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La privation des droits civiques et politiques : l'apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté

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Academic year: 2021

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La privation des droits civiques et politiques

L'apport du droit pénal à une théorie de la

citoyenneté

Camille Aynès

Thèse soumise au jury pour approbation en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences juridiques de l’European University Institute

Florence, 21 septembre 2020

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European University Institute

Département des Sciences juridiques

La privation des droits civiques et politiques

L'apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté

Camille Aynès

Thèse soumise au jury pour approbation en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences juridiques de l’European University Institute

Membres du jury

Pr. Loïc Azoulai, Sciences-Po Paris (Directeur de thèse)

Pr. Olivier Beaud, Université Paris II Panthéon-Assas (Co-directeur de thèse) Pr. Xavier Pin, Université Jean Moulin (Lyon 3)

Pr. Christoph Schönberger, Université de Constance

© Camille Aynès, 2020

Aucune partie de cette thèse ne peut être copiée, reproduite ou distribuée sans la permission préalable de l'auteur

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Researcher declaration to accompany the submission of written work Department of Law – Ph.D. Programme

I Camille Aynès certify that I am the author of the work La privation des droits civiques et politiques. L'apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté I have presented for examination for the Ph.D. at the European University Institute. I also certify that this is solely my own original work, other than where I have clearly indicated, in this declaration and in the thesis, that it is the work of others.

I warrant that I have obtained all the permissions required for using any material from other copyrighted publications.

I certify that this work complies with the Code of Ethics in Academic Research issued by the European University Institute (IUE 332/2/10 (CA 297).

The copyright of this work rests with its author. Quotation from it is permitted, provided that full acknowledgement is made. This work may not be reproduced without my prior written consent. This authorisation does not, to the best of my knowledge, infringe the rights of any third party.

I declare that this work consists of <263 489> words.

I confirm that chapter 6 draws upon an earlier article I published "La privation des droits politiques en France et aux États-Unis. L'apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté", in Beaud (Olivier) et Saint-Bonnet (François), La citoyenneté comme appartenance au corps politique, Paris, Éd. Panthéon-Assas, 2020 (forthcoming). I confirm that the conclusion draws upon an earlier article I published "La citoyenneté politique dans l'Union européenne à l'épreuve de la sanction pénale de la privation des droits politiques", Revue trimestrielle de Droit européen, n° 3, juill.-sept. 2019, p. 603-627.

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Résumé

Il est d’usage de considérer que la citoyenneté étatique, en tant qu’elle désigne une appartenance statutaire, est un concept de clôture qui implique l’inclusion aussi bien que l’exclusion. À rebours de la littérature dominante sur la citoyenneté en droit qui privilégie généralement sa dimension inclusive, cette thèse entreprend un renversement de perspective : elle se propose de théoriser la citoyenneté en creux, à partir de ses exclus, de définir autrement dit le citoyen par le non-citoyen. L’exclu étudié en droit français n’est pas la figure paradigmatique de l’étranger, mais celle du criminel déchu de ses droits politiques à la suite d’une condamnation pénale. Nous faisons l’hypothèse de la valeur heuristique d’une étude proprement juridique et non normative de la notion constitutionnelle de citoyenneté à partir du droit pénal en général, et des sanctions privant le condamné de ses droits de citoyen en particulier.

L’apport de cette recherche est double : il concerne à titre premier la citoyenneté dont on entend examiner les bénéficiaires, la nature (les valeurs) et le contenu matériel (les droits et les devoirs). Nous démontrons (1) que par différence avec la nationalité, la citoyenneté a historiquement une dimension axiologique et qu’elle protège la moralité publique. Cette affirmation semble de prime abord remise en cause aujourd’hui en raison de l’influence du droit des droits de l’homme sur la matière. Plus qu’à la substitution d’un modèle de citoyenneté à un autre, nous établissons (2) que l’on a affaire à une tension au cœur du régime actuel de la citoyenneté.

À titre second, nous contribuons en filigrane à une lecture de la démocratie en soutenant (1) que la lutte pour les droits politiques des derniers exclus de la nation (les condamnés et les « aliénés ») correspond moins à une revendication de participation politique qu’à une demande d’inclusion sociale ; (2) que le citoyen, dans cette lutte, tend à disparaître derrière le sujet de droit doté de droits opposables.

Mots clés : citoyenneté – droit pénal – droits civiques et politiques – dignité – suffrage universel – non-citoyen – Conseil constitutionnel – Souveraineté – contrat social – moralité publique – infraction politique – droits fondamentaux – démocratie – Révolution française.

Abstract

It is generally considered that State citizenship, as a designation of statutory membership, is a concept of enclosure that implies inclusion as well as exclusion. Contrary to the dominant literature on citizenship in law, which traditionally favours its inclusive dimension, this thesis undertakes a change of perspective: it proposes to theorize citizenship in terms of its exclusions, to define in other words the citizen by the non-citizen. The Excluded as studied in French law is not the paradigmatic figure of the foreigner, but that of the criminal who has been disenfranchised following a criminal conviction. We hypothesize the heuristic value of a strictly legal and non-normative study of the constitutional notion of citizenship based on criminal law in general, and on the sanctions depriving the convicted person of his or her rights as a citizen in particular.

The contribution of this research is twofold: firstly, it concerns citizenship, whose beneficiaries, nature (values) and material content (rights and duties) are to be examined. We demonstrate (1) that, unlike nationality, citizenship historically has an axiological dimension and that it protects public morality. This statement seems at first sight to be questioned today because of the influence of human rights law on the matter. More than the substitution of one model of citizenship for another, we establish (2) that we are dealing with a tension at the heart of the current regime of citizenship. Second, we contribute to a reinterpretation of democracy by arguing (1) that the struggle for the political rights of the nation’s remaining excluded categories (the criminals and the "insane" persons) is less a demand for political participation but for social inclusion; (2) that the citizen, in this struggle, tends to disappear behind the subject of law endowed with opposable rights.

Keywords: citizenship – criminal disenfranchisement – civil and political rights – dignity – universal suffrage – non-citizen – Constitutional Council – Sovereignty – social contract – public morality – political offense – fundamental rights – democracy – French Revolution.

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À Christophe, À mes parents,

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REMERCIEMENTS

Ma reconnaissance la plus sincère va tout d’abord à mes deux directeurs de thèse, les Professeurs Loïc Azoulai et Olivier Beaud, sans lesquels ce travail n’aurait pu être mené à terme. Leur engagement, leurs conseils et leur soutien ont été constants. Ils ont dirigé ces recherches avec soin, rigueur et bienveillance. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma plus profonde gratitude. Je tiens ensuite à adresser mes remerciements aux membres du jury qui ont accepté de lire ce manuscrit et me font l’honneur de participer à la soutenance.

Cette thèse, qui a été financée par un contrat doctoral, a bénéficié des incomparables moyens humains, matériels et financiers que l’Institut Universitaire Européen de Florence met à la disposition de ses chercheurs. J’ai également été accueillie chaleureusement pendant ces années florentines au sein de l’équipe de l’Institut Michel Villey. Les discussions avec le Professeur Saint-Bonnet en particulier ont alimenté mes réflexions. Enfin, Vincent Bouhier m’a fait confiance pour que j’achève ma thèse en tant qu’A.T.E.R. en droit public dans sa faculté de droit, à l’Université d’Évry-Val-d’Essonne.

