Les fables en rondeau de Charles de Saint-Gilles Lenfant: l’exercice de
style d’un mousquetaire du roi
Antonella Amatuzzi
Charles de Saint-Gilles Lenfant, page du roi Louis XIV et sous-brigadier de la première compagnie des mousquetaires, fit paraître, entre 1677 et 1678, quatre fables dans Le Mercure Galant qui, plus tard, furent rassemblées, avec vingt-quatre autres apologues, dans un volume intitulé La Muse Mousquetaire. Nous les analysons et en donnons le texte en appendice. Elles sont toutes construites en forme de rondeau et, pour respecter cette structure stylistique fixe et rigide, la matière ésopique subit des adaptations.
En prenant le parti de se servir du rondeau Saint-Gilles s’inscrit clairement dans la lignée de la galanterie mondaine et ses fables acquièrent une atmosphère de douceur et de finesse. Elles sont l’aboutissement d’un exercice de style très ingénieux, bien que dissimulé, qui paradoxalement les rend plus désinvoltes et décontractées, atténuant leur tempérament souvent sentencieux et sévère. La fable, enfermée dans le moule strict et tout à fait insolite du rondeau gagne en gaité, aisance, liberté. Quant au rondeau, il prend la distance des frivolités et affectations et s’ouvre sur une dimension plus réfléchie et instructive.
Charles de Saint-Gilles Lenfant, auteur d’une pastorale, de poèmes en français et en latin, de contes et de chansons, est un personnage qui reste méconnu. En effet les renseignements que nous avons à propos de sa vie sont extrêmement limités. Il fut page du roi Louis XIV, sous-brigadier de la première compagnie des mousquetaires et, vers la fin de sa vie, il aurait quitté le monde et se serait renfermé dans un couvent de capucins. Nous ignorons ses origines et la date de sa naissance, que les biographes présument remonter à 1670,1 doit être anticipée de plusieurs années puisque entre 1677
et 1678 il fit paraître quatre fables dans Le Mercure Galant.2
Cette revue de caractère mondain, créée par Jean Donneau de Visé en 1672, informait sur l’actualité parisienne et provinciale, sur la vie de la cour (naissances, mariages, décès), proposait des réflexions touchant la philosophie, les sciences et l’art, rendait compte des événements culturels et littéraires (fêtes, spectacles, séances de l'Académie Française) et contenait des nouvelles, des pièces en vers, des histoires fabuleuses, des contes dont les auteurs pouvaient être des hommes de lettres3
mais également des amateurs, comme le souhaite son fondateur qui écrit dans l’Avis au lecteur du tome 1 (année 1672, p. 9): « Ceux qui auront quelques galanteries et quelque chose de curieux qui méritera d’être su pourront me l’apporter».
1 Les quelques données biographiques disponibles proviennent de A. Cioranescu, Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle (Paris: Centre National de la Recherche Scientifique, 1965-1966), 3 vol., t. III, p. 1801; F. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700 (Paris: 1901), t. III, pp. 519-520; t. IV, p. 182. D’autres informations nous viennent du bibliophile normand anonyme qui en 1876 republia une partie des écrits de Saint-Gilles avec le titre Le Mercure Normand (cf. infra, note 8).
2 Sur ce périodique cf. M. Vincent, Donneau de Visé et le Mercure Galant (Paris: Aux Amateurs de Livres, 1987), 2 vol et Idem, "Le Mercure Galant": présentation de la première revue féminine d'information et de culture: 1672-1710 (Paris: H. Champion, 2005). Cf. aussi G. Dotoli, ‘Il « Mercure galant » di Donneau de Visé’, in L’Informazione in Francia nel Seicento, (Bari, Paris: Adriatica, Nizet, 1983), pp. 219-282, revu et traduit en français in Littérature et société en France au XVIIe siècle (Fasano, Paris: Schena, Nizet, 1987), pp. 229- 310.
3 Parmi ses collaborateurs on compte par exemple Fontenelle, Thomas Corneille et Perrault. La Fontaine y publie trois fables qui entreront ensuite dans le douzième livre de son recueil.
Les quatre fables de Saint-Gilles publiées dans Le Mercure Galant4 ont la particularité d’être
construites en forme de rondeau. Elles reçurent un accueil positif, si l’on croit aux mots de Donneau de Visé qui déclare, dans la livraison du Mercure de juin 1677 (pp. 77): « Le jeune page de M. le duc du Maine, M. de Saint-Gilles Lenfant, lui a presenté ce carnaval une vingtaine de rondeaux sur des fables d’Esope » et, dans la livraison de janvier 1678 (p. 167),
Je crois que vous ne serez pas trop fachée que je place icy trois rondeaux que j’ay encore recouvrez de ceux que M. de Saint Gilles L’Enfant, page du roy, presenta l’hyver passé à M. le duc du Maine. Je vous en ay déjà envoyé quelques uns dont vous m’avez temoigné estre satisfaite et, quoy que ce ne soit point par les vers que ce jeune gentil homme cherche à meriter l’estime des honnestes gens, je ne puis trop vous faire connoistre son esprit. […] Il prend agreablement le vray style du rondeau et l’application de sa morale est heureuse. Notre mousquetaire avait donc composé à cette date plusieurs fables, offertes au duc de Maine5,
mais, exception faite pour les quatre citées, aucune ne fut publiée. C’est seulement après sa mort, en 1709, que vingt-huit apologues, tous en rondeau, furent réunis, vraisemblablement par le frère aîné de Saint-Gilles, lieutenant de cavalerie au régiment de Bissy,6 dans un volume intitulé La Muse Mousquetaire.7 Ce texte est organisé selon le modèle souvent utilisé dans Le Mercure Galant,
c'est-à-dire sous forme de lettres adressées à une femme fictive, comportant des récits (de campagnes militaires, surtout) et des nouvelles diverses, agrémentés d’historiettes, de sonnets, d’épigrammes, d’énigmes, tous de la plume de Saint-Gilles8.
4 Il s’agit des apologues suivants: De la Cigale et de la Fourmy (Le Mercure Galant, livraison de juin 1677, pp. 78-79) et Les pots flotans, De l’Asne malade et des Loups, Du Coq et du Diamant (Le Mercure Galant, livraison de janvier 1678, pp. 160-161 ; 168-169 ; 171-172).
Plusieurs fables, d’auteurs connus ou anonymes, parurent dans Le Mercure Galant. Cf. M. Vincent, ‘La fable dans le « Mercure Galant »: un reflet de La Fontaine’, Dix-Septième Siècle 156 (juillet 1987), pp. 267-281 et Idem, ‘Les fables du Mercure Galant’, Le Fablier 11 (1999), pp. 55-69, où, toutefois, Saint-Gilles n’est jamais cité. M. Vincent écrit dans "Le Mercure Galant": présentation de la première revue féminine d'information (p. 487): « le nombre et la qualité des fables composées par les mondains témoignent l’impact de La Fontaine sur les membres de la société cultivée qui le prennent pour modèle dans l’expression symbolique des problèmes de la vie quotidienne ».
5 Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine, duc d'Aumale, prince souverain des Dombes, comte d’Eu (1670-1736, était un fils légitimé du roi Louis XIV et de la marquise de Montespan. Il avait le titre de lieutenant général.
