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L‟ «Ultraphilosophie» de Giacomo Leopardi et ses rapports avec Blaise Pascal dans le contexte de la littérature et de la philosophie moderne

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Université de Poitiers Scuola Normale Superiore di Pisa Ecole Doctorale Lettres, pensées, arts et histoire Classe di Lettere e Filosofia Maison des Sciences de l‟Homme e de la Société Corso di Perfezionamento

Laboratoire FoReLL in discipline filologiche e linguistiche moderne Doctorat en littératures et langues vivantes étrangères, italien

Claudia Lami

L‟ « Ultraphilosophie » de Giacomo Leopardi

et

ses rapports avec Blaise Pascal

dans le contexte de la littérature et de la philosophie moderne

Thèse en Cotutelle

Directeurs de recherche :

M.me Pérette-Cécile Buffaria

Professeur de Langue et Littérature Italienne

Université de Poitiers

M. Salvatore Nigro

Professore Ordinario di Letteratura Moderna e Contemporanea,

Scuola Normale Superiore di Pisa

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SOMMAIRE

Introduction ... 1

Poème d‟ouverture ... 12

Chapitre I : Naufrage copernicien

§ 1.1 Leopardi et Pascal. La conscience du naufrage ... 15

§ 1.2 Images du naufrage ... 22

§ 1.3 Le Divertissement, le pari et le voyage colombien: l‟attente et

la conscience de la précarité ... 35

Chapitre II : Les effets de la décentralisation

§ 2.1 Le sens du temps, le vide et l‟ennui. Le Dix-septième siècle

et les méditations sur la Révolution Française ... 82

§ 2.2 La chute de l‟homme naturel et la chute adamique. Plénitude

et nullification de Dieu dans les veines du monde ... 126

§ 2.3 Solitude et désenchantement du spectateur. Le théâtre du monde ... 179

Chapitre III: La dialectique du tout et des parties. L‟ « Ultraphilosophie »

§ 3.1 Jésus Christ et le monde. La valeur des erreurs et le rôle de l'imagination ... 220

§ 3.2 Une vision du haut. L‟infini et l‟ « Ultraphilosophie » ... 259

Conclusion ... 306

Appendice

1. Le naufrage vertical du regard ... 1

2. Les degrés mystiques de l‟amour devin et le plaisir infini sans direction ... 12

(3)

Bibliographie Générale ... …………. 21-31

Bibliographie des Auteurs (Leopardi et Pascal) ……….21-22

Bibliographie Critique……….23- 31

Notes Générales ... …………...32-40

Notes sur la méthodologie et la structure de la thèse ……… ……….33-34

Notes sur les références bibliographiques de base……….. ………35-36

Notes sur les citations……….. ………37-38

§ notes sur la numérotation des Œuvres de Leopardi et Pascal………...38

Notes sur les traductions………...39-40

(4)

INTRODUCTION

Dans Histoire de l'Astronomie dès origines jusqu'à MDCCCXI, rédigée en

1813 à l‟âge de 15 ans, Leopardi analyse les principales théories scientifiques qui

constituent l‟histoire de l‟astronomie. Le jeune érudit donne un rôle d‟importance à

la théorie copernicienne, en notant qu‟une telle théorie, étant surtout un système

philosophique, elle n‟a pas seulement une valeur scientifique. En effet, la théorie de

Copernic efface l‟ancienne vision ptolémaïque en chassant la terre, et l‟homme, de sa

position privilégiée au centre de l‟univers : à partir de cette théorie scientifique,

l‟homme ne peut plus se considérer comme « le nombril de l‟univers » et la valeur

philosophique de la théorie copernicienne montre donc la solitude de la terre et des

créatures humaines face à l‟immensité de l‟univers où n‟existe aucun centre. Cette

découverte scientifique a bouleversé définitivement la considération du destin

humain, en exprimant une vision explicitement anti-anthropocentrique. Dans le

Chapitre IV de son Histoire, le jeune Leopardi disserte donc de la théorie

copernicienne et il s‟entraîne à observer la terre « depuis » les grandes distances

sidérales, en voyant qu‟elle n‟est qu‟un petit grain de sable posé dans l‟immensité de

l‟univers. C‟est donc à travers une comparaison entre les œuvres de Leopardi et de

Blaise Pascal que l'on peut montrer la méditation similaire du philosophe français

autour de ces thèmes. En De l‟Esprit Géométrique (section I) Pascal réfléchit sur la

petitesse humaine à partir de considérations géométriques, en affirmant que l‟étendue

ne résulte que de diverses parties séparées. D‟une telle définition dérive que l‟espace,

qui est étendu, est divisible à l‟infini, donc, Pascal tire la définition d‟infini spatial et

temporel qui est compris entre le tout et le néant. Il est donc évident que les parties

font le tout, quoiqu‟aucune ne soit le tout : si les choses ne sont que grandeurs

divisibles à l‟infini, de sorte qu‟elles tiennent toutes le milieu entre l‟infini et le

néant, ce sera à partir de ce raisonnement strictement géométrique que Pascal peut

tirer une conclusion philosophique, qui concerne le destin de l‟homme : l‟homme est

une créature qui se pose entre les deux infinités du tout et du néant. Cette méditation

sur le destin humain on la retrouve dans les Pensées, où Pascal affirme que, à partir

de la position de l‟homme dans le kosmos, il est clair que l‟univers est bien plus

grand que lui. La grandeur de la nature est donc utile pour méditer sur la petitesse

humaine : face à une telle immensité, la terre et l‟homme n‟ont plus une position

centrale dans l‟univers post-copernicien, qui devient infini et sans centre et donc,

comme le dit justement Pascal, l‟univers ressemble à une sphère infinie dont le

(5)

centre est « partout » et la circonférence « nulle part ». Par conséquent, la

contemplation d‟un ciel étoilé suffit pour ressentir le désarroi face à sa propre

petitesse.

Or, l‟observation du ciel étoilé est un thème que l‟on retrouve dans les

poèmes leopardiens de la maturité.

Le Chant nocturne d‟un berger errant de

l‟Asie, composé d‟octobre 1829 à avril 1830, présente la vision du vaste ciel nocturne

et des étoiles et ici se confirme la question sur le destin humain et surtout sur le rôle

de l‟homme dans l‟immense nature universelle : de la solitude face à l‟univers naît la

question sur l‟homme : « qu'est-ce qu‟un homme dans l‟infini ? » demande Pascal,

« Ed io che sono ? », « et moi, qui suis-je ? » demande le berger leopardien à la lune.

Donc, il est possible de noter chez Leopardi et Pascal une caractéristique

commune, c‟est-à-dire le sens du vide face à l‟immensité de l‟univers, un sens de

désarroi et de solitude. Ces sentiments viennent de la prise de conscience féroce que

l‟homme est une petite partie de l‟univers et non pas son centre. La théorie

copernicienne de l‟univers a été la cause principale d‟une telle prise de conscience :

les textes de Pascal démontrent l‟assimilation de la nouvelle conscience de l‟homme

du XVIIème siècle, qui a découvert sa position périphérique dans l‟univers ;

Leopardi aussi démontre qu‟il a « métabolisé » bien précocement le système

copernicien, sur lequel il médite à partir de son adolescence jusqu‟à la période de sa

maturité.

