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Deux fragments de la liberté à l'italienne: Diderot à Modena et à Milan, avant et pendant la Révolution: 1768-1799

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EDITO

Couper tout de suite par Roger Bordier

Dossier

1)11)1:1«VI

l: j1hhltENI'ISSAGE 1)1: IA LIB L1t'I Í

AU FIL DES MOTS

Décryptage

Nos lectures

Feuilles volantes

Monsieur Prudhomme

Porte ouverte

Le coin du libraire

l ;()MMUNE

- -I/, avenue Mathurin-Moreau, Paris 75019

, II : 01 42 01 45 99 - Fax : 01 42 01 47 99

I Iact : revuecomrnune@letempsdescerises.net .,iic : www.aear.net

15 €

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Revue de l'Association des écrivains

et artistes révolutionnaires (AEAR)

Dossier

I)II)EltO'I, L'AP1'RENI1ISSAGE 1)E IA LIB I RIE

Lmétéo de Diderot ou le libertinage romanesque

Éclectisme et liberté - Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l'ordre Loin des systèmes : laisser la pensée déambuler

Le délogement ou : l'évènement philosophique

,a morale fataliste de Diderot : de la Lettre à Landois à Jacques le Fataliste Quelle liberté pour le tlréatre

Écrire aux frontières du licite et interroger librement ... La liberté : des chimères aux vrais problèmes

Le cacanard de Vaucanson

N°65

(2)

((»IMIJNE

Soiiiiiiti

Revue de l'Association des écrivains

et artistes révolutionnaires (AEAR) EI)I'I'O - (~OiJPi.R TOIJ 'l' IH SUITE Roger Bordier 3

conseil de rédaction 1 Heně Ballet Joan-Pierre Bastid Mager Bordier Michel Buenzod Francis Combes Maurice Cury Jean-Luc Despax François Eychart

gérantes et secrétaire de rédaction Marie-Jo Jacob maquette Anne-CharlotteSavant imprimeur Présence graphique 2, rue de la Pinsonnière DOSSII. 6 I)I1)1šit0'1', L'j11 P1{Lì\'1'ISSιλГE 1)1š IA lIBERIE

1)IDlìi«n', UN PIIILIISOPHI 'J'OIJd0{JI{s PRISENT' Maguy Roire

Monique Houssin 37260 Monts

IA MÉ'IH) 1)1ì I)ii i itO'i' OU ii LI131ïB'l'INAGIì ROJIANIìsoiii F. Taillandier

Bernard-G . Landry 10 Patricia Latour Aymeric Monville Marcel Parent SARL au capital de 400 € COMMUNE

revue semestrielle ECLLC 'i'ISME EI'ME'i"l'RL DE L'ORDRE Annie IbrahimLJBE ItTl: - ì IÙFIEZ-YODS I)E CEIAS! (li1I VEU'i' 15 Christian Petr 47, avenue Mathurin-Moreau75019 Paris I)lś'i'Ei{MINISME , FATALISME E'l' LIBER'l'E DANS L'fl UVRE1)E I)IDEROI' Claude Piermont

Simone Pirez Marcel Parent 23

Marc Viellard tél. : (33) 01 42 01 45 99

Lucien Wasselin fax : (33) 01 42 01 47 99 LOIN DES SYS'T'ÈMES : 1 ιuSSiiRIA l'INSuI IH1MBUIJìR Gilles Barroux 30 directeur de publication courriel : revuecommune@ letempsdescerises .n LE DÉJÁN~EMIiN'l' OU : L'ÉVÙNEMEN'L' PHILOSOPHIRIJE Volker Braun 37

Jean-Luc Despax site : www.aear.net 1)I Nls I){i)IïROT L'ÉCIAIREIJR Monique Houssin 41

coordinatrice de la publication

Maguy Roire

N°65

IA MORAIT FA'l'ALIS'l'Ii Dlì 1)3UERO'i' : I)lì IA /ni'iuï d Li2v

i..o1S À

46

JACQUES LEFA'T'ALIST' Gerhards Stenger

(luitti LIBIiR'l'ft POUR Lii TIIÍA 'l'iW Pierre Chantier 54 JiIC(1Ui SLE FiI'flLISTEOli « CIIACIJN A SON CHUiÌV » F. Leclere 60 ECI{IlU AUX FRON"i'diitiiS 1)11 LICI 'T'E Iii' IN 'l'Flü{OGER LlBiu iEN'r

