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3.2. Pier Vittorio Tondelli, la parole est aux jeunes

3.2.6. Une insouciance trompeuse

Lire Pao Pao uniquement comme « romanzo sentimentale, romanzetto rosa, romanzino giovanile, romanza d’amore, racconto della memoria, diario intimo, “testo epistolare”, barzelletta da caserma, confessione, chiacchierata e sbrodolata », ainsi que l’a fait une partie de la critique, serait une erreur203

. Une interrogation existentielle profonde affleure tout au long du texte et est symptomatique de la génération à laquelle Tondelli appartient. Filippo La Porta notait à ce propos :

Quella che si configura [...] non è, come pensavamo, una generazione apatica, indifferente o anoressica, ma profondamente fragile, del tutto incapace di sopportare la normale pressione emotiva che la realtà esercita su di noi ; e dunque incline a usare metafore iperboliche di sopravvivenza e costretta a esorcizzare la realtà, a ingannarla attraverso una dissimulazione204.

Du point de vue stylistique, nous avons pu voir de nombreux exemples de ces métaphores hyperboliques dont Tondelli était friand. L’extrait à peine cité où il parle de l’amour comme « don des dieux qui se déplace sur les ailes du vent toujours insaisissable et toujours poursuivi » est un archétype parfait de l’emphase émotive qui ponctue les différents textes tondelliens. Quant à la question générationnelle de fond, Tondelli lui-même dans ses entretiens avec Fulvio Panzeri a commenté cette fragilité caractéristique de cette génération apparemment vouée à la jouissance, mais cachant un malaise profond qu’elle tente de dissimuler.

En témoigne cette très belle phrase écrite en pensant à l’ami Andrea Pazienza, jeune dessinateur talentueux mort d’overdose à seulement 32 ans :

203 Tondelli, P. V., “Post Pao Pao”, in L’abbandono, op. cit., p. 11, « un roman sentimental, un petit

roman rose, un roman de jeunesse, une romance, un récit de la mémoire, un journal intime, “texte épistolaire”, blague de caserne, cancan et blabla ».

204

La Porta, F., La nuova narrativa italiana, op. cit., « Ce qui se configure [...] n’est pas, comme on a pu le penser, une génération apathique, indifférente ou anorexique, mais profondément fragile, totalement incapable de supporter la commune pression émotive que la réalité exerce sur nous ; et donc encline à utiliser des métaphores hyperboliques de survie et contrainte à exorciser la réalité, à la tromper à travers la dissimulation ».

108 Troppo alcol preso, troppa polvere in quegli anni... Forse è stata la pietà, forse la commozione a far nascere interrogativi direi quasi inquietanti. E mi sono chiesto e forse l’ho anche scritto da qualche parte: “Non sarà forse che quel culto della sofferenza, del rifiutare sempre il gioco perché il gioco è sempre sporco, del non stare da nessuna parte perché le parti tradiscono sempre, alla fine non sia solo una mania letteraria, ma proprio un’incapacità tremenda a stare al mondo205 ?”

Et c’est bien cette incapacité d’être au monde que le narrateur et ses amis ressassent sans cesse dans les rues et sur les places de Rome. La jouissance comme seul objectif ? Il ne s’agit pas d’un objectif, mais bien d’un exutoire qui se révèle être par ailleurs bien insatisfaisant pour réussir à « fott[ere] l’incosolabile solitudine di essere al mondo206 ». Très vite dans le récit la question voit le jour dans l’esprit du je narrant :

Mi aprirò dunque e mi distenderò a questo panorama umbro, alla macchia che attacca le colline, ai boschi ; mi allargherò in questi sguardi dall’alto che danno pace e senso e finalmente quel lieve respiro di cervello che conferma la tua presenza al mondo, che suggerisce qui, ora, finalmente ci sei207. (p. 55)