J’ai bénéficié de l’aide, aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, de Caroline Piketty qui m’a gracieusement aidée à formuler des demandes d’accès à des documents du ministère de la Justice et du Conseil constitutionnel encore inaccessibles au public. La Sous-direction de la statistique et des études du ministère de la Justice et le Pôle d’évaluation des politiques pénales de la Direction des affaires criminelles et des grâces m’ont de leur côté donné accès à de précieux renseignements statistiques.

Je ne saurais enfin trop remercier mes parents, mes frères et sœurs, Christophe ainsi que mes chers amis de Fiesole, François-Xavier Millet, Mery Ciacci, Mathias Möschel, Philippe Reyniers, Antonio Marcacci, Keiva Carr, Janine Silga, et Katia Soboul.

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PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

Act. Jur. Actualités juridiques

Aff. Affaire

AJ Actualité jurisprudentielle

AJDA Actualité juridique Droit administratif

AJ Pénal Actualité juridique Pénal

Al. Alinéa

Art. Article

Ass. Assemblée

Ass. Nat. Assemblée Nationale

Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation

Bull. crim. Bulletin de la chambre criminelle de la Cour de cassation

CA Cour d’appel

CAA Cour administrative d’appel

Cah. dr. eur. Cahiers du droit européen

Cass. Cour de cassation

CE Conseil d’État

CEDH Cour européenne des droits de l’homme CJCE Cour de justice des communautés européennes CJUE Cour de justice de l’Union européenne

Comm. EDH Commission européenne des droits de l’homme Cons. const. Conseil constitutionnel

Conv. EDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales Crim. Cour de cassation, chambre criminelle

D. Recueil Dalloz

Déc. Décision

D.P. Dalloz périodique

D. jur. gén. Dalloz jurisprudence générale

Dr. pén. Droit pénal

Dr. ad. Droit administratif

DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme

Gaz. Pal. Gazette du palais

Ibid. Au même endroit

JCl. JurisClasseur

JCP A La Semaine juridique édition administrative

JCP G La Semaine juridique édition générale

JORF Journal officiel de la République française

JOUE Journal officiel de l’Union européenne

Lebon Recueil Lebon des décisions du Conseil d’État

LPA Les Petites Affiches

Op. cit. Même référence déjà citée dans le chapitre

Préc. Précité

RDP Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger

RFDA Revue française de droit administratif

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RFSP Revue française de science politique

RSC Revue de science criminelle et de droit pénal comparé

RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD Eur. Revue trimestrielle de droit européen

RTDH Revue trimestrielle des droits de l’homme

S. Recueil Sirey

s. Suivant

spéc. Spécialement

t. Tome

TA. Tribunal administratif

Trib. Tribunal

V. Voir

Vol. Volume

Abréviation spéciale

A.P. Archives Parlementaires de 1787 à 1860 (1ère série de 1787 à 1799, 2ème

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SOMMAIRE

PARTIE 1.

LES BÉNÉFICIAIRES DE LA CITOYENNETÉ :

LES CONTOURS DU CORPS POLITIQUE TRACÉS PAR LA LOI PÉNALE

Chapitre 1 – Droit pénal et nationalité : esquisse d’une généalogie des contours externes

du corps politique

Chapitre 2 – Droit pénal et citoyenneté : la dernière forme d’exclusion à l’intérieur des

frontières de la nation

PARTIE 2.

LA NATURE DE LA CITOYENNETÉ :

LA SUBSTANCE DU CORPS POLITIQUE DESSINÉ PAR LA LOI PÉNALE

Chapitre 3 – Les justifications traditionnelles de la déchéance des droits politiques Chapitre 4 – Les valeurs protégées par la déchéance des droits politiques

PARTIE 3.

LE CONTENU DE LA CITOYENNETÉ :

L’ÉVOLUTION DE LA CONCEPTION DES DROITS POLITIQUES À L’ÉPREUVE DU DROIT PÉNAL

Chapitre 5 – Des droits appartenant au Souverain

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INTRODUCTION

Dans son étude magistrale sur « L’institution de la majesté »1, Yan Thomas a démontré

comment, dans l’histoire de l’État romain, la construction de quelque chose d’équivalent à la souveraineté est passé par le détour de l’histoire du crime de lèse-majesté. Entreprenant une longue analyse de la majesté et du crime qui, lui étant associé, la définit en creux, l’auteur a mis en évidence l’introduction, par la sanction, d’un substitut à la souveraineté qui explique la réutilisation du terme de majesté par Jean Bodin. La criminalisation de l’atteinte à la majesté a fait entrer le concept dans le domaine proprement juridique et l’a institutionnalisé. Il convient de rappeler qu’à Rome, un système dans lequel on aurait eu affaire à une conception unitaire de la souveraineté aurait été dépourvu de sens dans la mesure où chaque organe tirait son pouvoir d’une source autonome. Il ne pouvait exister de souveraineté d’imputation – de toutes les décisions politiques à un centre unique. La souveraineté ne pouvait être pensée d’une manière positive. Une forme d’unité et d’indivisibilité de pouvoir et l’instauration d’une notion de grandeur ont pu être imaginées, mais par la voie négative. Le crimen maiestatis a introduit l’idée d’une plénitude sinon de la puissance, du moins du périmètre où la loi l’enclave. Ce n’était pas encore la plénitude en acte d’une somme de compétences, telle que devait la concevoir le droit monarchique à la fin du Moyen-Âge et au début de l’époque moderne. C’était une plénitude affirmée seulement comme intransgressible, à travers l’interdit. Le crimen maiestatis, pendant une très longue durée, est resté le rempart d’une grandeur constituée en droit par son inviolabilité même. La souveraineté ne s’est définie donc vraiment en toute rigueur que de façon négative, à la faveur de l’infraction pénale qui la mettait en cause.

Au-delà des riches enseignements que toute personne qui s’intéresse à la souveraineté peut en tirer, l’analyse de Yan Thomas a le mérite de souligner la fécondité d’une étude d’une notion relevant du droit constitutionnel à travers le prisme du droit pénal. Nous réclamant de son autorité, nous nous proposons d’analyser la notion constitutionnelle de citoyenneté à partir des sanctions pénales qui privent le condamné sinon de sa qualité de citoyen, du moins de certains de ses droits politiques ou civiques. Là où Yan Thomas interprète la souveraineté à partir de l’infraction – à partir autrement dit de la violation –, nous entendons mener une

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enquête sur la citoyenneté à partir de la sanction – à partir autrement dit de la privation. Nous faisons l’hypothèse que, d’un point de vue proprement juridique, la citoyenneté se donnerait peut-être (aussi) à voir en arrière-plan, dans la privation de tout ou partie des droits civiques. Que ce serait peut-être aussi dans l’exclusion ou la restriction des droits de citoyen résultant d’une condamnation pénale et dans les justifications qui en sont proposées que se lirait la substance de la citoyenneté2. Le rapprochement avec Yan Thomas connaît toutefois une

limite. Dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, la souveraineté qui n’existait pas encore en tant que pouvoir suprême unitaire ne pouvait être pensée que négativement. Tel n’est pas le cas de la citoyenneté que l’on peut définir positivement. N’était cette différence, il apparaît que le concept d’exclusion – qu’on le regrette ou le déplore – est tout autant inhérent à la citoyenneté étatique que ne l’est celui d’inclusion. Il est entendu que cette affirmation – comme la position adoptée plus généralement dans cette thèse – ne se veut pas normative (au sens où l’on approuverait une telle exclusion), mais descriptive. Si une approche consistant à étudier la notion de citoyenneté en creux à partir de ses exclus n’est pas la seule possible, elle semble donc se prêter fort bien à son objet.