Leopardi et Pascal utilisent la même métaphore du spectateur qui observe le

vaste ciel d‟où Copernic a chassé la terre et l‟homme de son centre : le spectateur se

trouve sur le bord, mais cela ne lui donne pas la sérénité, il ne se sent pas à l‟abri car

la grandeur de l‟univers l‟enveloppe et l‟effraye. On est toujours seuls face au

spectacle de l‟univers et de cela vient la méditation sur le destin humain. Ce destin ne

peut plus avoir une direction définie car la créature est seule dans un Tout où la

circonférence est nulle part. Ce sentiment de désarroi n‟est qu‟un naufrage

intellectuel face à la conscience de la petitesse de la créature au sein d‟un univers

trop grand. Dans une sphère où le centre est nulle part, dans une mer infinie, on

risque toujours de naufrager et donc les « images du naufrage » sont les archétypes

de la nouvelle conscience post-copernicienne. Ces images, qu‟on a analysées, on

peut les retrouver aussi bien dans les textes de Pascal que dans ceux de Leopardi, et

elles attestent, voire même démontrent la conscience de la précarité, assimilée par les

Dorénavant, l‟adjectif «leopardien» indiquera les œuvres de Leopardi ainsi que les conceptions principales de sa pensée.

(6)

deux penseurs, même si leurs conclusions peuvent, parfois, se différencier. En effet,

Leopardi conserve des images pendant toute sa vie intellectuelle, pour expliquer la

solitude de l‟homme (du spectateur) face à la puissance de la Nature qui accomplit

son parcours sans trop penser à la vie et à la santé des créatures. De son enfance à sa

maturité, Leopardi utilise des images pour expliquer certains concepts. En

confrontant La tempête, écrite en 1809, et Le Genêt, écrit en 1836, on peut noter une

similarité entre la figure du jeune berger qui assiste à la destruction de son champ et

de ses avoirs (le troupeau), et la figure du jeune manant, qui assiste à la destruction

de son champ et de sa maison. De là vient l'angoisse du spectateur qui ne peut pas se

sentir à l‟abri et se montrer indifférent car il est la victime des manifestations

naturelles. Il est le protagoniste du naufrage, même s‟il observe de loin le spectacle

de la force naturelle. La distance ne permet pas la tranquillité, vu qu‟il voit la

destruction de ce que lui appartient.

Parfois, pour le spectateur même le ciel nocturne devient une vaste mer où

l‟on peut faire naufrage. L‟image du naufrage sidéral c‟est-à-dire le désarroi et la

perte de sécurité face à l‟immensité du ciel qui n‟est que le miroir de l‟univers, on la

retrouve dans les compositions juvéniles de Leopardi et également dans les

compositions de la maturité. Il est suffisant de rappeler à ce sujet le Fragment

apocryphe de Straton de Lampsachos, écrit en 1825, où la conflagration finale de la

terre et des autres planètes prendra la forme d‟une chute : la terre, les planètes et les

astres se briseront en morceaux et tomberont les uns dans les autres. En cette Œuvre

Morale de la maturité, le naufrage sidéral, image principale du naufrage, signe donc

la fin du Tout.

Or, dans les Pensées de Pascal, on invite également l‟homme à la

considération de sa petitesse, à partir de l‟observation du ciel étoilé où toute certitude

fait naufrage. La solitude post-copernicienne de l‟homme dans l‟univers est la même

solitude que celle du naufragé au large de la mer, loin du quai. La navigatio vitae

n‟est donc pas donc facile, car si on est déjà au large, on ne voit ni le début, l‟origine

ni le but. Le « silence éternel des espaces infinis » effraie le philosophe français, qui

ressent l‟angoisse suscitée par le silence de l‟univers, qui rappelle le son des

anciennes existences et qui annonce la fin de toutes les choses présentes. Chez

Leopardi, la dialectique entre le son et le silence est marquée par la voix d‟une jeune

fille qui s‟éloigne en laissant un vide dans le cœur. Mais même la voix lointaine d‟un

artisan, qui rentre à la nuit tardive, n‟est qu‟un écho d‟un naufrage qui est passé : elle

dit d‟une époque passée, de sa splendeur et de sa fin au large de l‟existence. Ces voix

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sont donc le symbole du temps qui coule s‟écoule et qui « utilise les histoires des

hommes. Les hommes flottent dans une immensité temporelle qui indique surtout

leur solitude.

Or,

la solitude de l‟homme pascalien dérive surtout de la chute

adamique. Pascal précise que l‟amour de soi, qui Dieu créa fini, devient infini après

le péché originel, alors que pour Leopardi l‟infini est naturellement enraciné dans

l‟amour de propre conservation, dans le sentiment de propre vie. Donc si pour Pascal

l‟homme est insatisfait car il est un « roi déchu », pour Leopardi l‟homme est

insatisfait car il est structurellement insatisfait à cause d‟une aspiration au désir infini

de plaisir-félicité qui ne sera jamais rempli. À ce point affleure donc le thème de

l‟attente. L‟attente de Pascal indique la soif d‟une grandeur perdue que seul Dieu

comblera, alors que l‟attente de Leopardi est terrestre. Pour Pascal, la navigation (la

navigation vitae) est un moyen pour arriver à Dieu ou, au moins, pour parier sur son

existence, et il dit qu‟il convient de le faire. En revanche, pour Leopardi la navigation

(comme celle de Colomb) est seulement un divertissement pour se distraire du désir

infini du plaisir-félicité : l‟important est de quitter le port et si Pascal parie sur Dieu,

Leopardi ne peut que parier sur ce qui est seulement humain : les illusions, qui sont

les moteurs de nos actions. Et, sur ce thème, on a une fondamentale différence de

Pascal par rapport à Leopardi. Pour le penseur français, les illusions ne sont que les

sources d‟inutiles divertissements et occupations qui poussent l‟homme à se distraire

et à se perdre, au lieu de méditer sur le paradoxe de sa condition, qui concerne d‟un

côté l‟aspiration vers la grandeur et de l‟autre côté la conscience de propre faiblesse.

L‟homme qui ne se contente pas du repos dans le port est l‟homme qui ne se contente

pas de la paix dans sa petite chambre. Dans ses Pensées, Pascal médite sur

l‟inquiétude qui pousse les hommes en dehors de leur chambre

,

inquiétude qui les

empêche de vivre tranquillement . Aller à la mer, s‟abandonner au naufrage. Voilà où

conduit l‟inquiétude humaine qui selon Pascal est le signe de perdition.

Toutefois, si la faiblesse de l‟homme se manifeste par rapport à la force de la

Nature, on peut conclure que Leopardi et Pascal ont bien assimilé le concept selon

lequel la force de la Nature est toujours majeure par rapport à l‟homme, vu que les

hommes ne sont qu‟une petite partie de la Nature. En particulier, Pascal exprime ce

concept en observant que l‟univers, à n‟importe quel instant, peut écraser la petite

créature humaine, et Leopardi, face à la puissance de la Nature, est prêt à abandonner

la morale de l‟imperturbabilité, la morale “faible” d‟Epictète. Le poète de Recanati

choisit en effet de faire appel à l‟action, à l‟activité de tous les hommes pour réagir

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activement à la force de frappe de la Nature. Le « ver de l‟aspra sorte », la vérité

amère sur le destin humain qui révèle le mal que le sort nous a donné, le « mal che ci

fu dato in sorte e il basso stato e frale », montre que l‟action des hommes contre la

Nature sera une action désespérée, mais, au moins, elle sera l‟unique arme pour

supporter la souffrance et l‟infélicité. Leopardi invite donc à l‟action à partir de la

vérité du triste destin des hommes et des créatures : leur naufrage est inévitable,

toutefois, par l‟action conjuguée les hommes pourraient tenter une « guerre

commune au destin », une « guerre feroce e mortale al destino ». Si Pascal parie sur

Dieu, Leopardi, enfin, parie sur l‟espoir et sur l‟illusion qui consiste à supporter la

force aveugle et supérieure de la Nature justement à travers la collaboration entre les

hommes.

Ces arguments parallèles du pari et du divertissement qui impliquent les

méditations de Leopardi et Pascal, unis par leur conscience de la précarité de

l‟existence, ont donc mis en évidence la différence entre le poète italien et le penseur

français à partir d‟une consonance de certains thèmes. L‟un, Leopardi, se limite à la

considération de la dimension humaine et terrestre sans poser d‟hypothèses «

ultra-terrestres » et ultra-humaines, donc religieuse. L‟autre, Pascal, analyse la situation

paradoxale de l‟homme par laquelle il arrive à se poser l‟importante question de

l‟existence de Dieu et des impératifs moraux qui en dérivent.

