1 Avant-propos
Le Sahel constitue un arc qui s’étend du Sénégal au Soudan et forme une zone de contact entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Si le terme «Sahel», d’origine arabe ( signifiant «côte», «rivage»), est assez consensuel dans son usage, il ne l’est pas dans sa définition 1 . Le terme même de Sahel s’est d’ailleurs diffusé de l’arabe à un certain nombre de langues locales, le bambara, le fufulde et le tamasheq notamment. Le terme devient plus usuel au cours de la première partie du XX e siècle chez les administrateurs coloniaux français, qui désignent par «Sahel» les régions jouxtant le Sahara, soit au Sud (le
«Sahel soudanais»), soit plus fréquemment au Nord (il peut être ainsi question du «Sahel tunisien» ou encore du «Sahel d’Alger») 2 . Mais au final, ce terme reste alors moins usité qu’il ne le sera par la suite, sinon de manière endogène par certaines populations qui vivent dans ces régions d’Afrique. Au cours du XX e siècle, le Sahel gagne une relative audience, principalement parmi les géographes et les climatologues qui dénomment ainsi l’espace de transition entre le Sahara et la zone soudanienne. Le Sahel englobe alors, selon ces critères mouvants, une vaste zone allant de l’Atlantique à l’Océan Indien, comprenant non seulement une large part de l’Afrique de l’Ouest francophone, mais aussi une partie de l’Afrique anglophone, ainsi que des territoires éthiopien et somalien. Mais jusque dans les années 1960, il ne désigne toujours pas un ensemble de pays, pris au sens géopolitique du terme. De manière significative, Yves Lacoste ne fait nulle mention du Sahel dans la première édition de sa Géographie du sous-développement 3 , où il s’attache à définir les caractéristiques communes et les singularités des pays sous-développés 4 . Le terme apparaît en revanche dans l’édition de 1976 du même ouvrage (dont le titre a été augmenté d’un sous-titre : Géopolitique d’une crise), dans le chapitre consacré à la « géographie de la faim». Sont alors évoquées à maintes reprises «ces famines survenues en 1973-1974 dans les pays du Sahel et en Éthiopie» 5 . C’est finalement dans le contexte de cette crise alimentaire du début des années 1970, la plus grave qu’aient connue les populations de l’Afrique occidentale depuis les années 1930, que le Sahel a désormais désigné non plus seulement une zone géo- climatique, mais aussi un ensemble de pays frappés par la sécheresse et la famine. Selon les
1
Ce flou et le questionnement qui en découle ne sont pas spécifiques à cette partie du globe, comme le montrent les études sur le monde atlantique, l’Océan Indien ou les régions du Pacifique, autant de zones bien délicates à délimiter, comme peut l’être le Sahel. Voir V. Bonnecase, J. Brachet, Crises et chuchotements au Sahel, in “Politique Africaine”, 2013, n. 130, pp. 7-8 (disponible sur: www.politique- africaine.com/ numeros/
pdf/intro/130005.pdf).
2
Ibidem.
3
Y. Lacoste, Géographie du sous-développement, Paris, PUF, 1965.
4
V. Bonnecase, J. Brachet, op.cit., p. 9.
5
Y. Lacoste, Géographie du sous-développement. Géopolitique d’une crise, Paris, PUF, 1976, p. 74.
2
termes du démographe John Cadwell, on s’est alors mis à parler des « pays sahéliens […]
pour se référer […] au Sénégal, à la Mauritanie, au Mali, à la Haute-Volta (Burkina Faso), au Niger et au Tchad» 6 . Si depuis lors, la faim et la pauvreté constituent toujours des caractéristiques centrales accolées à l’Afrique sahélienne.
Figure 1. La zone saharo-sahélienne
Sahara Sahel Source: http://www.geopolisudconsult.com/papers/GRIP_SAHEL_Aout2013.pdf
Cette partie du monde est aujourd’hui une région en crise. Les signes de désordres larvés ou de conflits ouverts ne manquent pas si l’on considère les évolutions qu’ont connues les pays sahéliens ces dernières années. Ces troubles politiques et militaires sont intervenus sur fond de tensions sociales et de difficultés économiques. De fait, les signes de désordres larvés ou de conflits ouverts ne manquent pas si l’on considère les évolutions qu’ont connues les pays sahéliens ces dernières années. Plusieurs de ces pays ont subi des coups d’État (la Mauritanie en 2008, le Niger en 2010, le Mali en 2012) ainsi que des rébellions armées qui
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J. Cadwell, La Sécheresse dans le Sahel et ses conséquences démographiques, Conseil de la Population du
Conseil économique et social des Nations unies, 1975, p. 6.
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ont mené dans le cas soudanais à une partition de jure du territoire en 2011, et dans le cas malien à une partition de facto de plusieurs mois en 2012. La zone sahélienne illustre tous les atouts et les handicaps d’une région riche de potentialités, mais ses caractéristiques structurelles en font une région complexe et fragile. Depuis les indépendances, la région ne cesse d’être secouée par des conflits dont le plus récent épisode n’est autre que l’effondrement du Mali, au début de 2013. Journalistes et chercheurs spécialistes de la région (et d’autres !) ont abondamment analysé les causes et raisons immédiates de cet événement spectaculaire. Moins fréquente a été l’analyse des facteurs sous-jacents relevant du temps long, dont on peut supposer qu’ils sont à l’origine des faiblesses et de l’instabilité de la zone: ceux qui, de façon récurrente, s’opposent à une gouvernance stable des pays qui la composent, et particulièrement au Mali, qui en Afrique francophone était considéré comme un modèle de démocratie. C’est à ces handicaps que s’attache le présent mémoire.
Couvrant une superficie de 1 240 190 kilomètres carrés 7 , le Mali indépendant est un pays enclavé de l’Afrique occidentale, situé entre le désert du Sahara et la zone aride du Sahel.
Au nord, des étendues sahariennes et climat désertique constituent des espaces de nomadisation pour les populations touaregs. La zone sud qui héberge 90 % de la population est marquée par un climat sahélien chaud et une saison de pluies 8 . Selon les données de l’Annuaire statistique pour l’Afrique (NUCEA, 2013), la population du Mali, majoritairement située en zone rurale (70 %), est passée de 12 à un peu plus de 16 millions d’habitants entre 2003 et 2012, soit un accroissement démographique autour de 3% par an 9 . L’histoire précoloniale de l’Afrique de l’Ouest puis le découpage colonial, font que le territoire de l’actuel État malien englobe des populations diverses, dont, pour certaines, les relations furent conflictuelles. Le Mali se présente donc comme un carrefour culturel où cohabitent des populations d’origines ethniques variées et aux modes de vie diversifiés. Le pays est aujourd’hui peuplé par plusieurs groupes ethniques appartenant à de grandes familles culturelles dont les principales sont les Mandés (environ 40% de la population malienne), les Soudaniens, les Voltaïques, puis les Peuls, les Songhaï, les Touaregs et les Maures 10 .
À la veille des élections présidentielles de 2012, la démocratie au Mali s’avère très fragilisée et une fois encore c’est par le Nord que la crise est arrivée. La chute de Kadhafi en Libye a
7
A. Boukari-Yabara, Mali, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur s.a , 2014, p. 24.
8
Ibidem.
9
Ivi, p. 33.
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