C’est ce que Dieter Gösewinkel a mis en évidence dans son étude comparative de l’histoire de la citoyenneté aux XXeet XXIe siècles dans différents pays d’Europe. Ce dernier

souligne que la citoyenneté (étatique) « était et est tout d’abord une appartenance statutaire, constitutivement orientée en fonction d’un intérieur et d’un extérieur, de l’inclusion aussi bien que de l’exclusion »3. Comme il est généralement admis, sinon expressément, du moins

implicitement, la citoyenneté est un concept de « "clôture sociale" déterminant les limites à (ou l’exclusion de) la participation de certains extérieurs à certaines interactions »4. Cette

notion de clôture est intrinsèque à la définition même de la citoyenneté qui désigne classiquement l’appartenance à une communauté politique et le droit qu’elle confère de participer directement ou indirectement à l’exercice du pouvoir politique. La citoyenneté est

2 VINCENT (Jean-Yves), « Citoyenneté et dignité : les exclus de la citoyenneté par décision de justice », in

Geneviève KOUBI (dir.), De la citoyenneté, Lexis Nexis, 1995. Dans cet article, l’auteur évoque la nécessité

d’adopter une « méthode négative et non plus positive, fractionnelle et non plus globale, qui se construit autour des exclus du droit de suffrage » pour penser la citoyenneté.

3 GOSEWINKEL (Dieter), Schutz und Freiheit. Staatbürgerschaft im 20. und 21. Jahrhundert, Berlin, Suhrkamp

Verlag, 2016, p. 611 (nous soulignons). Traduit et cité par COLLIOT-THELENE (Catherine), « Le citoyen et

l’étranger », in Olivier BEAUD, François SAINT-BONNET (dir.), La citoyenneté comme appartenance à la

communauté politique, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2020 (à paraître).

4 BRUBAKER (William Rogers), « Citizenship as Social Closure », in Citizenship and Nationhood in France and

Germany, Harvard University Press, 1992, p. 21-34 ; voir également LECA (Jean), « La citoyenneté entre la

nation et la société civile », in DominiqueCOLAS, Claude EMERI et Jacques ZYLBERBERG (dir.), Citoyenneté et

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autrement dit le lien qui manifeste l’appartenance des individus à la communauté politique, appartenance entraînant la possession d’un ensemble de droits et de devoirs, d’un statut juridique qui fait de celui qui en bénéficie un citoyen. La citoyenneté ne saurait ainsi être conçue en droit indépendamment d’une communauté et d’une instance de référence5,

lesquelles correspondent, dans la tradition républicaine, à l’État-nation. La ligne démarquant le citoyen du non-citoyen est celle-là même qui oppose au national l’étranger, celle de la nationalité. Dans la mesure en effet où la possession de la qualité de citoyen confère à son titulaire un droit de participer à l’expression de la souveraineté nationale, seuls les membres de la nation peuvent en être titulaires. Dans cette perspective, l’exclusion de l’étranger ne doit pas être considérée comme « la limite (inévitable, mais regrettable) de la dynamique d’inclusion qui distingue la citoyenneté démocratique de ses formes antérieures, mais comme une détermination constitutive de la citoyenneté en général. Parce que la citoyenneté est une appartenance statutaire (ein Status der Mitgliedschaft), comme le dit Dieter Gösewinkel, elle requiert et produit nécessairement, comme son double inversé, le non citoyen »6.

L’universalisation du suffrage résultant de l’abolition des critères de l’argent, du sexe, de la race et de l’incapacité, la démocratisation autrement dit de la citoyenneté n’a pas fait tomber l’ultime barrière. Un peuple qui prétend s’autodéterminer a besoin de frontières : « les lois démocratiques requièrent la clôture […] parce que la représentation démocratique doit être responsable devant un peuple spécifique »7.

L’« imaginaire néo-westphalien »8 constitué par une juxtaposition d’États-nations a tenté

de contourner cette difficulté en présumant que chaque étranger jouit dans le pays dont il est le national des droits attachés au statut de citoyen. En ce sens serait garanti un droit universel à la citoyenneté que chacun exerce toutefois strictement dans l’État dont il est le ressortissant. Forts du constat que cette présomption reste, dans le monde actuel, une fiction, d’aucuns, à

5 Certains auteurs tentent toutefois de penser une forme démocratique dans laquelle le citoyen n’aurait

précisément plus à être considéré comme l’objet d’un statut d’appartenance communautaire. C’est ce que se propose de démontrer la philosophe Catherine Colliot-Thélène dans La démocratie sans demos (PUF, 2011). Selon l’auteur, la « pluralisation du kratos » – c’est-à-dire la multiplication des foyers de production de normes impliquée par la mondialisation – aurait rendu « le demos inassignable » (ibid., p. 21). Comme dépossédé du « monopole de la contrainte physique légitime », l’État serait devenu incapable de revendiquer à son profit l’allégeance exclusive de ses ressortissants. De son côté, le citoyen ne pourrait plus se définir sur la base d’une quelconque forme d’appartenance politique à l’exception de celles, circonstancielles et mouvantes, qui surgissent à l’occasion des différents mouvements de revendication de droits. Dans ce contexte, la démocratie n’est pas incarnée par le peuple auto-législateur – un « mythe » – mais par le sujet en situation de revendiquer des droits face aux différentes autorités auxquelles il est soumis.

6 COLLIOT-THELENE (Catherine), « Le citoyen et l’étranger », op. cit.

7 Cf. BENHABIB (Seyla), The Rights of Others, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 219. 8 Nous reprenons cette expression à COLLIOT-THELENE (Catherine), « Le citoyen et l’étranger », op. cit.

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l’instar de Luigi Ferrajoli, appellent à la formation d’un constitutionnalisme global qui impliquerait la création d’une citoyenneté mondiale9. Dans la mesure où nous entendons

théoriser la citoyenneté à partir de ce qu’elle est et non pas de ce qu’elle devrait ou pourrait

être, nous nous limiterons à mentionner dans notre thèse sans la développer plus avant

l’existence d’une vaste littérature relative à la citoyenneté mondiale, universelle ou encore cosmopolitique.

À l’exception notable de deux thèses portant respectivement sur l’étranger10 et sur

l’ « indigène »11 et d’un ouvrage issu d’un colloque dont une partie porte sur le « mauvais

citoyen »12, les travaux consacrés à la citoyenneté en droit privilégient d’ordinaire sa

dimension inclusive13. Ils favorisent cette dimension, « y compris lorsqu’ils traitent des droits

de l’étranger, en s’interrogeant avant tout sur les possibilités d’ouverture de la politeia démocratique, qu’ils souhaitent généralement aussi généreuses que possible »14. Notre

démarche représente de ce point de vue un renversement de perspective. Partant du constat

9 FERRAJOLI (Luigi), « La contradiction entre l’égalité des droits fondamentaux et la citoyenneté comme statut

d’exclusion », in Olivier BEAUD, Catherine COLLIOT-THELENE et Jean-François KERVEGAN (dir), Droits

subjectifs et citoyenneté, Paris, Classique Garnier, 2019, p. 167-183. L. Ferrajoli ne nie pas l’existence d’une tension entre l’universalité proclamée des droits fondamentaux et les conditions restrictives de la citoyenneté dans un monde organisé en États-nations. Face à l’impossibilité de garantir dans ce cadre le jus migrandi – lequel figure pourtant au nombre des « droits de l’homme » dans toutes les Déclarations, y compris dans celle, « universelle », de 1948 –, celui-ci appelle soit à l’abolition de la citoyenneté, soit à sa recréation sous forme d’une citoyenneté mondiale.