6 « Ce frère est l'auteur d'une tragédie d'Ariarathe représentée sans succès le 30 Octobre 1699 et non imprimée. Il mourut en 1746, à l'âge de 86 ans, écrasé par les roues d'un carrosse »: cette information est donnée dans une note du Mercure Normand (cf. infra, note 8). Cette pièce est effectivement enregistrée (attribuée à L'Enfant de Saint-Gilles, sans plus de précisions) dans le ‘Répertoire chronologique des spectacles à Paris, 1673-1715’ contenu dans G. Spielmann, Le Jeu de l’Ordre et du Chaos, Comédie et pouvoirs à la Fin du règne, 1673-1715, (Paris : H. Champion, 2002) disponible en ligne (https://www9.georgetown.edu/faculty/spielmag/finderegne/repertoire3.htm#top).
7
Voici le frontispice complet de l’ouvrage: LA MUSE / MOUSQUETAIRE / ŒUVRES POSTHUMES DE M. LE CHEVALIER / DE SAINT GILLES / Le prix est de quarante sols / A PARIS, AU PALAIS / chez GUILLAUME DELUYNES, à l’entrée de / la Gallerie des Prisonniers, à l’Image / Nôtre Dame./ AUGUSTIN HEBERT, à l’entrée de la / Grand’Salle, vis-à-vis la Chapelle, / à l’image sainte Anne. / La Veuve F. MAUGER, au quatriéme / Pilier de la Grand’ Salle, au grand Cyrus. / La Veuve J. CHARPENTIER, au sixiéme Pilier de la Grand’ Salle, à la Couronne d’Or. / M. DCC.
IX. / Avec Approbation et Privilege du Roy.
Il faut noter que, alors que le titre dit expressément qu’il s’agit d’œuvres posthumes, au bas de la page 280 de l’édition conservée à la Bibliothèque Nationale de France, sous la cote Ye 8418, apparaît un paraphe reproduisant les initiales St. G. Lenf qui semblerait manuscrit de l’auteur, ce qui a fait émettre l’hypothèse à quelques bibliothécaires ou conservateurs que l’auteur était encore vivant en 1709. Aucun témoignage historique n’a permis, jusqu’à présent, d’établir avec exactitude la date de la mort de Saint-Gilles.
8 Le volume, de 284 pages, comprend dix ‘mercures’ adressés à Madame la marquise D., qui portent des dates allant du 29 mai au 16 septembre 1702 et suivent chronologiquement les campagnes des mousquetaires d’abord sur le Rhin (au siège de la ville de Kasevert) et ensuite en Normandie (à Vallognes). Les fables en rondeau accompagnent le premier ‘mercure’.
En 1876 un bibliophile anonyme, d’origine normande, publia des extraits de la partie de La Muse Mousquetaire concernant la campagne de Normandie (de juillet à septembre 1702), avec le titre Le Mercure Normand ou Voyage des Mousquetaires à Valognes en 1702, extrait des œuvres posthumes du Chevalier de Saint Gilles et publié avec une
Comme aucune étude n’a été jusqu’à présent consacrée à la production littéraire de ce mousquetaire-fabuliste,9 nous allons analyser de plus près ses apologues pour essayer de
comprendre comment ils s’insèrent dans le panorama de la création ésopique française de la fin du XVIIe siècle et nous fournissons en appendice le texte de toutes les fables en rondeau contenues dans La Muse Mousquetaire.10
Incontestablement la parution, en 1668, des six premiers livres de fables de La Fontaine11
constitue un tournant pour le genre de l’apologue en France:12 les fabulistes successifs, conscients
de ne pas pouvoir égaler le succès obtenu par ce recueil et de ne pas pouvoir se confronter avec le talent lafontainien, se sentent obligés de se démarquer de la tradition, aussi bien pour ce qui est des motifs que pour ce qui est du style. Sur la scène littéraire font alors leur apparition des recueils de fables « nouvelles »,13 des tentatives de ‘transposer’ les fables au théâtre,14 ou même de les graver
sur les fontaines de Versailles.15 Peut-on considérer nos « fables en rondeau » comme une réponse à
cette exigence d’originalité ? Un examen des thèmes traités par Saint-Gilles nous permet d’affirmer que vingt-six des vingt-huit apologues assemblés dans La Muse Mousquetaire dérivent du patrimoine ésopique. Il est difficile d’établir quel est ou quels sont les modèles auxquels Saint-Gilles s’est inspiré directement. Au delà d’une connaissance diffuse des fables de La Fontaine (car la grande majorité des sujets des rondeaux avaient été affrontés par « le bonhomme »), il a sans doute eu accès à quelques uns des fabliers qui avaient paru en France dans la première partie du siècle. En particulier nous pensons qu’il avait eu sous la main le « best seller » de l’époque, c'est-à-dire la mise à jour de la traduction de l’Aesopus Dorpii que fit Jean Baudoin en 1631 et qui fut l’objet de plusieurs rééditions successives. Tous les motifs choisis par Saint-Gilles sont en effet Préface et des Notes par un bibliophile du Quartier Martainville (Rouen: Imprimerie E. Cagniard, 1876). Les 28 pages sont tirées des ‘mercures’ VI-X, renumérotés Lettres I –V.
9 Saint-Gilles n’est pas le seul homme d’épée de son époque à s’adonner à l’art de la fable. En 1678 parut par exemple un fablier dont l’auteur était César-Alexis Chichereau de la Barre, capitaine du régiment royal: C. A. Chichereau, chevalier de la Barre, Fables nouvelles en vers (Cologne: s.é., 1687). (A. Cioranescu, op. cit., t. II, p. 1103 et F. Lachèvre, op. cit., t. III, pp. 366-367).
10 Dans La Muse Mousquetaire sont insérées trois autres fables, qui ne prennent pas la forme de rondeau mais sont également très originales: la première est en réalité une chanson (L’Abeille, le Bourdon et la Guêpe Fable sur l’air « Réveillez-vous, belle endormie », p. 69), les deux autres, Fable allégorique énigmatique (p. 225) et Fable allégorique-Enigme (pp. 251-252) sont des énigmes cachant un mot, que la correspondante fictive doit deviner.
11 Fables choisies mises en vers (Paris: Barbin, 1668).
12 J. Janssen, La fable et les fabulistes (Bruxelles: chez l’Office de publicité, S.A. Editeurs, 1955), p. 64, avait déjà affirmé: «Les fabulistes comprirent le danger qu’ils couraient à vouloir imiter La Fontaine. Désespérant l’égaler, ils cherchèrent, par la nouveauté des sujets, à compenser leur infériorité ou tout au moins à éviter des comparaisons écrasantes pour eux. On les vit délaisser les sources traditionnelles de l’apologue pour se rabattre sur les produits de leur propre imagination. Ainsi s’opéra une véritable révolution dans le genre, révolution qui ouvrit l’ère des fables nouvelles». Pour une étude complète de la production ésopique française du XVIIe siècle cf. G. Parussa, Les recueils français de fables ésopiques au XVIIe siècle (Genève, Paris: Slatkine, Champion, 1993).
