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La migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie : quelques aspects sociopolitiques

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Academic year: 2021

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(1)La Migration Irrégulière de, Vers et à Travers la Mauritanie : Quelques Aspects Sociopolitiques Zekeria Ahmed Salem CARIM Notes d’analyse et de synthèse 2010/58 Série sur la migration irrégulière Module sociopolitiques. Co-financed by the European University Institute and the European Union (AENEAS Programme).

(2) CARIM Consortium euro-méditerranéen pour la recherche appliquée sur les migrations internationales. Notes d’analyse et de synthèse – Série sur la migration irrégulière module socio-politique CARIM-AS 2010/58. La migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie : quelques aspects sociopolitiques Zekeria Ahmed Salem Professeur de sciences politiques, université de Nouakchott. Cette publication fait partie d’une série de communications sur le thème de la migration irrégulière préparées dans le cadre du projet CARIM et présentées lors d'une rencontre organisée par le CARIM à Florence : "La migration irrégulière vers et à travers les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée" (6 - 8 juillet 2008). Ces articles seront également discutés à l'occasion d'une autre rencontre entre décideurs politiques et experts sur le même thème (25 - 27 janvier 2009). Les résultats de ces discussions seront publiés séparément. L’ensemble des papiers sur la migration irrégulière est disponible à l’adresse suivante : http://www.carim.org/ql/MigrationIrreguliere..

(3) © 2010, Institut universitaire européen Robert Schuman Centre for Advanced Studies Ce texte ne peut être téléchargé et imprimé, en un seul exemplaire, que pour un usage strictement personnel et non collectif. Toute autre reproduction, totale ou partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite préalable du Robert Schuman Centre for Advanced Studies. Les demandes d’autorisation doivent être adressées à : carim@eui.eu Dans les citations et références, ce texte doit être mentionné comme suit : [Prénom et nom de(s) auteurs(s)], [titre], série : “CARIM AS”, [n° de série], Robert Schuman Centre for Advanced Studies, San Domenico di Fiesole (FI): Institut universitaire européen, [année de publication]. Les opinions exprimées dans cette publication ne peuvent en aucun cas être considérées comme reflétant la position de l'Union européenne. Institut universitaire européen Badia Fiesolana I – 50014 San Domenico di Fiesole (FI) Italie http://www.eui.eu/RSCAS/Publications/ http://www.carim.org/Publications/ http://cadmus.eui.eu/dspace/index.jsp.

(4) CARIM Le Consortium Euro-Méditerranéen pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales (CARIM) a été créé à l’Institut universitaire européen (IUE, Florence) en février 2004. Il est cofinancé par la Commission européenne, DG AidCo, actuellement au titre du Programme thématique de coopération avec les pays tiers en matière de migrations et d'asile. Dans ce cadre, le CARIM a pour objectif, dans une perspective académique, l’observation, l’analyse et la prévision des migrations dans les pays du sud et de l'est de la Méditerranée et d'Afrique subsaharienne (signifiée par « la région » dans le texte ci-dessous).. Le CARIM est composé d’une cellule de coordination établie au Robert Schuman Centre for Advanced Studies (RSCAS) de l’Institut Universitaire Européen et d’un réseau de correspondants scientifiques établis dans les 17 pays d’observation : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Palestine, Sénégal, Soudan, Syrie, Tchad, Tunisie et Turquie. Tous sont étudiés aussi bien comme pays d’origine, de transit que d’immigration. Des experts externes provenant des pays de l’Union européenne et des pays de la région contribuent également à ses activités. Le CARIM conduit les activités suivantes: - Base de données sur les migrations méditerranéennes et subsahariennes ; - Recherches et publications ; - Réunions d’experts et rencontres entre experts et décideurs politiques ; - Ecole d’été sur les migrations ; - Information Les activités du CARIM couvrent trois dimensions majeures des migrations internationales : économique et démographique, juridique et sociopolitique. Les résultats des activités ci-dessus sont mis à la disposition du public par le site Web du projet : www.carim.org Pour plus d’information Consortium Euro-Méditerranéen pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales Centre Robert Schuman Institut universitaire européen (IUE) Convento Via delle Fontanelle 19 50014 San Domenico di Fiesole Italie Tél: +39 055 46 85 878 Fax: + 39 055 46 85 755 Email: carim@eui.eu. Robert Schuman Centre for Advanced Studies http://www.eui.eu/RSCAS/.

