• Non ci sono risultati.

De la représentation des intérèts collectifs et juridiques des ouvriers dans la grande industrie

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Condividi "De la représentation des intérèts collectifs et juridiques des ouvriers dans la grande industrie"

Copied!
454
0
0

Testo completo

(1)

à

• A^

D E L A ' ' C

m

' ' • v

REPRESENTATION DES INTÉRÊTS

COLLECTIFS ET JURIDIQUES

DES OUVRIERS

DANS LA GRANDE INDUSTRIE

G e o r g e s L A R O N Z E

DOCTEUR EN DROIT

P A R I S

LIBRAIRIE NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE A R T H U R R O U S S E A U

É D I T E U R

1 4 , r u e S o u f ï l o t , e t r u e Toullier, 1 3

(2)
(3)

H 4 M

(4)
(5)

DE LA.

REPRÉSENTATION DES INTÉRÊTS

COLLECTIFS ET JUMDIQUES

D E S O U V R I E R S

(6)
(7)

DE LA

REPRÉSENTATION DES INTÉRÊTS

COLLECTIFS ET JURIDIQUES

DES OUVRIERS

DANS LA GRANDE INDUSTRIE

PAR

G e o r g e s L A R O N Z E

DOCTEUR EN D R O I T

PARIS

LIBRAIRIE NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE

ARTHUR ROUSSEAU

É D I T E U R

1 4 , r u e S o u f f l o t , e t r u e T o u l l i e r , 1 3 1 9 0 5

(8)

.

(9)

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

N O T I O N S P R É L I M I N A I R E S

CHAPITRE PREMIER Introduction.

§ 1. — Le problème posé. — Ce qu'on entend en général par « grande industrie ».

Le premier sens. Caractères de la g r a n d e industrie 19

L'apparition de la grande i n d u s t r i e 22

g 2. — L'industrie et le machinisme.

Influence du m a c h i n i s m e sur le régime industriel 24 Origine de l'idée d'association des ouvriers 28

§3. — Association et représentation ouvrières.

Dangers de l'individualisme dans la g r a n d e i n d u s t r i e Problèmes qui se posent

Du rôle de l'éducation sociale.

§4. — Difficultés du sujet. Orientation de nos recherches.

1. Délimitation de n o t r e t r a v a i l ; la question de l'arbitrage... 33

La question du contrat collectif 33 2. Les deux problèmes : économique et juridique 38

Avant de faire des i n s t i t u t i o n s il faut faire des h o m m e s 40

28

(10)

6 TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 6

C H A P I T R E I I

Les origines de la représentation des intérêts collectifs des ouvriers.

La m é t h o d e à suivre dans nos recherches 41

§ 1. — Situation comparée de l'ouvrier avant et après le XIV" siècle.

L'ouvrier avant le x i vc siècle : l'accès à la maîtrise lui est

possible; il n'a pas encore l'idée de l'association 42 L'ouvrier après le xivc siècle : la r u p t u r e entre l'ouvrier et le

p a t r o n s'effectue 44 La maîtrise devient inaccessible a u x travailleurs ; naissance

de l'idée d'association 45

§2. — Obstacles à une représentation ouvrière même dans la seconde période (à partir du XIVE siècle).

Les associations ouvrières et les autorités ; le pouvoir royal. 47

Les t r i b u n a u x 51 La m e n t a l i t é ouvrière n'est pas encore formée 53

Insuffisance du c o m p a g n o n n a g e 54

§3. — Germes de la représentation ouvrière sous l'Ancien Régime.

Recherche des différentes manifestations 56

A) La représentation des i n t é r ê t s des ouvriers d a n s

cer-tains s t a t u t s corporatifs 57

1. Des Jurés-valets 59 2. Un cas spécial : pour le renvoi des ouvriers 60

B) Le compagnonnage ; la représentation par l'intermédiaire

du rôleur 62 La résistance des maîtres '•. •. 64

§4. — Une tentative de représentation en justice des intérêts collec-tifs des ouvriers au XVII" siecle.

La prétention des ouvriers typographes 67 L'arrêt du Parlement de Paris (31 m a r s 1689) 69 L'arrêt du Conseil du Roi (Il août 1689) 73

(11)

TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 7

C H A P I T R E I I I

Échelle de la représentation des intérêts des ouvriers dans la grande industrie.

Rapprochement des deux problèmes du contrat collectif et

du r è g l e m e n t d'atelier 8! Les conditions concernant le travail se g r o u p e n t dans le

temps s'i

Les conditions concernant le travail se groupent dans l'espace.. 83 Du rôle de l'intérêt commun d a n s l a résolution du p r o b l è m e . . 86

L'échelle de la représentation ; les différents degrés du contrat

collectif 87

B I B L I O G R A P H I E DE LA P R E M I È R E P A R T I E 91

DEUXIÈME PARTIE

DE LA REPRÉSENTATION

DES INTÉRÊTS DES OUVRIERS DANS LE CONTRAT DE TRAVAIL INTERVENTION DES SYNDICATS

CHAPITRE PREMIER

Le syndicat, intermédiaire de la collectivité ouvrière dans la conclusion du contrat de travail.

Son rôle dans le contrat collectif.

§ 1. — Son râle dans la conclusion du contrat de travail. La

étape : iS6i ; la S' : 1884.

Inégalité des parties dans le contrat individuel 96 Le premier remède possible : l'intervention de la loi 98

(12)

TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 8

a) le tarif professionnel unilatéral 99

b) le contrat collectif de travail 100

Il n'y a pas eu de contrat collectif p e n d a n t la période

révolu-tionnaire 101

A) Le Précis pour les Maréchaux de Paris (1791) 102

B) Les F a b r i c a n t s de chapeaux 103

Les lois révolutionnaires 104 La Restauration, la seconde République 107

Napoléon III et la loi de 1364 108 Portée de la loi de 1884 110 § 2. — Le syndicat et sa nature juridique.

Les p r e m i è r e s associations ouvrières 112

Définition du syndicat 113 Le syndicat est une association ; il n e constitue pas u n e

société 114 Il est bien vu du l é g i s l a t e u r ; peut-il recevoir des libéralités

sans autorisation? 116 Le syndicat, personne morale 118 Critérium de sa compétence 118 § 3. — Représentation des intérêts communs des ouvriers par le

syndicat au moyen du contrat collectif.

Le premier procédé : le contrat de travail modèle 124 Le second : contrat de tarif ou contrat collectif 125 Compétence du syndicat d'après les principes de la loi de 1884. 126

Compétence du syndicat d'après la j u r i s p r u d e n c e ; a v a n t et

après 1884 130 J u g e m e n t s r e n d u s par le Conseil des P r u d ' h o m m e s et le

t r i b u n a l de commerce de Marseille (1893) 133 § 4. — La question dans les pays étrangers.

I. — Angleterre ; histoire du droit d'association des o u v r i e r s . . 137

La conclusion des c o n t r a t s collectifs 142 L'échelle des contrats collectifs 144

II. — É t a t s - U n i s 145 III. — Allemagne ; le droit d'association des ouvriers 147

(13)

TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 9

IV. — A u t r i c h e ; l'organisation officielle de la petite i n d u s t r i e . . 151

Le problème dans la g r a n d e industrie 152 V. — Suisse ; le droit d'association des ouvriers 153

La conclusion des contrats collectifs d'après la loi de

Genève (1900) 153 VI. — Belgique 156

VII. — Russie » 158

VIII. — Autres pays 159

CHAPITRE II

Exécution du contrat collectif passé par le Syndicat.

Le syndicat reste-t-il compétent?

§ !. — Généralités. — Rapports de la collectivité syndicale avec les ouvriers syndiqués et non syndiqués, pris individuellement.

Effets du contrat collectif 162 1. Quels moyens le syndicat a-t-il pour faire respecter le

contrat collectif 163 a) P a r les ouvriers non syndiqués 165

b) Par les ouvriers syndiqués 167

2 Par l'autre partie au contrat : le patron 171 g 2. — La jurisprudence française sur le droit des syndicats de

poursuivre le patron en exécution du contrat collectif.

I.'évolution est difficile à bien suivre 173 Affaire de Chauffa illes ; j u g e m e n t du t r i b u n a l de Charolles

(18 février 1890) 174 Arrêt de la Cour de Dijon (23 juillet 1890) et de la Cour de

Cassation (1" février 1893) 180 Affaire de la Compagnie des O m n i b u s de Paris; j u g e m e n t

du tribunal de commerce de la Seine (4 février 1892) 188 J u g e m e n t du tribunal de Cholet (12 février 1897) 193

§3. — La question dans les pays étrangers.

(14)

1 0 TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S .

III. — A l l e m a g n e . . » . . ; 204

IV. — Suisse 207 V. — Belgique 210 VI. — Autres pays 211

CHAPITRE III

Le problème de demain relatif à la représentation des intérêts collectifs des ouvriers dans le contrat de travail.

Esquisse d'une théorie juridique.

g 1. — Modifications à apporter à l'organisation actuelle.