(;oNS'1'ANC1ì D'IJN DÉFI , DES PENSEISMIX ROMANS Franck Cabane 65 Prix au numéro : 15 € RitMEi1U ii .JEUNE E'l' LE RIRE DE IA LIBER'l' Anne Richardot 73 Abonnement un an, 2 numéros : France 25 € - Étranger 33 € IALIBIR'l'f : U1ìs CHIMÌ1{ES AIJX VILUS I'ROBLJ MES E. Martin-Haag 78

Abonnement deux an, 4 numéros : France 40 € - Étranger 56 € LÆ CACAN' ARD I)lì VAIJCANSON Cécile Vargafog 85 Ihiux Irl{AGMFN'i'S 1)1 IA LIBER'I'í A L'l'FÆLJJiNNE .. . Paolo Quintili 90

COMMUNE 47, av Mathurin-Moreau

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Åi FIL 1ES MO'FS

LES CARNI:'l'S 1)1: MONSIEUR PIIIJI )IIOMMI: PO1{'I'E OIJVI RiL

POÌìME - UNIT (11)1: POUR YA()UN11f Francis Combes

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I: COIN llU LIBRAIRE

1{IuNC()N'FItE AVEC AILMIuL IÁUJIS Å Ii LIJciu NE »iis EcR11'AINs

Maguy Roire 139 142 154 3 s

Couper tout de suite

Si l'on pouvait déjà se débarrasser de l'imbécile formule des cent

jours appliquée à la politique actuelle, ce serait une bonne chose . Les calendriers sont des indicateurs rationnels avant d'être des références évocatrices et parler d'un trimestre de pouvoir est une excellente mesure de jugement. Il faut donc commencer par rejeter la

méta-physique de l'état de grâce et la physiqúe nuancée du paresseux sub-terfuge de « temps à donner au temps : » . Et puis, que l'on cesse de nous rebattre les oreilles avec le risque qui, de toute manière, est concomitant à l'action . Ce n'est pas de risque qu'il s'agit, c'est de courage. Le grand historien Albert Mathiez s'en prenait déjà à ceux qui mettent leur socialisme dans les mots et sur les fiches pour ne pas avoir à le mettre dans les faits . Il y a des circonstances où il faut agir vite sur les points essentiels d'un programme, sans laisser à

l'adver-saire le temps de se ressaisir et en accompagnant s'il le faut ses déci-sions d'initiatives nouvelles . Vite et fort ? Dans les débuts de la grande révolution mexicaine des années 1910, Emiliano Zapata et son petit groupe d'insurgés croisent des gendarmes tirant au bout d'une corde, derrière leurs chevaux, un malheureux dont le corps meurtri tressaute sur les cailloux . Zapata discute, discute encore, enfin se saisit de sa machette et coupe la corde . Trop tard, l'homme est mort. Alors, l'un des insurgés s'approche et dit : Emiliano, il

fal-lait couper tout de suite .

Ce qui vaut pour les temps révolutionnaires vaut aussi pour les temps réformistes . L'année dernière, quand 2012 offrait tant de pos-sibilités, les lenteurs, les atermoiements, les politesses au patronat, les

1) ι1tгhтι1 1

O[JIiL(IUES RIFLIXIONSSUR LE CONC1tE'l' Roger Bordier 99

PEIJ'l'-(IN ENC()RE RIVER ? Claude Piermont 110

NOS LEC'1'UltES

LI?ÏI?RIWRIS'I'NOll Monique Houssin 115

111111:80'1' Tu PAR ~IAC(1IJIs A'FtALI Marcel Parent 119

Fi uILLI:s ~'OLAN'1'1?S

'1'AIILIiAU NOIR René Ballet 121

His'l'(Illtli D 'UNA1tC- EN-CIIiL Roger Bordier 123

ON A RE'I'ROIJVÚ L iLli 11[1 COM'1'Ii Maguy Roire 129

FflitC'l'IJRES Jean -Pierre Bastid 133

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prudentes répétées ont écarté des réalisations d'envergure en des domaines bien connus, là où l'on attendait un défi au lieu d'une réserve, une prompte énergie au lieu d'une attente sage. Mais qui doit attendre ? I e peuple à qui l'on dit, après les promesses : Patience, c'est pour demain . Car, quand il s'agit du peuple, des travailleurs, des divers sala iés, des chômeurs, des pauvres, c'est toujours pour deurai ri.

