immuno-inflammatoire
I. Boyadjiev, F. Garnier et C. Martin
Introduction
Le sepsis sévère et le choc septique sont toujours grevés d'une lourde mortalité (1). On estime qu'en Europe occidentale 400 à 500 000 cas de ces états infec- tieux graves (EIG) sont diagnostiqués chaque année et, parmi eux, 40 à 70 % développeront un état de choc septique. La mortalité attendue est d'environ 40 % en cas d'EIG avec bactériémie à germes à Gram négatif (2-4), 50 % si une hypotension complique le tableau (2-5), et peut culminer à 70-90 % en cas d'état de choc avec défaillance polyviscérale (2-6). La complexité de la patho- génie et de la physiopathologie des EIG explique en grande partie les difficultés auxquelles se heurte l'établissement de stratégies thérapeutiques. Les média- teurs et les cellules impliquées sont innombrables (tableaux I, II et III) et de nouveaux médiateurs sont régulièrement isolés (adhésines, endothélines ...).
Certains éléments de la stratégie thérapeutique des EIG ne sont pas remis en cause :
– traitement agressif de l'infection (association d'antibiotiques, chirurgie, drainage d'abcès…) ;
– réanimation hémodynamique adaptée au type de perturbations cardio- vasculaires observé ;
– mesures générales de réanimation (nutrition artificielle, ventilation méca- nique…).
Cependant, vu la persistance d'un taux de mortalité préoccupant, d'autres voies thérapeutiques doivent être considérées (7). Leurs objectifs sont de neutra- liser les effets des divers médiateurs en cause (tableaux I et III). De façon pratique, ces thérapeutiques sont envisagées dans le cas d'un sepsis sévère ou d'un choc septique (tableau IV), regroupés dans ce chapitre sous l’abréviation EIG.
Tableau I – Les médiateurs humoraux des états infectieux graves et du choc septique.
1. Complément (C3a et C5a anaphylatoxines)
– Activation des polynucléaires, des macrophages et des plaquettes – Vasodilatation
– Mobilisation des polynucléaires intra-médullaires – Effet cytotoxique direct sur les cellules endothéliales.
2. Les dérivés de la 3-phosphocholine
2.1. Prostanoïdes (voie de la cyclo-oxygénase)
– Vasoconstriction (PGF2alpha), vasodilatation (PGI2, PGE2), fièvre (PGE2), inhibition de l'agrégation plaquettaire (PGI2), catabolisme protéique.
– TXA2 (thromboxane) : vasoconstriction, agrégation plaquettaire (CIVD), hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), cytotoxicité sur les cellules endothéliales, puissante propriété chémotactique.
2.2. Leucotriènes (voie de la lipo-oxygénase) – LTB4 : agrégation des plaquettes et des polynucléaires – activité chémotactique sur les polynucléaires
– LTC4, LTD4, LTE4 : effet inotrope négatif, vasoconstriction surtout veinulaire, HTAP, broncho-constriction, diminution de la compliance pulmonaire, effet cytotoxique sur les cellules endothéliales, histamino-libération.
2.3. PAF (voie de l’acétyltransférase)
– Effet inotrope et chronotrope négatif. Vasoconstriction rénale et splanchnique.
– HTAP, bronchoconstriction, diminution de la compliance pulmonaire.
– Augmentation de la perméabilité capillaire.
– Puissante propriété chémotactique.
– Agrégation des plaquettes et des polynucléaires.
3. Le système contact : kininogène de haut poids moléculaire. Prékaelikréine, facteur XI, facteur XII – Activé par le LPS bactérien, la membrane basale vasculaire, la membrane du staphylocoque.
– Libération de bradykinine (vasodilatation, trouble de la perméabilité capillaire).
– Activation du complément et du système coagulolytique.
4. Enzymes lysosomiales et radicaux libres (dérivés « actifs » de l'oxygène) – Peroxydation lipidique des membranes cellulaires.
– Effet cytotoxique sur les cellules endothéliales.
5. Catécholamines
– Vasoconstriction généralisée. Ouverture des sphincters pré-capillaires et augmentation des résistances post-capillaires (favorise l'extravasation plasmatique).
– Effet inotrope et chronotrope positif.
– Diminution du volume du système capacitif.
6. Angiotensine
– Vasoconstriction artérielle.
7. Vasopresine
– Vasoconstriction artérielle.
– Effet inotrope négatif.
– Agrégation plaquettaire, activation du VIII.
8. Histamine, sérotonine
– Vasodilatation surtout veineuse.
– Cytotoxicité sur cellules endothéliales (augmentation de la perméabilité capillaire).
– Blocage de l'activité phagocytaire et chimiotactique des polynucléaires et des lymphocytes (blocage des récepteurs H2).
9. Peptides opioïdes endogènes (endorphines, enképhalines) – Atténuation de la réaction catécholaminergique initiale.
– Hypoalgésie.
10. MDF (myocardial depressant factor) – Effet inotrope négatif.
11. Cytokines (voir tableau III)
12. Endothelium-derived relaxing factor – EDRF (oxyde nitrique ou NO) – Vasodilatation.
13. Endothéline – 1 – Vasoconstriction.
14. Adhésines (molécules favorisant l'adhésion cellulaire sur l'endothélium vasculaire) (activité favorisée par l’exposition à LPS TNFα, IL1 et INFγ) les veinules post-capillaires sont le site d’action des adhésines.
ELAM-1 : Endothelial-leukocyte adhesion molécule – 1.
ICAM-1 : Inter-cellular adhesion molecule – 1.
VCAM-1 : Vascular cell adhesion molecule – 1.
Thérapeutiques anti-endotoxines
Les bactéries à Gram négatif restent une cause fréquente des EIG et de leurs complications. L'endotoxine, qui est un composant normal de la paroi de ces germes, est capable d'initier une cascade d'événements qui conduit à la survenue des EIG. La stimulation des cellules macrophagiques permet la libé- ration de TNFα, d'IL1, d'IL2, d'IL6, de PAF et d'autres médiateurs (tableau II).
L'endotoxine a également des effets directs sur les cascades du complément et de la coagulation. Le rôle central de l'endotoxine est également bien démontré
Tableau II – Cellules impliquées dans la physiopathologie des états infectieux graves et du choc septique.
Cellules Activées ou altérées par Libèrent
Polynucléaires C3a, C5a, TNF, LTB4, PAF, IL-1 Prostaglandines Radicaux libres oxygénés PAF – Leucotriènes
Enzymes lysosomiales protéolytiques Histamine (polynucléaires basophiles) IL-1, IL-8
Plaquettes PAF, TNF, TXA2, C3a, C5a, Prostaglandine Leucotriènes (LTB4) Leucotriènes TXA2
Vasopressine, Facteur XII PAF
IL2 Histamine, sérotonine
Mastocytes C3a, C5a PAF
Histamine
Prostanoïdes et leucotriènes TNF
Macrophages Micro-organismes (bactéries, TNF
mono-cellulaires et virus, champignons, parasites) IL-1, IL-2, IL-6, IL-8
cellules natural killer LPS (Gram -) PAF
(NK) Complexes antigène-anticorps Prostaglandines et leucotriènes Acide téichoïques (Gram +)
C3a, C5a, IL-2, IL-1, TNF
Lymphocytes T Agression infectieuse IL-1, IL-2, IL-3, IL-4, IL-6, IL-8
TNF, IL-1, IL-6, IL-8 Interféron gamma, TNFα, PAF Cellules endothéliales Polynucléaires activés Métabolites acide arachidonique
Radicaux libres oxygénés facteur XII Enzymes protéolytiques PAF lysosomiales IL-1, IL-6, IL-8
Leucotriènes TNF
TNF, PAF Kinines Histamine IL-1
Fibroblastes et cellules C3a, C5a, TNF, IL1, PAF IL1, IL6, IL8 musculaires lisses
Tableau III – Cytokines, états infectieux graves et choc septique.