13 Parmi les principaux auteurs de fables « nouvelles » nous pouvons mentionner: Marie-Catherine-Hortense Desjardins, Madame de Villedieu, Fables ou Histoires allégoriques (Paris: Barbin, 1670) (Cf. M. Cuénin, Catherine Desjardins, Lille: Atelier des Thèses, Diffusion Champion, 1979); Louis Desmay, L’Esope François. Fables nouvelles (Paris: Clousier et Bienfait, 1677) (Cf. L. Giachino, ‘Le français d’Esope. Les fables de L. S. Desmay’, Reinardus 11 (1998), pp. 85-93); Philibert-Bernard Moreau de Mautour Fables nouvelles en vers (Paris: C. Blageart, 1685) (Sur l’attribution de cet ouvrage cf. G. Mombello, ‘Un Recueil anonyme (Ph.-B. Moreau de Mautour?) de Fables nouvelles en vers du XVIIe siècle’, Reinardus 2 (1988), pp. 102-119); Eustache Le Noble, Contes et Fables (Lyon: Claude Rey, 1697, 2 vols) (Cf. Ph. Hourcade, Entre Pic et Rétif, Eustache Le Noble, 1643-1711, Paris: Aux Amateurs des Livres, 1990); Antoine Furetière, Fables morales et nouvelles (Paris: C. Barbin, 1671) (Cf. A. Amatuzzi, ‘Antoine Furetière fabuliste’, Reinardus, 17 (2004), pp. 5-21).
14 Nous nous référons à des comédies qui contiennent des fables ésopiques, récitées sur scène: Edme Boursault, Les Fables d’Esope (Paris: Theodore Girard, 1690); Idem, Esope à la cour, comédie héroïque (Paris: D. Beugnie: 1702); Eustache Le Noble, Esope, Comédie accommodée au Théâtre Italien (Paris: G. de Lyunes, G. Quinet, M. Jouvencel, J.-B. Langlois 1691 et Lyon, J.-B. de ville, 1691) (Sur ces trois pièces cf. A. Amatuzzi, ‘Quand la fable passe au théâtre: les ‘fables en comédie’ d’Edme Boursault et d’Eustache Le Noble’, in Da un genere all’altro, à paraître). 15 Isaac de Benserade, Fables d'Ésope en quatrains, dont il y en a une partie au labyrinthe de Versailles (Paris: S. Mabre-Cramoisy, 1678).
contenus dans ce recueil16 sauf les deux « fables nouvelles », Le laboureur et son potage et Le Dragon et l’enclume, qui sont d’ailleurs placées à la fin de la petite collection de fables en rondeau
de notre mousquetaire et s’en détachent un peu, notamment la dernière qui est plus un poème expressément conçu pour prendre congé et invoquer la bienveillance des Muses qu’un vrai apologue.
L’option de Saint-Gilles n’est donc pas d’innover les sujets mais de s’aventurer dans un exercice de style téméraire et difficile: composer des apologues qui respectent une structure stylistique fixe et rigide, le rondeau. Cette forme métrique répandue au Moyen Age (quand il s’accompagnait à la danse et à la musique) avait pris une nouvelle structure à partir du XVe siècle: trois strophes (un quintil, un tercet et un autre quintil) avec à la fin de la deuxième et de la troisième strophe un refrain (ou rentrement, ou clausule) qui reprend le premier hémistiche ou un écourtement du premier vers. Un total de quinze vers donc, généralement des octosyllabes (avec refrain de trois ou de deux syllabes) ou décasyllabes (avec refrain tétrasyllabyque) qui riment selon le schéma aabba / aabR / aabbaR. C’est grâce à Clément Marot que le rondeau est mis à l'honneur au temps de la Renaissance et, après avoir été délaissé par la Pléiade, il est réhabilité au XVIIe siècle par les poètes « précieux » et notamment par Vincent Voiture, qui s’est particulièrement illustré en cette forme.17 Il devient ainsi un genre lyrique mondain18 très en en vogue et très apprécié qui, comme
l’explique Henri Morier, par son mouvement « peut exprimer à merveille une réflexion continuée, un espoir qui s’enchante de fantaisie, une rêverie aux contours vagues, un bonheur évanescent, tout horizon sans limite, tout sentiment chargé de désir, toute substance évasive ».19
Le défi de Saint-Gilles est par conséquent hardi: il choisit d’utiliser une forme métrique plutôt contraignante, très musicale, qui convient bien à des thématiques liées à l'amour, à la célébration de ses joies, à l'évocation de ses peines et qui à priori se prête peu à l’écriture fabulaire qui, elle, implique au contraire une énonciation linéaire et sous-tend un dessein instructif et édifiant. Il est légitime alors de se demander comment notre mousquetaire arrive à concilier la matière ésopique avec la disposition en rondeau.
D’autre part il est évident qu’en prenant le parti de se servir de cette forme Saint-Gilles s’inscrit clairement dans la lignée de la galanterie mondaine, courant social et littéraire qui a nourri l’ensemble du XVIIe siècle français et dont les composantes fondamentales sont « l’alliage de l’enjouement, de la délicatesse, de l’ingéniosité qui, sous les apparences de la naïveté, construit en fait le naturel ».20 On peut alors s’interroger sur le rôle que l’apologue revêt dans ce contexte.
16 Il s’agit de Les Fables d’Esope Phrygien, traduction nouvelle illustrée de discours moraux, philosophiques et politiques, par I. Baudoin (Paris: chez Toussainct du Bray, 1631).
17 Sur Voiture et le rondeau cf. S. Rollin Le style de Vincent Voiture: une esthétique galante (Saint-Étienne: Publications de l'université de Saint-Étienne, 2006).
Rappelons au passage que Isaac de Benserade, un autre fabuliste, avait produit, lui, une version en rondeaux des Métamorphoses d’Ovide Métamorphoses d’Ovide en rondeaux (Paris: Imprimerie Royale, 1676).
18 Nous empruntons cette définition à Alain Genetiot à qui on doit une importante étude sur les multiples formes qu’emprunte la poésie pratiquée dans les milieux mondains: A. Genetiot Les genres lyriques mondains (1630-1660) (Genève: Droz, 1990). Sur le rondeau cf. notamment les pp. 40-47.
19 Dictionnaire de poétique et de rhétorique (Paris: Presses Universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », 1998), p. 969.
20 Ce courant de sensibilité, civilité et esthétique a longtemps été laissé dans l’obscurité face à l’esthétique classique. Depuis quelques décennies seulement des études en ont reconnu l’importance. Parmi la vaste bibliographie nous signalons: A. Viala L’esthétique galante (Toulouse: SLC Klincksieck, 1989); Idem, ‘D’une politique des formes: la galanterie’, XVIIe siècle, 182 (1994), pp. 143-151 (d’où est tirée la citation, qui se trouve à la p. 145); Idem, ‘La littérature galante: histoire et problématique’, in Il Seicento francese oggi. Situazione e prospettive della ricerca. Actes du colloque international, éd. G. Dotoli (Bari-Paris: Adriatica-Nizet, 1994), pp. 100-113; Idem, ‘Qui t'a fait minor ? Galanterie et Classicisme’, Littératures classiques, 31 (1997), pp. 115-134; Idem, La France galante: essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu'à la Révolution (Paris: Presses universitaires de France, 2008); Idem, ‘Les signes galants: a historical reevaluation of galanterie’, Yale French Studies 92 (1997), pp. 11-29; D. Denis, ‘Réflexions sur le style galant: une théorisation floue’, Le Style au XVIIe siècle, Littératures classiques 28 (1996), pp. 147-158; Idem, La muse galante. Poétique de la conversation dans l’œuvre de Madeleine de Scudéry (Paris: H. Champion, 2000); Idem, Le Parnasse galant. Institution d'une catégorie littéraire au XVIIe siècle, (Paris: H. Champion,
C’est en suivant cette double problématique que procédera notre lecture, qui se propose d’observer et de rendre compte des transformations que les motifs ésopiques traditionnels subissent inévitablement pour répondre au projet poétique de Saint-Gilles.