À propos de la dimension morale, la méditation d‟Augustin ouvre le Chapitre

II. Dans le livre XI des Confessions, Augustin illustre le thème du gaspillage de

l‟instant présent, qui s‟unit au thème du présent, qui doit être le temps de la

méditation, le temps de la chambre et du port : le temps que l'on doit dédier à Dieu.

Comme Augustin, Pascal aussi veut contraster les tendances centrifuges de l‟âme

humaine, causées par la temporalité de notre dimension, marquée par la divisibilité

temporale qui contraste avec l‟unicité et l'éternité de la dimension divine. On observe

donc, chez Pascal, un sens profond de la temporalité, que l‟on perçoit dans ses

méditations scientifiques et morales sur le temps. Toutefois on peut noter que, en

général, la méditation sur le temps est typique du Dix-septième siècle, un siècle

marqué par la révolution copernicienne qui est un véritable biais entre l‟ « avant » et

l‟ « après » c‟est-à-dire entre la vision ptolémaïque, fixiste et géocentrique, et la

vision copernicienne qui mobilise l‟univers en dispersant son centre. Donc le

Dix-septième siècle est caractérisé par un sentiment de fragmentation et de mouvement

temporel : la mort des anciennes certitudes montre le passage du temps et provoque

un sentiment de vide.

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Le passage du temps indique aussi le passage des époques et, en dirigeant

notre attention sur Leopardi, on trouve que le poète de Recanati médite sur le temps

en général, sur son usage, sur la perte du temps, ainsi que sur la nature géométrique

du temps, de laquelle dérive le discours sur l‟ennui, qui se lie à celui du

divertissement : l‟ennui est le vide du désir de plaisir insatisfait, qui génère un sens

de lenteur temporelle, donc les occupations et les divertissements, ainsi que les pertes

de temps, sont un remède contre l‟ennui, qui est causé par l‟insatisfaction du désir du

plaisir. Le divertissement peut être une navigation hardie ou une tranquille

conversation. L‟important c‟est de se divertir. L‟homme leopardien est un homme

colombien qui s‟engage à perdre son temps pour fuir l‟infélicité de sa condition..

Toutefois, Leopardi aimait surtout analyser les époques qui ont marqué l‟histoire

humaine. Par exemple, les analyses leopardiennes sur le Dix-septième siècle et, en

suite, sur la Révolution Française ne sont alors que méditation sur l‟ère moderne. Les

récits mythiques peuvent illustrer le parcours de l‟histoire humaine et par exemple,

selon Leopardi, le péché d‟Adam indique déjà l‟éloignement de l‟homme non pas par

rapport à Dieu, comme le dit Pascal, mais par rapport à la Nature : le mythe d‟Adam,

qui occupe la méditation leopardienne, raconte le développement civil de l‟homme

moderne qui, dit Leopardi, à cause du développement de la raison s‟est éloigné d‟un

style de vie naturel.

À propos du rapport Dieu - Nature, on peut voir que progressivement, dans

les méditations de Leopardi l‟action de Dieu se confond avec la Nature. Et si Pascal

maintient la distinction entre Dieu et la Nature, Dieu étant un Être Suprême, un Infini

sans parties, pour Leopardi, la dilatation infinie de Dieu coïncidera progressivement

avec sa nullification, avec le vide, c‟est-à-dire avec le Néant : donc avec sa

destruction. On n‟a plus un Dieu au-dessus de la Nature, mais on a la Nature même :

chez Leopardi, le grand système de la Nature assimile la puissance qu‟on attribuait

au Dieu Éternel. Il ne reste, alors, que l‟ampleur du grand spectacle du monde, où se

célèbrent la solitude de la petite créature terrestre et aussi la vanité de l‟existence, en

assonance avec une pensée ancienne qui d‟Homère passe aux Savants de la Bible,

jusqu‟au philosophe grec Théophraste. Parfois, surtout chez Leopardi, le désarroi du

spectateur face à l‟infinie puissance de la Nature peut se transforme en

désenchantement : une prise d‟acte, pure et nue, de la fragilité de la créature. Et si

pour Pascal l‟homme est responsable de sa souffrance, à cause de sa tendance à la

perdition dans les petites choses irrégulières de la vie terrestre, pour Leopardi la vraie

responsable du mal de l‟existence est la Nature. Mais, enfin, la souffrance des êtres

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vivants (le mal), qui est nécessaire afin de maintenir l‟existence générale du système

universel, dévalorise même la faute de la Nature. Face à la différence entre le but de

la Nature (l‟existence générale du système naturel) et le but des créatures (leur propre

survie) Leopardi proclame donc la contradiction de l‟existence, qui conduit à

l‟écroulement du Principe de Non-contradiction, c‟est-à-dire à l‟écroulement de la

Logique : on existe pour être heureux, mais on ne le sera jamais, donc il vaudrait

mieux ne pas exister. Que la non-existence soit préférable à l‟existence est une

contradiction. Donc, le vaste spectacle du monde leopardien devient un drame dans

lequel aucun Deus ex machina ne pourra sauver le destin des créatures. Or, le monde

de Pascal est un lieu également vide, où règne la solitude, mais l‟homme pascalien

peut cultiver l‟espoir de retourner au point stable du Tout, Dieu, à travers la religion

chrétienne. Et ici se pose la méditation de Leopardi sur le christianisme : en assumant

une position différente par rapport à Pascal, le poète de Recanati finira par affirmer

que le christianisme, avec le renvoi à une vie ultra-terrestre, a contribué à la passivité

de la vie et à la mort des idéaux héroïques et des illusions.

On peut dire donc que chez Leopardi, on a une conscience « éthique » du mal,

mais non pas au sens d‟une vision « morale ». Pour Leopardi, l‟origine du mal est

externe à l‟homme : elle ne dépend pas de son agir ni d‟une action prénatale, comme

cela peut être le cas pour le péché originel. Le mal inonde la vie des hommes et le

vaste spectacle du monde où, comme le dit Leopardi, tout est mal. Le mal agit au

niveau matériel du corps par les maladies, et au niveau psychologique par le sentiment

de l‟ennui et de la vanité des choses. Les actions, les sentiments et tous les aspects de

la vie, donc l‟ethos tout entier de l‟homme, est influencé par une telle souffrance. De

l‟autre côté, la vision morale du mal, comme celle de Pascal, se base surtout sur la

conscience d‟une faute commise par l‟homme, qui gaspille sa vie en s‟éloignant de la

lumière de Dieu. Et si Leopardi observe la souffrance qui caractérise l‟homme, mais

aussi les autres créatures, chez Pascal, le désarroi et la souffrance sont une condition

qui concerne surtout l‟homme, ayant leur origine principalement dans l‟homme. Le

monde est un lieu de solitude, qui n‟a aucun centre et où tout coule rapidement sans

cesse, mais l‟homme, au lieu de se distraire, peut rechercher un point stable. Ne pas

méditer sur propre condition, ne pas parier sur ce point stable, est déjà source du mal

et de souffrance.

Et pourtant, si Leopardi observe l‟homme, il ne peut oublier la présence

occulte de Dieu, au moins avant de dissoudre la présence divine dans les mécanismes

impersonnels de la Nature. Or, pour Leopardi la gloire surtout exprime la puissance

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de Dieu. Par ses terribles actions, il exprime et il montre sa gloire et un tel concept

est bien présent dans l‟esprit leopardien En effet, en 1820, il théorise que Dieu aurait

permis à Adam de commettre le péché afin de montrer sa propre gloire, vu que le

péché permit à Adam de gagner une connaissance plus complète et donc la capacité

d‟avoir une plus claire conception de Dieu.