Nous voici donc, en cette année 2013, contraints à un délai de deux ans . l'ourgUOi ? Est-ce une prédiction, un calcul administratif? Dans ce SCCUIÌ(l cas, nous aimerions connaître les détails . Les muni-cipales de 2O1 sont-elles visées ? Ce serait alors une sorte de pari,

mais P " importe, la question doit être posée ; les redressements ont-ils une durée pré-établie ? En un peu moins de deux mois, 3 niai-25 juillet 1936, le Front populaire a : nommé trois femmes ministres, alors que les femmes n'avaient pas le droit de vote, impulsé, sous l'autorité du président du Conseil, les inoubliables Accords Matignon qui aboutirent à une augmentation générale des salaires et à d'importants droits sociaux pour les salariés, voté la semaine de quarante heures, les quinze jours de congés payés, la mise en place de conventions collectives, interdit les ligues d'ex-trême droite, nationalisé les usines d'armement, prolongé la scola-rité obligatoire de douze à quatorze ans, etc. L'on savait encore, à l'époque, couper tout de suite .

La V` République étant malheureusement ce qu'elle est, avec sa déplorable constitution d'exécutif personnalisé, peut-être les Français qui ont émis un vote plus conforme à l'idée qu'ils se font de la citoyenneté, attendaient-ils, après un président agité, un président agissant. Roger Bordier

Diderot

V

l'apprentissage de la liberté

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1 768 -1799

À la mémoire de Franco Venturi (1914--1994) Les événements de la diffusion de la pensée de Diderot en Italie et ses avatars sont riches et variés . I1 en est deux, très intéressants, qui se déroulent au xviii` siècle - l'un du vivant de Diderot. Dans la deuxième moitié du siècle, des hommes luttaient en Italie pour l'émancipation culturelle et politique de leur pays . Une représenta-tion de Diderot libre penseur pouvait alors faire figure de modèle à la fois moral et révolutionnaire .

De Ia sensibilité et de la vertu à Modène

Le Fils naturel contre Jean - Jacques

Le premier épisode eut lieu à Modène, lorsqu'un « obscur homme de lettre italien », comme il se définit lui-même - Lodovico Antonio Loschi - publia une traduction italienne du Fils naturel. Un exemplaire de la pièce est conservé dans la grande Biblioteca Estense de Modène* .

* La pagination des références entre parenthèses renvoie, sans aune mention, à cetexemplaire.

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Paolo Quintili

L'éditeur et traducteur est un gentilhomme de Modène qui adresse son travail à Diderot lui-même, dans une Lettre postface très significative du genre d'attention dont l'oeuvre de Diderot jouissait dans les milieux éclairés et parmi les libres penseurs italiens . Dans cette lettre, le traducteur met en valeur un caractère qui sera repro-ché à Diderot dans sa patrie comme l'un de ses défauts majeurs, en

tant qu'auteur de théâtre : philosopher sur scène, imposer la

réflexion « sérieuse » à un public qui ne voudrait que s'amuser ; en somme, on loue le théâtre didactique de Diderot . Loschi continue, en s'adressant à Diderot, pour affirmer que le traducteur est, doit être « plus sensible » que lui

« Je veux donc que vous sachiez que dans cette partie de la Lombardie vit un obscur savant et homme de lettres, une âme dévote à l'amour et à l'amitié, qui vous cède le pas bien volontiers en toute chose, sauf dans la sensibilité, dont il présume qu'il vous sera pair ou même supérieur » (pp . 101-102) . Loschi ajoute avoir pris la défense de la pièce contre ces « lourdes personnes » qui avaient soulevé des doutes à l'égard des « expressions irréligieuses » C'est plutôt le comportement « héroïque » et vertueux de Dorval qui seul a du prix, comme un exemple de grandeur morale, et le

sublime » de l'esprit de Constance : « âme grande et pleine de hautes cognitions et de sentiments nobles » . Les accents sont tout à fait diderotiens .