(5) Résumé La migration irrégulière s’est imposée comme axe de travail pour les autorités publiques mauritaniennes de façon croissante depuis le milieu des années 2000. Les impératifs de la coopération avec l’Europe ont certes été déterminants en la matière. Mais les succès sur le terrain ne doivent pas faire oublier que la conduite de cette politique comporte nombre d’ambigüités et d’ambivalences liées à la politique intérieure d’un pays politiquement instable. Et, de fait, cette thématique de la criminalisation des flux migratoires ne jouit pas de l’adhésion du public et de la société en Mauritanie et ce pour des raisons à la fois structurelles, culturelles et sociopolitiques que l’on a tendance à négliger, bien à tort.. Abstract Irregular migration has become a key issue for Mauritania’s public authorities in the last five years with imperatives dictated by cooperation dynamics with Europe defining much of the process. Success on the ground should not disguise the fact though that implementation carries with it numerous numerous ambiguities for the domestic policies of an unstable country. Hence, the “criminalization of migratory flows” does not enjoy the support of the public and society in Mauritania. This is due to neglected structural, cultural and sociopolitical factors..

(6) Introduction L’objectif de cette note est d’aborder quelques aspects sociopolitiques cruciaux liés à la migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie. Il faut souligner d’emblée que la mise sur l’agenda politique national de la lutte contre la migration irrégulière se situe à la croisée d’impératifs politiques internes et de demandes externes de la part des partenaires politiques européens. Or, cette double origine explique en grande partie la perception par les autorités publiques d’un « problème » qu’elles sont tentées à la fois de s’approprier et d’instrumentaliser. Cette ambivalence constitutive est sans doute à l’origine du rapport complexe entretenu par les autorités mauritaniennes avec la question de l’irrégularité de flux migratoires et le rôle involontaire que le pays joue désormais dans cette politique répressive. Les résultats sont pourtant probants : plus de 10.000 reconduites aux frontières opérées en 2006 traduisent à la fois le pic du phénomène mais aussi l’efficacité des mesures mises en place. Mais cette efficacité relative est fonction de la très instable conjoncture politique interne et des rapports des changeantes autorités en place avec les voisins européens comme l’Espagne. Après avoir exploré l’ensemble de ces points tels qu’on peut en observer la réalité sur le terrain sociopolitique, on tentera ensuite de mettre en lumière un aspect socioculturel rarement mis en valeur dans les analyses de cette question sensible, à savoir l’attitude et la perception qu’ont les sociétés locales de la légitimité de la lutte contre la migration irrégulière parfois saisie au prisme de croyances religieuses légitimées par certains aspects de la tradition islamique en l’occurrence.. La Mauritanie et la migration irrégulière C’est la transformation de la Mauritanie d’un pays de migration classique en lieu de transit pour la migration irrégulière vers l’Europe qui va modifier sa place dans la politique locale et globale de la lutte contre la migration irrégulière.1 Ce nouveau statut permet au gouvernement local de disposer d’une marge de manœuvre supplémentaire dans ses relations avec ses homologues étrangers ; ce qui, en retour, affecte positivement sa légitimité interne. A cet égard, la politique de lutte contre la migration irrégulière est une ressource et un instrument politique pour les autorités de la Mauritanie. Historiquement présente dans les circuits migratoires,2 la Mauritanie dispose sur son territoire de près de 7% d’immigrés sur une population totale de taille modeste. Historiquement située sur les terminaux de déplacement des populations sub-sahariennes, le pays s’est construit en partie grâce à une main d’œuvre étrangère qui a fini par y monopoliser certains types de métiers comme la maçonnerie, la pêche artisanale, la réparation mécanique ou les petits métiers urbains. Si l’explication économique de cette donnée a souvent été livrée rapidement par les moindres analystes de l’immigration dans le pays, on oublie parfois que cette donnée a aussi une explication sociologique : héritière d’une société fortement hiérarchisée où les métiers subalternes ou manuels sont méprisés, la Mauritanie a dès son indépendance du faire appel à des étrangers pour exercer des professions que la population nomade (en 1970, 70 % de la population était nomade et pastorale) ne recherchait pas particulièrement. Les sécheresses de 1973 qui ruinent les ruraux et les font affluer vers la ville n’occasionnent pas pour autant une redécouverte des vertus du travail manuel. Traditionnellement dévolus aux couches sociales dominées dans la société traditionnelle (esclaves, bergers, artisans), les métiers ouvriers vont continuer à être socialement dévalorisés même s’ils fournissent progressivement à l’ancienne main d’œuvre servile, désormais émancipée dans le cadre urbain, un débouché naturel. 1. 2. Voir Bensaad Ali, « L’irrégularité de la Migration en Mauritanie : une appréhension nouvelle, conséquences d’enjeux migratoires externes », CARIM Notes d’Analyse et de Synthèse, 2000/76. Lire aussi Cheikh Omar Bâ et Armelle Choplin, «‘Tenter l’aventure’ par la Mauritanie: migrations transsahariennes et recompositions urbaines ». Autrepart, 36, 2005, p. 21-42 Voir Zekeria Ahmed Salem, «Genèse des frontières et question migratoire en Mauritanie », Note de synthèse CARIM, Février 2010 (à paraître).. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS.