I. — Réformes à apporter au r é g i m e syndical 214

A) Composition du syndicat 215 B) F o n c t i o n n e m e n t du syndicat 217

i) Il faut défendre le syndicat contre l'hostilité des

patrons 217 il) Il faut le défendre contre toute ingérence p o l i t i q u e . . . 223

II. — L'intervention législative en matière de contrat

col-lectif; reconnaissance légale du contrat collectif 226

Organisation du contrat collectif 229

§2. — Le contrat collectif obligatoire.

Empire de validité du c o n t r a t collectif 234 Gomment se pose le problème du contrat collectif obligatoire... 235

Le contrat collectif r e n d u obligatoire m ê m e pour les

non-syndiqués ; opinion de M. Lagardelle 239 Théorie de M. R a y n a u d sur « la forme collective du contrat

déclarée obligatoire » 240 g 3. — Le syndicat obligatoire représentant les intérêts de la

collec-tivité ouvrière dans la conclusion du contrat de travail.

I. — A r g u m e n t s d'ordre économique en faveur du syndicat

obligatoire 248 1. C'est le moyen de rendre effective la représentation

(15)

TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 1 1

2. C'est le moyen d'empêcher le syndicat de se laisser

détourner de son rôle p u r e m e n t professionnel 253 3. C'est l'intérêt du patron lui-même 255 II. — A r g u m e n t s d'ordre j u r i d i q u e . C'est la base de toute

construction jurisprudentielle ou doctrinale 257 Une pareille conception existe déjà en matière de r e p r é

-sentation politique 260 Les deux écoles qui se déclarent favorables à l'idée de

syn-dicat obligatoire 262 Les projets de loi sur le syndicat obligatoire 265

B I B L I O G R A P H I E DE LA DEUXIÈME P A R T I E 269

TROISIÈME PARTIE

DE LA REPRÉSENTATION

DES INTÉRÊTS DES OUVRIERS DANS LE CONTRAT D'USINE. INTERVENTION D'UNE DÉLÉGATION OUVRIÈRE

C H A P I T R E P R E M I E R

Régime actuel du Règlement d'atelier.

§ 1. — Historique.

Le projet Costaz (1801) 277 § 2. — Nature du règlement d'atelier. — Jurisprudence.

Quand se pose la question du r è g l e m e n t d'atelier 285

Un exemple de r è g l e m e n t d'atelier 288 Certaines de ses dispositions ne sont que le prolongement

du contrat de travail a n t é r i e u r 291 Discussion pour les (autres dispositions à caractère

disci-plinaire) 292 Premier a r g u m e n t d'ordre économique p r é s e n t é par les

(16)

1 2 TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S .

Second a r g u m e n t : il est seul intéressé à ses d i s p o s i t i o n s . . . 293 Premier a r g u m e n t d'ordre j u r i d i q u e : le règlement a été

consenti par l'ouvrier 294 Second a r g u m e n t : le patron est seul responsable 297

J u g e m e n t s r e n d u s sur les r è g l e m e n t s d'atelier 301 Arrêt rendu à l'occasion d'une clause relative aux a m e n d e s ;

Cour de cassation (14 février 1866) 302 Arrêts r e n d u s à l'occasion de clauses concernant la r u p t u r e

du contrat de louage par les ouvriers ; Cour de cassation

(7 août 1877) 307 Arrêt de la Cour de cassation (28 février 1898) 308

CHAPITRE II

Représentation des intérêts collectifs des ouvriers dans les institutions privées de la grande industrie.

Des circonstances p o u v a n t faire naître ces i n s t i t u t i o n s

pri-vées 311

§ 1. — Institutions dues à l'initiative du patron.

I. — Institution de MM. Harmel au Val-des-Bois 313 II. — Conseil d'usine de M. E m m a n u e l Rivière 316 III. — I n s t i t u t i o n s de M. Van Marken, de M. Freese 317 Rôle que p e u v e n t jouer les Conseils d ' a r b i t r a g e ;

l'organisa-tion due à M. Mundella 318 Les Chambres d'explication, a u x charbonnages d e M a r i e m o n t

et de Bascoup 319

§2. — Un exemple dhme organisation régulière de la représentation des ouvriers dans un grand établissement industriel. — La Délé-gation ouvrière au Creusot.

Comment fut créée la Délégation ouvrière 321

(17)

TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 1 3

CHAPITRE III

Le problème de demain, relatif à la représentation des intérêts collec-tifs et juridiques des ouvriers dans les dispositions du contrat de

services concernant l'exécution du travail. — Esquisse d'une théorie juridique.

. § 1. — Premier projet de réforme. L'ouvrier consulté avant la mise en vigueur du règlement.

I. — La loi suisse du 23 m a r s 1877, et la décision du Conseil

fédéral de janvier 1878 337 II. — La Gewerbe-Ordnung allemande du le r juin 1891 et la

loi du 30 juin 1900 341 III. — La loi belge du 15 j u i n 1896 344

Ce système doit-il être adopté en F r a n c e ? 347

§ 1. — Second projet. Le contrat d'usine. Esquisse d'une théorie de la représentation des intérêts collectifs cl juridiques des ouvriers dans l'usine.

La proposition de loi de M. Ferroul sur les r è g l e m e n t s d'atelier.. 351

La discussion devant les C h a m b r e s 354 Principes j u r i d i q u e s qui doivent gouverner la confection

du règlement d'atelier 360 Le contrat collectif d'usine 362 Organisation de ce cas spécial de contrat collectif en A n

-gleterre • 366 La Délégation ouvrière dans les projets de loi concernant

l'arbitrage. (Projet Millerand, proposition de M. Groussier

sur le Code du travail.) 367 Ébauche d ' u n e représentation des i n t é r ê t s des ouvriers dans

le contrat d'usine, au moyen d'une Délégation o u v r i è r e . . . 370

(18)

1 4 TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S .

QUATRIÈME PARTIE

THÉORIE JURIDIQUE DE LA REPRÉSENTATION OUVRIÈRE. NATURE DU CONTRAT COLLECTIF.

CHAPITRE PREMIER État de la question.

Mandat et stipulation pour a u t r u i * 379 La représentation au moyen du contrat collectif contient

des éléments de ces deux constructions juridiques 383

CHAPITRE II

Théorie du mandat ou de la gestion d'affaires.

Le contrat collectif et l'idée de représentation 388 Objection tirée de l'intérêt du syndicat 392 Objection tirée de la procuration 393 Essai d'explication par le m a n d a t légal ou la gestion d'affaires. 395

Objection tirée de la responsabilité du représentant 398 Objection tirée de la révocation du m a n d a t 398 Objection tirée de la mort des parties 401

CHAPITRE III

Théorie de la stipulation pour autrui.

Les principes de la stipulation pour a u t r u i 403

g 1. — Eléments de la stipulation pour autrui.

A) Les parties à la convention, dans le contrat collectif 405 B) La condition de validité de la stipulation pour a u t r u i est-elle

(19)

TABLE ANALYTIQUE DES M A T I È R E S . 1 5

2. — Actions en exécution du contrai.

I. — Rapports entre le syndicat et la collectivité ouvrière — 411 II. — Rapports entre la collectivité ouvrière et le patron 412

A) La collectivité ouvrière peut être désignée comme tiers

bénéficiaire 412 B) Elle est m u n i e d'une action en exécution du contrat 414

III. — Rapports entre le syndicat et le patron. L'intérêt moral du syndicat est suffisant pour lui d o n n e r droit à l'action,

d'après M. R a y n a u d 415 La véritable base de l'action du syndicat 418

3. — Contrats passés par les villes.

Théorie de M. Sainctelette, contre l'idée de stipulation pour

a u t r u i .'...; 420 Réfutation par M. Labbé 422

CHAPITRE IV

Théorie de M, Deslandres. Théorie du contrat innommé. 1. — M. Deslandres repousse l'idée de stipulation pour autrui,

et l'idée de m a n d a t 424 2. - Théorie de M. Gény 429 3. — Le « contrat i n n o m m é /> (Note au Répertoire de Dalloz).. 430

CHAPITRE V Choix d'une théorie.

La théorie de la stipulation pour a u t r u i peut suffire

actuel-l e m e n t 432 La construction j u r i d i q u e définitive doit être ajournée. — Le

« mandat collectif » 434

BIBLIOGRAPHIE DE LA QUATRIÈME P A R T I E 437

(20)
(21)

u L'homme est si peu de chose par lui-même qu'il ne peut faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal qu'en s'associant. »

JULES SIMON.

P R E M I È R E PARTIE

NOTIONS PRÉLIMINAIRES

(22)
(23)

C H A P I T R E P R E M I E R

Introduction.

§ 1 . — L E PROBLÈME POSÉ ; CE QU'ON E N T E N D EN GÉNÉRAL PAR « GRANDE I N D U S T R I E » .