Par contre, Loschi exprime son idéal d'une beauté plutôt plato-nique que matérialiste, et c'est sur ce point qu'il critique la philoso-phie de la pièce : « le beau intellectuel gagne beaucoup plus sur le beau visible ; lorsque l'un et l'autre concourent ensemble, le pre-mier, même moindre, doit être préféré au second, sans aucun égard de proportion, bien que ce dernier soit au plus haut degré et pour ainsi dire parfait » (p . 103) . l,oschi promet finalement de donner aussi la traduction de la sec onde pièce, Le Père de Famille, pour

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Florence, récemment publiée

« Dans quelques mois je vous promets également la traduction de l'autre comédie de vous, Le Père de Famille, qui sera dédiée à une Dame gentille et valeureuse, fille du même Chevalier, qui est deve-nue depuis quelques années la joie et l'espoir d'une illustre famille bolognaise ; déjà mère d'une heureuse progéniture et vraiment digne de faire compagnie, par la hauteur de ses maximes, à l'auguste Princesse à qui vous avez dédié votre pièce originelle . J'ai été incité à cette deuxième traduction, plus que par toute autre raison, par celle de venger l'outrage porté au Père de Famille par la plume d'un jeune inexpérimenté, qui s'est mis à la tâche de le transposer dans

notre idiome par un coeur insensible et avec un style pauvre, incor-rect et dépourvu de vérité et d'harmonie » (pp . 103-104) . Le traduc-teur conclut avec l'espoir d'avoir ainsi contribué à la diffusion et au succès de Diderot dans l'Europe entière, au nom de la « juste posté-rité » : « Quant à moi, je sens quelque flatterie, dans l'un et l'autre cas, à avoir gardé, au moins en partie, la force et la délicatesse du texte français, aidé par le désir d'être rangé dans le nombre de ceux qui, dans l'Europe entière, vous connaissent et vous applaudissent, et qui pour vous connaître et vous applaudir, seront honorés par la postérité juste et impartiale » (p . 104) .

Dans la Préface, adressée, avec une dédicace, « Au très noble et très valeureux Monsieur le Marquis Alfonso Fontanelle », Lodovico Antonio Loschi souligne le mérite des traductions, relève la valeur d'exemple moral que le théâtre est capable de fournir aux jeunes gens, comme étant une véritable école laïque de la vertu (« l'école des devoirs naturels et sociaux »), qui doit avoir la priorité sur les ensei-gnements de l'Église elle-même . Loschi connaît la querelle sur le théâtre déclenchée par l'article « Genève » de d'Alembert dans l'Encyclopédie. Il connaît les critiques de Rousseau contre les effets

J

position des catholiques (en faveur de Rousseau) . Loschi n'hésite pas à prendre parti pour Diderot dans la querelle qui l'opposa à

Jean-acques Rousseau .

Dans cette adresse à un catholique le ton est à la fois ironique et méchant : Loschi s'adressera ensuite au Prince éclairé pour chercher une caution et une protection contre les ingérences ecclésiastiques dans les affaires de l'éducation : « Monsieur le Marquis très noble et très valeureux, je m'adresse à Vous . En vous dédiant ce petit travail je conçois que l'estime, le respect et la gratitude qui m'attachent à votre personne sont évidents » (p . 5) .

Le prince éclairé devient le symbole louable de cette sensibilii~ d'esprit élevée au rang de la première vertu morale, siiiv ;~nt la

maxime diderotienne - nul homme sensible nc sauit ;iit ~irc

méchant : « Et votre silence même, vos yeux et Lotis vos 1)•n1ILIHVV expriment le tempérament suave de votre âme et ks all ets Ics 1 l , délicats et exquis . A vous j e suis redevable d'une révol u u i ~, n I n i J ic ~1c

mon esprit et de mon coeur ; et c'est grâce à vous yuc j'ai ~ ~, iiIuI raison et la vertu, et si je les ai aimés au moins tant quc jc pc1Ix, j vous en sais gré ; je ne crains point que d'autres jeunes clait ci

sensibles, qui jouissent également de votre grâce et de votre làveur, ne vous avouent une obligation pareille . La Pièce aussi que je vous envoie ici est tirée de l'Original français que vous possédez . Et voilà, ô Monsieur le Marquis très humain, les raisons principales qui me poussent à vous l'offrir : les mêmes qui garderont mon âme, tant que je vivrai, à vous reconnaissante et dévote » (pp . 6-7) .