Mais déjà en 1813, dans la Crucifixion et

Mort de Christ, écrite à 15 ans, Leopardi avait élaboré une première lecture

hétérodoxe, en disant que le sacrifice de Christ pourrait montrer que Dieu agit

toujours pour sa gloire. La gloire est donc le but principal de toute action divine : soit

l‟action qui montre la bonté de Dieu, soit celle qui montre sa colère. Maintenant, on

peut donc diriger l‟attention sur les compositions juvéniles de Leopardi écrites

pendant son enfance et adolescence, et on peut noter qu‟il décrit les effets de

l‟indignation divine et qu‟il ne manque pas d‟arrêter son regard sur le misérable

théâtre qui accueillit la vague croissante de la colère de Dieu, qui arrive comme un

naufrage puissant et inexorable. En lisant les compositions juvéniles de ce poète

précoce, on peut observer le tableau complexe des sensations et conceptions de

Giacomo à propos de Dieu et de la condition des hommes qui vivent sur la terre. Si

le jeune érudit déclare sa confiance en la Bonté de Dieu et en sa divine Providence,

qui gouverne tout, certains passages montrent la peur et la stupeur face aux violentes

manifestations de la colère de l‟Être Suprême.

On peut donc faire des observations : dans ces poèmes de l‟enfance Leopardi

décrit plus précisément la condition de solitude des spectateurs-victimes de la divine

indignation. Leur condition de spectateurs, en même temps protagonistes et victimes

du spectacle féroce, ne leur permet pas d‟éprouver le calme de celui qui observe de

loin la débâcle. Ils sont embarqués, au milieu de la scène. Ces spectateurs-victimes

sont seuls face à la puissance de la Nature, derrière laquelle se cachent Dieu ou

d‟autres divinités qui expriment leur pouvoir à travers la colère, concrétisée par les

effets désatreux qui en dérivent. Le spectateur-victime ne peut donc qu‟observer et

subir le jeu terrible de la Nature ou des dieux. Et pourtant, déjà dans certaines

compositions juvéniles, souvent la Nature agit sans être guidée par la main divine.

Elle seule occupe la scène, en exprimant toute sa puissance. Dans les poèmes de

Leopardi adulte l‟image du spectateur-victime de l‟obscure puissance naturelle, d‟une

Nature qui fait son parcours en vertu des mécanismes internes reviendra, sans

renvoyer cependant à une Puissance Divine externe. On peut brièvement rappeler le

« villanello» de La Ginestra ou le « mortal seme » de la Palinodia al Marchese Gino

Capponi. Dans le Déluge Universel, écrit en 1810 à 12 ans, derrière la puissance

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naturelle, on a la colère de Dieu, alors que, dans Le Genet écrit en 1836, on n‟a plus

l‟image de Dieu, mais seulement celle d‟une Nature qui agit non pas en vertu de la

main divine, mais grâce à sa force interne qui s‟exprime par le cycle de

production-destruction. Au-delà des différences idéologiques qui inspirent ces deux poèmes écrits

l‟un pendant l‟enfance et l‟autre pendant la maturité, si on compare les deux

compositions, on voit que les moyens descriptifs de la scène ne montrent pas de

particulières variations. La petite créature vivante se trouve donc face à une colère qui,

chez Leopardi, s‟abat de l‟extérieur : soit la colère divine, comme dans le cas des

compositions juvéniles, soit la colère naturelle, que l‟on trouve dans les compositions

écrites pendant la maturité. Dans les compositions de l‟adolescence, la colère de Dieu

s‟exprime principalement à travers le visage obscur de la nature : on voit Dieu, en

colère, diriger les forces naturelles contre l‟homme, en provoquant tempêtes,

naufrages, incendies. Leopardi adulte assimilera progressivement Dieu à la Nature :

enfin il ne parlera plus de Dieu mais seulement de la Nature, qui comme Dieu,

exprime son pouvoir à travers le mécanisme de la destruction. Si Dieu détruit pour

punir les hommes, la Nature détruit simplement parce que cela fait partie de son jeu

éternel.

Donc, pendant la période de l‟enfance et de l‟adolescence, marquée par la

sévère éducation chrétienne, Leopardi maintient la distinction entre Dieu et Nature, et

d‟un côté il peint les manifestations de la colère de Dieu et, de l‟autre côté, il décrit les

effets destructeurs de l‟obscure puissance de la Nature. Toutefois, le poète plus âgé ne

mentionne plus le nom de Dieu, mais seulement celui de la Nature en l‟accusant

durement de la responsabilité des souffrances terrestres. Les hommes et les autres

créatures vivantes, qui étaient victimes de l‟indignation divine, seront ensuite les

victimes d‟une Nature marâtre. Si Leopardi, enfant, justifie encore la colère divine

causée, bien sûr, par les comportements pervers des hommes, le petit poète ne peut

qu‟arrêter inévitablement son regard sur la souffrance des créatures : plus que leurs

fautes, il souligne plutôt la force et la puissance de la colère divine et ses terribles

effets. Et, on a vu que le poète adolescent s‟exprime à travers des modules descriptifs

qui sont presque les mêmes qu‟il utilisera successivement dans certaines compositions

de la maturité. À vrai dire, la considération des souffrances des êtres vivants et de leur

solitude, face au spectacle de la destruction, se maintient pendant le passage de

l‟enfance à l‟âge adulte du poète de Recanati : Leopardi apporte des modifications à

ses croyances les plus profondes et intimes, mais il ne change pas la façon de peindre

la triste condition des créatures terrestres.

(13)

Toutefois, Leopardi, engagé sur l‟analyse des événements généraux qui

concernent le rapport entre les êtres vivants et la Nature, on le voit intéressé aussi par

les faits historiques, parmi lesquels, avec les méditations sur le christianisme, chez

Leopardi on peut considérer les pensées sur la Révolution Française. En analysant

l‟échec de la Révolution, qui conduit à l‟ennui de la Restauration, Leopardi note que

même la géométrisation progressive de la vie moderne, causée par la philosophie

rationnelle du XVIIIème siècle, a contribué à la mort des illusions et à l‟égoïsme de

la société. La Révolution, fruit de la philosophie rationnelle du XVIIIème siècle, a

opéré une sorte de renaissance par rapport à l‟époque du despotisme de Louis XIV,

mais elle ne fut pas capable de maintenir une telle renaissance, car tout ce qui naît de

la philosophie, donc de la raison, n‟est que faible. Pour Leopardi, la vérité qui naît de

la raison se trouve donc à la fin des choses. La vérité détruit, alors que les erreurs, et

donc les illusions qui font parties des erreurs donnent la vie en inspirant les actions

vitales de la société. On a donc une évaluation « positive des erreurs qui instille chez

Leopardi la considération de l‟importance par exemple des erreurs populaires, qui

sont donc utiles à la culture humaine car elles expriment le désarroi face à la

puissance créative de la Nature et la petitesse des êtres vivants. Dans le dernier

chapitre de la thèse, le Chapitre III, on observera donc que c‟est surtout à partir de la

nécessité de comprendre la Nature que Leopardi explique que la raison ne doit pas

être l‟unique moyen de connaissance : le Génie leopardien, figure qu‟on rencontre

surtout dans les méditations de la maturité, est donc celui qui, en unissant logos et

pathos, peut cueillir d‟un regard le labyrinthe de la Nature, considérée comme un

vaste Organisme où les parties sont liées entre elles. Le Génie est capable d‟une

vision d‟en haut, du coup d‟œil, c‟est-à-dire la rapide vision synoptique qui

comprend le Tout, alors que le philosophe exact, géométrique, se perd dans la

considération des parties, en oubliant le Tout.