L'expression grande industrie peut être prise dans deux sens. Dans sa signification ordinaire, plus naturelle et plus large que l'autre, elle exprime l'idée d'une indus-trie groupant un g r a n d n o m b r e de travailleurs, et fabri-quant d'une façon intense. Il est bien certain, en effet, qu'une industrie réunissant une armée d'ouvriers ne peut pas fonctionner comme le simple atelier où quelques h o m m e s travaillent en c o m m u n . Tout un mécanisme devient nécessaire, compliquant les rapports de patron à ouvrier, mettant en mouvement un ensemble de forces qui tendent de plus en plus à être disparates, et qu'il est de l'intérêt général d'unir dans un même effort. Ainsi se posent des problèmes inconnus dans le métier : problèmes d'organisation et de mise en exécution.

Dans un article paru dans la Réforme sociale (1), M. Maurice Vanlaer a très finement analysé les caractères

(1) M. VANLAER, L'Atelier moderne et l'évolution économique. (Réforme

(24)

2 0 P R E M I È R E P A R T I E . — C H A P I T R E P R E M I E R .

de la g r a n d e industrie. Il en distingue sept. Mais, comme cela se produit dans toute élaboration d'une liste, il a le tort d'en passer quelques-uns sous silence, et qui ne sont pas des moins importants. De plus, une telle méthode a le défaut de sembler mettre tous ces éléments sur un pied d'égalité, alors qu'ils n'ont pas la même pro-fondeur, les uns étant causes, les autres effets ; ni la même superficie, les uns étant d'ordre plutôt social, les autres d ' o r d r e plus strictement industriel.

Les deux premiers caractères qu'il relève dans la g r a n d e industrie sont en effet les fondamentaux, ceux dont toutes les conséquences matérielles ou morales vont naître : 1° Tendance à la concentration, de plus en plus g r a n d e , de la production. — 2° Réunion d'un n o m b r e considérable d'ouvriers dans de vastes ateliers. Le second point de vue est la conséquence fatale du p r e m i e r ; c'est le procédé employé pour atteindre le but r e c h e r c h é .

De ces deux principes vont naître deux séries de consé-quences se rattachant plus ou moins nettement à l'un d'eux. Les unes seront du domaine de la production : problèmes posés par cette intense fabrication et par la concurrence qui en est la suite forcée; et il s'agira de trust, cartel, e t c . . . Les autres sont d'ordre moins général peut-être, mais plus grave, car on y côtoie à chaque pas les terrains de la morale et de la sociologie : conséquences de ces agglomérations non plus de marchandises, mais de leurs producteurs : agglomérations des ouvriers dans les usines.

(25)

I N T R O D U C T I O N . 2 1 bien qu'il résulte — en partie — de cette tension conti-nuelle des travailleurs vers l'usine, il appartient à un ordre d'idées trop g é n é r a l , trop inoral, pour être l'objet de cette étude.

Je m'efforcerai seulement de trouver un r e m è d e à la situation intérieure de la f a b r i q u e , qu'emplit une armée d'ouvriers. Et là aussi nous pouvons relever avec M. Van-laer toute une série d'attributs de la grande industrie.

C'est d'abord la séparation de l'atelier et du foyer, état de fait, qui, tout en étant d'ordre m o r a l , n'entraîne pas moins des conséquences importantes en créant une mentalité spéciale, celle de la collectivité ouvrière, là où il n'y avait autrefois que des mentalités d'hommes divers, sans relations continues. Dorénavant, la production intense n'est possible qu'avec la présence perpétuelle et connexe de tous ceux qui y prennent part.

Organisation disciplinaire de Vatelier, rendue nécessaire p a r une agglomération considérable d'individus mùs p a r leur égoïsme, et, p a r t a n t , toujours prêts à sacrifier à leur intérêt celui d'autrui.

(26)

contre-2 contre-2 P R E M I È R E P A R T I E . — C H A P I T R E P R E M I E R .

maîtres ou ingénieurs qui apportent un zèle aussi indiffé-rent qu'on peut l'attendre d'hommes généralement désintéressés du succès. » Préférez-vous entendre la voix de l'autre côté ? Ecoutez ce qu'écrit un ingénieur, M. Rivière (1) : « Parlons du contremaître. S'il est dans l'usine une position fausse, c'est bien la s i e n n e . . . il m a n q u e de prestige, ceux qu'il dirige sont d'anciens camarades, et c'est là ce qui rend sa situation fort déli-c a t e . . . et déli-c'est un oiseau rarissime, qu'un bon déli- contre-m a î t r e . . . Cet h o contre-m contre-m e a ses sycontre-mpathies, ses antipathies. N'aura-t-il pas de préférences ? Ne favorisera-t-il pas telle équipe aux dépens de telle a u t r e ? . . . » Voilà par consé-quent, rapidement indiqué, un autre caractère de la g r a n d e industrie : la présence nécessaire de contremaîtres, constituant — j'insiste sur ce point — une entrave de plus aux relations de patron à ouvrier, p a r leur qualité d'intermédiaires.

Telle que nous l'avons indiquée jusqu'ici, nous p o u r -rions relever les premières traces de la grande industrie à une époque relativement ancienne. P r é p a r é e sous Henri IV, l'industrie se développait avec la régence de Richelieu, à un tel point que 20 000 ouvriers étaient réu-nis dans la fabrique de soie de Tours (2). Mais en réalité la grande industrie date de Colbert, et le mot de « manu-facture » désignait alors la fabrication en grand, par opposition aux « arts et métiers » (3). Car « au moyen âge,

(1) E. RIVIÈRE, Lettres sur la Direction dans l'usine, Blois, 1899, p. 41. (2) DE SAULNIER, Des Ouvriers des usines et des manufactures, au point

de vue juridique et économique, 1888, p. 12.

(27)

INTRODUCTION. 2 3 l'industrie, emprisonnée dans les corps de métier, ne com-portait pas la grande m a n u f a c t u r e . . . Ce sont les rois qui ont commencé à délivrer certains artisans de ces entraves : au xve siècle par le titre de fournisseur de la Cour, au

xvi° par la création de quelques fabriques et p a r divers privilèges. Colbert a suivi leur exemple. La grande industrie ne pouvait pas naître dans le sein de la corpo-ration ; elle ne pouvait vivre que défendue par la protec-tion royale contre la jalousie des métiers auxquels elle portait ombrage. Il fallait, ou abolir la corporation, ce que Colbert ne songeait pas à faire, ou élever privilège contre privilège, c'est ce qu'il fit (1) ». Il suffira de rappeler les manufactures de l'État (les Gobelins), ou les manufactures simplement privilégiées (Aubusson). P r è s de 5 000 ouvriers étaient groupés dans les forges et verreries du Hainaut. A Abbeville, Van Robais employait 1692 ouvriers p o u r ses d r a p s ; à Elbeuf, 3 000 travailleurs faisaient également du drap, et 3 500 à Rouen. P o u r le droguet, 3 000 ouvriers étaient réunis à Darnetal. Dans le Dauphiné, il y avait 4 forges et fonderies de cuivre, 11 forges de fer, 9 fabri-ques d'acier, 7 de lames d'épées, 1 fabrique de canons, 1 d'ancres pour vaisseaux ; en Provence, 55 fabriques de papier, 20 de c h a p e a u x ; en A n j o u , 2raffineries de sucre(2).

E t , comme le dit M. de Saulnier (3), nous sommes ici en présence de la manufacture m o d e r n e , divisée en ateliers, sous la surveillance de chefs d'ateliers, et la direction générale du patron. « C'est en apparence l'usine que nous voyons de nos jours. » Dorénavant, « avec la

(1) LEVASSBUR, op. cil., t . I I , p . 271.

(28)

2 4 PREMIÈRE P A R T I E . — CHAPITRE P R E M I E R .

g r a n d e industrie, l'ouvrier travaille loin du patron et de son influence moralisatrice, dans des ateliers séparés p a r la division du travail. » Aussi, la conséquence en est fatale, l'esprit des travailleurs n'est plus le même ; ce que plus haut nous appelions « la mentalité de la collectivité » apparaît, remplaçant l'état d'âme des anciens compagnons ; de nouveaux besoins se créent, « la question ouvrière est bien près de naître, » et si elle n'est pas encore née, c'est que « les écrivains ne descendent pas jusqu'à ces détails (1). »

§ 2 . — L A GRANDE INDUSTRIE ET LE MACHINISME.

Ainsi que je l'avais annoncé dès le début de cette introduction, l'expression : « g r a n d e industrie » est p a r -fois prise dans un sens plus restreint — et plus moderne — que celui que nous avons indiqué jusqu'ici. Le xix° siècle a créé une autre signification si importante qu'on oublie souvent la première et qu'on entend dire : La grande industrie n'a qu'un siècle d'existence. Le nouvel élément qui a fait son apparition, c'est le machinisme actuel. Il est impossible de mesurer la répercussion immense qu'ont eue les découvertes des premières machines, celle de la vapeur, de l'électricité p a r la suite (2). Le machinisme

(1) D E S A U L N I E R , op. cil., p . 20.