10 SLAMA (Serge), Le privilège du national : étude historique de la condition civique des étrangers en France, th.

dactyl., Université Paris X Nanterre, 2003.

11 URBAN (Yerri), L’indigène dans le droit colonial français (1865-1955), Paris, LGDJ, 2011.

12 BEAUD (Olivier), SAINT-BONNET (François) (dir.), La citoyenneté comme appartenance à la communauté

politique, op. cit. Au sein de cet ouvrage, v. plus spécifiquement les contributions de COLLIOT-THELENE

(Catherine), « Le citoyen et l’étranger » ; de SAFI (Farah), « Réprimer des actes ou punir des citoyens ? » ; de

ZEDNER (Lucia), « Policing civility in public space and the exclusion of "uncivil" citizens », et de GRANGE

(Ninon), « Du mauvais citoyen à l’ennemi public. Une histoire courte, tendue et négative ». Que l’on nous permette également de renvoyer à notre article, AYNES (Camille), « La privation des droits politiques en France

et aux États-Unis. L’apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté », in ibid.

13 On citera entre autres, en langue française, les ouvrages deBEAUD (Olivier), COLLIOT-THELENE (Catherine),

KERVEGAN (Jean-François) (dir), Droits subjectifs et citoyenneté, op. cit. ; COLAS (Dominique), EMERI (Claude),

ZYLBERBERG (Jacques) (dir.), Citoyenneté et nationalité : perspectives en France et au Québec, op. cit. ;

MAGNETTE (Paul), La citoyenneté. Une histoire de l’idée de participation civique, Bruxelles, Bruylant, 2001 ;

DUBOIS (Jean-Pierre), GONOD (Pascale) (dir.), Citoyenneté, souveraineté, société civile, Paris, Dalloz, 2003 ; KOUBI (Geneviève) (dir.), De la citoyenneté, Litec, 1995. Du côté des thèses de doctorat, on se réfèrera aux

travaux de HERISSON (Bertrand), L’évolution de la citoyenneté en droit public francais, Paris, th. dactyl.,

Université Paris I, 1995 et de MICHON-TRAVERSAC (Anne-Sophie), La citoyenneté en droit public français,

Paris, LDGJ, 2009. Pour une approche plus théorique dans laquelle l’auteur propose « une interprétation post-moderne et post-nationale de la citoyenneté comme accès plurivoque à la création, l’interprétation et l’application des normes juridiques », on se rapportera à LEROY-FORGEOT (Flora), La citoyenneté juridique, th.

dactyl., Université Paris II, 1999. Concernant des aspects plus spécifiques ou non-étatiques de la citoyenneté, v. DUMONT (Gilles), La citoyenneté administrative, th. dactyl., Université Paris II, 2002 et BENLOLO-CARABOT

(Myriam), Les fondements juridiques de la citoyenneté européenne, Bruxelles, Bruylant, 2006.

14 COLLIOT-THELENE (Catherine), « Le citoyen et l’étranger », op. cit. C’est notamment l’approche retenue par

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partagé par Anicet le Pors selon lequel « la citoyenneté se définit souvent en creux, le citoyen par le non-citoyen, c’est-à-dire par celui qui ne détient pas les droits politiques que l’on dit civiques »15, nous nous proposons de réfléchir à la citoyenneté à partir de ses exclus. L’exclu

que nous étudierons n’est pas, cependant, la figure paradigmatique de l’étranger, mais celle du condamné.

Il est en effet une autre forme de relégation qui, quand bien même elle ne serait plus que partielle, témoigne encore aujourd’hui de l’existence d’autres « frontières de la citoyenneté »16 que celle de la nationalité. Nous nous référons ici à la privation des droits

civiques et politiques résultant d’une condamnation pénale, à ces criminels qui, déchus de leurs droits de citoyen, « témoignent à leur façon d’exemple limite que la frontière entre le

dedans et le dehors reste malgré tout compliquée par la superposition possible de la figure de

l’ennemi social avec celle de l’étranger »17. C’est d’ailleurs la métaphore de l’« étranger » que

les juges de la Cour suprême de l’Illinois, entre autres, emploient de façon non anodine en 1913 pour qualifier la situation d’un criminel privé de ses droits civiques et politiques : celui-ci devient « un étranger dans son pays, et pire encore », car il ne peut être rétabli dans ses droits que par la grâce, tandis qu’un étranger peut acquérir la citoyenneté de plein droit par les voies de la naturalisation18. Et d’ajouter : « un homme ne pourrait pas perdre plus »19.

À la même époque, en France, et jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, il n’y a pratiquement pas d’infractions qui ne soient susceptibles d’entraîner également une déchéance définitive des droits civiques et politiques, faisant en quelque sorte du condamné un étranger. Dans le code pénal de 1810, la dégradation civique, peine criminelle dite infamante qui consiste dans la privation du droit de vote, d’éligibilité, et en général de tous les droits civiques et politiques, dans la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions, emplois ou offices publics, dans la privation du droit de port d’armes, du droit de faire partie de la garde nationale, de servir dans les armées françaises, dans l’incapacité d’être juré et entraînant, en outre, la perte de certains droits civils et de famille

15 LE PORS (Anicet), Le nouvel âge de la citoyenneté, Éditions de l’Atelier, Paris, 1997, p. 58.

16 Nous empruntons la formule à BERTOSSI (Christophe), Les frontières de la citoyenneté en Europe :

nationalité, résidence, appartenance, Paris, L’Harmattan, 2001.

17 ROSANVALLON (Pierre), Le sacre du citoyen : histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992,

p. 422 (nous soulignons).

18 Supreme Court of Illinois, The People of the State of Illinois vs. Jennie Russell (1910), 245 IlI. 268 91 N.E.

1075. Sauf précision de notre part, toutes les traductions dans cette thèse sont les nôtres.

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(art. 34), cette peine était, tantôt une peine principale en matière criminelle et politique (art. 8), tantôt une peine accessoire attachée de plein droit à toutes les condamnations à une peine criminelle (art. 28), sans même que le juge ait à la prononcer. Qu’elle intervienne comme peine principale ou comme peine accessoire, la dégradation civique était toujours perpétuelle, imprescriptible et globale et ne pouvait être fractionnée à certaines des incapacités qui la constituaient. Outre la dégradation civique, le code pénal en vigueur jusqu’en 1994 prévoyait à l’article 42 que les tribunaux jugeant correctionnellement pouvaient, dans certains cas, interdire, en tout ou en partie, l’exercice des droits civiques, civils et de famille pour une durée temporaire. L’article L. 5 du code électoral, texte recouvrant toutes les hypothèses d’incapacité électorale qui résultait toujours des condamnations pour crimes et très souvent des condamnations pour délits, organisait de façon quasi systématique une capitis deminutio (au sens romain de l’expression), une exclusion à vie de la citoyenneté. Au 1er septembre

1989, 222 553 personnes se trouvaient en France privées de leur capacité électorale du fait de la transmission du casier judiciaire national à l’INSEE, 64 236 personnes ayant été radiées en 1987.

§1. L’intérêt du sujet

C’est dire l’intérêt du sujet, qui est tant pratique (A) que scientifique (B).