Or, Pascal aussi médite sur les différences entre les modalités du cœur et

celles de la raison : le cœur perçoit les premiers principes et la raison doit souvent

s‟appuyer à sur la connaissance du cœur, donc elle ne doit pas avoir, pour Pascal, la

présomption d‟être l‟unique moyen de connaissance. Toutefois, la similitude entre le

ton pascalien et le ton leopardien se perçoit aussi à propos de la méditation de Pascal

autour de l‟esprit de géométrie et l‟esprit de finesse : pour le philosophe français, les

esprits géométriques ne peuvent pas cueillir une chose par une vision globale, d‟en

haut, alors que les esprits fins sont capables du coup d‟œil. Comme dans le cas de

Leopardi, Pascal explique que pour la connaissance profonde de la Nature on ne peut

(14)

pas rester uniquement dans la zone exclusive de la raison, ou plus précisément : la

raison ne peut pas être l‟unique faculté utile pour utile à la connaissance. En ce sens

« l‟Ultraphilosophie » de Leopardi finira par devenir le territoire conceptuel où logos

et pathos se rencontrent : l‟« l‟Ultraphilosophie » est le lieu de l‟alliance entre les

modalités de connaissance différentes et opposées, c‟est-à-dire le monde de la raison

et celui de la sensibilité. À la base, on a l‟exigence d‟une vision plus générale de la

Nature, qui a donc une portée majeure et « l‟Ultraphilosophie » est l‟extrême et

hypothétique tentative de réconciliation entre raison et sensibilité, afin de

comprendre les ressorts intimes de la Nature. Pour comprendre les liens plus

profonds, les rapports plus cachés entre les parties de l‟Organisme naturel, l‟idée

affleure que même la Science doit exprimer le caractère poétique, poïetique, de la

Nature. Sur l‟inépuisable poiesis, l‟action vitale de la Nature, se fonde ce que

Leopardi appelle « l‟orribile mistero delle cose », le mécanisme profond et obscur de

la Nature. L‟usage exclusif de la raison ne suffit pas alors : il faut utiliser aussi

l‟énergie de la sensibilité. Il s‟agit d‟une exigence scientifique, gnoséologique et

donc, plus généralement, philosophique.

(15)

Au fleur de lis

et au gênet

(16)

IMITAZIONE:

Lungi dal proprio ramo,

Povera foglia frale,

Dove vai tu? Dal faggio

Là dov‟io nacqui, mi divise il vento.

Esso, tornando, a volo

Dal bosco alla campagna,

Dalla valle mi porta alla montagna.

Seco perpetuamente

Vo pellegrina, e tutto l‟altro ignoro.

Vo dove ogni altra cosa,

Dove naturalmente

Va la foglia di rosa,

E la foglia di alloro.

IMITATION

Si loin de ton rameau,

Pauvre feuille fragile,

Où vas-tu? ŔDe ce hêtre,

Où je naquis, là-bas, le vent ma déchirée ;

De ce jour, dans son vol,

Il m‟entraîne en tournant

Du bosquet vers les champs, et du val vers les monts.

Avec lui, voyageuse,

J‟ignore tout sinon que je vais sans repos ;

Je vais où vont les choses,

Où naturellement

Va la feuille de rose

Et celle de l‟ormeau.

NOTE - « Composée vers 1828, cette strophe (hendécasyllabes et septénaires) est la traduction libre d‟une médiocre poésie française, La Feuille d‟A.V Arnault. Le choix de la feuille comme l‟image de la vie caduque et fugace est un topos depuis Homère (Iliade VI, 146-150) » Note de Michel Orcel (Giacomo Leopardi. Chants. GF Flammarion, mai 2005, édition bilingue, traduite de l‟italien, présentée et annotée par Michel Orcel, préface de Mario Fusco.)

À propos du dernier vers, Orcel précise que Leopardi traduit fidèlement la «feuille de laurier» d‟ Arnault, mais dans sa traduction, Orcel a choisi l‟ «ormeau» pour créer une assonance avec «repos». Dans l‟édition italienne de la Bibliothèque Universelle Rizzoli, Milan 1996, Franco Brioschi dit que Leopardi lit cette poésie d‟Arnault dans le Spettatore du 1818.

La poésie française vient de la condition d‟exilé d‟Arnault, alors que Leopardi la transforme en un texte qui déclare la fragilité de l‟existence.

« De ta tige détachée, / Pauvre feuille desséchée, / Où vas-tu ? ŔJe n‟en sais rien / L‟orage a brisé le chêne / Qui seul était mon soutien. / De son inconstance haleine / Le zéphyr ou l‟aquilon / Depuis ce jour me promène / De la forêt à la plaine, / De la montagne au vallon. / Je vais où le vent me mène, / Sans me plaindre ou m‟effrayer ; / Je vais ou va toute chose ; / Où va la feuille de rose / Et la feuille de laurier » La Feuille A.V Arnault.

(17)

« La nuit était merveilleuse Ŕ une de ces nuits comme notre jeunesse seule en connut, cher lecteur. Un firmament si étoilé, si calme, qu‟en le regardant on se demandait involontairement : Peut-il vraiment exister des méchants sous un si beau ciel ?» F. Dostoïevski, Les nuits blanches

(18)

CHAPITRE I

NAUFRAGE COPERNICIEN.

« Pour l‟enfant, amoureux de cartes et d‟estampes, L‟univers est égal à son vaste appétit.

Ah! Que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! » Charles Baudelaire, Le Voyage.

§ 1.1 Leopardi et Pascal. La conscience du naufrage.

En 1813, à l‟âge de 15 ans, Leopardi rédige une Histoire de l'Astronomie, dès

origines jusqu'à MDCCCXI. Dans l'Introduction, il fait un éloge passionné de

l'astronomie, la science qui permet à l'homme de s'élever jusqu'à la vision des grands

espaces cosmiques :

« La più sublime, la più notabile delle Fisiche scienze ella è senza dubbio l‟Astronomia. L‟uomo si innalza per mezzo di essa come al di sopra di sé medesimo, e giunge a conoscere la causa dei fenomeni più straordinari.»1

En écrivant son Histoire de l‟Astronomie, le jeune Leopardi fait un voyage

dans l‟univers et il se rend compte de la grandeur du cosmos et de la petitesse de

la terre : face à l‟immensité de l‟univers, la terre n‟est que « un terrestre globetto»

un petit globe, qui est « un punto in rispetto alla moltitudine e alla grandezza dei

globi celesti »

2

. D‟autre part, cet univers si grand est encore habité par Dieu, et sur

ce Leopardi décide d‟utiliser le thème de l‟immensité universelle pour démontrer

la puissance divine, dont le jeune érudit fait expérience pendant son voyage

imaginaire dans les cieux :

« Quante migliaia di mondi si muovono sotto i miei piedi, quasi luccicanti granelli di arena. Io cerco sempre maggiori argomenti per ammirare la possanza del Creatore » 3

1 « La plus sublime, la plus notable entre les Sciences Phisiques est sans doute l‟Astronomie. Par elle, l‟homme s‟élève au-dessus de soi-m

ê

me, et il arrive à conna

î

tre la cause des phénomènes, les plus extraordinaires. » Leopardi H.A. Introduction (pour les traductions en français des Œuvres de Leopardi, ainsi que des Chants, voir les Notes Générales (NG)Notes sur les traductions).

2 « un point face à la multitude et à la grandeur des globes célestes » Leopardi H.A. Chapitre II.

3 « Des milliers de mondes se bougent sous mes pieds, comme des grains de sable reluisants. Je cherche de plus d‟arguments pour admirer la puissance de Dieu » Leopardi H.A. Chapitre I.I.