1) TNF alpha
– Le TNF est sécrété dès les premières 45 à 60 minutes du choc septique, le pic de sécré- tion se situe à 90 minutes. Une sécrétion itérative est, en fait, très fréquente.
– Stimule les monocytes.
– Action sur les cellules endothéliales : CIVD, synthèse d'un facteur chémotactique sur les polynucléaires, favorise l'adhésion des polynucléaires, stimule production : d'IL-1, IL-6, PAF.
– Favorise l'adhésion des polynucléaires en synergie avec l’IL-1, leur propriété de phagocy- tose, la libération de radicaux libres et d'enzyme lysosomiales.
– Stimule la synthèse de la prostaglandine E2 (hyperthermie), et des autres dérivés de l'acide arachidonique, la libération de TSH, de GH, de Glucagon.
– Abaisse le potentiel transmembranaire musculaire (favorise l'œdème intracellulaire).
– Active le facteur XII, favorise la fibrinolyse.
– Favorise la prolifération des fibroblastes.
– Vasodilatation (par augmentation de production d'oxyde nitrique) et diminution de la réponse artérielle à la noradrénaline.
– Favorise l'ischémie du tube digestif, des surrénales, des tubules rénaux.
– Augmente la perméabilité capillaire.
– Augmente le turnover des acides gras libres (hypertriglycéridémie).
– Déprime la contraction des myocytes.
– Activation des lymphocytes T et B.
– Augmente la synthèse des protéines de l'inflammation.
2) INTERLEUKINE I (IL-1 alpha et bêta)
– L'IL1 est sécrétée après le TNF et avant l'IL-6. Elle joue un rôle majeur dans la stimula- tion des lymphocytes et des monocytes.
– Augmente la production du TNF et sensibilise les tissus à ses actions (action synergique entre ces deux cytokines).
– Effet cytotoxique sur les cellules endothéliales. Action pro-coagulante par inhibition de l'activateur du plasminogène.
– Favorise l'adhésion des polynucléaires sur les cellules endothéliales. Propriété chémotac- tique puissante.
– Stimule la prolifération des cellules musculaires lisses, diminue la contraction (par augmen- tation de production d'oxyde nitrique) en réponse à une stimulation alpha-adrénergique.
– Active la phospholipase A2 : synthèse des prostaglandines et de la thromboxane A2 (réponse vasomotrice et fébrile, myalgie, protéolyse musculaire).
– Augmente la production médullaire des polynucléaires et leur migration.
– Stimule les lymphocytes T et la production d'IL-2,-4,-5,-6,-8. – Stimule les lymphocytes B.
– Stimule la libération du contenu des GB (dérivés oxygénés et enzymes protéolytiques).
– Favorise l'adhésion des polynucléaires.
– Augmente la perméabilité capillaire.
– Augmente la température, la synthèse des protéines inflammatoires, de l'ACTH, du cortisol.
– Vasodilatation et diminution de la réponse de la paroi artérielle à la noradrénaline.
– Stimule la lipolyse.
– Stimule la production d'insuline.
– Stimule l'activité des macrophages.
– Augmente la production de radicaux libres oxygénés.
3) INTERLEUKINE 2 (IL-2)
– Augmente l'activité des GB et leur chimiotactisme.
– Augmente la perméabilité capillaire.
– Vasodilatation, effet inotrope négatif (discuté).
– Active et stimule les lymphocytes.
– Provoque la libération de TNF.
4) INTERLEUKINE 4 (IL-4) (rôle discuté dans la genèse des EIG) – Favorise l’adhésion des lymphocytes à l’endothélium.
– Facilite la présentation des antigènes.
– Favorise la libération des radicaux libres oxygénés.
Tableau III (suite).
5) INTERLEUKINE 6 (IL-6)
Les endotoxines bactériennes provoquent, soit directement, soit par l'intermédiaire du TNF ou de l'IL-1, la synthèse par les monocytes d'une IL-6 responsable :
– d'une stimulation lymphocytaire sur le site infectieux ; – d'une production des protéines de l'inflammation ; – d'une hyperthermie ;
– du recrutement des cellules myéloïdes ; – d'une activation modérée des GB ;
– d'une diminution de la production de cytokines par désensibilisation des macrophages ; – d'une activation des lymphocytes T et B.
6) INTERLEUKINE 8 (IL-8)
– La sécrétion est induite par TNF et IL-1.
– Activation des globules blancs (chimiotactisme et libération du contenu).
– Broncho-constriction.
7) INTERFERON gamma (INFγ)
– Produit par les lymphocytes T4, T8, et les cellules NK en présence d'IL-1 et IL-2, en réponse à des antigènes d'origine virale ou bactérienne.
– Potentialise les effets et la production du TNF.
– Favorise l'expression des antigènes du complexe majeur d'histocompatibilité de classes I et II.
8) Granulocyte macrophage colony stimulating factor (GM-CSF) et macrophage colony stimulating factor (M-CSF)
– Activation des neutrophiles et des macrophages (production de TNF et d'IL-1).
Tableau IV – Définitions des conséquences de l’infection.
American College of Chest Physicians/Society of Critical Care Medicine Consensus Conference (1992) Definitions for sepsis and organ failures and guidelines for the use of innovative therapies in sepsis, Critical Care Medicine 20: 864-74.
Anomalies Critères diagnostiques Valeurs seuils
Bactériémie • Présence de germe(s) viables
•dans les hémocultures
Tableaux d’inflammation • Réponse inflammatoire systémique systémique aiguë •à une variété d’agressions cliniques (Systemic inflammatory • 2 ou plus des signes :
response syndrome) •– température > 38 °C ou < 36 °C
•– fréquence cardiaque > 90/min
•– fréquence respiratoire > 20/min
• • ou PaCO2 < 32 mm Hg
•– Globules blancs > 12 000/mm3ou
< 4 000/mm3ou
> 10 % de formes immatures Infection systémique • Réponse systémique à l’infection
(sepsis) • 2 ou plus des signes :
•– température
•– fréquence cardiaque
•– fréquence respiratoire ou PaCO2
• Hémoculture(s) positive(s) :
•non nécessaire
par la reproduction des symptômes des EIG lors de son administration chez l'animal ou chez le volontaire (8). Par ailleurs, il est connu depuis longtemps que la sévérité des EIG est plus marquée, et la survenue du décès plus fréquente, lorsque l'on retrouve des taux bas d'IgG anti-antigène O ou d'IgM anti-polysaccharide dans le sang circulant (9, 10). Ceci a conduit tout naturel- lement à chercher à élever la concentration de tels anticorps chez les sujets présentant un EIG.
Utilisation d'anticorps polyclonaux naturels anti-endotoxines
Certains sujets possèdent naturellement des taux élevés (> 40µg/ml) de divers anticorps polyclonaux de type IgG qui peuvent se lier aux endotoxines de nombreux germes : Escherichia coli, Klebsiella, Proteus, Pseudomonas… (11). En sélectionnant de tels donneurs, on dispose de sérums riches en anticorps qui ont été utilisés par différents auteurs (11, 12). Il s'agissait de malades en état de choc septique, parfois très sévère (12), recevant un traitement, au cours d'études ouvertes, sans groupe contrôle. Les auteurs rapportent tous une impression très favorable mais, du fait des problèmes méthodologiques, il est difficile de conclure. Une étude (13) a rapporté l'emploi d'une préparation particulière d'immunoglobulines enrichie en IgM qui a permis de diminuer très nettement la mortalité par rapport au groupe témoin. Ce type de prépara- tion (Pentaglobulin®) a fait l’objet d’études de confirmation qui emporte la conviction.