A. Intérêt pratique : l’actualité politique du sujet

Si l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 a considérablement fait diminuer le nombre de peines d’interdiction des droits civiques prononcées, la proposition de loi du 11 février 2015 visant à rétablir l’indignité nationale pour les djihadistes, la vigueur des débats qu’elle a suscités et les nombreuses confusions juridiques qu’elle a engendrées témoignent de l’actualité de ce type de sanctions et de la nécessité de les clarifier. Celles-ci ont de nouveau été mises sur le devant de la scène quelques mois plus tard, à la faveur du projet de loi constitutionnelle relatif à la protection de la Nation. Ce projet du 23 décembre 2015 visant à constitutionnaliser l’état d’urgence et la déchéance de nationalité a été l’occasion de discussions agitées, d’aucuns insistant sur le fait que la réponse aux attentats perpétrés devait relever de la citoyenneté et non pas de la nationalité. Pour un certain nombre de parlementaires, comme pour le député Michel Piron, « l’indignité nationale et la perte de

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droits qu’elle entraîne constitu[ai]ent des réponses infiniment mieux accordées aux principes fondamentaux de notre droit »20 .

La question de la citoyenneté en général, et des peines privatives des droits civiques en particulier présente donc un enjeu pratique, politique. Le bras de fer opposant le Royaume-Uni à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur le droit de vote des détenus en est un exemple éclatant. En Europe, plusieurs pays ont bien prévu aujourd’hui de réguler l’emploi de ce type de sanctions : certains confient au législateur la tâche de les moduler en fonction de la nature de l’infraction commise et/ou de la durée de la peine d’emprisonnement prononcée ; d’autres laissent au juge le soin de décider de leur application en fonction des particularités de chaque affaire. D’autres États encore, à l’instar du Royaume-Uni, font au contraire de la déchéance du droit de vote une peine accessoire attachée automatiquement à toute peine privative de liberté – nonobstant les condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme à leur endroit.

À l’occasion de la célèbre affaire Hirst c. Royaume-Uni21, la Cour a considéré qu’une

« restriction générale, automatique et indifférenciée » du droit de vote des détenus qui ne tiendrait pas compte de la durée de leur peine, de la nature, de la gravité de l’infraction ou de la situation personnelle du condamné, outrepassait une marge d’appréciation acceptable. Elle ne s’est depuis lors pas départie de cette position, la confirmant dans les affaires Frodl22,

Greens et M.T23 ou encore Scoppola24. Ces décisions successives témoignent de l’importance

d’une question qui, au-delà de son intérêt scientifique, cristallise les tensions : le Royaume-Uni a en effet menacé de dénoncer la Convention et de quitter l’Europe de Strasbourg. L’ancien Président de la Cour, Nicolas Bratza, a ainsi pu écrire en 2011 de l’attitude du Royaume-Uni que « la fureur au vitriol […] dirigée contre les juges de la Cour [était] sans précédent dans [son] expérience d’homme impliqué dans le système de la Convention depuis

20 Ass. Nat., Déb. Parl., 2ème séance du 8 févr. 2016, JORF, 2016, p. 1129. 21 CEDH, gde ch., 6 oct. 2005, Hirst c. Royaume-Uni (n° 2), req. n° 74025/01. 22 CEDH, 8 avr. 2010, Frodl c. Autriche, req. n° 20201/04.

23 CEDH, 23 nov. 2010, Greens et M. T c. Royaume-Uni, req. n° 60041/08 et 60054/08. 24 CEDH, gde ch., 22 mai 2012, Scoppola c. Italie, req. n° 126/05.

(24)

plus de 40 ans »25. Ces décisions révèlent donc la centralité d’un sujet qui, à l’exception

notable des États-Unis26, n’a guère intéressé la doctrine jusqu’à récemment.

B. Intérêt scientifique : l’absence de littérature juridique sur le sujet

Aux États-Unis, le sujet est abondamment commenté27 en raison, tout d’abord, du

nombre de personnes concernées par cette sanction qui, dans de nombreux États fédérés, se prolonge après que les détenus ont purgé leur peine. La politique de privation du droit de vote y est incomparablement plus sévère que dans le reste des démocraties occidentales, d’autant plus que les juridictions retiennent, depuis l’arrêt de la Cour suprême Richardson v. Ramirez28

de 1974, que la Clause d’ « Égale protection des lois » du XIVe amendement ne s’applique

pas aux condamnés. Des chiffres de 2014 révèlent que 5,85 millions de criminels américains – 1 citoyen américain adulte sur 40 – sont privés de leurs droits électoraux. De surcroît, la population noire est ciblée de manière disproportionnée29 puisqu’en 2014, 2,2 millions

d’afro-américains (soit 1 sur 13) étaient déchus de leur droit de vote30. L’étude statistique conduite

par Jeff Manza et Christopher Uggen31 a mis en évidence que les élections présidentielles de

2000 qui ont vu Georges W. Bush l’emporter à une très courte majorité (537 voix) auraient eu

25 BRATZA (Nicolas), « The relationship between the UK courts and Strasbourg », European Human Rights Law

Review, 2011, n° 5, p. 505-512.

26 On y ajoutera les pays de Common Law. Les Cours suprêmes du Canada, d’Afrique du Sud et d’Australie ont

rendu ces dernières décennies des décisions importantes en la matière qui ont fait l’objet de commentaires dans les pays respectifs. Voir chap. 6.

27 On citera, entre autres, l’article de référence de EWALD (Alec C.), « "Civil Death": The Ideological Paradox of

Criminal Disenfranchisement Law in the United States », Wisconsin Law Review, 2002, p. 1045-1138 ; v. également TRIBE (Laurence), « The Disenfranchisement of Ex-Felons: Citizenship, Criminality, and "The Purity

of the Ballot Box" », Harvard Law Review, 1989, vol. 102, n ° 6, p. 1300-1317 ; KARLAN (Pamela S.),

« Convictions and Doubts: Retribution, Representation, and the Debate over Felon Disenfranchisement », Stanford Law Review, vol. 56, n° 5, 2004, p. 1147-1770 ; PLAXTON (Michael), LARDY (Heather), « Prisoner

Disenfranchisement: Four Judicial Approaches », Berkeley Journal of International Law, 2010, vol. 28, n° 1, p. 101-141 ; BEHRENS (Angela), « Voting - Not Quite a Fundamental Right? A Look at Legal and Legislative

Challenges to Felon Disfranchisement Laws », Minnesota Law Review, 2004, vol. 89, p. 231-276 ; JOHNSON

-PARRIS (Afi S.), « Felon Disenfranchisement: the Unconscionable Social Contract Breached », Virginia Law

Review, vol. 89, 2003, p. 109-138 ; LAVI (Shai), « Citizenship revocation as punishment: On the modern duties

of citizens and their criminal breach », University of Toronto Law Journal, vol. 61, n° 4, 2011, p. 783-810.

28 Richardson v. Ramirez, 418 U.S. 24, 56 (1974).

29 Sur ce point, v. notamment FLETCHER (George P.), « Disenfranchisement as Punishment: Reflexions on the

Racial uses of Infamia », UCLA Law Review, 1999, vol. 46, n° 6, p. 1895-1907 ; GOLDMAN (Daniel S.), « The

Modern-Day Literacy Test ? Felon Disenfranchisement and Race Discrimination », Stanford Law Review, vol. 57, n° 2, 2004, p. 611-655 ; HARVEY (Alice E.), « Ex-Felon Disenfranchisement and Its Influence on the Black

Vote : The Need for a Second Look », University of Pennsylvania Law Review, 1994, vol. 142, p. 1145-1189.

