à 30 cmH
2O.
Grade B.
Si nécessaire, tolérer une augmentation de la PaCO
2supérieure à la normale. Grade C.
Instaurer une pression de fin d’expiration positive (PEP) afin de prévenir le collapsus pulmonaire. Le niveau de PEP à instaurer est basé sur la sévérité du déficit en oxygénation et est guidé par la FiO
2nécessaire pour maintenir une oxygénation adéquate. Le niveau de PEP à instaurer peut également être guidé par l’analyse de la courbe de compliance thoraco-pulmonaire. Grade E.
Mettre en décubitus ventral les malades nécessitant des niveaux potentielle- ment délétères de FiO
2ou de pression de plateau. Ne l’envisager que chez les patients ne présentant pas de risque lors des manipulations. Grade E.
Afin de prévenir les pneumonies liées à la ventilation mécanique, maintenir les patients ventilés, en l’absence de contre-indications, en position demi-assise (45°). Grade C.
Utiliser un protocole de sevrage ventilatoire. Réaliser quotidiennement un test de ventilation spontanée sur sonde d’intubation afin d’évaluer la possibi- lité d’une extubation.
Les tests de ventilation spontanée se font avec un bas niveau d’aide inspira- toire et une PEP de 5 cmH
2O ou au tube en T.
Avant de réaliser les épreuves de respiration spontanée, le patient doit : – être réveillable ;
– être hémodynamiquement stable sans vasopresseur ;
– avoir un niveau bas de pression expiratoire positive et de ventilation ; – tolérer un niveau de FiO
2qui peut être apporté avec un masque facial.
Envisager l’extubation si l’épreuve de ventilation spontanée a été un succès.
Grade A.
Contrôler la glycémie
Maintenir une glycémie < 8,3 mmol/l après la stabilisation initiale du patient.
Utiliser une perfusion continue d’insuline ainsi qu’une perfusion de soluté glucosé.
Surveiller la glycémie toutes les 30 ou 60 min jusqu’à stabilisation de la glycémie puis toutes les 4 heures. Grade D.
Inclure un protocole de nutrition favorisant le contrôle glycémique.
Grade E.
Épuration extrarénale
L’hémodialyse intermittente et l’hémofiltration veino-veineuse continue (CVVH) sont considérées comme équivalentes. La CVVH présente l’avantage d’être mieux tolérée hémodynamiquement chez les patients instables. Grade B.
Traitement par bicarbonate
Ne pas utiliser les bicarbonates dans le but d’améliorer l’état hémodynamique ou de réduire les besoins en vasopresseurs en cas d’hypoperfusion induite par une acidose lactique si le pH est ≥ à 7,15. Grade C.
Prophylaxie de la thrombose veineuse
Utiliser des faibles doses d'héparine non fractionnée ou d’héparine de bas poids moléculaire. Lorsque l'héparine est contre-indiquée, utiliser une prophylaxie mécanique telle que les bas de compression ou la compression intermittente.
Utiliser l’association de la prophylaxie mécanique et pharmacologique chez les patients à haut risque de thrombose veineuse profonde. Grade A.
Prophylaxie de l’ulcère de stress
Réaliser une prophylaxie de l’ulcère de stress.
Utiliser préférentiellement les inhibiteurs des récepteurs anti-H
2. Grade A.
Limitation thérapeutique
Discuter à l’avance, le niveau de soins à apporter, avec les patients et la famille.
Décrivez l’évolution probable et fixer des attentes raisonnables. Grade E.
Addendum au document de la « Surviving Sepsis Campaign »
Tous les hôpitaux devraient inclure dans leurs protocoles thérapeutiques des objectifs prioritaires à remplir dans la prise en charge des patients présentant un sepsis sévère ou un choc septique. Ces recommandations ont été établies par les auteurs du texte de référence et l’Institute for Healthcare Improvement (www.IHI.org). Les objectifs à remplir sont classés en deux niveaux de priorité : ceux (huit) à remplir dans les six heures suivant l’admission du patient (tableau I) ; ceux (quatre) à remplir dans les 24 heures (tableau II).
Tableau I – Objectifs pour les six premières heures.
PAS : pression artérielle systolique.
PAM : pression artérielle moyenne.
PVC : pression veineuse centrale.
ScvO2: saturation en oxygène de l’hémoglobine du sang veineux en veine cave supérieure.
SvO– 2: saturation en oxygène de l’hémoglobine du sang veineux mêlé.
– Mesurer le lactate sérique.
– Prélever des hémocultures avant l’administration des antibiotiques.
– Prescrire dans les trois heures une antibiothérapie probabiliste à large spectre.
– En cas d’hypotension (PAS < 90 mmHg ou PAM < 70 mmHg) ou de lactate > 4 mmol/l, débuter une expansion volémique avec 20-40 ml de cristalloïde (ou l’équivalent de colloïde) par kg de poids corporel estimé.
– Utiliser des vasopresseurs pour traiter l’hypotension pendant et après l’expansion volémique initiale.
– En cas de choc septique, ou de lactate > 4 mmol/l, mesurer la PVC et la ScvO2ou la SvO– 2. – En cas de choc septique ou de lactate > 4 mmol/l, maintenir la PVC entre 8 et 12 mmHg.
– Envisager un traitement inotrope positif (et/ou une transfusion par concentrés globulaires si l’hématocrite est ≤ 30%) si la ScvO2est < 70 %, ou la SvO– 2< 65 %, et la PVC ≥ 8 mmHg.
Tableau II – Objectifs pour les premières 24 heures.
– Maintenir la glycémie < 8,3 mmol/l.
– Prescription de Xigris®en fonction des recommandations du service.
– Administrer de faibles doses de corticoïdes en cas de choc septique nécessitant l’utilisation de vasopresseurs pendant plus de 6 heures.
– Utiliser une stratégie de ventilation protectrice, avec une pression de plateau < 30 cmH2O chez les patients ventilés mécaniquement.