Tout d’abord il faut constater que la structure circulaire du rondeau, qui se referme sur les mots qui l’ont commencé, conditionne fortement non seulement l’élocution mais la conception même du poème. En particulier le refrain joue un rôle primordial et l’auteur doit choisir scrupuleusement le groupe de mots qui formeront le premier hémistiche du premier vers car ils viendront ponctuer le discours.
C’est ce que fait Saint-Gilles, qui confectionne avec soin ses rondeaux en veillant à ce que le refrain soit lié à la pensée qui précède, qu’il soit amené délicatement et qu’il en complète le sens de manière naturelle. Par exemple, dans la fable 23, Le bon homme dupé, le groupe nominal son
just’aucorps, répété en tant que clausule, est un élément central de la phrase (il a le statut de COD)
et il achève la syntaxe des vers immédiatement précédents par le biais d’un enjambement, en assurant un effet de continuité et de prolongement.
L’habilité des auteurs de rondeaux consiste aussi à opérer, pour ce qui est possible, des mutations de sens sur les mots du refrain. C’est le procédé de l’antanaclase, figure rhétorique de la polysémie qui concerne des homophones qui ne sont pas synonymes et prévoit la répétition d’un même mot, mais en l’employant dans deux acceptions différentes, ce qui permet des jeux d’oppositions qui créent une certaine surprise et évitent la monotonie.21
C’est ainsi que la fable 13, Le Coq et le diamant, s’ouvre avec la locution verbale mieux il vaudroit, qui signifie ‘être plus utile’, ‘être préférable’ (et cette même signification subsiste au dernier vers) mais présente au premier refrain le verbe valoir avec le sens de ‘être estimé un certain prix, une certaine valeur’, le pronom personnel sujet il se référant au brillant agrément. De même dans la fable 3 Le Loup et l’Agneau la locution adverbiale tout au plus de la clausule a une valeur sémantique bien différente par rapport à l’expression tout au plus haut du vers initial.
En quelques cas Saint-Gilles joue en variant la catégorie grammaticale des mots repris dans le refrain: dans la fable 4, Le Loup et le Renard, au premier vers alors que est une locution conjonctive temporelle - adversative, dans les refrain alors est un adverbe de temps; dans la fable 5, Le Loup
trahi par le Renard, au premier vers, « Bien mal acquis pour l’ordinaire / Au voleur ne profite
guere », bien est un substantif alors qu’il devient ensuite un adverbe: « Du Renard se tourna l’affaire / Bien mal »; dans la fable 7, Le voleur et le Chien, on trouve au premier vers la préposition
sur suivie de l’adjectif indéfini tout tandis que dans le refrain c’est l’adverbe surtout qui est utilisé
(nonobstant qu’il soit orthographié en deux mots).
Saint-Gilles arrive efficacement à respecter les contraintes qu’impose la structure du rondeau et à faire en sorte que l’intelligibilité et la compréhension du texte ne soient pas compromises par le manque de linéarité et par le développement en à peine quinze vers, qui réduit forcément l’intrigue au maximum. Pour obtenir ces résultats il met en place quelques stratégies énonciatives appropriées et ses apologues acquièrent des traits particuliers.
Par exemple au niveaux syntaxique il privilégie la parataxe, en utilisant une série de propositions indépendantes juxtaposées, en omettant les conjonctions de coordination ou de subordination. Cela est évident à la fable 1, Le Loup et le Chevreau, où, pour faire avancer l’histoire dans l’espace limité et mouvementé du rondeau, il recourt à des incises, il laisse des phrases inachevées, donnant au récit une cadence saccadée, ou à la fable 2, La Cigalle et la Fourmy, où le rythme est alerte et les connexions logiques ne sont pas toujours exprimées linguistiquement.
En outre, sans doute pour s’accommoder aux besoins du dispositif en rondeau, Saint-Gilles n’attribue pas une position constante au commentaire moral: tantôt il précède le récit, (comme à la fable 5, Le Loup trahi par le Renard, ou à la fable 9 Le Renard et le Corbeau: « Que la louange a 2001); A. Genetiot, Poétique du loisir mondain de Voiture à La Fontaine (Paris: Champion,1997); J.-M. Pelous, Amour précieux, amour galant (Paris: Klincksieck, 1980).
21 Sur l’antanaclase cf. H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, p. 8 qui rappelle que le refrain est un type d'antanaclase: « la répétition du refrain, sous un éclairage qui change constamment avec le sens, n’est qu’une application raffinée de l’antanaclase».
des puissants apas / Pour les esprits qui ne connoissent pas / D’un tel poison le mortel artifice! »), le plus souvent il le conclut (fable 2, La Cigalle et la Fourmy, qui se termine « Quand on est vieux, c'est trop tard qu'on regrette / Les jours perdus, et de faire moisson / Le temps n'est plus ») et parfois, de manière non conventionnelle, il est inséré au plein milieu de l’intrigue qu’il vient interrompre, comme dans la fable 3, Le Loup et l’Agneau, où il intervient aux trois premiers vers du dernier quintil, avant que le lecteur ne sache quel sera le dénouement final de l’aventure de l’agneau (« Un méchant qui dans son cerveau / Imagine un crime nouveau / Le fait éclore quoi qu’on fasse »).
Bref, les fables en rondeau sont l’aboutissement d’un exercice de style très ingénieux, bien que dissimulé, qui métamorphose leur physionomie habituelle et finalement les rend plus désinvoltes et décontractées, atténuant leur tempérament souvent grave et sentencieux.
La disposition en rondeau leur confère surtout une atmosphère de douceur et de finesse qui correspond à l’affirmation de l’esthétique galante à laquelle Saint-Gilles adhère pleinement. Elle se manifeste parfois avec une expression ornée de tours gracieux, d’images raffinées et délicates. C’est le cas de la fable 7, Le voleur et le Chien, où l’emploi de termes recherchés, le goût pour l’antiquité et les références mythologiques donnent vie à un tableau presque idyllique, ou de la fable 14, Le
Loup et le Chien, où le climat d’aménité qui se dégage aux premiers vers est tempéré par un ton
plus proche de la raillerie amené par l’expression populaire chercher de quoi frire et par l’emploi des presque homonymes matin/ mâtin.