(29)

I N T R O D U C T I O N . 2 5 perfectionné de notre époque a causé en effet toute une évolution économique qui a troublé profondément la situation sociale (1). Il a métamorphosé la g r a n d e indus-trie, accentuant ses caractères propres, ses qualités et ses défauts, y introduisant des éléments jusqu'alors inconnus ou de peu d'importance. Il a posé des problèmes plus délicats encore que ceux de naguère, d'autant plus que les nouvelles influences, dues à cet état de ehoses, sont souvent indirectes, d ' o r d r e social, correspondant à une évolution morale, publique pour ainsi dire, et par consé-quent presque impossible à régulariser.

La première conséquence a été la division du travail. Je veux bien que celle-ci ait été déjà possible avec les ma-chines rudimentaires de jadis. M. de Saulnier n'a pas tout à fait tort, lorsqu'il y fait allusion à propos du ministère

i Les m a c h i n e s découvertes ou perfectionnées par J a m e s W a t t et Richard A r c h w r i g h t n e f u r e n t introduites en France dans les m a n u -factures alors o u v e r t e s en Normandie, en Picardie et d a n s la Flandre française, qu'en 1789. Mais la France e l l e - m ê m e v i e n t , ' d è s cette époque, i m m é d i a t e m e n t après l'Angleterre par l'importance et le n o m b r e de ses découvertes, d a n s l'ordre social. » (Pour l'Angleterre, voir EM. STOCQUART, Le Contrat de Travail, p. 5) — P. 2S9, M. Benoit Malon cite A. de Villeneuve, qui s ' e x p r i m e de la façon suivante : « De grandes fabriques, fondées sur le s y s t è m e de la division du tra-vail, s'élevèrent à l'envi, et souvent à g r a n d s frais. Autour d'elles, la population ouvrière n e m a n q u e pas de se g r o u p e r et de s'accroître dans une progression rapide. On vit surgir de nouvelles villes toutes m a n u f a c t u r i è r e s ; d ' a u t r e s s'agrandirent prodigieusement. » Citons enfin, pour conclure, V. BRANTS, Lutte pour le pain quotidien, 1885, p. 192 : « Le régime de l'usine agglomérée se caractérise par le grou-p e m e n t des travailleurs d a n s u n e m ê m e salle de travail, un atelier central. Cette agglomération a une raison toute spéciale, la machine. »

(30)

2 6 P R E M I È R E P A R T I E . — CHAPITRE P R E M I E R .

de Colbert, dans un passage que nous avons cité. La divi-sion des ateliers pouvait exister (1). Mais il n'y avait là qu'une é b a u c h e , sans gravité d'ordre social. Que se passe-t-il au contraire a u j o u r d ' h u i ? Le machinisme a créé dans l'usine les séries d'ouvriers, solidaires les uns des autres, se complétant en quelque sorte ; et cependant inégalement payés, n'exécutant pas tous un travail aussi fatigant, n'ayant donc pas les mômes desiderata. La tâche de l'ouvrier consiste de plus en plus en de simples mouve-ments décomposés à l'infini, car c'est leur facilité poussée à l'extrême qui produira une économie de temps et ainsi un plus g r a n d rendement (2). L a machine devient tout, l ' h o m m e disparait devant elle. Il n'est que son régulateur. Ainsi, avec la division du travail, apparaît un nouveau symptôme des temps : l'homme qui n'a qu'un tra-vail machinal, d'une idéale simplicité, et pour qui l'intel-ligence est une superfluité, peut-être même une gêne. Ne

(1) C'est ainsi que n o u s voyons d a n s la m a n u f a c t u r e de Van Robais des ateliers spéciaux pour la charronnerie, la coutellerie, le lavage, l ' o u r d i s s a g e . . . — De m ê m e , d a n s l'industrie du tissage on d i s t i n g u e les tisserands, les t r a m e u r s , les éplucheurs, les repasseurs, e t c . . .

( L E V A S S E U R , loc. cit. p . 3 8 6 e t s . ) .

(2) En ce sens je puis citer u n article de M. KARL BÛCHER, profes-seur d'économie politique à Leipsig, qui écrit, d a n s un article intitulé

les formes d'industrie dans leur développement historique (Pev. d'écon. polit,

(31)

I N T R O D U C T I O N . 2 7 nous étonnons donc pas si « l'amour du travail et de la profession s'eu va », comme s'en plaignait M. Corbon à la tribune du Sénat en février 1884. « Pour l'ouvrier, ajoutait-il, le travail c'est la corvée de la vie ; il n'a plus l'amour du métier. » Le motif en est simple : l'ouvrier ne peut plus s'intéresser à une œuvre qui n'occupe que ses mains, et cela d'un mouvement uniforme et de plus en plus réduit, son cœur et sa raison n'y sont plus.

Avec ces changements profonds dans le mode de tra-vail, d'autres modifications importantes se sont produites parallèlement dans tous les alentours. La puissance des machines, leur cherté, ont nécessité des agglomérations d'ouvriers insoupçonnées jusque-là. L'industrie du Creu-sot, par exemple, groupe 12 000 ouvriers. Cette a r m é e de travailleurs, qui souffre des mêmes vices de la grande industrie moderne, ne se connaît naturellement point ; un g r a n d n o m b r e d'ouvriers, avec les facilités de c o m m u -nications qui ont augmenté, vivent en nomades, changeant constamment d'usine, et important ici des idées et des besoins qu'on n'y connaissait pas encore.

Chose plus grave, avec une telle masse d'individus le patron a rompu tout contact. Le plus souvent même, la situation est plus compliquée : l'entreprise industrielle est si importante, l'acquisition des machines si coûteuse, q u ' u n e seule personne ne peut pas fournir les capitaux nécessaires. C'est une société qui a réuni les fonds ; elle se contentera dorénavant de toucher les dividendes, de discuter, dans des assemblées périodiques, sur les moyens

(32)

2 8 P R E M I È R E P A R T I E . — C H A P I T R E P R E M I E R .

l'insuffisance des salaires ? Des mauvaises conditions dans lesquelles s'effectue le t r a v a i l ? Du m a n q u e de précautions prises pour obvier aux dangers de l'industrie? (1).

Ici apparaît très nettement la conséquence forcée de la g r a n d e industrie moderne, l'association. Association qui g r o u p e r a des ouvriers sans elle étrangers les uns aux autres tout en ayant les mêmes besoins, les mêmes désirs. Association qui deviendra représentation à l'égard du patron : celui-ci ne peut connaître les desiderata de plu-sieurs milliers de travailleurs, soigneusement cachés par le contremaître ; mais il ne peut pas plus f e r m e r l'oreille aux plaintes de quelques représentants, que le maître travaillant avec un seul ouvrier ne peut se soustraire à

ses doléances.

§ 3 . — A S S O C I A T I O N E T R E P R É S E N T A T I O N O U V R I È R E .

Ainsi naît l'idée d'association, créant une représentation vis-à-vis du patron. Elle se présente comme un correctif aux vices sociaux de la grande industrie : atténuant les dangers d'une r u p t u r e complète entre les employeurs et les salariés ; établissant des rapports continuels entre ceux-ci et ceux-là ; faisant une force là où l'agglomération avait fait une faiblesse, car, en mettant face à face des gens de même condition ne se connaissant pas, — les

(33)

I N T R O D U C T I O N . 2 9 salariés —, elle avait organisé l'état de choses le plus d a n -gereux qui soit : l'individualisme. « L'isolement des tra-vailleurs, et l'isolement de leurs intérêts, disait M. de Mun à la Chambre dans la séance du 13 juin 1883, sont deve-nus les causes de la division profonde qui s'est établie entre eux, et qui a mis d'un côté ceux qui achètent le travail, c'est-à-dire les patrons, et de l'autre ceux qui le vendent, c'est-à-dire les ouvriers ; situation toute nouvelle qui n'existait pas autrefois. Cette situation sociale a reçu un nom, c'est l'individualisme, et c'est la plaie qui ronge du haut en bas notre société malade. Un illustre h o m m e d'État anglais, M. Gladstone, a dit qu'on appellerait ce siècle : le siècle des ouvriers. Cela est vrai si l'on veut dire que l'histoire de ce siècle est remplie du bruit de leurs souffrances et de leurs vaines tentatives p o u r échap-p e r au j o u g de l'individualisme (1). »

Dans les conditions ainsi créées par la g r a n d e industrie m o d e r n e , un ouvrier isolé est complètement désarmé. Comme le dit très énergiquement M. Bureau (2) : » C'est une banalité que de r a p p e l e r que, dans un g r a n d atelier, il ne saurait être question pour un ouvrier isolé de deman-der une augmentation de salaires ; sa requête n'a aucune chance d'être accueillie, et l'employeur ne peut que

sou-(1) L ' i n d i v i d u a l i s m e est d ' a i l l e u r s u n péril d'ordre général. C'est à propos d e s cartels a l l e m a n d s , d e s t i n é s à c o m b a t t r e u n e a u t r e m a n i -festation du m ê m e m a l , q u e M. MÉLINE écrit, d a n s u n e préface à u n o u v r a g e de M. LAUR {De l'accaparement) : « Ce sera l ' h o n n e u r d e s g r a n d s industriels a l l e m a n d s d'avoir c o m p r i s q u e l ' i n d u s t r i e m o d e r n e souffre s u r t o u t de l'excès d ' i n d i v i d u a l i s m e et de l ' a b s e n c e d ' e n t e n t e g é n é r a l e . »

(2) P. BUREAU, Le Contrat de travail, le rôle des syndicats professionnels,

(34)

3 0 P R E M I È R E P A R T I E . — C H A P I T R E P R E M I E R .

r i r e , en entendant les excellentes raisons qu'un de ses employés lui fait valoir pour obtenir une exception au tarif g é n é r a l , qui règle la rémunération de 300, 500, ou 1000 camarades du même atelier. La cohésion des ouvriers entre eux est une condition élémentaire du succès de leurs revendications (i). »

Ainsi, plus que n'importe quelle autre organisation du travail, la g r a n d e industrie, en groupant un nombre considérable d'ouvriers, rend leur association nécessaire, et va créer un nouvel état de choses, la représentation de leurs intérêts vis-à-vis du patron, établissant des rapports continuels d'employeur à employé.