(19)

Dans son essai, Leopardi décrit plusieurs théories scientifiques qui constituent

l‟histoire de l‟astronomie, toutefois, il donne un rôle d‟importance à la théorie

copernicienne. Pendant l‟élaboration de son Histoire de l‟Astronomie, le jeune

Leopardi s‟entraîne à observer la terre depuis les grandes distances sidérales, il

s‟aperçoit qu‟elle n‟est qu‟un petit grain de sable, posé dans l‟immensité de

l‟univers et il explicite cette conscience surtout par la description de la théorie

copernicienne, dont il disserte au Chapitre IV : Copernic chassa la terre de sa

position centrale et il la fit tourner, en la secouant de son injuste oisiveté :

« Spirato [Copernico] da un nobile estro astronomico, dato di piglio alla terra, cacciolla lungi dal centro dell‟universo ingiustamente usurpato, e a punirla del lungo ozio, nel quale avea marcito, le addossò una gran parte di quei moti, che venivano attribuiti a‟corpi celesti, che ci sono d‟intorno »4

Le ton du jeune Leopardi se fait vaguement anti-anthropocentrique, vu qu‟il

comprend que la théorie copernicienne n‟a pas seulement une valeur scientifique,

mais même philosophique : «Il sistema di Copernico è da esaminarsi più da Filosofi,

che da astronomi »

.5

La théorie copernicienne a chassé la terre, mais surtout

l‟homme, de sa position privilégiée au centre de l‟univers : à partir de cette théorie

scientifique, l‟homme ne peut plus se considérer le nombril de l‟univers. Après

quelques années, en 1820, Leopardi est désormais adulte, et il répète cette conception

dans une note de son Zibaldone, avec plus de précisions conceptuelles : maintenant,

le système copernicien se confirme un système philosophique qui montre la solitude

de l‟homme face à l‟immensité de l‟univers, où il n‟occupe plus une position

centrale. Cette découverte scientifique a bouleversé définitivement la considération

du destin humain, en exprimant une vision explicitement antianthropocentrique :

« Una prova in mille di quanto influiscano i sistemi puram. fisici sugli intellettuali e metafisici, è quello di Copernico che al pensatore rinnova interam. l‟idea della natura e dell‟uomo concepita e naturale per l‟antico sistema detto tolemaico, rivela una pluralità di mondi mostra l‟uomo un essere non unico, come non è unica la collocaz. il moto e il destino della terra, ed apre un immenso campo di riflessioni (..) abbassa l‟idea dell‟uomo e la sublima, scuopre nuovi misteri della creazione, del destino della natura, della essenza delle cose, dell‟esser nostro, della onnipotenza del creatore, dei fini del creato [84] » 6

4 « Inspiré [Copernic] d‟un noble génie astronomique, il chassa la terre du centre de l‟univers, injustement usurpé, et pour la punir de sa oisiveté où elle avait pourri, il l‟a chargea de la plupart des mouvements, qui étaient attribués aux corps célestes qui sont autour d‟elle » Leopardi H.A Chapitre IV.

5 « La théorie de Copernic, il faut l‟examiner en étant Philosophes, non seulement astronomes » Leopardi H.A. Chapitre IV.

6 « Une preuve parmi tant d‟autres de l‟influence des systèmes purement physiques sur les intellectuels et les métaphysicien nous est donnée par le système de Copernic, qui renouvelle entièrement pour le penseur l‟idée jusqu‟alors naturelle qu‟il se faisait de la nature et de l‟homme et, par rapport à l‟ancien système ptolemaïque, qui révèle une pluralité de mondes, prouve que l‟homme n‟est pas un être unique, comme ne le sont pas non plus la position, le mouvement et le destin de la terre. Tout cela ouvre un champ immense de réflexions (...) rabaisse l‟idée de l‟homme, et la sublime,

(20)

Cette annotation leopardienne rappelle les méditations d‟un autre penseur, qui

avait déjà réfléchi sur le même sujet : Blaise Pascal. Le philosophe et mathématicien

français est plongé dans une époque historique fortement influencée par la nouvelle

théorie copernicienne. En De l‟Esprit Géométrique (section I), Pascal réfléchit sur la

petitesse humaine à partir de considérations géométriques : il définit l‟étendue, qui

est le concept principal de la géométrie, en affirmant que « l‟étendue est ce qui a

diverses parties séparées [168] »

7

donc l‟étendue porte à « la séparation des

parties[168] »

8

D‟une telle définition, il résulte que l‟espace, qui est étendu, est

divisible à l‟infini, et en effet Pascal dit que « il n‟ y a point de géomètre qui ne croie

l‟espace divisible à l‟infini [164]».

9

Pascal tire de ces raisonnements la définition

d‟infini spatial et temporel, qui est compris entre le tout et le néant :

« Quelque grand soit en espace, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui le soit d‟avantage ; et ainsi à l‟infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté. Et au contraire, quelque petit que soit un espace, on en peut encore considérer

un moindre, et toujours à l‟infini, sans jamais arriver à un indivisible qui n‟ait plus aucune étendue.

Il en est de même du temps. On peut toujours en concevoir un plus grand sans dernier, et un moindre, sans arriver à un instant et à un pur néant de durée [163] »10

Sur ce, il semble évident que « les parties font le tout, quoiqu‟aucune ne soit

le tout [166] »

11

donc les choses sont des grandeurs divisibles à l‟infini « de sorte

qu‟elles tiennent toutes le milieu entre l‟infini et le néant [169] ».

12

De cette pensée,

Pascal tire une conclusion qui concerne le destin de l‟homme, qui se pose entre les

deux infinités du tout et du

néant:

« Ceux qui ne seront pas satisfaits de ces raisons, et qui demeureront dans la créance que l‟espace n‟est pas divisible à l‟infini, ne peuvent rien prétendre aux démonstrations géométriques (…)

permet de découvrir les nouveaux mystères de la création, du destin de la nature, de l‟essence des choses, de notre être, de l‟onnipotnce du créateur, des fins de la création [84] » Leopardi Zibaldone. (pour la traduction en français du Zibaldone voir les Notes Générales (NG) Notes sur les traductions. Pour la numérotation du Zibaldone ainsi que des Chants de Leopardi voir les Notes Générales : Notes sur les Citations- § notes sur la numérotation des Œuvres de Leopardi et Pascal).

7 « L‟estensione è ciò che ha diverse parti separate » Pascal De l'Eprit Géométrique I (Pour la numérotation des Pensées ainsi que des Œuvres de Pascal voir les Notes Générales (NG) Notes sur les Citations- § notes sur la numérotation des Œuvres de Leopardi et Pascal. Pour la traduction en italien des Pensées et des Œuvres de Pascal voir les Notes Générales (NG) Notes sur les traductions). 8 « L‟estensione implica la separazione delle parti » Pascal De l'Esprit Géom. I.

9 « Non c‟è geometra che non creda lo spazio divisibile all‟infinito » De l'Esprit Géom. I 10 «Così, per quanto grande sia uno spazio, se ne può concepire uno più grande, e ancora uno che lo sia di più ; e così all‟infinito, senza mai giungere a uno che non possa più essere aumentato. E, al contrario, per quanto sia piccolo uno spazio, se ne può prendere in considerazione uno ancora più piccolo, e sempre all‟infinito, senza mai giungere ad un indivisibile che non abbia più alcuna estensione. Lo stesso vale per il tempo. Se ne può sempre concepire uno più grande senza un ultimo, e uno più piccolo, senza giungere ad un istante e a un puro nulla di durata » Pascal De l'Esprit Géom. I. 11 « Le parti fanno il tutto benché nessuna sia il tutto » Pascal De l'Esprit Géom. I.

12 « Di modo che esse occupano tutte quante il mezzo tra l‟infinito e il nulla »Pascal De l'Esprit Géom. I.

(21)

Mais ceux qui verront clairement ces vérités pourront admirer la grandeur et la puissance de la nature dans cette double infinité qui nous environne de toutes parts, et apprendre par cette considération merveilleuse à se connaître eux-mêmes, en se regardant placés entre une infinité et un néant d‟étendu, entre une infinité et un néant de nombre, entre une infinité et un néant de mouvement, entre une infinité et un néant de temps. Sur quoi on peut apprendre à s‟estimer à son juste prix, et former des réflexions qui valent mieux que tout le reste de la géométrie[170] »13

Les connaissances géométriques sont utiles pour comprendre que les choses

de la nature sont posées entre « les deux infinités qui se rencontrent dans toutes,

l‟une de grandeur, l‟autre de petitesse [162] »

.14

Dans ses Pensées, Pascal reprend ces raisonnements en méditant surtout sur

le destin humain, à partir de sa position dans l‟univers, bien plus grand que lui.