C'est un témoignage évident de la soumission d'un intellectuel éclairé à son « despote éclairé » . Mais la date de publication de la pièce, août 1768, n'est pas sans importance . En février 1768, dans le duché de Modène, la Compagnie de Jésus avait été supprimée, tout comme dans le reste de l'Europe . La noblesse alliée à la

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bour-geoisie y av ait joué un rôle essentiel . hc Fàts naturel traduit par le

jeune Loschi représente donc l'un des moments les plus significatifs de la bataille politique et culturelle qui s'était engagée au milieu du siècle dans la péninsule pour l'affirmation des Lumières et pour la « liberté italienne » récemment découverte .

Pour des « filles innocentes et pures » . La Religieuse à Milan

Le deuxième « fragment » de la liberté italienne est lié à un évé-nement qui se déroule à Milan, pendant les trois « années jaco-bines », les années des révolutions du Nord de l'Italie, des Républiques Cisalpine et Cispadane . I1 paraît à Milan, « l'an

pre-mier de la liberté italienne », en 1799, une traduction de La

Religieuse. L'exemplaire est conservé dans les fonds anciens de la Biblioteca Estense de Modène . C'est la première édition italienne faite sur l'original des OEuvres complètes de Diderot, publiées par son élève J .-A. Naigeon (1797) . L'éditeur italien est le patricien genevois Gaspare Sauli, qui s'adresse ainsi à son lecteur : « Le traducteur à celui qui lit . Cet ouvrage est de Diderot . Le nommer nous dispense de tisser son éloge . Bien que sorti de sa plume il y a plus de 20 ans,

il n'a vu le jour qu'il y a quelques mois . Les circonstances qui

déci-dent souvent du mérite d'un livre n'étaient pas favorables au

moment où il fut imprimé . Et pourtant la rencontre a été

univer-selle . L'abolition des ordres cloîtrés en France a rendu vain l'utile effet que La Religieuse pouvait produire là-bas » . Sauli insiste donc sur l'utilité plus vaste de l'ouvrage dans le contexte italien, pour sor-tir de « l'usage barbare d'ensevelir tant de victimes innocentes » sous l'habit religieux : « En Italie où l'usage barbare d'ensevelir tant de

victimes innocentes subsiste encore, cet ouvrage pourra profiter

d'un avantage appréciable . Si l'orgueil inhumain, si l'avarice

déna-turée, si l'injuste prédilection, sile fanatisme aveugle gardent encore

quelque empire, malgré les lumières de la philosophie et les progrès

94

s

de l'esprit humain, un tableau terrible du destin le plus commun des religieuses excitera, peut-être, dans les coeurs, quelque pitié et le sen-timent pourra se joindre au secours de la raison . . . » (p . 3) . Saule souligne le mérite du grand écrivain qui a su rendre intéressant un

ujet franchement ennuyeux, difficile et scabreux .

« Le prix de cette précieuse production consiste spécialement dans l'intérêt que l'auteur a su conférer à un récit simple et naturel . Une créature innocente, dans toute la force de ce terme, qui est enfermée dans un couvent, qui ne connaît pas le monde, qui en ignore les plaisirs, qui n'a aucune passion, qui aime Dieu et éprouve de l'aversion pour cet état que ses parents la contraignent à embras-ser, c'est là un argument stérile que seulement le Génie pouvait embellir et rendre ainsi intéressant » (p . 4) . L'auteur se proclame

ainsi 1'« ami de la liberté même dans la langue » et il se déclare

contre « tout purisme », en parfait esprit diderotien : « La pureté et l'élégance dans le style sont l'un de ces mérites accessoires dont je n'ai pas privé cet ouvrage dans ma traduction . Le gain, plus que l'utilité générale, est le but que se proposent ordinairement les tra-ducteurs modernes ; donc, ce sont ces négligences, ces incorrections, ces barbarismes qui abondent dans les ouvrages transposés dans notre langue . Je n'aime pas les puristes, qui condamnent tout ce qui n'est pas cruschevole (c'est-à-dire approuvé par le Dizionario della Crusca, qui était la référence autorisée de la langue italienne-floren-tine dès l'époque de Pétrarque) . Je déteste souverainement ces périodes longues et intriquées qui nuisent beaucoup à la clarté et épuisent les poumons . Je suis ami de la liberté même dans la langue, comme je déteste, dans toue chose, la licence . Sima manière de

tra-duire mérite le consentcmcnt et l'approbation des personnes sen-sées, si cet ouvrage atteint le hut que je me suis proposé, ce sera la

seule récompense que je désire ardemment par mon travail litté-raire » . La traduction de ,Sauli est Fluide, d'agréable lecture, elle est

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aucun des passages tant de fois censurés, par exemple sur le lesbianisme d la Mère supérieure d'Arpajon, n'est supprimé, avec une efficacité expressive bien supérieure aux traduc-tions qu'on a connues jusgti'à la deuxième moitié du xx' siècle (l'édition Natoli à Milan, en 1960, par exemple, garde encore un assez grand nombre de censures) .