Le principe adopté, toute une série de problèmes inconnus jusqu'alors se posent. Quelle forme donner à cette

associa-tion de travailleurs ? Comment l'adapter à la situaassocia-tion maté-rielle du travail moderne, à l'esprit de notre époque ? De quelles questions aura-t-elle à s'occuper? Comment inter-viendra-t-elle dans les relations entre patrons et salariés — car c'est là, nous l'avons vu, son but forcé? Dans le con-trat de travail, deux prestations sont faites : salaire d'une part, travail de l'autre. L'association sera-t-elle l'intermé-diaire entre les deux parties, pour ce double engagement, créant ce qu'on appelle le contrat de tarif, le contrat col-lectif? Allant plus loin, le contrat de travail conclu, base des relations, q u a n d on en vient à sa mise en vigueur, q u a n d il s'agit de poser les règles d'exécution qui consti-tuent le règlement d'atelier, faudra-t-il aussi faire inter-venir une représentation ouvrière, y aura-t-il lieu de ne l'admettre que sous certaines réserves? Dans tous les cas

(35)

INTRODUCTION. 3 1 où la représentation existera, quelle sera la force de la décision prise p a r le g r o u p e m e n t corporatif ? S'impose-ra-t-elle aux individus qui le c o m p o s e n t ? Et comment la sanctionner ? Comment assurer l'exécution des engage-ments pris par le g r o u p e m e n t , ou des stipulations en sa f a v e u r ? En ce qui touche le règlement d'atelier, si nous admettons pour son élaboration l'intervention d'une repré-sentation ouvrière, les décisions de celle-ci auront-elles la valeur d'un simple avis, ou d'une pollicitation à laquelle il ne manque que l'adhésion du patron pour faire un contrat ?

Voilà quelques-uns des problèmes que nous aurons à nous poser au cours de cette étude. Problèmes d'organi-sation de la représentation des intérêts des ouvriers, p o u r tout ce qui concerne les conditions du travail et son exécution dans l'intérieur de l'usine.

(36)

3 2 P R E M I È R E P A R T I E . — C H A P I T R E P R E M I E R .

sûrement un but tangible, à sa portée, celui qui est réclamé depuis si longtemps et que d'autres considéra-tions ont pu étouffer: l'amélioration du sort de la classe ouvrière par une libre discussion des conditions du travail ?

Et il ne faut pas faire ici un aveu d'impuissance. Il ne suffit certes pas de gémir sur des faits, si navrants qu'ils soient ou paraissent être. Comme nous le disions plus haut, l'industrie, la situation sociale, les conditions mêmes de vie ont subi une crise considérable pendant le siècle qui vient de s'écouler. L'évolution a presque été une révolution. A un état de choses nouveau, il faut des insti-tutions nouvelles, des m œ u r s nouvelles. Or, s'il est rela-tivement facile de créer des institutions plus ou moins bien adaptées au milieu, l'élaboration des mœurs corres-pondantes est plus malaisée. C'est le produit d'un long travail dans le cerveau des h o m m e s , et il faut attendre plusieurs générations pour voir le tassement fini. Mais ce n'est pas là une raison pour craindre de donner le mou-vement à la machine lente à se mouvoir, par le moyen d'une législation plus conforme à la vie sociale moderne. Et, étape par étape, tout ce qui échappe, au moins directement, au domaine du droit, pour être de celui de l'économie sociale et politique, — nous oserons même dire : de l'éducation sociale, — suivra la direction indiquée p a r un législateur assez habile pour voir quand il est l'heure de sonner la marche en avant.

(37)

INTRODUCTION. 3 3 pas la possibilité de modifications législatives. D'adaption, nous exhortant donc à la prudence et à la patience. A nous d'agir, pour arracher les mauvaises herbes qui gênent la croissance du syndical et pour lui donner plus de sève; A nous de lui mieux p r é p a r e r son terrain.

Nous sommes enfin, j'en ai la conviction, dans une phase où ne fait que commencer la représentation ouvrière, qui se développera de plus en plus. J'en conclus : A nous de canaliser la compétence du Syndicat, pour le complé-ter à l'aide d'autres organisations dont l'enfance sera moins terrible que celle de l'ainée, si celle-ci a pu faire notre expérience.

§ 4 . — D I F F I C U L T É S DU SUJET ; ORIENTATION DE NOS R E C H E R C H E S .

«

Au surplus, je ne me cache pas que la tâche que j'ai entreprise est au-dessus de mes forces. Outre qu'elle sup-poserait une expérience personnelle et pratique des opérations industrielles, cette étude souffre deux sortes de difficultés théoriques.

La première consiste dans l'impossibilité presque abso-lue de rester dans les limites qu'on s'est tracées en pareille matière.

Aussi, pour bien indiquer le cadre que je me suis assigné, ferai-je remarquer en premier lieu que j'étudie les relations des ouvriers avec les patrons pour les seules questions attenant au travail.

En second lieu, pour celles-ci même, il y a une distinc-tion à faire : les ouvriers peuvent nommer des camarades chargés de représenter leurs intérêts auprès du patron, à deux époques très différentes : dans l'état de g u e r r e sociale,

(38)

3 4 P R E M I È R E P A R T I E . — CHAPITRE P R E M I E R .

c'est-à-dire de grève ; dans celui de paix de l'atelier, qui est le cas normal. La première question m'amènerait à examiner l'intervention de la représentation ouvrière dans l'arbitrage. Mais c'est la seconde seule qui fait l'objet de cette étude. Le critérium est facile à reconnaître : Là nous avons des associations professionnelles occasion-nelles et combatives. Ici, au contraire, il s'agira seule-ment d'associations régulières, perpétuelles, et pureseule-ment professionnelles. Là on cherche, par l'organisation éta-blie, à amener une trêve dans un conflit, pour le résoudre ensuite. Ici, on tâche de le prévenir au moyen d'une réglementation sérieuse, présentant le plus grand nombre de chances possible pour que les rapports d'employeur à employé soient nettement établis, au profit des uns et des autres. Et il ne faudrait pas croire que notre problème soit le moins grave des deux : « L'arbitrage, dit M. de Molinari (1), malgré ses mérites, malgré les services qu'il a déjà rendus et ceux qu'il pourra rendre encore, n'est qu'un expédient, ce n'est pas une solution. Il crée une trêve, il n'établit pas la paix, car il laisse les deux parties dans la même situation où elles se trouvaient auparavant ; il ne modifie pas les conditions du marché du travail. » Or ce sont ces seules modifications par les associations professionnelles ouvrières, que nous nous proposons d'exa-miner ; la participation de ces groupements à la formation du contrat de travail, participation régulière et stable. Cela n'empêche pas que, malheureusement, à chaque instant nous sentirons Tétau rigoureux du cadre que nous

(1) G. DE MOLINARI, La pacification des rapports du capital et du

(39)

I N T R O D U C T I O N . 3 5 nous serons imposé. Il est bien certain que souvent c'est un arbitrage qui établit les premières bases de toute une organisation postérieure : l'arbitrage de M. Waldeck-Rousseau créant les ouvriers délégués du Creusot ; ou les clauses principales du futur contrat de travail ; souvent, d'autre part, les associations ouvrières formées à l'occa-sion d'une grève, pour un temps, avec un but déterminé, sont demeurées, la période de troubles finie, et sont devenues des syndicats réguliers. Nous ne pourrons donc pas entièrement ignorer l'arbitrage, ni la grève. Mais nous n'en étudierons jamais l'organisation que si elle a une répercussion intime sur la fixation des conditions du travail, et nous ne la verrons alors que comme un point de départ, non comme une fin.