Tableau IV (suite).
Anomalies Critères diagnostiques Valeurs seuils
États infectieux graves Infection systémique associée à une (sévère sepsis) hypoperfusion ou une dysfonction
d’organes
• anomalie de perfusion d'organes (1 ou plus) liste non limitative
•– lactates > normale
•– altération de la conscience
•– oligurie < 0,5 ml/kg pendant au moins
1 heure (malade sondé) Choc septique Signes des états infectieux graves,
avec hypotension en dépit d’une réanimation hydro-électrolytique correcte. Les malades sous traitement cardio-vasoactif peuvent ne pas être hypotendus.
• hypotension Pression artérielle systolique
< 90 mmHg (ou baisse de 40 mmHg) pendant au moins 1 heure
Utilisation d'anticorps polyclonaux anti-« core » de l'endotoxine (études J5) L'endotoxine est une structure très complexe composée grossièrement de trois parties : une chaîne latérale comportant une succession d'unités oligosacchari- diques (antigène O), un « core » polysaccharidique, et le lipide A (considéré comme la partie active). Les anticorps anti-endotoxines naturels sont dirigés contre l'antigène O et sont donc très spécifiques d'une espèce. Ils ne peuvent protéger que contre un type de souche bactérienne. La portion centrale d'en- toxine (« core » + lipide A) est une structure qui ne comporte que peu de variations d'une bactérie à l'autre (9). L'utilisation d'un anticorps contre cette région de l'endotoxine permettrait d'être efficace sur un grand nombre de bactéries à Gram négatif. Certains mutants bactériens ont perdu la capacité de synthétiser la chaîne oligosaccharidique car ils ne possèdent plus l'enzyme de type « épimérase » nécessaire à l'incorporation du galactose. Ainsi, la chaîne latérale ne peut plus se fixer au « core » de l'endotoxine. A partir de ces souches (Salmonella minnesota S-128 ou Re 595 et, surtout, mutants J5 d'Escherichia coli 0111 : B4) inactivées par la chaleur, certains auteurs ont vacciné des volon- taires, et obtenu la production de titres élevés en anticorps IgG polyclonaux anti-« core » de l'endotoxine. Ces anticorps polyclonaux ont été utilisés dans diverses études sous forme de plasma, sérum ou préparations purifées d'IgG.
Analyse des études J5 avec anticorps polyclonaux (tableau V)
Tableau V – Études cliniques humaines avec des anticorps polyclonaux anti-Escherichia coli J5 anti- Salmonella minesotta Re 595 (IG IV : immunoglobulines G intraveineuses, bacilles à Gram négatif.
Auteur Dérivés contenantles anticorps Type d'étude Résultats
Ziegler, Sérum Thérapeutique succès
1982 Infections BGN (n mortalité)
(réf. 77)
Baumgartner, Plasma Prophylactique succès
1985 Chirurgie à haut (n mortalité)
(réf. 7) risque d'infection
Mc Cutchan, Sérum Prophylactique échec
1987 Neutropénie
(réf. 46) et leucémie
Calandra, IG IV Thérapeutique échec
1988 Choc septique à
(réf. 17) BGN
IVIG Collaborative IG IV Prophylactique échec
Study Group, Chirurgie à haut
1992 risque d'infection
(réf. 63)
J5 Study Group, Plasma Thérapeutique échec
1992 Méningococcémie
(réf. 38) fulminante
Six études ont été réalisées avec ce type d'anticorps IgG dirigés contre le « core » de l'endotoxine. Sur trois études évaluant les effets d'un traitement curatif, une seulement a été considérée comme un succès. Il s'agit de l'étude sur 304 malades publiée par Ziegler et al. en 1982 (3) qui a permis de mettre en évidence que l'anti-sérum J5 réduisait la mortalité des sujets présentant une bactériémie à bactérie à Gram négatif de 38 % à 24 % (p < 0,041). Les malades bactériémiques avec une hypotension voyaient leur taux de mortalité passer de 52 % à 32 % (p < 0,028) et les malades en état de choc septique sévère (vaso- presseurs pendant plus de six heures) avaient un taux de mortalité qui diminuait de 76 % à 46 % (p < 0,009). Par ailleurs, cette étude démontrait que les malades ne présentant pas de bactériémie ne bénéficiaient pas du traitement par l'anti-sérum J5. Enfin, les résultats ne permettaient pas de conclure pour les sujets qui présentaient un choc septique sans germe dans les hémocultures.
L'étude publiée par Baumgartner et al. (14) a mis en évidence l'intérêt d'un traitement prophylactique par du plasma contenant des anticorps polyclonaux IgG anti-J5 administré à des sujets soumis à une chirurgie à haut risque de complications infectieuses. L'incidence des infections postopératoires à bacilles à Gram négatif n'a pas été diminuée. Par contre, l'incidence et la mortalité des chocs septiques postopératoires ont été très significativement diminuées. Les quatre autres études ont été considérées comme des échecs (tableau V) (15, 16, 17, 18). Deux sont à discuter ici. L'étude de Calandra et al. (15) a montré qu'une préparation enrichie en immunoglobulines G anti-« core » de l'endo- toxine (obtenue après vaccination de volontaires par le mutant J5) n'a pas permis de diminuer la mortalité de sujets présentant un état de choc septique (IgG standard : mortalité 50 %, IgG anti-J5 : mortalité 49 %). Enfin, l'étude concernant le traitement du Purpura fulminans par du plasma anti-J5 a été interrompue prématurément après l'inclusion de 73 enfants car ni l'évolution ni la mortalité n'étaient modifiées par le traitement (16). La mortalité était de 36 % dans le groupe contrôle contre 25 % dans le groupe J5 (différence de 11 % avec un intervalle de confiance à 9 5 % de 10 à 32 % – p = 0,32).
Cependant, vu le faible nombre de sujets évalués, cette étude n'avait pas une puissance suffisante pour détecter la significativité d'une faible différence de mortalité entre les groupes.
Conclusions sur les études J5
L'analyse des six études disponibles ne permet que de tirer des conclusions décevantes. Parmi les études à visée curative, seule une a été couronnée de succès. Les échecs des études ayant utilisé des préparations d'immunoglobu- lines enrichies en anticorps anti-« core » de l'endotoxine peuvent s'expliquer par la destruction ou la dénaturation des anticorps lors de la préparation industrielle, ou par un manque d'IgM, qui semblent les anticorps les plus actifs. Les échecs des études ayant utilisé du plasma ou du sérum ne peuvent être expliqués dans l'état actuel des connaissances. Quoi qu'il en soit, de
nombreuses raisons font que l'emploi de sérum ou de plasma doit être aban- donné :
– toxicité (faible mais indéniable) sur les volontaires de la vaccination par les mutants J5 d'Escherichia coli ;
– difficulté d'obtenir des préparations standardisées ; – difficulté de stockage ;
– risque majeur de transmission de maladies virales.
Tout ceci a conduit au développement industriel d'anticorps monoclonaux.
Utilisation d'anticorps monoclonaux industriels anti-« core » de l'endotoxine (19)
L'utilisation des biotechnologies permet de fabriquer de grandes quantités d'anticorps monoclonaux d'isotypie parfaitement connue et spécifique d'un épitope. Par ailleurs, les risques de transmission d'infection sont éliminés par ces techniques qui permettent de disposer d'anticorps très purifiés et stérilisés.