Le je narrant, en recourant à une contemplation méditative de la nature parvient à se convaincre d’être au monde. Il n’en va pas de même pour bons nombres de ses compagnons qui, pour ceux qui se posent la question tout du moins, vivent au sein d’une société aliénante, souffrent de plus de la coercition exercée par l’institution militaire, doutent de la réalité et du but de leur présence dans l’ici et maintenant. Leur problème n’est pas uniquement de supporter le service militaire pendant une longue année, de vivre librement et ouvertement leur homosexualité (problématique qui ne semble d’ailleurs pas même effleurer l’esprit des jeunes recrues de Pao Pao), de trouver un travail ou d’autres difficultés du quotidien. Le véritable défi de ces jeunes gens est de donner un sens à leur existence, problème que le désir réussit à mettre en veille, mais ne peut résoudre de manière définitive. Ainsi lorsque le narrateur rencontre Miguel après le service militaire en proie à cette perte de sens, il ne sait guère comment le réconforter :

Miguel – dolcissimo Miguel – che verrà a trovarmi al culmine di una penosissima perdita d’identità e di senso globale e sospirerà : “soltanto dimmi che si nasce e si muore e che è tutto qui” e altro non riuscirò a proporgli che una bevuta micidiale trascinata da un bar all’altro della Via Emilia con coktails ammazzafegato nelle balere squallide della bassa e birre nelle discoteche eroirock e colpi di grazia al buffet ingialliti delle stazioni ferroviarie e alle sei del mattino, rincasando, riuscirò

205 In “Il mestiere di scrittore. Conversazioni con Fulvio Panzeri”, in Opere cronache, saggi,

conversazioni, p.°997, « Trop d’alcool pris, trop de poudre durant ces années... Peut-être que ça a été la

pitié, peut-être l’émotion à faire naître des questions je dirais presque inquiétantes. Et je me suis demandé et peut-être que je l’ai écrit quelque part : “peut-être que ce culte de la souffrance, ce refus continu de jouer le jeu parce que le jeu est toujours truqué, de n’être d’aucun côté parce que les côtés trahissent toujours, n’est au final pas uniquement une manie littéraire, mais bien plutôt une incapacité terrible d’être au monde ?” »

206 Tondelli, P. V., “Colpo doppio”, in L’abbandono, op. cit., p. 10.

207 « Je m’ouvrirai donc et je m’étendrai à ce panorama d'Ombrie, au maquis qui marque les collines, aux

bois ; je m’élargirai dans ces regards du haut qui procurent paix et sens et finalement ce long et léger soupir du cerveau qui confirme ta présence au monde, qui suggère ici, maintenant, enfin tu y es ».

109 finalmente a dirgli tutti quelli che hai incontrato provano ciò che tu senti dentro, però non s’ammazzano208. (p. 99)

Tous ressentent donc le mal-être, mais les solutions ne semblent pas exister. Seuls les états orgiaques comme exutoires se présentent à la jeune génération.

Le livre se conclut sur l’évocation de tous les amis connus durant l’expérience du service militaire et des rencontres qui s’ensuivront. Le monde moderne offre (ou tout du moins donne l’impression d’offrir) un choix de possibles quasiment infini. Qu’il s’agisse des biens de consommations, des rencontres, des voyages, tout est devenu accessible, il suffit de faire le choix. Mais cet infini de choix, marqué par le sceau de l’éphémère, peut vite créer un sentiment de vertige, d’autant plus que la perte de sens créée par l’aliénation de la société industrielle où l’homme n’est plus le centre de toute chose n’aide guère209

. La fraternité humaine est vue ici comme un foyer duquel faire partie, un groupe sur lequel l’homme moderne peut s’appuyer et se reposer, une communauté garante du sens d’une existence qui en est privée :

e tutti gli altri che continuo fortunosamente a incontrare a mille miglia di distanza mentre sto scrivendo questa storia, poiché le occasioni della vita sono infinite e le loro armonie si schiudono ogni tanto a dar sollievo a questo nostro pauroso vagare per sentieri che non conosciamo210. (p. 185)