Plus généralement, comme le soutiennent toutes les études récentes sur la galanterie, c’est dans une esthétique du jeu que ce paradigme culturel trouve sa réalisation la plus accomplie. Dans la France de la deuxième moitié du XVIIe siècle, qui voit l’avènement et l’émergence de nouvelles élites, la littérature a comme mission de divertir et d’égayer la conversation, phénomène social saillant dans les milieux aristocratiques et bourgeois assidus des salons. L’objectif poétique de Saint-Gilles, d’autant plus singulier si l’on pense qu’il provient d’un homme d’armes, occupé dans la guerre, est précisément d’écrire des apologues pour se distraire des tracas de la vie militaire et diplomatique et également pour amuser le destinataire à qui il les adresse.22 L’apologue prend alors
une fonction éminemment ludique. Il privilégie un registre plaisant et léger, agrémenté au niveau lexical par la présence de diminutifs qui viennent ajouter une nuance affective et tendre23 ou
rehaussé par l’introduction de quelques clins d’œil badins comme dans la fable 1, Le Loup et le
Chevreau, où il insère une remarque inattendue (« D’une maison certain loup s’approchait / à pas de
loup (très difficile étoit / à l’animal d’approcher d’autre sorte) »), ou dans la fable 12, Le Paon et
Junon, où la moquerie est dirigée sur sa propre condition (« Faire rondeaux ne fut métier de page »),
ou encore dans la fable 13, Le Coq et le diamant, où un vers fait écho de manière aisée et sans gêne à la célèbre Ballade du concours de Blois de Villon (« Ah ! que le sort me traite injustement, /Je meurs de faim prés d’un tel aliment »).
Dans ce jeu littéraire où la gaité prime sur l’esprit de sérieux, quelle est la place réservée à la réflexion éthique, aspect déterminant dans le genre de l’apologue? C’est un problème qui avait dû solliciter La Fontaine puisqu’il l’affronte dans la ‘Préface’ de ses Fables où il soutient qu’il n’est pas impossible de concilier la poétique de la gaité avec le genre traditionnellement didactique de la fable:
J’ai pourtant considéré que, ces fables étant sue de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le gout. C’est ce qu’on demande aujourd’hui. On veut de la nouveauté et de la gaité. Je n’appelle pas gaité ce qui excite le rire; 22 Dans son étude Poétique du loisir mondain A. Genetiot rappelle que la galanterie est « avant tout une esthétique du jeu et un refus du sérieux » (p. 226), que le principe de cette nouvelle forme d’écriture est « l’enjouement et le but de plaire et d’éviter l’ennui » (p. 271) et que «la fonction de la littérature est redéfinie et devient « un divertissement heureux qui permet de se retrouver et de se ressourcer lion des officia, tout en restant dans le monde, en une sorte de retraire intramondaine » (p. 509).
23 Nous avons relevé: ‘verdelette’, ‘herbette’, ‘pauvret’, ‘solette’, ‘chansonette’.
mais un certain charme, un air agréable, qu’on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux.
De la même manière chez Saint-Gilles le désir de plaire et de distraire n’écarte pas la volonté de transmettre un enseignement, ou du moins de donner quelques recommandations profitables pour bien vivre et se tenir convenablement en société.24 La morale, bien que sacrifiée en quelques cas,
sans doute à cause des contraintes imposées par l’espace restreint du rondeau, est le plus souvent explicitée clairement. Il faut admettre néanmoins qu’il s’agit d’une morale laïque, universelle, passe-partout. Il s’agit en somme de considérations de bon sens concernant la vie quotidienne, comme dans le cas de la fable 1 Le Loup et le Chevreau, où on se limite à un encouragement à se comporter sagement en famille, de la fable 2, La Cigale et la Fourmy où on rappelle simplement qu’il est inutile de regretter temps perdu, de la fable 3 Le Loup et l’Agneau, où on admet qu’on ne peut rien contre les méchants, ou encore de la fable 20, Le Coq prudent,où on est invité à se méfier des ennemis.
Saint-Gilles prône une morale de l’acceptation selon laquelle il est préférable de se contenter et de maintenir le status quo et d’éviter les changements, la discrétion et la prudence étant des vertus primordiales. Nous lisons en effet à la fable 18, Le Chien et son ombre:
Ami lecteur, sois prudent et discret: Ce que tu tiens, tiens-le bien en effet Et quand tu change, examine l’affaire Plus d’une fois.
et à la fable 19, L’ambitieuse Grenouille: L’homme discret limite ses besoins: Content du sien, il a de quoi se plaire Dans son état.
Certaines réflexions moralessont plus directement en relation avec les mœurs, les comportements et les valeurs dominantes de la société de la France Louis quatorzienne. Il est par exemple question d’une qualité qui régit les relations interpersonnelles à l’époque, l’art de louer (à la fable 9, Le
Renard et le Corbeau, on met en garde contre les appâts de la louange et on en dénonce les danger
et les abus), ou encore des risques qu’on court si on s’allie avec des personnes de milieux différents (fable 6, Le Loup trahi par le Renard), sans oublier l’attrait démesuré pour l’argent (fable 8, L'Asne
malade et les Loups où on a affaire à des héritiers avares), le souci des revers de fortune (fable 16, Le Cheval et l’Asne) et bien évidemment le problème de la fidélité entre les amants (fable 26, L’Idole et fable 27, Le Laboureur et son potage).
Nous observons ainsi que, transposées dans l’univers galant, les fables en rondeau perdent une bonne partie de leur impact éthique et finissent par devenir de bons moments joyeux, des sources de jouissances esthétiques, des petits ouvrages de recréation et loisir qui peuvent éventuellement stimuler des approfondissements à l’échelle de la morale.
Notre analyse peut donc se conclure sur la constatation que les fables en rondeau de Saint-Gilles Lenfant représentent un témoignage intéressant de la place prépondérante tenue par le 24 Pour considérer la fonction que des fables de Saint-Gilles assument dans le contexte de la fin du XVIIe siècle il faut bien sûr avoir à l’esprit que, comme le remarque de D. Denis (‘Réflexions sur le style galant’, p. 148) « La conversation galante, en effet, où règne l’esprit de joie et où le plaisir, le divertissement de tous sont la seule fin, s’imposera ainsi comme l’unique modèle possible. Il s’agit donc de plaire, d’agréer, et non de persuader », mais il faut également tenir compte des mots de A. Viala (La France galante, p. 54) qui nous met en garde: « Mais ce serait une erreur de perspective que de poser une équation où galant égalerait tics et jeux et cela seulement. L’enjouement est un fait, il est une composante essentielle de l’art de plaire, qui peut lui-même être un jeu, et parfois un jeu frivole, mais parfois aussi l’enjeu a du sérieux ».
modèle galant dans la France du XVIIe siècle, qui a laissé des traces aussi dans le domaine de l’apologue. Ce genre antique, mis au service de la vision poétique mondaine, se trouve transfiguré, même s’il reste fidèle à plusieurs aspects de la tradition, en conservant sa double vocation de
delectare et docere.
L’esthétique galante préconisait, comme l’affirment plusieurs études, le brouillage et l’hybridation des genres.25 Peut-on alors considérer l’exercice de style audacieux de Saint-Gilles un véritable
décloisonnement de l’apologue et du rondeau? Certainement il implique une contamination réciproque féconde entre les deux. Paradoxalement la fable, enfermée dans le moule strict et tout à fait insolite du rondeau gagne en gaité, aisance, liberté. Quant au rondeau, il prend la distance des frivolités et affectations et s’ouvre sur une dimension plus réfléchie et édifiante. La création littéraire qui en résulte est heureuse.