Deux anticorps IgM anti-« core » de l'endotoxine ont été actuellement étudiés (tableau VI). Tous les deux sont obtenus à partir de cultures de lignées cellu- laires, et la même souche d'Escherichia coli J5 qui avait permis la production des anticorps polyclonaux vus précédemment a été utilisée comme immuno- gène pour la stimulation des cellules. Tous les deux ont été étudiés dans des études prospectives, contrôlées, randomisées et en double aveugle.
Études Centoxin®(HA-1A) (Centocor, Malverne, PA, USA)
La première étude HA-1A a inclus 543 malades présentant un EIG (critères du tableau IV) avec ou sans choc septique (4). Le sous-groupe de malades visés par l'étude était, à la suite à l'étude de Ziegler et al. de 1982 (3), celui des malades présentant une bactériémie à bacille à Gram négatif (BGN). Dans ce sous- groupe de 200 malades (37 % du total), la mortalité était significativement réduite au vingtième jour de 49 % à 30 %. Cette réduction très significative était également retrouvée pour les patients bactériémiques présentant un état de choc septique (mortalité réduite de 57 % à 33 %) y compris dans les formes de choc avec défaillance viscérale (mortalité réduite de 73 % à 36 %). Aucun bénéfice n'était, par contre, retrouvé pour les 201 malades présentant une EIG à bacille à BGN sans bactériémie, ni pour les 142 malades présentant un sepsis
Tableau VI – Anticorps monoclonaux anti-« core » de l’endotoxine.
HA – 1A E5
(Centoxin®, Centocor, Malverne, PA, USA) (Xomen®, Xoma Corporation, Berkeley, CA, USA)
• IgM, origine humaine • IgM, origine murine
• Immunogène : Escherichia coli J5 • Immunogène : Escherichia coli J5
• Lignée cellulaire hétéromyélomateuse A6-H4C5 • Ascite de la souris
• Dose unique : 100 mg. • Deux doses : 2 mg/kg à 24 h d'intervalle.
d'une autre origine. La tolérance de l'anticorps a été excellente et aucun anti- corps anti-HA-1A n'a pas été détecté à la fin de l'étude. Cette étude de Ziegler et al. (4) a fait l'objet d'un vaste débat et ses implications cliniques ont été largement discutées (3, 19-25). Une forte critique a porté sur une mauvaise homogénéité entre les deux groupes. Sur plusieurs facteurs pronostiques importants (insuffisance rénale aiguë, score APACHE II, coagulation intravas- culaire disséminée, syndrome de détresse respiratoire aiguë), le groupe placebo était défavorisé (bien que de façon non significative), ce qui pourrait avoir influencé les résultats.
Une seconde étude randomisée, en double aveugle, a donc été entreprise et arrêtée après inclusion de 2 199 malades présentant un état de choc septique (étude CHESS : Centocor HA-1A Efficacy in Septic Shock) (26). Elle a été prématurément interrompue en raison d'une surmortalité (faible) chez les patients ne présentant pas d'infection à BGN : 42,3 % – 244/577 malades, contre 37,8 % – 230/608 malades dans le groupe contrôle, p = 0,134. Lors de l'arrêt de l'étude, la mortalité des 328 malades présentant une infection à BGN était de 33 % (109/328) contre 32 % dans le groupe contrôle (95/293) (p = 0,86). Cette deuxième étude n'a donc pas confirmé les résultats de la première.
Une troisième publication a évalué l'utilité de l'anticorps monoclonal HA- 1A dans une étude de cohorte de 600 malades présentant un état de choc septique (27). La mortalité du groupe étudié (61,3 %) s'est révélée légèrement supérieure à celle prédite en fonction du score APACHE II (56 %, p = 0,6).
Cette tendance était accentuée pour les malades ne présentant pas d'infection à BGN (décès observés 68,1 % et décès prévus : 58, 3 %, p < 0,03). Les auteurs de cette étude ouverte concluent que les malades présentant un choc septique avec bactériémie à BGN ne tirent pas bénéfice d'un traitement par l'anticorps HA-1A, et ils suggèrent que ce médicament pourrait être néfaste lorsque l'in- fection n'est pas due à une infection à bacilles à Gram négatifs.
Enfin, les 543 malades de l'étude de Ziegler ont été évalués afin de déter- miner si l'emploi de l'anticorps HA-1A avait eu des effets hémodynamiques notables, après son injection. Un total de 197 malades avait un cathéter de Swan-Ganz en place. Les auteurs (28) n'ont retrouvé aucune relation entre les modifications du profil hémodynamique, la présence d'une bactériémie à BGN et l'emploi de l'anticorps HA-1A. Cette évaluation avait un caractère rétrospectif, avec toutes les limitations méthodologiques inhérentes à ce type d'analyse a posteriori.
Études E5 (Xoma Corporation, Berkeley, CA, USA)
Une première étude a inclus 486 malades avec un EIG (dont les critères étaient un peu moins sévères que ceux du tableau IV) avec ou sans choc septique (29).
Les buts de l'étude ne définissent pas quels sous-groupes de malades devaient bénéficier du traitement. Les résultats montrent qu'une réduction de la morta- lité a été obtenue au trentième jour dans le sous-groupe de 137 malades
présentant un EIG à BGN sans état de choc (réduction du taux de mortalité de 43 % à 30 %). La présence ou non d'une bactériémie n'influençait pas les résultats. Il n'a pas été observé de réduction de la mortalité chez les 179 malades présentant une infection à BGN accompagnée d'un choc septique, ni chez les 152 malades présentant un sepsis non lié à une bactérie à Gram négatif. Cependant, dans le sous-groupe de 137 malades avec un sepsis à BGN sans choc septique, la survie à trente jours était de 70 % dans le groupe E5 contre 57 % dans le groupe contrôle (p = 0,01). Il s'agissait d'une analyse a posteriori (29). La tolérance de l'anticorps E5 a été très bonne avec quatre cas de réaction allergique, mais 47 % des malades ont présenté dans leur sérum des anticorps anti-E5 dont l'origine est murine (à partir de souris).
Une deuxième étude avec l'anticorps E5 a inclus 847 malades présentant les mêmes critères que dans l'étude précédente (30, 31). Dans le groupe étudié (celui dont le pronostic était amélioré dans la première étude E5) des 530 malades présentant un sepsis à bactérie à Gram négatif, sans état de choc, la mortalité n'a cette fois pas été significativement modifiée : (E5 : 30 %, placebo : 26 %). Cet échec, inattendu, a conduit les auteurs à une analyse (a posteriori) de sous-groupes où le traitement aurait été efficace. Ils sont arrivés à la conclusion que l'anticorps E5 serait efficace : en cas d'EIG à bactérie à Gram négatif, sans état de choc, mais avec défaillance viscérale. Cette analyse manque cependant de rigueur et jette des doutes certains sur l'efficacité de l'anticorps E5.
Une troisième étude E5 a été entreprise sur un faible collectif de malades suspects de développer un EIG à BGN. La mortalité a été de 70 % dans le groupe E5 et de 73 % dans le groupe placebo (NS) (32). Par ailleurs, huit des quinze malades qui reçurent l'anticorps E5 développèrent des anticorps anti-E5 (32).