208 « Miguel — si doux Miguel — qui viendra me voir au sommet d’une très pénible perte d’identité et de

sens global et qui soupirera : “dis-moi seulement qu’on naît et qu’on meurt et que c’est tout” et je ne réussirai à lui proposer rien d’autre qu’une beuverie mortelle traînée d’un bar à l’autre de la Via Emilia avec des cocktails à détruire le foie dans les guinguettes glauques de la bassa Padania et des bières dans les discothèques héroïco-rock et des coups de grâce aux buffets jaunâtres des gares et à six heures du matin, en rentrant à la maison, je réussirai enfin à lui dire tous ceux que tu as rencontrés éprouvent ce que tu ressens, mais ils ne se tuent pas ».

209

Voir supra, p. 73.

210 « et tous les autres que je continue heureusement de rencontrer à mille lieues de distance tandis que je

suis en train d’écrire cette histoire, car les occasions de la vie sont infinies et leurs harmonies s’entrouvrent parfois pour soulager notre effrayant vagabondage par des sentiers que nous ne connaissons pas ».

110

3. 3. Le Portugal de Salazar

Le 25 avril 1974, Marcelo Caetano, successeur de Salazar à la tête de l’Estado Novo est renversé. Le Portugal organise pour la première fois de son histoire de véritables élections démocratiques, la quasi-totalité de ses colonies accède à l’indépendance, une république laïque est proclamée, l’état policier et la censure disparaissent. Des changements sans précédent font irruption dans la société portugaise et la littérature va bien entendu être directement concernée par ces transformations : d’un point de vue tant stylistique que thématique, il est finalement possible de parler de ce que l’on souhaite avec le langage que l’on souhaite. D’une manière plus globale, la perte de l’empire colonial portugais et les changements géopolitiques qui s’ensuivent ont deux conséquences extrêmement fortes sur la population lusitanienne : il s’agit premièrement de la prise de conscience des atrocités commises envers les populations africaines ainsi que la charge traumatique des familles ayant eu un proche tué, mutilé (physiquement ou psychologiquement) ou mort de malaria211 et, en second lieu, la fin de l’isolationnisme vis-à-vis de l’Europe accompagné de la perte de gigantesques territoires. Mais reprenons un instant l’histoire en amont.

En 1926, la Première République est renversée et la Ditadura Nacional est proclamée. Ce régime se dote d’une nouvelle constitution le 11 avril 1933 et est alors baptisé Estado Novo. La nouvelle constitution, entre autres, abolit la liberté d’expression fraîchement conquise, la censure y fait en outre son apparition officielle. En 1940, Salazar, qui était devenu président du conseil des ministres en 1932, fait passer les services de censure sous sa tutelle directe. Ces services vont passer minutieusement en revue tout texte imprimé dans le pays. Aucun ne sera publié sans avoir reçu au préalable le visa desdits services. Nous verrons que si, dans un premier temps, la censure peut se contenter de simplement interdire les textes (ce qui n’empêche pas de nombreuses arrestations, surtout parmi les militants communistes), les auteurs vont petit à petit devenir la cible privilégiée des foudres de la censure. Qu’est-ce que la censure visait particulièrement ? Quels étaient ses critères pour interdire ou autoriser la publication d’un écrit ? De quelle manière certains auteurs ont-ils bravé ces interdits ?

211

On estime le nombre de soldats portugais morts dans les guerres coloniales à environ 8000 tandis que les blessés graves s’élevaient à plus de 15 000 (ce chiffre comprenant également les séquelles psychologiques permanentes). Les civils et guérilleros d’Angola, Guinée-Bissau et Mozambique ont été en tout cas 60 000 à trouver la mort. À ce sujet voir Michel, M., “La décolonisation de l’Afrique portugaise”, in Décolonisations et émergence du Tiers Monde, Hachette, 2002.

111 C’est ce que nous allons voir à travers un rapide tour d’horizon de différentes œuvres écrites sous la dictature salazariste et passées entre les mains des censeurs.

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