11 est également évident que notre étude nous amènera à traiter du contrat collectif. Et certes ce contrat en est même un des points les plus importants, car il constitue le procédé-type par lequel un groupement ouvrier repré-sente les intérêts corporatifs de ses membres. Cependant, notre sujet ne se confond point avec le contrat collectif, qui a été étudié très en détail pendant ces dernières années, notamment en F r a n c e par MM. Raynaud, Ilubert-Valleroux, Moissenet, etc...

Le but que je me suis proposé est à la fois plus étendu et plus restreint.

(40)

3 6 P R E M I È R E P A R T I E . — CHAPITRE P R E M I E R .

les conditions de sa mise en application, la fixation des mille et un détails qu'en pratique une exploitation rend nécessaires. Nous l'avons vu, c'est là qu'intervient le règle-ment de travail, prolongerègle-ment si l'on veut du contrat de travail, mais que l'on ne peut certes confondre avec lui, puisqu'à l'heure actuelle, si le contrat de travail est débattu entre l'employeur et l'employé, et peut faire l'objet d'un contrat collectif par l'intermédiaire des syndicats, le règle-ment de travail, lui, est l'œuvre du seul patron. Et, dans le cas où l'on admettrait, comme nous tâcherons d'en mon-trer la nécessité, la participation des ouvriers à la confec-tion du règlement d'atelier, il y aura bien là une sorte de contrat collectif, mais singulièrement étendu hors de son domaine primitif. Nous devrons alors, avec Sidney W e b b et Sulzer (1), distinguer plusieurs classes de con-trats collectifs : à côté du contrat collectif portant sur le salaire, sur le temps de travail, et passé par les syndicats professionnels (ce que Sulzer appelle : Gev:erkvereine), il y aura le contrat collectif d'usine ( Werkstattenvertrag), « Contrat entre l'association des travailleurs de l'atelier ou de la fabrique isolée, avec son propriétaire, c'est-à-dire un entrepreneur isolé. » M. Sulzer ajoute (2) : « Un objet particulièrement important du Contrat d'atelier, el aussi bien le domaine propre pour cette espèce de contrat collectif, est le règlement d'atelier, el le règlement de fa-brique. » Nous aurons l'occasion de citer plus amplement cette intéressante brochure de M. Sulzer. De ce qui précède

(1) G- SULZER, Die kolteklive Vertragsschliessung zwischen Arbeitern und

Arbeitgebern (Separatabsug aus den « Schuieiz. Blàtlern fur Wirlschafls-u. Socialpolitik », Hefl 10 und 11, VII Jnhrgang,) 1900, p. 6 et s.

(41)

INTRODUCTION. 3 7 je ne retiens qu'au point : c'est que l'objet de mon tra-vail dépasse largement le cadre du contrat collectif pris dans son sens actuel et ordinaire.

A certains autres points de vue, cependant, mon domaine est plus restreint que celui du contrat collectif. En premier lieu, il y a toute une face de celui-ci que je laisserai de côté : Un contrat peut être collectif vis-à-vis des patrons ; une association des patrons d'une même industrie élabore un projet de tarif collectif, qui deviendra contrat par l'adhésion des ouvriers : tel parait être le but des Unternehmervereine (1), qui emploient le même procédé que les groupements ouvriers. Ainsi, le contrat tend à devenir collectif de part et d'autre, à être conclu par une collectivité avec une autre. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a là toute une question que nous laisserons de côté (2).

En second lieu, je n'aurai pas à m'attarder à relever toutes les conséquences économiques ou sociales du con-trat collectif. En réalité, je l'examinerai moins lui-même, que ce que j'appellerai son origine juridique : ses causes, son fondement, son principe, et sa mise à exécution. C'est moins le rôle économique du contrat collectif qui est l'objet de notre étude, que le rôle de la représentation de la collectivité ouvrière dans son élaboration. J'étudie

( t ) SULZER, op. cit., p. i l .

(42)

3 8 PREMIÈRE P A R T I E . — CHAPITRE PREMIER.

plutôt, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, une question rentrant dans le droit constitutionnel de l'industrie et de l'usine, que dans le domaine de l'économie politique, et je n'examine ce droit constitutionnel que dans ses racines juridiques.

L'objet de nos recherches ainsi délimité, je me heurte de suite à un autre danger considérable, résultant de la nature même du contrat de travail. Le contrat de travail n'est pas un contrat ordinaire. On ne peut pas le traiter comme un simple phénomène juridique. Si en théorie on est facilement porté à voir en lui une vente, — vente du travail fourni pour un prix, le salaire, — ou plus exacte-ment un louage, — force remise pour un temps, moyen-nant une prestation périodique, — il n'y a là en réalité que des tentatives de construction par lesquelles on essaie de se procurer à bon compte un procédé pour résoudre au pied levé toute difficulté. Un cas douteux se présente-t-il? On y répond très aisément p a r les règles du louage. Et on oublie qu'à côté du principe juridique le contrat de travail présente, bien plus marqués encore, des phéno-mènes économiques et sociaux : C'est qu'en effet « le louage d'ouvrages engage dans une certaine mesure la personna-lité, le travail, l'intelligence (1). » Comme le disait à la Chambre belge M . le ministre De Volder, « l'ou-vrier s'engage lui-même. C'est son temps qu'il engage, ses forces, son activité, sa vie même qu'il lie ; » et par là-mème celle de sa famille, de sa femme, de ses en-fants (2).

(1) TROPLONG, Le Contrat de louage, p. 224, § 787.

(43)

INTRODUCTION. 3 9 Dans ces conditions, il est fatal que je voie constamment se dresser devant moi un danger : celui d'avoir une redoutable option à faire : rester dans mon domaine, qui doit être strictement juridique ; ou m'en écarter çà et là, forcément entraîné à considérer quelles sont en pratique pour l'ouvrier les conséquences de sa situation juri-dique, ou de celle qui pourrait lui advenir avec un chan-gement de législation. Au surplus, la notion même du contrat de travail contenant, comme j e l'ai montré, des éléments tantôt d'ordre juridique, tantôt d'ordre moral pour ainsi dire, sans que leur ligne de démarcation soit toujours bien nette, je n'hésiterai pas, si cela devient nécessaire, à envisager aussi la situation économique, certain d'ailleurs que les deux questions s'éclairent l'une l'autre.

Il m'a paru utile de montrer rapidement comment l'évolution de la grande industrie nécessitait un état de choses nouveau : l'organisation d'une représentation ouvrière, chargée, de réédifier des rapports entre em-ployeurs et employés, qui tendent à disparaître. Et j'ai tenu à indiquer les difficultés de ma tâche, pour excuser à l'avance une argumentation qui ne correspondra certai-nement pas à l'énergie de mes convictions.

toute autre d'être la base d'un c o n t r a t ordinaire : * 11 y a u n e doc-trine qui apparaît sur-le-champ, disait-il ; je la signale parce qu'à m e s yeux elle est encore, et pour u n e très large part, la cause du m a l dont souffre le monde du travail. C'est la doctrine qui consiste a considérer le travail c o m m e u n e marchandise, au lieu de l'envisa-ger c o m m e un acte de la vie h u m a i n e , le plus noble de tous, et dont

on ne saurait tracer les règles en faisant abstraction de l'homme qui en est l'auteur... On s'est passionné pour des théories, s a n s en peser

(44)

4 0 P R E M I È R E P A R T I E . — CHAPITRE P R E M I E R .

Mais avant de proposer des modifications aux lois qui existent, ou même l'élaboration d'une nouvelle législation sur certains points, je reconnais bien aisément que je ferai là une œuvre totalement insuffisante. 11 ne suffirait pas d'établir une plus équitable et plus favorable organisation du travail. Il ne faut pas craindre de le répéter, ces ques-tions-là touchent de trop près à l'âme du pays, pour qu'on puisse modifier le système, sans une évolution parallèle des esprits et des mœurs. Il faut orienter en ce sens ce que nous appelions l'éducation sociale. Comme le dit le profond penseur Lujo Brentano (1), « On devra nécessaire-ment p r e n d r e non seulenécessaire-ment des mesures économiques, mais encore des mesures sanitaires, morales et politiques. » Et il ajoute : « Ces mesures sont solidaires les unes des autres et se soutiennent mutuellement ; les conséquences de l'une supposent celles de l'autre, car il ne saurait y avoir progrès réel de la classe ouvrière dans une seule direction. Mais les plus importantes sont celles qui ont pour but de faire cesser la dépendance de l'ouvrier dans la

conclusion du pacte de travail avec le patron, et l'incerti-tude de son existence économique. » C'est aussi le cri de M. Hubert-Valleroux (2) : « Une erreur répandue à notre époque est d'imaginer qu'une institution peut avoir une vertu propre, et indépendante des hommes qui la fondent et la mettent en œ u v r e . . . Avant de faire des institutions, il faut faire des hommes. »

(1) LUJO BRENTANO, La Question ouvrière, t r a d u i t p a r L. CAUBBRT,

1885, p. 144 et 145.

(2) HUBERT-VALLEROUX, Les Corporations d'arts et métiers et les

(45)

CHAPITRE 11

Origines de la représentation des intérêts collectifs et juridiques des ouvriers.