30 Sentencing Project, « Felony Disenfranchisement Laws in the United States », 2014, p. 1 :

http://sentencingproject.org/doc/publications/fd_Felony%20Disenfranchisement%2 0Laws%20in%20the%20US.pdf (consulté le 4 mai 2015).

31 MANZA (Jeff), UGGEN (Christopher), Locked Out : Felon Disenfranchisement and American Democracy,

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une issue probablement différente si les 400 000 (ex)condamnés de Floride avaient pu voter. Dans la doctrine, majoritairement hostile aux excès de cette pratique, c’est essentiellement sous l’angle d’une critique des justifications qui la sous-tendent que le statut de ces criminels qualifiés tour à tour d’ « aliens in their country »32, d’« inside outcasts »33, de « shadow

citizens »34, de « second-class citizens »35, de « diminished citizens »36, de « semi-citizens »37

ou encore de « partial » ou « conditional citizens »38 est étudié : l’approche dominante

consiste à déconstruire les arguments pratiques39 et philosophiques qui motivent l’exclusion

des condamnés de la communauté : la littérature démontre que les raisons avancées sont incompatibles avec la philosophie politique tant du libéralisme que du républicanisme40.

S’il se révèle fécond aux États-Unis, ce débat, et plus généralement la question de cette autre forme d’exclusion de la citoyenneté semblent être passés inaperçus en Europe. Ainsi que le font remarquer A. Ewald et B. Rottinghaus dans l’introduction de l’ouvrage Criminal

Disenfranchisement in an International Perspective : « les Cours européennes ont déjà eu

affaire à des litiges relatifs à ces sanctions accessoires, mais les études ultérieures n’ont pas porté beaucoup d’attention à ces pratiques »41. Trois thèses récemment proposées à l’étranger

invitent à nuancer cette affirmation. Deux d’entre elles néanmoins ne sont pas juridiques, mais philosophiques. Ainsi, la démarche adoptée par Milena Tripkovic dans Punishment and

Citizenship. A Theory of Criminal Disenfranchisement42 est essentiellement normative. En se

fondant sur la description empirique des différentes législations dans une vingtaine de pays,

32 TRIBE (Laurence), « The Disenfranchisement of Ex-Felons: Citizenship, Criminality, and "The Purity of the

Ballot Box" », op. cit., p. 1311.

33 DAVIDSON (Jerome), « Inside Outcasts: Prisoners and the right to vote in Australia », Current issues Brief,

n° 12, 2003, Australian Parliamentary, Law and Bills Digests Section, May 2004.

34 CAMMETT (Ann), « Shadow Citizens: Felony Disenfranchisement and the Criminalization of Debt », Scholarly

Works, University of Nevada, Paper 742, 2012 (http://scholars.law.unlv.edu/facpub/742).

35 EDGELY (Michelle), « Criminals and (Second-Class) Citizenship. Twenty-First Century Attainder? », Griffith

Law Review, vol. 19, n° 3, 2010, p. 403 s.

36 OWENS (Michael Leo) & SMITH (Adrienne), « The Diminished Citizenship of Felons and the Determinants of

their Invisible Punishment among the American States », Paper presented at the State Politics and Policy Conference, Temple University, Philadelphia, PA, May 30-31, 2008.

37 COHEN (Elizabeth F.), Semi-Citizenship in Democratic Politics, Cambridge University Press, 2009.

38 VAUGHAN (Barry), « Punishment and conditional citizenship », Punishment & Society, vol. 2, n° 1, 2000,

p. 23-39.

39 Risque de fraude électorale, risque de vote « subversif » en faveur de candidats acquis à la cause des

condamnés, au détriment de la société, etc.

40 V. par exemple SCHALL (Jason), « The Consistency of Felon Disenfranchisement with Citizenship Theory »,

Harvard BlackLetter Law Journal, vol. 22, 2006, p. 53-93 ; REIMAN (Jeffrey), « Liberal and Republican

Arguments Against the Disenfranchisement of Felons », Criminal Justice Ethics, vol. 24, n° 1, 2005, p. 3-18.

41 EWALD (Alec C.) & ROTTINGHAUS (Brandon), Criminal Disenfranchisement in an International Perspective,

Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 6.

42 TRIPKOVIĆ (Milena), Punishment and Citizenship: a Theory of Criminal Disenfranchisement, Oxford

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l’auteur identifie trois modèles de rapports que le citoyen entretient avec la communauté politique : le modèle du « sens de la justice », le modèle de la « vertu civique » et le modèle du « bien commun ». Milena Tripkovic élabore à partir d’eux un cadre normatif permettant de déterminer dans quels cas un État peut légitimement amputer ses ressortissants de leur citoyenneté. Son objectif autrement dit consiste à « suggérer une politique défendable de privation des droits des criminels à laquelle tous les pays qui se considèrent comme des démocraties peuvent légitimement souscrire »43.

C’est davantage sur une théorie de la démocratie que de la citoyenneté que Pablo Marshall se concentre quant à lui dans Criminal Disenfranchisement: A Debate on

Punishment, Citizenship and Democracy44. S’appuyant sur les œuvres de Judith Shklar45 et de

Axel Honneth46, celui-ci soutient que la privation du droit de vote met a contrario en

évidence l’importance de cet attribut qui ne doit pas seulement être interprété comme un instrument de participation politique mais comme un mécanisme de reconnaissance sociale. On approfondira cette idée en introduisant dans notre recherche le concept juridique de dignité – sous sa forme ancienne, romaine, de dignitas, puis dans son acception universaliste contemporaine de dignité humaine. On démontrera que ces dernières années, la demande de reconnaissance ou plus exactement d’inclusion sociale a pris chez les condamnés comme chez les « aliénés » une même forme : celle d’une revendication d’ « égale dignité »47 en vertu de

laquelle chacun a le droit à une existence civique. Allant plus loin que Pablo Marhall, nous mettrons en lumière que c’est sur le concept de dignité de la personne que se sont explicitement fondés plusieurs pays pour élargir le droit de suffrage à de nombreux condamnés (Canada, Afrique du Sud par exemple) et/ou à tous les « incapables » (comme l’a fait la France en mars 2009). Ainsi qu’il ressort de ces quelques considérations liminaires relatives à la citoyenneté et à la démocratie, notre étude ne se limite pas à une analyse du seul droit de vote. C’est ce qui la démarque de la thèse publiée au Québec48 par Geneviève

43 Ibid., p. 15.

44 MARSHALL (Pablo), Criminal Disenfranchisement: a Debate on Punishment, Citizenship and Democracy, th.

dactyl., University of Glasgow, 2015.

45 SHKLAR (Judith), La citoyenneté américaine. La quête de l’intégration, trad. O. Camy, Paris, Calmann-Lévy,

1991.

46 HONNETH (Axel), La lutte pour la reconnaissance, trad. P. Rush, Gallimard, 2013.

47 Nous reprenons cette expression à la Déclaration universelle des droits de l’homme qui dispose dans son

article 1er que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité ». V. aussi le titre de l’article de

GIUDICELLI-DELAGE (Geneviève), « Pour l’égale dignité », Délibérée, 2018/3, n° 5, p. 7-10.

48 SAINT-LAURENT (Geneviève), Le droit de vote limité par la condamnation pénale ou la quête d’un équilibre

(27)

Laurent, laquelle ne s’intéresse qu’au suffrage et porte par ailleurs presque exclusivement sur le droit comparé – seules quelques pages étant consacrées à la France.