En conséquence Pascal invite l‟homme à observer la grandeur de la nature, pour

méditer sur sa petitesse face à une telle immensité :

« Que l‟homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu‟ils éloignent sa vue des objets bas qui l‟environnent (..) que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu‟il s‟étonne de ce que ce vaste tour lui-même n‟est qu‟une pointe très délicate de celui que ces astres qui roulent dans le firmament embrassent.(..) Tout le monde invisible n‟est qu‟un trait imperceptible dans l‟ample sein de la nature [185] »15

La terre et l‟homme n‟ont plus une position centrale dans l‟univers

post-copernicien, qui devient infini et sans centre: comme le dit justement Pascal

« c‟est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part

[185]».

16

La contemplation du ciel infini conduit au sentiment de désarroi :

« Que l‟homme étant revenu à soi considère ce qu‟il est au prix de ce qui est, qu‟il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j‟entends l‟univers, il apprenne à la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.

13 « Quanti non fossero soddisfatti di queste ragioni, e continuassero a rimanere nell‟opinione che lo spazio non è divisibile all‟infinito, non possono pretendere nulla, per quanto riguarda le dimostrazioni geometriche (..) Ma quanti vedranno chiaramente queste verità, potranno ammirare la grandezza e la potenza della natura in questa duplice infinità che ci circonda da ogni parte e imparare da questa considerazione meravigliosa a conoscere sé stessi, vedendosi posti tra una infinità e un niente di estensione, tra una infinità e un niente di numero, tra una infinità e un niente di movimento, tra una infinità e un niente di tempo. In base a questo si può imparare a stimarsi nel giusto valore, e a formare riflessioni che valgono più di tutto il resto della geometria » Pascal De l'Esprit Géom. I. 14 « Le due infinità che si riscontrano in tutte le cose : l‟una della grandezza, l‟altra della piccolezza » Pascal De l'Esprit Géom. I.

15 « L‟uomo contempli la natura intera nella sua alta e piena maestà ; allontani il suo sguardo dagli oggetti meschini che lo circondano (..) La terra gli appaia come un punto in confronto dell‟immenso giro che quest‟astro descrive e si stupisca che questo immenso giro è anch‟esso solo una esilissima punta, in confronto a quello descritto dagli astri che ruotano nel firmamento (...) Tutto questo mondo visibile non è che un segmento impercettibile nell‟ampio seno della natura » Pascal Pensées.

16 « E‟ una sfera infinita il cui centro è ovunque, la circonferenza in nessun luogo » Pascal Pensées.

(22)

Qu'est-ce qu‟un homme dans l‟infini? [185] »17

Voilà la juste question. Il est intéressant de noter que Leopardi conduit une

même méditation dans le Chant nocturne d‟un berger errant de l‟Asie, un poème

qu‟il a écrit pendant sa maturité.

18

A partir de la vision du vaste ciel nocturne et des

étoiles, se confirme la question sur le destin humain, sur le rôle de l‟homme dans

l‟immense nature universelle. « Ed io che sono ? » voilà la question du berger errant

de l‟Asie, en contemplant la profondeur du ciel étoilé :

« E quando miro in cielo arder le stelle ; Dico tra me pensando :

a che tante facelle ?

Che fa l‟aria infinita, e quel profondo Infinito seren ? che vuol dir questa

Solitudine immensa ? ed io che sono ? [v.

85-89] »19

De la solitude face à l‟univers, naît

la question sur l‟homme : « qu'est-ce

qu‟un homme dans l‟infini ? » demande Pascal, « Ed io che sono ? » demande le

berger leopardien à la lune.

Donc, on peut déjà faire un petit point de la situation : dans les passages de

Leopardi et Pascal que l'on a indiqués, on peut noter une caractéristique commune,

c‟est-à-dire le sentiment de vide, face à l‟immensité de l‟univers, et la sensation de

désarroi et de solitude. Ces sentiments viennent de la prise de conscience féroce que

l‟homme est une petite partie de l‟univers, et non pas son centre. La théorie

copernicienne de l‟univers a été la cause principale de cette prise de conscience : les

textes de Pascal démontrent l‟assimilation de la nouvelle conscience de l‟homme du

XVIIème siècle, qui a découvert sa position périphérique dans l‟univers ; Leopardi

lui aussi démontre avoir « métabolisé » bien précocement le système copernicien, sur

lequel il médite à partir de son adolescence, jusqu‟à la période de sa maturité.

Dans la note 24 de l'Introduction à Hans Blumemberg Naufrage avec

spectateur,

20

le philosophe italien Remo Bodei définit la révolution copernicienne

« una metafora assoluta » une métaphore absolue. Selon la définition de Bodei :

« Les « métaphores absolues » sont celles qui on ne peut pas les déduire par d‟autres métaphores ; qui on ne peut pas les réduire en concepts et qui

17 « L‟uomo, dopo essere ritornato in sé, consideri ciò che egli è in confronto di ciò che esiste ; si consideri come smarrito in questo angolo appartato della natura ; e da questa piccola prigione in cui è stato posto, intendo dire l‟universo, impari a valutare la terra, i reami, le città e sé stesso in giusta misura. Che cos‟è un uomo nell‟infinito ? » Pascal Pensées.

18 Ce chant a été composé d‟octobre 1929 à l‟avril 1930, à 32 ans.

19 « Et quand au ciel je vois qui brûlent les étoiles, / Je dis, pensant en moi : / Mais pourquoi tant de flammes ? / Que fait l‟air infini, l‟infini / Ciel profond ? / Que veut dire l‟immense / Solitude ? et moi, qui suis-je ? »LeopardiChant nocturne d‟un berger errant de l‟Asie.

(23)

ne sont pas "solubles" en eux : elles expriment des attitudes et des orientations originaires face à la réalité »21

La théorie copernicienne a provoqué sans aucun doute « un choc, une conscience

périphérique»

22

chez l‟homme moderne qui a été « relégué en un coin obscur de

l‟univers, entre d‟autres mondes infinis ».

23

Les certitudes, qui étaient garanties pas le

système ptolémaïque, n‟existent plus.

Leopardi et Pascal utilisent la même métaphore du spectateur qui observe le

vaste ciel nocturne, d‟où Copernic a chassé la terre et l‟homme de son centre : le

spectateur se trouve sur le bord mais cela ne lui donne pas la sérénité, il ne se sent

pas à l‟abri car la grandeur de l‟univers l‟enveloppe et l‟effraye. On est toujours

seul face au spectacle de l‟univers : voilà la méditation amère sur le destin humain

qui ne peut plus avoir une direction définie, car la créature est seule dans un Tout

où la circonférence n‟est nulle part.