Réflexions sur l'utilisation des anticorps anti-endotoxines
Dans les dernières années, de nombreuses études ont évalué de façon prospec- tive, randomisée et en double aveugle, le rôle thérapeutique potentiel d'anticorps anti-endotoxine administrés de façon prophylactique ou curative pour des infections à BGN (3, 4, 14-18, 26, 27, 29, 30, 32). Six études (4, 26, 27, 29, 30, 32) se sont intéressées à l'emploi d'anticorps monoclonaux anti- lipide A de l'endotoxine (HA-1A-Centoxin®et E5-Xomen®E5). Alors que les résultats des premières études suggéraient un bénéfice dans certains sous- groupes, ces résultats n'ont pas été confirmés dans les études ultérieures. Ceci a conduit à un retrait du marché du Centoxin®et à l'absence de commerciali- sation du Xomen® E5. Des études ultérieures avec d'autres anticorps, plus spécifiques et plus efficaces, doivent être envisagées. Une approche a été tentée avec l’anticorps monoclonal T88 (Chiron Corporation) qui est spécifique de l’antigène commun des entérobactéries (ACE). C’est un antigène glycophos- pholipidique de surface, partagé par toutes les Entérobactéries. L’ACE se trouve localisé dans la paroi bactérienne, à côté du lipopolysaccaride (LPS) et parfois lié au « core » de l’endotoxine. L’ACE est aussi beaucoup plus antigénique que l’endotoxine. Le MAB T 88 a fait l’objet d’une étude de phase III incluant
826 malades dont 455 (groupe cible) présentaient une infection à BGN (33).
La mortalité n’a pas été affectée par le traitement (34,2 % contre 30,8 % dans le groupe contrôle) (33).
Au vu des études ci-dessus, d’autres voies que celles utilisant un anticorps anti-endotoxine doivent être envisagées pour améliorer la survie des patients présentant un EIG.
Autres thérapeutiques anti-endotoxines (dont l’emploi de la bactericidal permeability increasing protein ou BPI) (voir plus loin, tableau IX)
L'endotoxine circulante se lie dans le plasma à une glycoprotéine de 60 kDaltons d'origine hépatique dont les taux varient de 0,5 à 50µg/ml. Cette protéine (LBP : LPS binding protein) possède une haute affinité pour l'endo- toxine (ou LPS : lipopolysaccharide) et le complexe LPS-LBP se fixe ensuite par le biais de différents récepteurs membranaires (CD 14, CD 11/18, p 73, autres…) sur les cellules macrophagiques. Il en résulte la synthèse et la libéra- tion de TNFα, d'interleukine 1,2 et 6. Afin de bloquer cette suite d'événements, des anticorps monoclonaux anti-récepteurs CD 14 et p 73 ont été développés. Chez l'animal soumis à une injection d'endotoxine, une dimi- nution de production de TNFα et d'IL-1, ainsi qu'une amélioration de la survie, ont été observées (34).
Une autre voie de recherche consiste à utiliser des antagonistes compétitifs du LPS sur ses récepteurs. Le lipide X est un précurseur du lipide A chez certaines souches mutantes d'Escherichia coli. Ce précurseur est beaucoup moins toxique et entre en compétition avec le lipide A pour la fixation sur les récepteurs membranaires. Il est capable de protéger la souris contre les effets léthaux d'une injection d'endotoxine (35).
Une protéine naturelle de 55 kDA, originellement isolée des granulations azurophiles des polynucléaires, neutralise l'endotoxine en se fixant sur elle avec une très forte affinité. Cette BPI (bactericidal permeability increasing protein) a pour l'endotoxine une affinité considérablement supérieure à celle des anti- corps HA-1A et E5. L'échec de ces anticorps dans les études cliniques pouvaient en partie s'expliquer par une trop faible affinité pour l'endotoxine.
Ce nouveau produit a un grand intérêt potentiel car il augmente la perméabi- lité des membranes bactériennes aux petites molécules comme les bêtalactamines. La BPI s'est révélée expérimentalement efficace pour réduire la léthalité d'une injection d'endotoxine chez le rat et la souris (36). Dans une étude humaine avec une molécule recombinée (rBPI21) les investigateurs ont évalué les effets sur la mortalité au cours des méningococcémies (37). Sur 1 287 patients évalués, 892 furent exclus, 190 ont reçu la rBPI21 et 203 un placebo. La mortalité n’a pas été significativement diminuée (7,4 % dans le groupe rBPI21 contre 9,9 % dans le groupe contrôle, p = 0,48), mais on a observé moins d’amputation (p = 0,067) et un meilleur pronostic fonctionnel
dans le groupe traité (p = 0,019). D’autres études sont nécessaires pour confirmer ces résultats.
Thérapeutiques anti-TNF α (tumor necrosis factor alpha)
Le TNFα est un polypeptide sécrété essentiellement par les macrophages (tableau II) qui est capable d'induire une multitude d'effets retrouvés dans les situations d'EIG et de choc septique (tableau III). Le TNFα est souvent consi- déré comme l'un des médiateurs centraux dans la physiopathogénie du choc septique :
– les taux de TNFα sont élevés dans un grand nombre d'EIG (38, 39) ; – l'injection d'endotoxine entraîne l'augmentation du taux circulant de TNFα, y compris chez l'homme (8) ;
– l'injection de TNFα reproduit les signes et les symptômes du sepsis sévère (8, 39-43) ;
– le TNFα est libéré par de nombreux agents infectieux : bactéries à Gram positif et négatif, virus, parasites, champignons (39-43).
Anticorps monoclonaux anti-TNFα
Sur le plan thérapeutique, des anticorps monoclonaux anti-TNFα ont été développés. Ils sont capables de protéger les animaux contre les effets léthaux d'une injection d'endotoxine, qu'elle soit administrée après (42, 44-46) et même avant (45, 47, 48) l'emploi de l'anticorps anti-TNFα. Les anticorps anti-TNFα se révèlent également efficaces pour protéger les animaux soumis à un sepsis à bactérie à Gram positif. Ceci a été démontré sur des modèles animaux utilisant des primates supérieurs (babouins) (49). Par contre, dans un modèle de sepsis à germe à Gram positif chez la souris, l'anticorps anti-TNFα s'est révélé inefficace, alors qu'il l'était en cas de sepsis à germe à Gram négatif (50). Au vu de tous ces éléments, dont le rôle central du TNFα dans le déve- loppement du sepsis, interférer avec cette cytokine pour en minimiser les effets semble une voie thérapeutique prometteuse. Par ailleurs, d'autres solutions que l'emploi d'anticorps monoclonaux pourraient être envisagées (tableau VII). Il faut cependant garder en mémoire le fait que les études envisagées ci-dessus répondaient à un modèle expérimental bien précis : l'injection d'une dose unique d'endotoxine. Ceci ne correspond guère à ce qui est observé chez l'homme où les taux d'endotoxine restent élevés pendant plusieurs heures (jours) et où l'on n'observe pas un pic de courte durée de TNFα, mais des taux qui restent élevés en plateau. Afin d'étudier les effets d'anticorps monoclonaux anti-TNFα dans des conditions plus proches de la réalité clinique, des modèles animaux simulant une péritonite ont été développés. Un sepsis de durée prolongée, avec des taux persistants de TNFα sont ainsi obtenus. Dans ces modèles expérimentaux, l'efficacité des anticorps anti-TNFα est beaucoup
moins nette, même lorsqu'ils sont associés à une antibiothérapie et les groupes traités par anti-TNFα n'ont pas un pronostic différent des groupes contrôles (51, 52). Dans un modèle de ce type néanmoins, l'anti-TNFα associé à la gentamicine a été capable de diminuer considérablement la mortalité (53).
Certains autres modèles expérimentaux doivent aussi être considérés avec prudence quant à l'efficacité d'un anticorps anti-TNFα. Dans un modèle de rat neutropénique, par exemple (54), l'emploi d'un anticorps anti-TNFα fait passer la survie de 0 % à 53 % après création d'une infection à Pseudomonas.