En France, à l’exception de l’ouvrage de l’historienne Anne Simonin49 qui ne couvre pas

la Ve République, la question est restée largement ignorée. Gérard Soulier, l’un des seuls

auteurs s’étant intéressé au sujet, souligne à cet égard que « les traités et manuels de droit constitutionnel évoquent, en général, le problème de la capacité électorale comme une question purement technique, un aménagement du suffrage universel qui va de soi dans la mesure où le suffrage universel ne signifie pas que tout le monde ait le droit de vote. Qu’aussi l’éviction des listes électorales des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pénale est généralement donnée comme une simple information, sans étayage théorique »50. Il est de ce

point de vue remarquable que l’un des meilleurs ouvrages sur l’histoire du suffrage universel en France ne consacre qu’une seule page à la question. Après avoir rappelé qu’ « un ultime clivage subsiste encore dans la nation : celui qui distingue les "bons citoyens" des individus qu’une condamnation pénale prive des droits civils et politiques », Pierre Rosanvallon, dans

Le sacre du citoyen : histoire du suffrage universel en France évacue en une phrase la

question en ajoutant : « mais c’est un clivage qui est en-deçà du principe d’égalité. Ceux qui violent gravement la loi se placent eux-mêmes en dehors du contrat social, ils s’excluent de la communauté morale »51. La rareté des travaux sur le sujet le dispute à la brièveté des

références qui y sont faites.

Les œuvres de la doctrine constitutionnelle classique d’Esmein, de Duguit, de Carré de Malberg ou encore d’Hauriou confirment ce propos. Dans ses Éléments de droit

constitutionnel français et comparé par exemple, Esmein n’évoque ce sujet qu’à une reprise,

de façon indirecte : la question de la privation du droit de vote à temps ou à vie des criminels sert à l’auteur d’argument lui permettant d’invalider la thèse qui voit dans le suffrage politique un droit inhérent à la qualité de citoyen. Cette thèse aurait en effet pour conséquence logique de reconnaître un droit de vote aux criminels. Or, « tous les systèmes électoraux admettent que des citoyens puissent perdre à temps ou pour toujours la jouissance de leur

49 SIMONIN (Anne), Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grasset,

2008.

50 SOULIER (Gérard), « Citoyenneté et condamnation pénale : l’incapacité électorale », in Dominique COLAS,

Claude EMERI & Jacques ZYLBERBERG (dir.), Citoyenneté et nationalité : perspectives en France et au Québec,

op. cit., p. 343.

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droit électoral » pour cause d’indignité : « il est bien difficile de repousser cette idée. Personne sûrement ne songerait à recueillir des votes dans les bagnes ou dans les prisons ; et même après la peine subie, la conscience publique refusera toujours le droit de suffrage politique à certains condamnés »52. Ignorée par la doctrine publiciste, il semble de prime

abord que la question ait davantage intéressé les pénalistes. On relève en effet une vingtaine de thèses de doctorat relatives aux conséquences des condamnations pénales sur l’état et la capacité des personnes. Ces travaux, dont les premiers datent des années 1850, prennent fin cependant dès les années 1910. Par ailleurs, l’objet de ces thèses consiste en l’étude des déchéances ou incapacités davantage civiles que politiques. Enfin, ces incapacités sont énumérées de façon descriptive et technique, sans être aucunement rattachées au droit et à la théorie de la citoyenneté53.

§2. L’élaboration du sujet : le lien entre droit pénal et citoyenneté

Nous nous proposons dès lors d’exhumer d’un point de vue juridique l’impensé des liens entre droit pénal et citoyenneté, de démontrer la valeur heuristique d’une étude de cette notion à travers l’examen des sanctions privant les condamnés de leurs droits civiques et politiques. À cet effet, il convient de définir les termes du sujet (A) et de préciser la manière dont on entend les articuler (B).

A. La définition des notions

De la citoyenneté, objet primaire de l’étude, nous donnerons de façon provisoire la définition que retient généralement la doctrine constitutionnelle (1). L’enjeu de la thèse

52 ESMEIN (Adhémar), Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 6ème éd., Paris, Librairie de la

Société du recueil Sirey, 1914, p. 355.

53 V. HUMBERT (Gustave Amédée), Des conséquences des condamnations pénales relativement à la capacité des

personnes, en droit romain et en droit français. Suivi d’un commentaire de la loi portant abolition de la mort civile, th. doct., Paris, Durand, 1855 ; DESROSIERS (Gaston), De la capitis deminutio : droit romain. Des

modifications apportées par les condamnations pénales à l’état et à la capacité des personnes : droit français, th. doct., Université de Paris, Éd. Pichon et Cie, 1872 ; POLLISSARD (Augustin), Des déchéances et incapacités

pénales en droit français, th. doct., Paris, A. Rousseau, 1899 ; ARNAULDET (Étienne), Des incapacités résultant

de condamnations pénales, th. doct., Université de Poitiers, Paris, Impr. de Soye et fils, 1898 ; MARION

(Auguste), Des incapacités résultant des condamnations pénales : en droit romain et en droit français, th. doct., Université de Toulouse, Typographie de Bonnal et Gibrac, 1863 ; MILLEVOYE (Jules), De l’infamie comme

conséquence des condamnations judiciaires. Des conséquences des condamnations pénales afflictives et perpétuelles sur la capacité des condamnés : droit romain droit français, th. doct., Université de Lyon, Lyon, Éd. J. Gallet, 1877 ; CAMBON (Eugène), Des condamnations pénales envisagées dans leurs conséquences non

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consiste précisément à compléter cette définition à l’aide du droit pénal entendu lato

sensu (2).

1. La définition de la citoyenneté

Pour étudier la citoyenneté à travers l’instrumentum du droit pénal, différentes approches auraient pu être retenues. La première consisterait à procéder à un relevé exhaustif et à une analyse systématique des différentes occurrences des termes « citoyenneté », « citoyen » ou « civique » dans le code pénal et le code de procédure pénale afin d’élucider la signification qu’y revêt la notion et de la confronter avec son acception classique. Les peines de « l’interdiction des droits civiques » ou encore de la « dégradation civique » qui, dans le code de 1791, « dégradait [le condamné] de sa qualité de citoyen français », nous orientent vers une définition de la citoyenneté prise dans son sens juridique traditionnel de statut associé à la jouissance de droits spécifiques.

Il est toutefois des références en droit pénal qui nous conduisent vers une conception autre de la citoyenneté. Ainsi que l’a relevé François Saint-Bonnet, « la citoyenneté a fait une entrée remarquée dans le Code pénal par la loi [du 9 mars] 2004 »54 portant adaptation de la

justice aux évolutions de la criminalité. Cette loi a créé à l’article 135-5-1 c. pén. la sanction du « stage de citoyenneté », qui vient s’ajouter à celle du « stage de formation civique ». En concevant ce stage, distinct du travail d’intérêt général, le « législateur s’est emparé de la notion de citoyenneté – jusqu’alors essentiellement conçue comme une collection de droits politiques – pour rendre compte de l’idée de civilité, de bon comportement en société »55. En

d’autres termes, si « la jouissance et l’exercice des droits politiques suffisent sans doute à définir la citoyenneté de lege lata […], d’autres acceptions actuelles du mot montrent [pour l’auteur] que cette définition peut être renouvelée, ou complétée »56. Par le recours à la

citoyenneté entendue comme civilité, le législateur renoue, selon François Saint-Bonnet, avec une conception pluri-séculaire57. La différence que cette conception entretient avec la

citoyenneté telle qu’on la conçoit traditionnellement est double. D’une part, son lieu de

54 SAINT-BONNET (François), « La citoyenneté, fondement démocratique pour la loi anti-burqa », Jus Politicum,

2012, n° 7, p. 30.