(7) Zekeria Ahmed Salem. Pour leur part, les métiers exigeant une qualification minimale, y compris dans le secteur industriel naissant, sont abandonnés aux Ouest-africains. C’est dans ce double facteur socio-économique qu’il faut rechercher les origines de la population sub-saharienne immigrée présente en Mauritanie depuis plusieurs décennies. Or, la régularité de cette population s’est rarement posée en Mauritanie. De même, de nombreuses communautés mauritaniennes vivent à la fois en Europe mais surtout en Afrique noire et au Golfe arabique où une diaspora migratoire s’est constituée progressivement au fil de l’histoire, parfois de façon irrégulière. En Arabie saoudite par exemple, de nombreux ressortissants mauritaniens profitent de la saison du Hajj (pèlerinage à la Mecque) pour demeurer sur place. Cette irrégularité est même intégrée comme parfaitement légitime malgré les efforts du royaume pour débusquer et expulser ces immigrés clandestins parfois temporaires du reste. L’objectif est souvent de voyager durant la umra (petit pèlerinage) et d’attendre sur place, dans la clandestinité totale, la saison suivante. Parfois, ce séjour irrégulier dure plusieurs saisons et donc plusieurs années. Quant aux populations vivant en Afrique noire, le laxisme ou la tolérance des pays hôtes a souvent permis, au nom d’une certaine réciprocité, de dépasser les limites stipulées par les accords de libre circulation que le pays avait souscrit, notamment lorsque la Mauritanie était membre de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) par exemple (jusqu’en 2001). Pourtant, partout en Afrique noire où le séjour irrégulier des Mauritaniens est une tradition, les communautés s’établissent sans grands heurts même si au début des années quatre-vingt dix, on a assisté à des expulsions massives du Congo Brazzaville, en proie à la guerre civile, mais aussi et surtout d’Angola. Ce dernier pays semble depuis vingt ans une sorte d’Eldorado pour les Mauritaniens qui en ont pourtant été déportés massivement à plusieurs reprises. Mais son image n’est pas prête de se ternir auprès des aspirants à la migration même irrégulière. Et pas plus tard qu’en 2010, la population mauritanienne a découvert la face cachée de cette ruée sur l’Angola à partir notamment des deux Congo. Certains articles de presse parus en Mars 2010 dans la région ont montré le calvaire des Mauritaniens arrêtés en Afrique centrale en route vers l’Angola, les tribulations des clandestins dans les forêts tropicales, le rôle des passeurs, les victimes de ce trafic et les affres de la traversée du Fleuve Congo et de régions hostiles dans des conditions déplorables. De nombreux sites congolais ont donné récemment un récit poignant qui dépeint cette situation dramatique : « Ils viennent de débarquer dans des conditions mystérieuses. Ils ont quitté leur père, leur mère et certains même leurs enfants pour aller tenter leur chance ailleurs, certains n'ont pas encore atteint la vingtaine alors que d'autres sont adultes et même âgés... en Angola, un pays qui regorge de richesse, le rêve de tous les Ouest-africains, mais la chance ne fut de leur coté. Ils ont été arrêté le 16 février dans la nuit au Congo à Pointe-Noire et les voila qui croupissent dans la prison. Ils ont été arrêté alors qu'ils se préparaient sur les rives de l'océan, a embarquer dans une petite pirogue, qui fait trois jours de traversée au cours desquels ces désespérés seront logés sous une bâche, interdit de faire bouger un seul doigt ayant pour nourriture des biscuits et des boites de sardine et s'ils sont découvert par les angolais ils n'hésiteront pas a les tuer de coup de fusil. Beaucoup sont déjà allé de la même façon, louée par l'un des nombreux passeurs aveugles par l'amour de l'argent et à des prix exorbitants (un million et demi de franc cfa). La police les arrêta pour les conduire en prison. Ils sont au nombre de vingt et tous mauritaniens. Certains, les deux passeurs ont paraitil été torture et tout le groupe est la entrain d'attendre son expulsion vers un pays qu'il a quitte a cause prétendent-ils de la précarité de la vie, de l'injustice criarde, de l'ignorance et des magouilles de tous bords. Comment ont-ils pu arriver jusqu'à Pointe Noire ? Il ya un passeur qui est connu de tout le monde et avec la complicité des autorités policières qui est paye pour cela et si quelqu'un s'aventure a fouler le sol de Pointe Noire sans lui payer une somme de 40000 francs il est expulse cela est arrive la semaine dernière à un groupe de mauritaniens et de maliens qui ont voulu passer par un autre canal. L'arrestation de ces mauritaniens a rendu la vie difficile a ceux qui vivaient depuis bien longtemps dans cet accueillant pays qui ne demande même pas de visa aux mauritaniens contrairement aux autres nationalités. La police a effectue une descente dans les maisons en violant les règles de la justice, ils se sont acharne sur ceux qui sont en règle alors que la solution a ce problème est dans leur camp. La police connait les passeurs et les vrais et ne fait rien pour les arrêter. Les mauritaniens ne veulent plus rester chez eux malgré les richesses incalculables de leur pays (or, argent, pétrole, fer..) et la liste n'en finit pas. Ils sont des centaines et des centaines qui viennent chaque jour du Benin, du Mali de la Cote d'ivoire (…) Depuis le mardi. 2. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS.