Il est certain que, lorsqu'on se propose de rechercher sous l'Ancien Régime (1) des traces de représentation ouvrière, on s'arrête vite, découragé. Les documents, — notamment sur le compagnonnage dans lequel on a dès l'abord l'espoir de glaner quelque chose, — sont rares, ne se sont pas dépouillés, ou manquent de clarté, au moins jusqu'au XVII° siècle (2). De plus, nous nous trouvons en face d'une organisation de l'industrie telle, qu'elle nous parait s'opposer nettement à toute tentative des ouvriers.

Toutefois, pour avoir plus de chances d'arriver à un résultat, le mieux est, en pareille matière, de déblayer le terrain, afin d'écarter de suite ce qui ne peut nous p r é -senter aucune possibilité de succès, et de réserver nos efforts au surplus.

(1) Il serait puéril d'essayer de r e m o n t e r plus h a u t . « L'artisan libre, travaillant pour le compte d'autrui, ou, pour l'appeler de son nom moderne, l'ouvrier, n'existait pas à Rome, ou du moins l'existence de travailleurs libres était, dans la cité romaine, un fait très exception-nel. » MARTIN-SAINT-LÉON, Histoire des corporations de métiers depuis

leur origine jusqu'à leur suppression, 1897, p. 2b.

(46)

4 2 PREMIÈRE P A R T I E . — CHAPITRE I I .

Il me semble que si l'on examine Y esprit industriel de la vieille monarchie française, des distinctions s'imposent, qui constituent comme des étapes dans une longue évo-lution .

§ 1 . — S I T U A T I O N COMPARÉE DE L ' O U V R I E R AVANT ET A P R È S LE XIV° SIÈCLE.

Une première phase s'étend jusqu'au xiv° siècle. C'est particulièrement au XIII8 qu'elle a atteint sa pleine

matu-rité, et qu'on peut la mieux examiner. Voyons donc quelle était alors la situation de l'ouvrier, et nous cons-taterons vite que, non seulement l'association n'existait pas encore, rendant possible une représentation, mais même qu'elle ne correspondait à aucun besoin.

L a condition des « valets » du XIII0 siècle n'était

certai-nement pas très prospère. Ils ont dû, à des périodes de troubles et de disette, manquer souvent du nécessaire. Mais la faute en était plus à la dureté des temps qu'à leur situation sociale de salariés. Pas encore de grande indus-trie. Partant, toute association, toute représentation ouvrière est inutile. Le patron a près de lui quelques ouvriers lorsque la besogne presse ; le jour où il ne trouvera plus d'ouvrage, il est prêt à redevenir ouvrier lui-même. Si l'on parfe parfois d'une « alliance » des valets (coalition) il ne peut s'agir que d'un accord très temporaire en vue d'un soulèvement (l). Mais en règle générale le patron et

(47)

ORIGINES DE LA. R E P R É S E N T A T I O N DES O U V R I E R S . 4 3 l'ouvrier s'entendent bien : ils vivent ensemble, en famille ; les rapports sont de chaque j o u r , et ils sont ce que l'on peut attendre d'un ancien valet envers un valet que rien n'empêche de devenir maître à son tour. Yoilà ce qui fait que l'ouvrier reste isolé, qu'il ne recherche pas ceux de sa condition afin d'associer ses doléances aux leurs. A quoi bon ? Il a l'amour de sa profession ; ses profondes convic-tions lui défendent tout découragement; il aime son patron dont il partage l'existence ; et, surtout, il sent qu'il pourra l'être lui-même bientôt.

Comme le dit S. W e b b (1), « c'était l'espérance d'un avancement économique qui empêchait la formation de groupements permanents parmi les salariés du moyen-âge. » Outre les raisons que nous venons d'indiquer, S. W e b b en signale une autre : Lorsque chaque artisan avait chance de devenir maître, il ne pouvait avoir l'idée de l'association, car « toute organisation commençante aurait toujours perdu ses membres les plus anciens et les plus capables, et se serait nécessairement trouvée confinée aux plus jeunes (2) ».

Et, tout isolé qu'il était, l'ouvrier du X I I I8 siècle

s'esti-mait heureux, n'avait pas à chercher de remèdes à ses maux, car « l'artisan n'était pas l'instrument muet du capital; la perspective pour chacun de devenir maître, de fonder une famille, d'acquérir l'indépendance, donnait à sa

(1) S. et B. "WEBB, Histoire du Trade-Unionistne, traduction MÉTIN, 1899, p. 8.

(48)

4 4 PREMIÈRE P A R T I E . — CHAPITRE I I .

vie un but, un développement, une parcelle de bonheur (1). » Si de là nous sautons en plein xvme siècle, si nous

exa-minons la situation de l'ouvrier d'alors, quelle différence de tableau ! Extérieurement l'édifice peut paraître intact. L'organisation des corporations est la même. Il y a tou-jours maîtres, valets et apprentis. Mais au fond, quels changements importants se sont opérés ! Ou sent qu'il suffira du souffle des idées pour renverser à tout jamais une construction qui n'a qu'une solidité de façade.

Certes l'ouvrier n'a pas perdu le respect du patron : il est encore animé d'un esprit religieux qui le retient sur la pente de la rancune. D'autre part, la grande industrie n'a pas parachevé son œuvre ; elle a déjà pris un certain essor, mais elle n'a pas cette intensité de caractères propres, et de vices, que les découvertes d'un machinisme régulier lui procureront.

Cependant, il y a de bien graves indices d'un futur état de choses qui changera tout. L'ouvrier n'est plus attaché à son patron, il n'a plus confiance en lui. De leur côté, les maîtres commencent à se plaindre de l'arrogance et de l'insubordination de leurs ouvriers. Les Archives sont pleines de leurs doléances ; toutes les juridictions sont assaillies de leurs requêtes.

(1) VAN DER KINDEKE, Le Siècle des Arleweld, p. 126. — Dans le m ê m e sens : D'AVENEL, cité par MARTIN-SAINT-LÉON, Histoire des

Cor-porations, p. 156 : « L'organisation corporative du travail, bien

diffé-r e n t e au x n diffé-r siècle de ce qu'elle devienddiffé-ra plus tadiffé-rd, améliodiffé-rait la condition des ouvriers. » BRUNOT, Les Syndicats professionnels (Revue

génir. d'admin., 1884, p. 146) s'exprime ainsi : 4 En résumé, les

(49)

ORIGINES DE LA. REPRÉSENTATION DES OUVRIERS. 4 5 Dès le xvi° siècle, on sent s'opérer cette scission des ouvriers et des patrons : c'est sous François 1" qu'éclatent deux célèbres grèves d'imprimeurs, à Lyon, puis à Paris (1). Certes, les grèves ne sont pas chose n o u -velle (2) ; à la fin du xuie siècle, Douai, Ypes, Provins

avaient vu des révoltes de tisserands (3). Mais c'étaient là des mouvements de peu d'importance, constituant plutôt des émeutes passagères que des grèves de métier. Au contraire, les grèves des imprimeurs de Lyon et de Paris présentent deux caractères inconnus jusque-là : elles sont basées sur des plaintes nettement profession-nelles, portant sur le salaire, l'apprentissage et les con-ditions du travail ; surtout, elles sont le résultat d'un plan concerté (4).

Ainsi, à partir du xiv" et du xv° siècle, nous voyons la rupture entre l'ouvrier et le patron s'effectuer. Elle est complète au XVIII0 siècle. Il a suffi pour cela de peu de chose : de l'espoir perdu pour les ouvriers d'arriver à la maîtrise.

Deux causes ont amené dans la corporation cette trans-formation qui devait avoir de telles conséquences :

Un principe, l'organisation des corps qui se perfectionne, l'esprit conservateur et autocratique qui tend, dans la vieille monarchie, depuis les plus modestes rouages jusqu'au gouvernement lui-même, à éterniser les rapports existant,

(1) Pour l'histoire de ces deux grèves, lire HAUSER, Ouvriers du temps

passé, 1898.

(2) S. WEBB [Hisl. du Trade-Unionisme, p. 1) cite bien u n e révolte de briquetiers juifs en Egypte ayant toutes les allures d ' u n e grève et éclatant en 1490 avant Jésus-Christ !

(3) LEVASSEUR, op. cit. passim.

(50)

4 6 P R E M I È R E P A R T I E . — CHAPITRE I I .

et qui craint toute modification à l'ordre établi. C'est d'après ce principe que les fils de maîtres auront de plus en plus l'exclusif accès à la maîtrise (1) ; les ouvriers seront considérés comme formant une classe inférieure, dans une hiérarchie qui cherche à s'implanter solidement partout, et c'est le p r o p r e de tout régime qui se croit

éternel.

A côté du principe, le fait brutal, visible, lui, et qui permettra d'atteindre les fins souhaitées : L'obligation du chef-d'œuvre entourée de formalités compliquées et longues (un noviciat de quelque durée est souvent requis). Et surtout, des frais considérables à payer (2).