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ESSAI DE RONDEAUX SUR QUELQUES FABLES D’ESOPE26
25 S. Rollin (Le style de Vincent Voiture, p. 21) explique par exemple: « La galanterie ne désigne pas certaines qualités précises mais l’alliance de diverses qualités de savoir vivre et d’élégance , un ensemble de valeurs et un mode de comportement que l’on nomme aujourd’hui l’ethos galant. Cette association d’éléments divers se retrouve dans le style d’auteurs tels que Voiture qui affichent une prédilection pour l’alliance, dans une même production, de genres, de registres et de tons différents ».
26 Ce titre annonce, dans La Muse Mousquetaire (p.7), les vingt-huit fables de Saint-Gilles, qui occupent les pages 7-34 du volume, chaque rondeau étant disposé sur une page.
Pour la transcription du texte nous avons gardé l’orthographe de l’époque, sauf dans le cas de l’accent circonflexe sur les adjectifs personnels notre et votre, qui a été supprimé. Nous avons corrigé quelques coquilles évidentes et la leçon originale refusée a été donnée en note. Nous avons expliqué en note quelques mots ou expressions rares ou désuets. En ce qui concerne la ponctuation et l’emploi des majuscules nous avons suivi l’usage moderne. Nous avons ajouté la numérotation des apologues, absente dans La Muse Mousquetaire.
1 Le Loup et le Chevreau
D’une maison certain Loup s’approchoit À pas de loup (tres difficile étoit
À l’animal d’approcher d’autre sorte). Tant approcha qu’enfin… mais il n’importe, Venons au fait: une Chevre en sortoit.
Non sans raison cette Chevre craignoit: Seul au logis son fils elle laissoit, Bel étourneau pour bien garder la porte D’une maison.
Plus sage fut pourtant qu’on ne croyoit. Le Loup heurta. « Quelque sot ouvriroit », Dit le Chevreau. Voila ce qu’en rapporte Maître Aesopus: un fils qui se comporte Bien sagement est l’appui, le bras droit D’une maison.
2 La Cigalle et la Fourmy
Le tems n'est plus de la belle saison: L'hiver approche, et neige à gros flocon Tombe du ciel. Cigale verdelette
Ne chante plus; autre soin l'inquiete: C'est de dîner dont il est question. Mais où dîner? Car de provision Il n'en est point: point de précaution! D'aller aux champs sucer la tendre herbette Le tems n'est plus.
Elle va droit à l'habitation De la Fourmy; belle réception, Mais rien de plus: il faut faire diette.
Quand on est vieux, c'est trop tard qu'on regrette Les jours perdus, et de faire moisson
Le tems n'est plus.
3 Le Loup et l’Agneau
Tout au plus haut d’un clair ruisseau Buvoit le Loup; plus bas l’Agneau Buvoit aussi. « Par quelle audace, Lui dit avec laide grimace
Le Loup, viens-tu troubler mon eau? » Le pauvret tremblant pour sa peau Lui dit: « Observez le niveau, Je ne trouble que cette place Tout au plus ».
Un méchant qui dans son cerveau Imagine un crime nouveau
Le fait éclore quoi qu’on fasse. Le Loup lui reproche sa race,
L’étrangle et n’en fait qu’un morceau Tout au plus.
4 Le Loup et le Renard
Alors qu’avalant force eau claire Au fonds d’un puits ce pauvre here N’attendoit qu’un prochain trépas, Le Loup passant regarde en bas Et prend pitié de sa misere.
« Comment, dit-il, as-tu pu faire? » « Tire-moi promptement d’affaire, Dit le Renard, tu le sçauras
Alors ».
Il ne seroit pas necessaire D’expliquer ici le mistere Car dans un pareil embaras Il faut agir plutôt de bras
Que de la langue; il faut se taire Alors.
5 Le Loup trahy par le Renard
Bien mal acquis pour l’ordinaire Au voleur ne profite guere. Un Loup ayant fait grand amas D’agneaux tendres, de moutons gras, Vivoit joyeux dans sa taniere.
Mais rien de sûr, quelle misere! Un mortel quoi qu’il puisse faire Tour à tour éprouve ici bas Bien mal.
Le Renard, ami peu sincere, Du Loup révela le mistere, Au paysan qui le mit bas.
Mais par un coup du même bras, Du Renard se tourna l’affaire Bien mal.
6 Le Pot de terre et le Pot de fer
Les pots cassez … je me trompe vrayment, Entiers et sains sur l’humide élement Deux pots flottoient differens de structure, L’un de métal relevé d’encolure
Sans soin, sans peur, voguoit arrogamment. L’autre de terre alloit plus humblement, De son voisin craignant l’attouchement Et d’augmenter par une atteinte dure Les pots cassez.
Du pot craintif voici l’enseignement: Quand un petit s’allie imprudemment Avec un grand pour trop haute avanture, Le grand en sort en fort bonne posture Et le petit paye ordinairement
Les pots cassez.
7 Le Voleur et le Chien
La nuit sur tout l’hemisphere à pas lents avoit fermé pour assoupir nos sens
de ses pavots27 les douceurs qu’on admire,
Lorsqu’un larron prés d’un huis tourne et vire; Mais un mâtin lui montroit grosses dents. « Quoi de veiller à telle heure est-il tems ? Dit le voleur: veux-tu du pain? Tiens! Prens! Faire la garde est un cruel martyre,
La nuit sur tout ».
« Je crains les Grecs et je crains leurs presens, Répond le Chien. Un troyen de bon sens, Fort à propos jadis le sçut bien dire; J’en dis autant et vous crois28 fort bon sire
Mais pour du pain on n’entre point ceans, La nuit sur tout ».
8 L’Asne malade et les Loups
« Il n’est pas mort et ne voudrois jurer, S’il n’en meurt pas, qu’on ne puisse esperer De le guerir ». Naïve repartie
Que fit l’Asnon, avecque modestie,
Aux Loups gloutons qui venoient y flairer. « Nous venons tous, disoient-ils, enterrer Défunt baudet ». « Il faudra differer, Leur dit l’Asnon; remettez la partie Il n’est pas mort ».
Adonc convint aux Loups se retirer
Tout doucement, mais non sans murmurer. Souvent ainsi, dans longue maladie, Pour l’heritier avare, quoi qu’il die, Ces quatre mots sont durs à digerer: ll n’est pas mort.
27 L’expression enregistrée au XVIIe siècle est les pavots du sommeil (ou de la nuit): « Les Poëtes disent, Les pavots du sommeil, pour dire, Le sommeil même » (Dictionnaire de l'Académie, 1694); « Les Poetes peignent le Dieu du Sommeil couché sur des gerbes de pavots. Ils disent qu’il jette ses pavots sur quelqu’un quand il le veut faire dormir » (A. Furetière, Dictionnaire Universel, 1690).
9 Le Renard et le Corbeau
Que la louange a des puissants apas Pour les esprits qui ne connoissent pas D’un tel poison le mortel artifice! Un vieux Renard abondant en malice, Vit un corbeau mangeant fromage gras. « O rare oyseau! dit-il, que de fracas, Estant si beau, tu ferois icy bas… »
Pour prendre un fat, c’est un moyen propice Que la louange.