Selon Copernic le système ptolémaïque était trop complexe et il avait élaboré

une nouvelle théorie qui décrit plus simplement les mouvements des planètes. Le De

Rivolutionibus Orbium Coelestium, publié en 1543, est un ouvrage névralgique qui

inaugurera la nouvelle saison de la Science Astronomique : la théorie copernicienne

sera reprise par Kepler qui, dans l‟Astronomia nova (1609) et les Harmonices Mundi

libri V (1619), formulera les lois des orbites des planètes, définies elliptiques et non

plus circulaires, ainsi que les lois des rapports entre les temps des révolutions

planétaires et les mêmes orbites des planètes. L‟hypothèse que les mouvements

planétaires ne sont pas circulaires, fait passer l‟idée de la perfection du monde

sur-lunaire : l‟univers est expliqué par des théories qui se basent sur une vision plus

dynamique. À partir d‟une telle vision, on peut comprendre les raisonnements de

Giordano Bruno sur l‟infinité de l‟univers où, selon le philosophe italien, il n‟existe

plus une partie supérieure ou inférieure, vu que « par rapport à la proportion de

l‟infini, on ne peut plus considérer une partie supérieure ou une partie inférieure »,

24

donc on peut en déduire que « l‟univers est tout le centre ou que le centre est partout,

21 « Le «metafore assolute» sono quelle indeducibili da altre, irriducibili a concetti e non "solubili" in essi: esprimono atteggiamenti ed orientamenti originari nei confronti della realtà. » Remo Bodei, note n.9 de l‟Introduction. Hans Blumemberg Naufrage avec spectateur (pour les traductions et les citations des auteurs italiens et français cités voir les Notes Générales (NG) Notes sur les citations et Notes sur les traductions).

22 « uno choc, una coscienza periferica » Remo Bodei, p.19 de l‟Introduction. Hans Blumemberg Naufrage avec spectateur.

23 « relegato in un angolo buio dell‟universo, tra infiniti altri mondi » Remo Bodei, p.19 de l‟Introduction. Hans Blumemberg Naufrage avec spectateur.

24 « alla proporzione dell‟infinito non si accosta più una parte quantosivoglia maggiore che un‟altra quantosivoglia minore » Giordano Bruno De la causa, principio e uno, cité V 210-216.

(24)

et que la circonférence est nulle part »

25

Giordano Bruno utilise une définition que

l‟on retrouve, comme on l‟a vu, dans les méditations de Pascal.

26

Philosophiquement,

cela conduit au sens du naufrage, c‟est-à-dire au sens de la précarité du destin

humain, qui est une petite partie de la vie universelle.

Dans son essai Naufrage avec spectateur, Hans Blumemberg décrit la

différence entre le sens que Lucrèce donne à la métaphore du naufrage et le sens

qu‟elle aura après la révolution copernicienne. Blumemberg affirme que dans le

Proème au II Livre du De Rerum Natura, Lucrèce présente la situation du spectateur

qui reste sur le bord en observant le naufrage : il se sent à l‟abri et il n‟a pas peur, car

il possède la sagesse stoïque qui lui donne la conscience de la précarité de

l‟existence. Ensuite, Blumemberg décrit le sens de la métaphore du naufrage à

l‟époque de la révolution copernicienne, et il mentionne la position de Montaigne,

qui à partir de la précarité de la condition humaine, fait un éloge de la sérénité du

spectateur qui ne risque rien, en restant sur le bord, loin du naufrage. Sur ce point

Blumemberg rappelle la position de Blaise Pascal qui est diamétralement opposée

par rapport à Montaigne, vu que Pascal montre qu'il n‟est pas possible de se tenir loin

du naufrage, mais au contraire, on est déjà au milieu. Le spectateur devient l‟acteur

du naufrage : on est donc embarqué :

« Dans la perspective de Pascal on n‟a pas l‟abstention typiquement sceptique, que Montaigne a exprimé par l‟image du port. La métaphore de l‟embarquement suggère que vivre soit déjà se trouver au milieu de la mer (…) Le pas métaphorique suivant n‟est pas seulement qu‟on est déjà embarqué et au large, mais même- comme si aurait été inévitable- qu‟on est des naufragés »27

On est embarqué, comme le dit Pascal. On est des naufragés. Et les images du

naufrage sont le symbole d‟une telle condition humaine.

25 « l‟universo è tutto centro o che il centro dell‟universo è per tutto, e che la circonferenza non è in parte alcuna » Bruno De la causa, principio e uno, cité V 210-216.

26 Voir, note 16, la citation extraite dans les Pensées de Pascal.

27 « Nella prospettiva di Pascal non c‟è l‟astensione dello scettico espressa da Montaigne con l‟immagine dell‟indugiare nel porto. La metafora dell‟imbarco include il suggerimento che vivere voglia dire essere già in mare aperto (..) Il successivo passo metaforico non è soltanto che siamo sempre già imbarcati e al largo, ma anche -come se ciò fosse l‟inevitabile- che siamo dei naufraghi » Hans Blumemberg Naufrage avec spectateur, Chapitre II.

(25)

«Veramente io sono stato legno sanza vela e sanza governo, portato a diversi porti e foci e liti dal vento secco che vapora la dolorosa povertade »

Dante, Convivio (I, III).

§ 1.2 Images du naufrage

Les images du naufrage que l'on peut les retrouver dans les textes de Pascal et

Leopardi, démontrent la conscience de la précarité, assimilée par ces deux penseurs.

Avant d‟illustrer ces images, il semble nécessaire de s‟arrêter sur Giuseppe

Ungaretti, poète italien, admirateur de Leopardi, qui avait déjà noté le lien entre

Leopardi et Pascal à propos du savoir de la précarité. La Revue Commerce, cahier

XIV, publie en hivers 1927 un article de Ungaretti: Leopardi. Pensées, traduites de

l‟italien et précédées d‟une note de Giuseppe Ungaretti. Cet article est l‟une des

premières traductions en français de certains passages extraits du Zibaldone

leopardien.

28

Dans les annotations à l‟article, Ungaretti médite sur le christianisme de

Leopardi qui, à son avis, laissa une profonde trace dans les méditations

leopardiennes, trace qui ne sera pas effacée par la perte de confiance en la foi

chrétienne, qui caractérise la maturité du poète. Dans les mots d‟Ungaretti, on

retrouve l‟image du spectateur qui, plongé dans sa solitude, observe le spectacle de la

nature, si mystérieuse et parfois si terrible. Le spectateur, grâce ou à travers l‟âme de

Leopardi, sent toute sa petitesse et sa faiblesse, et ces sentiments, comme le dit

Ungaretti, sont typiquement chrétiens :

« La réalité n‟est qu‟un néant, l‟idée de l‟infini n‟est qu‟image. La corruption est partout, la pensée la plus pure est périssable. La faute en est au christianisme qui nous a contraints à l‟analyse et nous a réduits ainsi, en fin de compte, à l‟athéisme. (..)

Peut-on vivre sans absolu? Et puisque l‟imagination, mère des songes, alimente toute grande pensée, ne pourrait-elle être notre absolu? (..) Leopardi tentera en vain durant toute sa vie d‟éluder la pensée. Devant l‟homme, fou d‟orgueil, la nature demeure mystérieuse et terrible. Mais l‟homme ne sait rien, il n‟est rien que le jouet de la nature.

« Vraiment je suis une bûche sans voiles et à la merci des flots, portée vers plusieurs ports, et bouches et rivages, par le vent sec de la terre, en s‟evaporant la douleureuse misère » Dante Convivio (I, III).

28 Dans son article Leopardi et la France, le silence des poètes (Revue des Études Italiennes. Société d‟Études Italiennes, janvier-juin 2000), François Livi rappelle que Ungaretti a été l‟un des premiers diffuseurs de Leopardi en France, surtout en notant son lien avec Pascal. Livi fait un résumé des publications ungaretiennes à propos de Leopardi : l‟essai Innocence et mémoire, publié par la N.R.F. novembre 1926 ; l‟essai de 1927 publié sur Commerce, que l‟on a mentionné dans le corps du texte ; l‟essai Leopardi « Notes et Pensées » introduction et traduction de Giuseppe Ungaretti, publié sur la N.R.F, 1 avril 1930. Livi affirme que Ungaretti s‟intéresse surtout à la dimension morale et philosophique du poète italien, en donnant une lecture chrétienne du pessimisme de Leopardi : cela confirme, selon Ungaretti, le lien avec Pascal. Enfin, Livi note que le choix du terme Pensées, à propos du Zibaldone, exprime la volonté ungaretienne de lier le Zibaldone de Leopardi aux Pensées de Pascal.

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