Ceci confirme ce qui est déjà connu. Un autre point intéressant est que l'asso- ciation anti-TNFα + antibiothérapie par la ciprofloxacine fait passer le taux de survie à 100 %. Ceci confirme ce que pensent intuitivement les cliniciens : l'an- tibiothérapie garde une certaine utilité pour traiter les EIG. Mais cette même étude montre que les animaux traités par ciprofloxacine seule ont une survie de 67 %. Mieux que l'anti-TNF… L'extrapolation est donc difficile à faire à l'homme, car une survie de 67 % par l'emploi de la seule antibiothérapie n'est malheureusement jamais retrouvée chez l'homme dans le cadre du choc septique.
L'interprétation de la manipulation des taux de TNFα est enfin rendue encore plus difficile par les résultats d'études montrant qu'un anticorps anti- endotoxine est efficace sur le taux de survie, alors que les taux de TNFα ne sont pas modifiés (55, 56) ou que la baisse considérable du taux de TNF obtenue après emploi d'un anticorps anti-TNF ne modifie par la survie dans certains modèles d'endotoxinémie expérimentale (55, 56).
Chez l'homme, plusieurs études cliniques ont évalué l'emploi d'anticorps anti-TNF (tableau VIII). L'anticorps murin CB 0006 (Celltech) a fait l'objet d'une étude de phase I et d'une de phase II (57, 58). Son développement a été arrêté en raison de sa très forte immunogénicité. L'anticorps humanisé CDP571 (Celltech) n'a fait l'objet que d'une courte étude de phase II (59). Il en est de même du cA2 de Centocor (60). L’efficacité du fragment F (ab’) d’un
Tableau VII – Inhibition de l’activité des cytokines.
Mécanismes Produits utilisés
– Anticorps monoclonaux anti-cytokines • anti-TNF α
• anti-IL-1, IL-2, IL-6…
• anti-INFγ
– Récepteurs solubles • pour TNFα, IL-1, IL-6, INFγ
– Antagonisme au niveau du récepteur • IL-ra (receptor antagonist)
• anticorps anti-récepteur du TNF – Inhibition de la production (synthèse et libération) ?
– Augmentation de la clairance ?
– Interférence avec les effets post-récepteurs : ?
modulation du signal de transduction
anticorps anti TNF-α monoclonal murin de type IgG3 a été évaluée dans un étude phase II (61) et une certaine efficacité sur la survie a été observée chez les patients ayant une concentration d’IL-6 > 1 000 pg/mL (mortalité de 80 % dans le groupe placebo contre 35 % dans le groupe recevant 1 mg/kg de l’anti- TNF-α). Malheureusement, une étude de confirmation (phase III, étude RAMSES) (62) n’a pas retrouvé ces résultats : mortalité dans le groupe IL- 6 > 1 000 pg/ml : 54 % du groupe traité contre 57,7 % du groupe contrôle.
Dans une dernière étude (étude MONARCH), avec la même structure (ciblée sur les patients avec une concentration d’IL-6 > 1 000 pg/ml) et le même anti- corps (Afelimomab), une réduction absolue significative de la mortalité de 3,6 % (p = 0,049) a été observée (après ajustement pour le score sofa), associée à une diminution des défaillances viscérales au cours de la première semaine.
Cette baisse modeste de la mortalité n’a pas conduit la FDA à donner une auto- risation de mise sur le marché (Panacek et al., ATS, Toronto, mai 2000, non publiée début 2004). L'anticorps murin Bay X 1351 a fait l'objet de trois grandes études de phase III (Norasept I et II et Intersept) (63-65). Dans l'étude Norasept I, seul le sous-groupe des malades présentant un état de choc semble
Tableau VIII – Évaluation clinique des anticorps monoclonaux anti-TNFα.
Anticorps Étude Commentaires
Anticorps murin • Phase I, 14 malades, chocs septiques Très bonne tolérance CB0006, Celltech •pre mortem (Exley et al., réf. 57)
• Phase II
•80 malades, sepsis sévère Bénéfice potentiel si taux
•(Fisher et al., réf. 58) élevés de TNF sérique Anticorps murin • Norasept I, phase III, Très bonne tolérance Bay X 1351, Bayer/Miles •994 malades en sepsis sévère et choc Pas de réduction de mortalité
•(Abraham et al., réf. 63)
• Intersept I, phase III, Très bonne tolérance
•564 malades en sepsis sévère et choc Pas de réduction de mortalité
•(Cohen et al., réf. 65)
• Norasept II, phase III, Pas de réduction de mortalité
•1 900 patients, choc septique
•(Abraham et al., réf. 64)
Anticorps humanisé • Phase II, 42 malades, choc septique Très bonne tolérance CDP 571, Celltech •(Dhainaut et al., réf. 59)
Fragment F (ab')2 • Phase II, 122 malades, Très bonne tolérance MAK 195F, Knoll. •sepsis sévère et choc Tendance à une réduction
•(Reinhart et al. réf. 61) de mortalité si taux élevés d'IL-6 sérique
• Phase III, 944 malades, Pas de réduction de mortalité
•dont 446 avec IL– 6 > 1 000 pg/ml
•(Reinhart et al., réf. 62)
• Phase III, 2 634 malades ont 998, Réduction significative de
•avec IL-6 > 1 000 pg/mL mortalité : 3,6 % (p = 0,049)
•(Panacek et al., non publié)
Anticorps humanisé • Phase I/II, 141 malades sepsis sévère Très bonne tolérance CA2, Centocor •et choc (Zimmerman et al., réf. 60)
bénéficier d'une réduction non significative de 17 % de la mortalité (37,7 % contre 45,6 % dans le groupe contrôle – p = 0,15). Aucun bénéfice, voire une légère surmortalité (24,8 % contre 21,1 %) est observée dans le groupe des malades non choqués (63). L'étude a été interrompue pour ces malades non choqués. Elle a été poursuivie pour les malades en état de choc septique (Norasept II) (64) et a inclus 1 914 patients. Il n’y a pas eu d’amélioration de la mortalité à J28 : 40,3 % dans le groupe traité et 42,8 % dans le groupe placebo (64). L'étude Intersept, conduite avec le même anticorps sur 564 malades dont 420 en choc septique, conduit à des conclusions semblables (65).
Récepteurs solubles du TNFα
Il s'agit d'inhibiteurs naturels circulants du TNFα qui proviennent du clivage protéolytique des récepteurs cellulaires. Afin d'en prolonger la demi-vie sérique, des molécules ont été synthétisées qui consistent en deux portions de récepteurs extracellulaires liées de façon covalente au fragment FC d'une molé- cule d'IgG. Comme il existe (au moins…) deux types de récepteurs au TNFα (55 kDa et 80 kDa), deux types de récepteurs solubles ont été synthétisés. Le premier (rs TNFR-p80-IgG, Immunex) a fait l'objet d'une étude de phase II très décevante sur 141 malades (66). Deux groupes traités par le récepteur soluble (0,45 et 1,5 mg/kg) présentaient une surmortalité au vingt-huitième jour (48 et 53 %) par rapport au groupe contrôle (30 %). Le groupe traité par 0,15 mg/kg présentait, lui, une mortalité égale (30 %) à celle du groupe contrôle. Il est possible que le TNFα circulant soit resté stocké sur les molé- cules de récepteur soluble, que l'élimination de l'organisme n'ait pu se faire et que le TNFα ait été libéré tardivement dans l'évolution conduisant à un pic sérique retardé et au décès des malades. Il est possible aussi que le rs TNFR- p75-IgG, qui a une affinité extrêmement élevée pour le TNF-α ait totalement inhibé cette molécule pour une période prolongée. Le TNF-α est un élément essentiel de la réaction inflammatoire, et sa neutralisation prolongée peut avoir des effets immunosuppresseurs marqués conduisant à une augmentation de mortalité (66). Deux études ont évaluées les effets du rs TNFR-p55 (RO 45-2088 Hoffman La Roche) (67, 68). Dans la première, incluant 498 patients en sepsis sévère ou choc septique, la dose de 0,08 mg/kg de rs TNFR-p55 Ro 45-2088 permettait d’obtenir une réduction de 36 % (p = 0,07) de mortalité à J28 chez les patients en sepsis sévère sans état de choc réfractaire (67). Une étude de phase III (68) a alors été entreprise sur 1 342 patients en sepsis sévère avec ou sans choc septique non réfractaire. Une dose de 0,125 mg/kg a été utilisée (le produit de cette étude avait des capacités de neutralisation du TNF un peu inférieures). Malheureusement, les investiga- teurs n’ont observé aucune réduction de mortalité à J28 : 28 % dans le groupe contrôle contre 27 % dans le groupe traité (68).