La traduction est précédée d'unAvis qui est plutôt une dédicace « Aux filles qui viennent d'avoir 14 ans » . C'est un texte émouvant et passionné, d'un patriote qui a payé de sa vie l'amour pour la liberté et qui n'a pas reculé devant le devoir de son engagement révolutionnaire . Lisons-en quelques lignes : « A vous, mes chères filles, la portion la plus intéressante du genre humain, à vous, ten-dres et innocentes filles, je vais dédier et consacrer ma présente tra-duction . Votre coeur n'est pas corrompu par le vice, votre esprit n'est pas altéré par les préjugés, mais vous êtes exposées aux séductions de tous les genres . La plus dangereuse est celle qui part des personnes vers lesquelles la nature, la reconnaissance et l'habitude vous pous-sent à avoir de l'amour, du respect et de la vénération . Si vos parents, si votre confesseur vous proposent d'embrasser l'état religieux, armez-vous de constance, opposez à leurs funestes conseils l'exem-ple de sueur sainte Susanne . Dites-leur : la nature, en nous formant, ne nous a pas destinées à l'inutilité . Nous nous devons nous-mêmes à la Patrie qui ne recueille aucun fruit des sacrifices de notre liberté . Nous nous devons nous-mêmes au bonheur de ces jeunes hommes auxquels la nature et la société nous ont destinées comme com-pagnes . Nous nous devons nous-mêmes aux douces occupations et aux devoirs de la vie domestique, et non pas à chanter dans une langue que nous n'entendons pas et dans des heures destinées par la nature au repos, des hymnes à un Dieu qui nous donna la beauté pour plaire et le coeur pour aimer, et non pas pour les ensevelir entre quatre murs . Dites-le à vos parents : si l'état religieux est plus

par-fait que les autres, pourquoi donc ne l'avez-vous pas embrassé vous-mêmes ? Dites-le à votre Confesseur : si l'état religieux est le meil-leur, pourquoi Dieu même ne l'a-t-il pas institué et pourquoi alors sont-ils révolus les temps heureux et purs de l'église primitive, sans que l'on connaisse les couvents, et furent-ils inventés seulement pendant les temps de la plus grande corruption ? Filles innocentes et pures, lisez avec attention et avec profit les malheurs et les infor-tunes de la pauvre soeur sainte Susanne . Ne craignez pas de conta-miner votre pudeur par la lecture de ces mémoires . Il est trop pré-cieux à mes yeux pour que je puisse vous offrir des objets qui en offusquent la candeur et en altèrent la virginité » (pp . 5-8) .

j

Encore une fois, nous le voyons, le moralisme philosophique s'allie à l'élan révolutionnaire, dans l'interprétation italienne de loeuvre de Diderot . Avant et pendant la Révolution, au xvIIi`

siè-cle, l'Italie a donc produit des lectures très « avancées » et progres-sistes de la philosophie du maître d'oeuvre de l'Encyclopédie, qui ne deviendront désormais plus qu'un rêve, dans l'Italie soumise au oug des puissances autocratiques européennes, au début du siècle suivant . Elles ne seront destinées à être redécouvertes et mises en valeur qu'au xx siècle par Franco Venturi, le premier, le plus digne

héritier de cette tradition, à la fois nationale et cosmopolite, de la liberté italienne » .

Paolo Quintili

Paolo Quintili est professeur d'Histoire de la philosophie à l'Université de Rome 'lier V i p.ii . c i directeur de programme au Collège International de Philosophie de Paris . Son domaitir l'iii i i uiii cipal a été la philosophie des Lumières et les Philosophes encyclopédistes . Il a notammrii piil IiC liai Honoré Champion La pensée critique de Diderot. Matérialisme, science et poe/e f /, Y ,l'

l'Encyclopédie . 1742-1782 (2001), Matérialismes et Lumières. Philosophies de la vie, flu/our /e I U lru,i ele quelques antres.

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