« Si tu chantois, comme avant son trépas Chante le cygne… » Aussitôt par compas Le sot Oyseau, qui se croit un Narcisse, Ouvre le bec et le fromage glisse. Quand on a faim, c’est un maigre repas Que la louange.
10 La femme chatte
Qu’il fut heureux l’amant, quand il obtint Que sa minette une femme devint!
Il en est fou, la caresse, la flatte, Baise la main qui venoit d’être patte, Et sa fureur jusqu’à l’excés parvint. Il l’épousa. Voyons ce qu’en advint. La femme un tems son naturel retint. L’époux ravi ne croit plus voir sa chatte: Qu’il fut heureux!
Mais la souris sur le plancher survint: L’épouse chatte en ses bras ne se tint. Saute du lit, court et grimpe à la natte; Fait par ce trait que son genie éclatte. Pour l’en punir chatte elle redevint: Qu’il fut heureux!
11 Le Coq et le Renard
Sans marchander un Renard peu courtois Se fournissoit chez un bon villageois Dont le pailler abondoit en volaille. De poule crue il fit long-tems gogaille: Mais dans les lacqs fut pris le fin matois. Il supplia le Coq en son patois
D’être secret, au moins pour cette fois. On promet tout à certaine canaille Sans marchander.
Le Coq promit, sans dessein toutefois, De rien tenir: ains29 court en tapinois
Au païsan conter cette trouvaille,
Qui par maint coup et d’estoc et de taille Le faux Renard reduisit aux abois Sans marchander.
12 Le Paon et Junon
Avec éclat prêcher en beau langage D’un hibernois30 onc31 ne fut le partage.
Moine zelé point n’écrivit poulet; Grave pédant ne donna camouflet; Faire rondeaux ne fut métier de page32.
Du Rossignol convoitant le ramage, Prés de Junon le beau Paon faisoit rage, Se lamentoit, poussoit un cri fort laid Avec éclat.
Dame Junon, assise en son nuage, Luy répondit d’un ton severe et sage: Au Rossignol convient le doux faucet Et le beau Paon doit être satisfait
Des yeux d’Argus33 brillans sur son plumage
Avec éclat.
29 « ains. particule d'opposition, qui signifie, Mais. Il
est vieux (Dictionnaire de l'Académie, 1694). 30 Hibernia était le mot latin pour désigner l'Irlande. 31 « onc. Adv. de temps. Jamais. Il est vieux » (Dictionnaire de l'Académie, 1694).
32 La Muse mousquetaire comporte ici une note qui précise: « Il étoit Page du Roy lors qu’il fit la plûpart de ces Rondeaux ».
33 La référence est à la légende d’Argus, le géant dont les yeux, à sa mort, furent disposés par Junon sur la queue et les ailes du paon.
13 Le Coq et le diamant
« Mieux il vaudroit trouver grain de froment Dans ce fumier que riche diamant,
Disoit un Coq transporté de colere,
D’un tel bijoux qu’est-ce que je puis faire? Quoy m’en parer, ridicule ornement! Sur mes argots34 ce brillant agrément
Ne peut avoir de prix assurément: Entre les mains d’un riche lapidaire Mieux il vaudroit.
Ah! Que le sort me traite injustement! Je meurs de faim prés d’un tel aliment! » Ainsi l’avare à soi-même contraire Languit dans l’or qui ne peut satisfaire Sa soif ardente, et qu’il fist autrement Mieux il vaudroit.
14 Le Loup et le Chien
Rien n’est plus doux qu’en parfaite santé Faire au matin promenade en été.
Jadis un Loup l’ayant, je pense, oui dire, Se promenoit, cherchant de quoi frire35
Quand d’un mâtin il se vit accosté. « Que faites-vous dans ce bois écarté? - Lui dit le Chien - Venez à la cité,
Nous sommes là comme dans notre empire, Rien n’est plus doux ».
« Mais qui vous a le col ainsi gâté? » Lui dit le Loup. « Parfois suis garoté », Répond le Chien. « Suffit, je me retire, Dit lors le Loup, Adieu vous dis, beau Sire: Or, quant à moy, vive la liberté,
Rien n’est plus doux ».
34 « Argot s.m. On dit plus communément Ergot. Pointe dure qui vient au derriere du pied de quelques animaux » (Dictionnaire de l'Académie, 1694).
35 L’expression attestée est n’avoir rien à frire: « On dit prov. qu'Il n'y a rien à frire, qu'il n'y a point de quoy frire dans une maison, pour dire, qu'Il n'y a rien à manger ». On dit aussi, qu'Un homme n'a plus de quoy frire, pour dire, qu'Il est ruiné.. (Dictionnaire de l'Académie, 1694).
15 Le Renard et Le Chat
« Il n’est rien tel que d’avoir de l’esprit, Dit un Renard, pour moi, sans contredit, J’en ai bien plus qu’aucune autre pecore36:
Et sans mentir je puis compter encore
Deux cens bons tours que j’ai mis par écrit ». « Moi, dit le Chat, j’en sçai pour mon profit Un merveilleux, que ma mere m’apprit. Content du mien, tous les autres j’ignore; Il n’est rien tel ».
Dans cet instant l’un et l’autre entendit Un bruit de chiens; l’un et l’autre partit. Le matou grimpe au haut d’un sycomore L’autre est en proye au Chien qui le dévore. Point de finesse où le bon sens suffit. Il n’est rien tel.
16 Le Cheval et l’Asne
Tout autrement que ne marche une grue Un fier Cheval marchoit dans une rue D’un riche harnois superbement orné. Certain baudet bien intentionné Le rencontrant humblement le salue. « Lâche animal, plus lent qu’une tortue, Dit le Cheval, fuis ou bien je te tue! » « Ah ! Traitez-moi, répond l’Asne étonné, Tout autrement ».
Dame fortune ici-bas tout remue, Le fier Cheval devient rosse battue: A la charette il se voit destiné.
L’homme trop fier de se voir fortuné Devient souvent par rencontre imprévue Tout autrement.
17 Les Ecrevisses
36 Ce substantif est utilisé ici dans son acception première: ‘pièce de bétail’, ‘animal’, ‘bête’. Cf. DMF, Dictionnaire du Moyen Français, version 2010 (ATILF-CNRS & Université de Lorraine. Site internet: http://www.atilf.fr/dmf).
Par son exemple une Ecrevisse mere Vouloit montrer à sa fille à bien faire, Et lui marquoit par de belles leçons L’art de bien vivre avecque les poissons (Morale utile autant que necessaire). Se promenant au bord d’une riviere La vieille alloit et marchoit en arriere; La jeune alloit de même à reculons Par son exemple.
« Vous reculez! », dit la vieille en colere. « Oui, dit la jeune, et je croyois bien faire Car toutes deux, maman, nous reculons ». Souvent ainsi maint faiseur de sermons Parle en prophete et prêche le contraire Par son exemple.
18 Le Chien et son ombre
Plus d’une fois passant une riviere
Certain barbet croyoit voir dans l’eau claire Un autre chien qui faisoit le trajet:
C’étoit son ombre. Un jour notre barbet Portant son os passoit à l’ordinaire. Il apperçoit le chien imaginaire Et l’os aussi. Jaloux, plein de colere, Il plonge aprés, sort de l’eau, s’y remet Plus d’une fois.