Éléments de réflexion
Quelques éléments de réflexion peuvent être déjà exposés concernant les stra- tégies anti-TNF :
– le TNFα est une molécule que la nature a développée dans presque toutes les espèces vivantes. Son rôle est d'amplifier les mécanismes normaux de défense de l'organisme contre les agressions. Seule une réaction explosive, diffusée à tout l'organisme semble néfaste ;
– il paraît donc nécessaire de limiter les effets systémiques du TNFα, tout en conservant les effets locaux (action paracrine) ;
– le TNFα n'est pas retrouvé dans tous les cas de sepsis et donc l'anti- TNFα, peut être administré trop tôt ou trop tard ;
– les anticorps anti-TNFα ne se sont pas révélés efficaces dans tous les types de sepsis expérimentaux (51). Il faut donc s'attendre à ce qu'il en soit de même chez l'homme ;
– l'emploi d'associations d'anticorps devra certainement être envisagé vu la complexité de la pathogénie des EIG, et, chez l'animal, un anticorps anti-LPS associé à un anticorps anti-TNFα s'est révélé plus efficace que chacun utilisé séparément (54).
Le TNF est un médiateur des réactions immunologiques et inflammatoires.
Les « bons » effets du TNF sont ceux que l'on retrouve pour contrecarrer les infections de type granulomateux (tuberculose, leishmaniose) et les infections dues à des bactéries intracellulaires (Listeria, Legionella). Les « mauvais » effets du TNF ne sont dus qu'à une réaction mal contrôlée et, dès lors, on ne peut s'étonner qu'une thérapeutique soit éventuellement délétère si elle est prescrite à une dose ou à une période inappropriée. Dans une revue générale sur les trai- tements anti-médiateurs, Marshall conclut que, si l’on agrège les études cliniques sur l’emploi des anticorps monoclonaux anti-TNF-α on observe une faible, mais significative, réduction de mortalité de 3,5 % (69). Cependant, aucune conclusion pratique ne peut être tirée de ce résultat, car les études sont extrêmement disparates en termes de produits utilisés, de type de patients traités et de critères d’inclusion. La réponse définitive n’est donc pas connue.
Autres thérapeutiques anti-TNFα
À côté des anticorps monoclonaux, de très nombreuses autres substances ont la propriété d'interférer avec le TNFα, en général en inhibant sa synthèse et sa libération :
– corticoïdes (qui sont parmi les produits les plus actifs à cet égard) ; – PGE2 ;
– pentoxifylline ; – chloroquine ; – théophylline ;
– antagonistes du PAF ; – éthanol ;
– lactulose, etc.
Leur évaluation reste à faire.
Thérapeutiques anti-IL-1 (interleukine 1)
L'IL-1 (IL-1α et ILβ) est un autre polypeptide sécrété par de nombreuses cellules (tableau II) et qui partage de nombreuses similitudes avec le TNFα (tableau III). Tout comme ce dernier, l'IL-1 joue un rôle majeur dans le déve- loppement du sepsis. Les taux d'IL-1 y sont élevés dès la troisième ou quatrième heure après l'apparition de l'endotoxine, et ils le restent pendant beaucoup plus longtemps de ceux du TNFα (vingt-quatre heures ou plus) (20). Chez l'animal et chez l'homme, l'administration d'IL-1 reproduit les signes du sepsis sévère (33). Sur le plan théorique, on conçoit donc que toute molécule qui peut interférer avec l'activité de l'IL-1 serait potentiellement intéressante dans le traitement du sepsis. Il existe une protéine naturelle de 23 à 26 kDaltons partageant 41 % de la structure de l'IL bêta et 30 % de celle de l'IL-1 alpha. Cette protéine, appelée primitivement IL1-inhibitor, est produite par les monocytes et a pour rôle d'inhiber la fixation de l'IL-1 sur ses récepteurs membranaires, empêchant donc l'activation cellulaire (70).
Nommée IL1-receptor antagonist ou ILra, cette molécule a été synthétisée par technique de recombination et utilisée dans divers modèles de choc septique. Il est intéressant de noter que l'ILra est efficace, même si les taux de TNFα ne sont pas élevés, ce qui montre, une fois de plus, la grande complexité des mécanismes en cause de la genèse des EIG et la difficulté de compréhension des modèles expérimentaux. Tout comme pour les anticorps anti-TNFα, l'IL-1ra serait active en cas de sepsis à germe à Gram négatif et à Gram positif.
Une étude de phase II a été entreprise avec l'IL1-ra (Antril®, Synergen® Inc., Boulder, CO, USA) chez 99 malades présentant un sepsis sévère, et les conclusions suggèrent qu'il existe une diminution de la mortalité de façon dose-dépendante (groupe contrôle : 44 % et groupes IL-1ra : 32 %, 25 % et 18 % pour des doses allant de 17 à 133 mmgH) (71). Basée sur ces observa- tions, une large étude de phase III a été conduite chez 893 malades présentant un sepsis sévère. Les résultats ont encore une fois été très déce- vants avec une mortalité de 34 % dans le groupe contrôle contre 31 % pour une dose de 1 mg/kg/h d'IL-1ra et 29 % pour une dose de 2 mg/kg/h. Dans cette étude, 713 malades présentaient un état de choc septique mais, là aussi, la mortalité n'a pas été influencée par le traitement (p = 0,23) (72). Une analyse a posteriori de l'étude a permis d'identifier un sous-groupe de malades qui a tiré bénéfice du traitement : les patients présentant un risque de morta- lité prédite ≥ 24 % et recevant une dose de 2 mg/kg/h d'IL-1ra (Antril®, Synergen®). Une nouvelle étude a été entreprise sur ce sous-groupe de
malades avec le même IL-1ra. Une inclusion de 700 malades de ce type a été réalisée, et aucun bénéfice n'a été finalement retrouvé. En effet, la différence de mortalité entre les deux groupes était trop faible pour que l'étude vaille la peine d'être continuée (73).