(8) La migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie : quelques aspects sociopolitiques. jusqu'à ce moment et nos camarades qui n'ont aucun papier et en situation irrégulière se trouvent dans la prison dans l'attente d'une expulsion qui tarde encore, mais ce soir encore, 15 autres mauritaniens viennent de débarquer a Pointe noire. Hier il y avait une dizaine qui est venu dans le dernier vol et une douzaine attend l'aval du fameux Passeur pour venir au Congo détermine a faire de ce pays une passerelle vers l'Angola3 ». Dans la presse mauritanienne, notamment électronique, les témoignages d’aventuriers de ce type abondent et sont parfois parlants.4 La migration irrégulière à travers la Mauritanie a connu d’autres évolutions. Localement, depuis une vingtaine d’années, en concomitance avec le durcissement des lois sur l’entrée et le séjour en Europe, des dizaines de candidats à la migration en provenance de l’Afrique noire, du Maghreb et même parfois de l’Asie ont vu dans la Mauritanie un pays de transit idéal. Mais, durant une période importante, les voies de la migration irrégulière étaient étroites : il s’agissait de frauder à travers le 5 port de Nouadhibou, notamment sur les bateaux de pêche. C’est à cette époque que se constitue une communauté d’aventuriers en attente d’un passage hypothétique en séjournant parfois de manière prolongée à Nouadhibou comme le notent des anthropologues des migrations en ces termes : « L’un des effets des politiques restrictives de l’union Européenne en matière d’immigration, qui rendent les conditions de passage toujours plus aléatoires, a été la croissance du nombre des personnes originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale circulant dans l’espace sahélo-maghrébin avec le projet de trouver un passage clandestin à destination de l’Europe. Parmi ces milliers d’aspirants à l’émigration, il s’en trouve certains qui viennent chercher la route à Nouadhibou, la réputation de cette ville du nord de la Mauritanie comme point de passage facile vers l’Europe s’étant diffusée dans toute l’Afrique sub-saharienne. Comme nous l’avions écrit, sans y insister, à la suite de notre premier terrain en 1997 »6 Les passeports mauritaniens ont été un temps jugés davantage susceptibles d’obtenir des visas pour l’Europe ou même les Etats-Unis car les ressortissants du pays n’étaient ni nombreux ni réputés intéressés massivement par l’émigration. Cela aurait même créé une industrie de faux passeports au milieu des années quatre-vingt dix. Obtenir des documents de voyage mauritaniens pouvait accroitre les chances d’obtenir un visa et d’émigrer légalement. Cette filière a depuis été fermée grâce notamment à la réforme de l’Etat civil conduite par le gouvernement à partir de 1998. Lorsque les circuits de la migration se sont fermés partout ailleurs et que, au milieu des années 2000, les candidats à l’émigration irrégulière sub-sahariens, jamais à court d’idées, ont adopté le modèle de la patera (embarcation fragile) pour atteindre au péril de leur vie les côtes canariennes, l’émigration clandestine à partir des côtes mauritaniennes est devenue massive et spectaculaire. C’est dans ce contexte que le pays a été déclaré zone de transit majeur pour la traversée vers l’Espagne, désormais submergée par la détresse des clandestins et indexée par l’Europe comme maillon faible de sa politique de containment de la « menace migratoire ». Cette conjoncture est devenue particulièrement aigue au tournant de l’année 2006. Or, cette période est assez particulière dans l’histoire de la Mauritanie et va peser de manière importante sur la manière dont le gouvernement de l’époque va gérer le statut tout nouveau de «pays sensible» en matière d’immigration. .. 3. 4. 5 6. Voir «Des Mauritaniens arrêtés à Pointe-Noire au Congo» www.nerrati.net cité par www.cridem.org, consulté le 2 Mars 2010. Lire par exemple le reportage de Mohamed Mahmoud Ould Cheikh Ahmedou sur le site arabophone www.alakhbar.info et intitulé « L’émigration en Angola : le reste de l’histoire » consulté le 7 mars 2010. Voir par exemple l’article de Jean-Pierre Tuquoi dans Le Monde du 02 septembre 1998. Jocelyne Streiff-Fénart et Philippe Poutignat, « De l’aventurier au commerçant transnational, trajectoires croisées et lieux intermédiaires à Nouadhibou (Mauritanie) », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], vol. 73 | 2006, mis en ligne le 19 octobre 2007, Consulté le 27 décembre 2009. URL : http://cdlm.revues.org/index1553.html. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS. 3.