Que gagne-t-il notre aboyant corsaire? Il perd son os, voila tout son salaire. Ami lecteur, sois prudent et discret: Ce que tu tiens, tiens-le bien en effet Et quand tu change37, examine l’affaire
Plus d’une fois.
19 L’ambitieuse Grenouille
37 Leçon refusée: change
Dans son état et grosseur ordinaire Un Bœuf surpasse infiniment la sphere D’une Grenouille. Elle veut neanmoins Grossir autant qu’un gros Bœuf pour le moins: Dessein bizarre autant que témeraire.
Elle commence à s’enfler; sa commere Lui dit: « Helas ! Que pretendez-vous faire? » Et veut en vain la fixer par ses soins
Dans son état.
Pour faire court la Grenouille trop fiere Voulant s’enfler éclate comme un verre. De son trépas maint crapeaux sont témoins L’homme discret limite ses besoins: Content du sien, il a de quoi se plaire Dans son état.
20 Le Coq prudent
« Il n’est pas loin notre grand jour de fête - Dit le Renard à l’oiseau porte-crête, Au Coq preché - Descend mon cher voisin, Dînons tous deux, nos débats ont pris fin, Coqs et Renards font une paix honnête ». Le Coq répond, en Coq qui n’est pas bête. « Je vois, dit-il, un dogue qui s’enquête38
De mon logis, il sera du festin, Il n’est pas loin ».
« Je hais un tiers, j’aime le tête-à-tête, Dit le Renard, ainsi je ne m’arrête
Pas plus longtems. Adieu jusqu’à demain ». Votre ennemi vous touche dans la main: Défiez-vous du coup qu’il vous apprête, Il n’est pas loin.
21 Le Loup caché
38 Ce verbe signifiait ‘demander’, ‘s’informer’ et était synonyme de ‘s’enquérir’ (cf. A. Furetière, Dictionnaire Universel, 1690, s.v. enquester).
« Prenez-y garde et sans nul embaras S’il vient à vous, d’un coup mettez-le bas », Dit un chasseur à ses gens qu’il sépare. Le Loup témoin de cet ordre barbare Chez un berger se retire à grands pas. « Berger, dit-il, sauvez-moi du trépas ». « Cachez-vous donc dans l’étable là-bas, Dit le Berger, mais point de tintamarre, Prenez-y garde ».
Le chasseur passe avec un grand fracas. « Où est le Loup? » dit-il. « Je ne sçai pas », Dit le berger, mais de l’œil il declare
Qu’il est caché. L’ami fidel est rare, Un bon accueil souvent couvre un Judas, Prenez-y garde.
22 Le Faisseau
Sans peine aucune et sans aucun remord Un laboureur approchoit de la mort, En bon prud’homme ayant passé sa vie. Parmi ses fils regnoit un peu d’envie, Et rarement les voyoit-on d’accord. « Rompez, dit-il, s’adressant au plus fort, Ce gros fagot ». Il fait un vain effort. On le delie, il rompt chaque partie Sans peine aucune.
« Ainsi, dit-il, si quelque mauvais sort Vous désunit, enfans, je vous plains fort. Mais si les nœuds d’une tendresse unie, Vous font aller toûjours de compagnie Vous abbatrez vos ennemis d’abord Sans peine aucune ».
23 Le Bon Homme dupé
Son just’aucorps étant beaucoup usé, Certain fripon camard, roux et frisé, Auprés d’un puits pleuroit en apparence. Un bon passant l’apperçoit et s’avance. « T’as-t-on battu, dit-il, l’a-t-on osé? » « Mon pot d’argent, dit le petit rusé, Demeure au puits aprés avoir puisé ». Le bon passant dépouille en diligence Son just’aucorps.
Il plonge en vain: le vase supposé N’est pas dans l’eau. De forces épuisé L’homme remonte; hors du puits il s’élance Et reconnoît sa credule innocence:
Le petit traître avoit dépaysé39 soustrait
Son just’aucorps.
24 La danse des Poissons
Par la douceur du son de sa musette Certain pêcheur d’humeur assez solette, Veut engager les Poissons d’un ruisseau A faire un bal. Mais l’humide troupeau Ne goûte pas la douce chansonnette. Il chante en vain, c’est en vain qu’il repete, La troupe est sourde aussi bien que muete. Peut-on toucher les habitans de l’eau Par la douceur?
Las de fluter, dans ses filets qu’il jette Il les prend tous; étendus sur l’herbette On voit sauter la carpe et le barbeau. Certaines gens ont un certain cerveau Dont on n’obtient jamais ce qu’on souhaite Par la douceur.
25 L’Idole
39 Ce participe a ici le sens de ‘soustrait’, ‘emporté’, ‘volé’.
On s’en étonne et l’on en parle en vain, C’est un secret, un mistere divin. L’homme de bien gémit dans la misere. Le méchant rit et fait fort bonne chere. C’est un abîme à tout esprit humain. Un idolâtre offroit chaque matin Voeux et presens à l’autel de Jupin Et cependant vivoit en pauvre here. On s’en étonne.
Il se rebute et pressé de la faim; Contre l’Idole il s’emporte à la fin. « Je t’ai, dit-il, trop servi sans salaire, Idole ingrate ». Il la jette par terre; Du tronc brisé tombe un riche butin: On s’en étonne.
26 La Nourrice et le Loup
« Fiez-vous-y, comptez sur ma promesse, Si vous criez, par ma foi, je vous laisse Manger au Loup ». Le Loup, qui l’entendit, Vient promptement pour manger le petit. A le chasser la nourrice s’empresse. Il s’en retourne au bois plein de tristesse. « Oh, Dieu! dit-il, qu’une femme est traîtresse: Je la croyois à son serment maudit,
Fiez-vous-y ».
Pauvres amans, c’est à vous qu’il s’adresse. Vous languissez aux pieds d’une maîtresse, Vous l’adorez lorsqu’elle vous trahit. Vous la croyez, parce qu’elle vous dit,
«C’est pour vous seul que j’ai de la tendresse, Fiez-vous-y ».
27 Le Laboureur et son potage
Il y revient à son petit menage, Le vilageois sortant du labourage. En arrivant il se met sur son lit Puis il se leve avec bon apétit, Etend la nappe et dresse son potage. Mangeant trop vite, il se brule, il enrage. « Au diable soit, dit-il, le tripotage ». Mais cependant la soupe réfroidit Il y revient.
Un pauvre amant qu’une infidele engage Voudroit sortir de son triste esclavage Et fait souvent éclatter le dépit.
Mais c’est en vain que le malheureux dit « Non, je ne veux plus voir cette volage! »: Il y revient.
28 Le Dragon et l’enclume
« Finis ton projet par l’enclume A qui ce dragon plein d’écume S’efforce d’entamer la peau, Me dit la muse au gay museau, A ce métier ne t’accoutume. Vois ce Dragon, il se consume ; Ainsi trop de toi ne présume, Mais soient tes vers par ce rondeau Finis ».
Toutefois mon feu se ralume Et je vais retailler ma plume Pour un dessein rare et nouveau. Muse, fais qu’il soit bon et beau, C’est le dernier de ce volume, Finis.