Comme le dit M. Germain Martin (3), « Nous pouvons maintenant affirmer que les conditions primitivement re-quises pour atteindre la maîtrise et la capacité personnelle de l'ouvrier, sont remplacées au xvme siècle par la

puis-sance qu'exercent le capital et les liens de famille. » Cette situation, poursuit-il (4), « éveilla chez les salariés, qui n'avaient pas Vespoir de devenir maîtres, ni d'exercer leur métier d'une manière indépendante, la conscience de leur état social, de leurs intérêts, de leurs besoins particuliers. C'est ainsi que les ouvriers se séparèrent des patrons, et que naquit la question ouvrière. Et cette scission entre les membres des corps de métiers se produisit partout

(1) Voir, entre autres, IIUBKRT-VALLEROUX, Les Corporations d'arts

et métiers, p. 48 ; — MARTIN-SAINT-LÉON, Le Compagnonnage, p. 63

e t s . ; — L E V A S S E O R , op. cit., t . I , p . S98.

(2) D'ailleurs, sans m ê m e chercher de détours, de n o m b r e u x sta-t u sta-t s réservensta-t désormais la maîsta-trise aux fils des m a î sta-t r e s .

(3) GERMAIN MARTIN, Les Associations ouvrières au XVIIIE siècle, 1900,

p. 19.

(51)

ORIGINES DE LA. R E P R É S E N T A T I O N DES O U V R I E R S . 4 7 et dans toutes les industries dès qu'elles p r o g r e s -sèrent. »

Ainsi livré à lui-même, ne pouvant pas plus compter sur une situation meilleure dans l'avenir, que sur un pa-tron qui se désintéressait de lui, l'ouvrier sentit qu'il avait f a i m ; s'aperçut qu'il y avait autour de lui d'autres h o m m e s ayant les mêmes besoins ; il songea que leurs forces réunies pourraient peut-être obtenir ce qu'il ne pouvait pas avoir p a r lui-même : Le besoin de l'association était né.

Jadis, le patron était moins pour le valet un maître qu'un « père », ou un « compagnon », dont il partageait le pain comme le travail. Désormais, l'ouvrier réservera le titre de compagnon à ses c a m a r a d e s de misère, que la

communauté de souffrances et de désirs unira dans le c o m p a g n o n n a g e .

§ 2 . — O R S T A C L E S S ' É L E V A N T , MÊME A P A R T I R DU X I V0 SIÈCLE, CONTRE UNE R E P R É S E N T A T I O N DES O U V R I E R S .

Donc, à partir du xiv°, du xve siècle, et particulièrement

dans le xvme, nous trouvons le désir des ouvriers de se

g r o u p e r en associations. C'est d é j à certes un point acquis dans nos recherches.

Malheureusement, qui dit : représentation ouvrière, sup-pose forcément une organisation établie, légale, reconnue de tous, s'exerçant au g r a n d j o u r . E t rien de tel p o u r les associations ouvrières de l'ancien régime.

(52)

4 8 PREMIÈRE P A R T I E . — CHAPITRE II.

la communauté de profession (1). Certainement, si l'idée de s'associer était venue aux ouvriers avant cette période qui s'étend du xiv° siècle à la Révolution, ils se seraient déjà heurtés à l'animosité du pouvoir. L'esprit, religieux les eût poussés à donner à leurs groupements la forme que devait plus tard leur conseiller la prudence, et le désir de passer inaperçus : la confrérie.

Or, dès le ix° siècle, c'est Charlemagne dans un capi-tulaire ; en 852, c'est Ilincmar, le célèbre évèque de Reims (2), qui interdisent les confréries. Les Conciles de Rouen (1189), Montpellier (1215), Toulouse (1219), Bor-deaux (1255), e t c . , se prononcent dans le même sens.

Et si nous arrivons au xiv° siècle, le mouvement que nous avons indiqué, dont nous nous sommes efforcé surtout d'établir la cause, éclate de toutes parts. Les ou-vriers cherchent à s'organiser, timidement d'abord, avec plus d'assurance ensuite, et souvent des éclats de voix trahissent leurs efforts. Aussi trouvons-nous dorénavant

(1) Cette frayeur inspirée par les associations ouvrières n'est cer-tes pas chose récente. Voici ce que rapporte, assez plaisamment, M. Camille PELLETAN, cité par BRONOT, op. cil., p. 133 : « Un fait prouve à quel point les empereurs romains a v a i e n t peur du droit d'association. Sous un des meilleurs d'entre e u s , Trajan, le célèbre Pline gouvernait une province où les incendies devinrent f r é q u e n t s . Pline eut l'idée d'y établir une corporation d'ouvriers pour éteindre le feu, quelque chose comme u n e compagnie de sapeurs-pompiers. 11 n'osa pas le faire sans consulter Trajan. T r a j a n refusa, t a n t il trouvait dangereux le g r o u p e m e n t le plus simple d'hommes apparte-n a apparte-n t aux classes ouvrières. Voilà commeapparte-nt, grâce à la craiapparte-nte des associations et à la politique conservatrice, les incendies flambèrent en toute tranquillité. » On peut supposer c o m m e n t l'illustre e m p e -reur aurait accueilli la prétention de travailleurs libres, — fort r a r e s avons-nous dit, — de se grouper pour défendre leurs intérêts c o m m u n s .

(53)

ORIGINES DE LA R E P R É S E N T A T I O N DES O U V R I E R S . 49 un nombre considérable de textes, de plus en plus nets, comprenant d'abord le compagnonnage sous le voile de la confrérie ; puis le visant expressément en même temps que les confréries et. réunions de maîtres ; enfin voyant dans les associations ouvrières l'ennemi contre lequel l'Eglise, le Gouvernement, les tribunaux et les maîtres doivent unir leurs efforts, et réservant leurs coups aux seuls groupements des valets.

Telle est l'évolution que nous révèlent les nombreux documents émanant de l'autorité : avec, à son premier degré, un mandement de Philippe-le-Bel (1305) (1), et le Concile de Lavaur (1368) (2), par exemple. En 1383, le 27 janvier, Charles VI est aussi sévère dans sa r é p r o b a -tion que l'autorité ecclésiastique, et, — songeons que nous sommes à la fin du xivc siècle, à une époque où le

compa-gnonnage rayonne en France (3), — on sent déjà percer à travers le texte la crainte que des compagnonnages ne se

(1) Ce texte en effet vise très c e r t a i n e m e n t les confréries, sous la généralité de ces termes : « Ne aliqui cujuscumque sint conditionis vel ministerii a u t s t a t u s in villa n o s t r a predicta, ultra q u i n q u e insimul, per diem vel noctem, palarn vel occulte congregationes aliquas

sub qutbuscumque forma, modo vel simulacione de cetero facere p r é s u

-m a n t . » (Collection des Ordonnances du Louvre, I, p. 428.)

(2) Le texte en est cité par MARTIN-SAINT-LÉON, Le

Compagnon-nage, p. 14.

(3) Sur son origine, que l'on peut rattacher, j u s q u ' à u n certain point, a u x g r o u p e m e n t s en m a s s e des ouvriers, réunis pour cons-truire des cathédrales et des châteaux, voir LEVASSBUR, op. cit., t. I, livre IV, chap. 6, et MARTIN-SAINT-LÉON, Le Compagnonnage, p. 15 et s. D'ailleurs ces réunions de n o m b r e u x ouvriers n ' o n t été que

l'oc-casion de leur g r o u p e m e n t dans l'association dite compagnonnage ;

que la possibilité pratique de réaliser u n désir. Il n'en reste pas moins vrai que la cause première était la scission de l'ouvrier et d u patron, et l'impossibilité pour le premier de parvenir d o r é n a v a n t à la maîtrise.

Riferimenti

Documenti correlati

1994 : pourvoi n°90-45483 (« Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel, qui a fixé la date de la rupture au 13 janvier 1987, date postérieure au transfert du contrat de travail,

Avant l'énumération des thématiques proposées, et afin de restreindre autant que possible les réactions infondées, il convient d'insister sur le fait que, en

Voies novatrices du « Dictionnaire de la Zone, tout l’argot des banlieues » en ligne : à l’écoute des voix sur la

Le Comité est également préoccupé par les mauvaises conditions d’hygiène, l’accès insuffisant aux soins de santé, le manque de personnel médical dans plusieurs lieux

PROGNOSTIC IMPACT OF PREOPERATIVE CHEMORADIOTHERAPY IN PATIENTS WITH LOCALLY ADVANCED LOW RECTAL CANCER HAVING LATERAL PELVIC LYMPH NODE METASTASES.. Ueno Department

Its coordinates were estimated in a local network that includes GNSS benchmarks and one GNSS permanent station (PS) in International Terrestrial Reference Frame 97 (ITRF97) at

Tucci per quanto ci ha detto, perché, anche se ha definito un episodio marginale questo della venuta del Morosini a Pisa, data la scarsità delle notizie di

Nous y avons classé des erreurs qui auraient pu se trouver éventuellement en morphologie lexicale (forme erronée du mot), mais leur regroupement dans la première catégorie permet