Thérapeutiques interférant avec d'autres cytokines : inter- féron-gamma (INF γ) ; interleukines 4, 6 et 10 (IL-4, IL-6 et IL-10) ; transforming growth factor β, TGFβ ; granulocyte- macrophage colony-stimulating factor (GM-CSF)
D'autres cytokines que le TNFα et l'IL-1 sont impliquées dans la pathogénie des EIG. C'est le cas pour l'interféron-gamma (INFγ), l'IL-8, l'IL-g, le rôle de l'I-L4 étant moins clair. Un anticorps anti-IL-6 a été testé avec succès chez l'animal, améliorant le taux de survie après injection d'Escherichia coli ou de TNFα. Cet anticorps ne semble cependant efficace que s'il est administré avant l'induction du sepsis, ce qui limitera considérablement son intérêt. Il est intéressant de noter que l'injection d'anticorps anti-IL-6 a été responsable d'une nette élévation du taux de TNFα, contrastant avec les effets très béné- fiques sur la survie. Ceci repose une fois de plus la question du rôle du TNFα dans la gravité des EIG. Une modulation des taux d'INFγ a également été réalisée en expérimentation animale (74) avec des résultats très favorables sur la survie lorsqu'un anticorps anti-INFγ était administré jusqu'à deux heures après l'injection d'endotoxine. Dans la même étude, l'emploi d'un anticorps anti-IL-4 s'est révélé sans efficacité. L'IL-4, de même que l'IL-10 et le TGFβ, sont des cytokines anti-inflammatoires qui inhibent la sécrétion des cytokines inflammatoires type TNFα et IL-1. Elles ont fait la démonstration de leur capacité à protéger les souris contre l'effet léthal de l'injection d'endotoxine, et ceci en inhibant le TNFα. Chez l’homme, certaines des anomalies immunolo- giques accompagnant le sepsis ont été corrigées par la prescription d’INF-γ, mais sans effets sur la survie (75). Dans une petite étude de phase II, le GM- CSF a entraîné une amélioration du rapport PaO2/FiO2, du nombre de leucocytes et une baisse des neutrophiles alvéolaires (76). D’autres études sont nécessaires pour déterminer la place d’un tel produit dans le traitement des EIG.
En raison de l’importance des cytokines dans la pathogénie du choc septique, d’autres voies thérapeutiques que l’emploi d’anticorps monoclonaux pourraient être utilisées (tableau VII).
Thérapeutiques interférant avec le platelet activating factor (PAF)
Le PAF est un phospholipide obtenu après action de la phospholipase A2 sur la 3-phosphocholine. Ensuite, l’acétyl-transférase permet d’obtenir le PAF à
partir du lyso-PAF. Ce médiateur possède de nombreuses activités (tableau I) permettant d’expliquer son rôle dans la pathogénie du choc septique. De très nombreux antagonistes des récepteurs du PAF sont disponibles (plus d’une quinzaine ont été testés au cours de chocs septiques expérimentaux). En général, ces produits sont efficaces, permettant de corriger l’hypotension arté- rielle, la thrombopénie, l’extravasion plasmatique, la libération d’écosanoïdes, l’acidose métabolique….
Basée sur ces constations, une étude de phase III a été entreprise avec le BN 52021 (Ispen-Beaufour) sur 262 malades présentant un sepsis sévère. Pour l'ensemble des malades, il n'a pas été observé de réduction de mortalité par l'emploi de l'anti-PAF (77). Cependant, par une analyse a posteriori, une réduction de mortalité de 42 % (57 % dans le groupe contrôle contre 33 % dans le groupe anti-PAF) a été observée chez les 119 malades présentant une infection documentée à bacille à Gram négatif. Une étude de confirmation (phase II) a inclus 608 malades présentant un état infectieux grave présumé à BGN. A J28, aucune réduction significative de mortalité n'a été observée (49 % dans le groupe contrôle, 47 % dans le groupe traité) (78). Un autre analogue du PAF, le BB 882 (British Biotech) a fait l’objet d’une évaluation qui s’est soldée par un échec sur la survie (79). Deux autres études avec le TCV- 309 n’ont pas permis de mettre en évidence un effet favorable sur la mortalité, malgré des effets favorables sur les dysfonctions pulmonaires ou hématolo- giques, ou une morbidité moindre (80, 81). Il en est de même pour l’étude menée avec un autre anti-PAF, le lexipafant (82). La démonstration que les concentrations sériques de PAF-acétylhydrolase (PAF-AH, qui inactive le PAF en le transformant en lyso-PAF), sont abaissées dans les EIG, a conduit à une autre voie de traitement : administrer cette molécule pour diminuer les concen- trations circulantes de PAF. ICOS Corporation a été le promoteur d’une étude de phase III (étude COMPASS) qui a été interrompue après l’inclusion de 1 261 malades en raison de l’absence d’effet sur la mortalité (83). Dans un éditorial sur le sujet (84), la question est posée clairement : est-ce la fin de l’in- hibition du PAF dans le traitement du sepsis grave ? Dans le même sens, la revue générale de Marshall (69) conclue qu’en agrégeant les études sur les anta- gonistes du PAF (1 279 malades), on obtient une réduction non significative de mortalité de 3,1 % (placebo : 51,5 %, anti-PAF : 48,4 %).
Autres thérapeutiques
De très nombreuses autres possibilités thérapeutiques sont également en cours d’évaluation chez l’animal ou chez l’homme (tableau IX). Aucune ne fait la preuve définitive de son efficacité, et l'avenir dira si elles ont une place dans le traitement rationnel des EIG.
Conclusions et recommandations
De nombreuses études ont été entreprises afin de déterminer l'intérêt de moduler la cascade immuno-inflammatoire lors des EIG. Jusqu'à présent aucune étude de phase III n'a permis d'obtenir des résultats favorables en considérant l'ensemble des malades inclus. En conséquence, il n'est pas possible aujourd’hui de recommander une telle approche thérapeutique. En reprenant l’analyse de 21 études sur les traitements immuno-inflammatoires des EIG, Natanson et al. montrent l’absence d’efficacité de tels traitements sur un total cumulé de 10 276 malades : mortalité à J28 de 38 % dans les groupes contrôles contre 36 % dans les groupes traités (85). De nombreuses inconnues persistent et, en particulier, est-il préférable de bloquer l'action de plusieurs médiateurs (TNF, IL-1, PAF) de façon simultanée ? Ensuite, n'y a-t-il pas de danger à bloquer totalement la réponse du système immunitaire ? L'étude clinique avec le récepteur soluble du TNF est un exemple d'une surmortalité observée dans le groupe des malades traités. De nouvelles études, avec des moyens d'investigation plus adaptés, sont nécessaires. La prise en compte d’autres objectifs que la réduction de mortalité (baisse du nombre de défaillances viscérales ?) doit aussi être discutée.
Tableau IX – Possibilités thérapeutiques lors des états infectieux graves et du choc septique.
Traitements anti-endotoxines Traitements anti-cytokines
• Immunoglobulines polyclonales • Anticorps anti TNF (Bayer/Miles, Centocor,
• Antisérum J5 •Celltech, Knoll)
• HA1A (Centocor) • Récepteur soluble du TNF (Immunex,
• E5 (Xoma/Pfizer) •Hoffman-La Roche)
• T88 (Chiron) • IL-1 ra (Synergen)
• PBI (Xoma) • Récepteur soluble à l'IL1
• BPI/LBP (Incyte)(Immunex, Affymax) • IL-10 (Shering-Plough)
• Antirécepteur 14/s CD14 (Incyte/Eisair)
• Analogue du lipide A (Ribi Immunochem)
• CAP-18, MBI 27,28
• Hémoperfusion avec polymixine B
• Inhibiteur de la tyrosine kinase
• Antagoniste des LPS : E5531
• Récepteur soluble CD 14
• Taurolidine…
Molécules anti-adhésion Autres
• Anticorps anti E – sélectine (Cytel) • Antagonistes du PAF (Ipsen, British Biotech,
• Anticorps anti CD 11/18 (Genetech, •Takeda, Icos…)
•Repligen/Lilly) • Prostaglandine E (Upjohn)
• Antagonistes de l'adhésion des polynucléaires • Inhibiteurs des leucotriènes (Lilly)
•(Liposome Company) • Anti-élastase (Athena)
• N-acétylcysteïne (Zambon)
• Pentoxyfiline
• Antibradykinines : CP-0127 (Cortech)
• Ibuprofène (UpJohn)…