55 SAINT-BONNET (François), « Partition de l’espace et différentiation normative. Le droit moderne et la

civilité », Lo Sguardo - Rivista di Filosofia, n° 13, 2013, p. 21-22.

56 SAINT-BONNET (F.), « La citoyenneté, fondement démocratique pour la loi anti-burqa … », op. cit., p. 30. 57 Ibid.

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réalisation n’est pas la sphère politique mais l’espace public. D’autre part, elle insiste moins sur les droits que sur les devoirs qu’implique la vie en société. À cet égard, il n’est pas anodin qu’à l’occasion des débats relatifs à la loi de 2017 Égalité et citoyenneté58 lors desquels

certains députés se sont émus de ce que l’on avait accolé la belle idée de citoyenneté à une peine59, le législateur ait fait évoluer le contenu du stage. Reprenant l’amendement

« d’apparence sémantique [mais qui] revêt une importance symbolique »60 proposé par les

députés, le législateur a décidé de modifier non pas l’intitulé même du stage mais son objectif : alors qu’il visait jusque-là à rappeler au condamné « les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société », le stage de citoyenneté depuis 2017 « tend à l’apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen ».

Outre les peines de privation des droits du citoyen, outre le stage de citoyenneté, on trouve encore, depuis le début des années 1990, de multiples références à la citoyenneté en procédure pénale, dans les projets de réforme et le discours entourant le jury criminel. Le rapport Deniau de 1996 relatif à l’instauration d’un appel des décisions des Cours d’assises a ainsi substitué à la notion de « jury souverain » celle de « jury citoyen »61. Aux termes de ce

rapport, qui représente le discours actuel dominant62, le jury criminel aurait pour fondement

non pas la souveraineté nationale – il ne l’aurait en réalité jamais eu –, mais la citoyenneté63 :

58 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’Égalité et à la citoyenneté, JORF, n° 24, 28 janv. 2017.

59 Pour ces derniers, « en intitulant la peine "stage de citoyenneté", cette disposition a introduit une connotation

politique négative au concept de citoyenneté » (Amendement n° 3679 du 9 juin 2016 déposé en commission sur le Projet de loi Égalité et citoyenneté).

60 Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté », 16 juin 2016, Examen des

amendements, Élisabeth Pochon.

61 DENIAU (Jean-François), La réforme de la procédure de jugement en matière criminelle. Rapport du Haut

comité consultatif sur la procédure de jugement en matière criminelle à M. le garde des sceaux, Ministère de la justice, La Documentation française, 1996.

62 Les débats suivis de votes les 21-22 janvier 1997 à l’Assemblée nationale et les 25 mars et 16 avril au Sénat,

qui ont porté sur les fondements du jury, s’inscrivent dans la continuité de cette interprétation du jury criminel comme organe fondé non pas sur la souveraineté du peuple mais sur la citoyenneté. Sur la réforme de la Cour d’assises, voir LOMBARD (Françoise), « "Les citoyens-juges". La réforme de la Cour d’assises ou les limites de la souveraineté populaire », RSC, 1996, n° 4, p. 773-797 ; BLANC (Gérard), « La souveraineté populaire en

question (À propos de la réforme de la Cour d’assises) », JCP G, 1996, n° 30-35, I, p. 3952 ; MIGNON-GARDET

(Marie), « Le rapport du Haut comité consultatif sur la réforme de la procédure criminelle : un sens d’équilibre », LPA, n° 58, 1996, p. 4. ; WAECHTER (Bruno), « Le jury criminel à l’épreuve de la souveraineté

populaire », LPA, n° 43, 1996, p. 8 ; LESCLOUS (Vincent), MARSAT (Claire), « Rapport du Haut comité

consultatif sur la procédure de jugement en matière criminelle », Dr. pén., 1996, n° 26, p. 3-6.

63 Pour une interprétation contraire des rapports entre jury, souveraineté et citoyenneté, fondée sur l’histoire de

cette institution, on se réfèrera aux articles de DAVID (Marcel), « Souveraineté, citoyenneté, civisme : quelle

légitimité pour le jury ? », Histoire de la Justice, n° 13, 2001, p. 125-134 ; du même auteur, « Jury populaire et souveraineté », Droit et Société. Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, 1997, n° 36-37, p. 401-449.

(31)

dans la mesure où les jurés n’ont jamais été et ne sont pas titulaires d’un mandat de représentation64, le jury n’est pas un organe constitutionnellement souverain. L’objection

selon laquelle le peuple ne peut pas déjuger le peuple ne tenant plus, rien ne s’oppose dorénavant à ce que les décisions du jury soient réformées en appel. L’importance de cette institution n’en est pas moindre cependant : le jury représente un « élément de citoyenneté très symbolique ».

Ces différentes occurrences du terme de citoyenneté en droit pénal aujourd’hui peuvent certes être lues comme le reflet du phénomène plus général d’inflation verbale de la notion qui envahit tous les champs, juridiques et non-juridiques : « oubliant qu’elle est une notion juridique qu’il convient de définir strictement et avec le plus grand soin, la citoyenneté est devenue […] une notion incantatoire, une formule magique s’éloignant progressivement de son véritable sens juridique et allant même jusqu’à la contredire »65. Dans le domaine

juridique, Farah Safi a relevé que le recours au terme de « citoyenneté » dans l’expression « stage de citoyenneté » était impropre dans la mesure où rien dans le texte de loi ne laisse entendre que pareille mesure ne pourrait être appliquée à un étranger66. Au-delà de la sphère

juridique, les termes « citoyen » et « citoyenneté » ont envahi le langage commun de la société civile. Alors qu’il n’est qu’un substantif, le terme « citoyen » est adjectivé : on parle ainsi sans ambages d’ « initative citoyenne », d’« éco-citoyen », d’ « entreprise citoyenne » ou encore de « citoyen-consommateur ». Ces invocations du « citoyen » ont en commun de faire appel à la valeur supposée positive de la citoyenneté. Dotée d’une « forte charge affective », la citoyenneté est liée à ce que « l’on considère de bien, de bon ou de juste dans l’ordre du politique ou du social, au sens le plus large des termes »67.

En dépit du caractère inapproprié de ces formules, on peut considérer que certains usages excentrés de la notion de citoyenneté au regard de sa conception classique ne doivent pas être négligés ; qu’ils « expriment des aspirations de fond quant à ce qu’est ou devrait être une vraie citoyenneté […], susceptibles de faire évoluer la réalité qu’il [le mot] désigne, puis le droit »68. Si nous n’inclurons pas dans notre recherche une réflexion systématique sur les

64 Sur la question de la représentation et du jury, voir l’article de PROTIERE (Guillaume), « La démocratie

représentative à l’épreuve des jurys citoyens », Politeia, n° 11, 2007, p. 133-153.

65 MICHON-TRAVERSAC (Anne-Sophie), La citoyenneté en droit public français, op. cit., p. 7. 66 SAFI (Farah), « Réprimer des actes ou punir des citoyens ? », op. cit.

67 PICARD (Etienne), « La notion de citoyenneté », in Yves MICHAUD (dir.), Qu’est-ce que la société ? Université

de Tous les Savoirs, vol. 3, 2000, p. 712-713.

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