(9) Zekeria Ahmed Salem. L’aubaine : la lutte contre la migration irrégulière comme fin et comme moyen En effet, le 3 Juillet 2005, le régime en place depuis décembre 1984 sous la direction de Mâaôuya Ould Taya prend fin à la suite d’un coup d’Etat fomenté par un Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) dirigé par le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Condamné du bout des lèvres par « la communauté internationale », pourtant rétive à reconnaitre les coups d’Etat, ce putsch était justifié par une volonté d’instaurer un régime civil démocratiquement élu duquel les militaires seraient exclus. Prenant acte de ces engagements, l’Union européenne avait cependant entamé des négociations avec le nouveau régime dans le cadre de l’article 96 de l’accord de Cotonou qui stipule que les autorités devaient accomplir un certain nombre d’étapes décisives afin de pouvoir reprendre leur coopération économique avec les pays européennes. En 2006, ce processus était en cours, mais la résurgence de la question migratoire va précisément être un atout important aux mains du gouvernement de transition en Mauritanie pour complaire à son partenaire européen. On le sait : les mesures clefs en la matière furent prises avec une rapidité spectaculaire : un bureau de l’Organisation Internationale pour les Migrations est ouvert dans le pays, mais aussi un centre de rétention est créé à Nouadhibou, sans compter les accords passés entre l’Espagne et le Gouvernement qui accepte également que des forces officielles et officieuses espagnoles opèrent dans ses eaux territoriales et sa zone aérienne afin de traquer les clandestins. Peu importe que certains observateurs aient vu dans ce phénomène une violation de souveraineté. Préoccupés par les échéances politiques de l’époque, les forces d’opposition n’expriment pourtant guère leur désaccord et semblent approuver une coopération jouissant visiblement de l’unanimité au moins tacite de la classe politique. Or, dans cette dynamique, il est intéressant de noter le changement de discours aussi bien au niveau des autorités mauritaniennes que de la part des responsables européens. Lors d’une visite du Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères Espagnol, en Mars 2006, le quotidien gouvernemental, reflet des soucis et des thèmes politiques des autorités, donne volontiers le ton en des termes intéressants pour notre propos : « Le phénomène de l’immigration clandestine est un problème mondial a estimé jeudi à Nouakchott, Bernardino Leon, le Secrétaire d’Etat Espagnol aux affaires étrangères, à l’issue d’une audience avec le président du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, (CMJD) chef de l’Etat, le Colonel Ely Ould Mohamed Vall. Le responsable espagnol a précisé que le phénomène de l’immigration clandestine est un problème mondial qui dépasse la Mauritanie et qui devrait être du ressort de toute l’Europe et l’Afrique. Pour ce faire, il a annoncé que les mécanismes et moyens pour faire face à ce phénomène seront mis en place en collaboration avec l’UE, l’Espagne et la Mauritanie ».7 On notera au passage le souci tout diplomatique de ne pas indexer la Mauritanie tout en affirmant, in fine, son rôle visiblement crucial dans les efforts à venir. Le responsable européen semble dire en d’autres « à problème global solution locale avec un appui global ». De façon plus profonde, c’est une confiance dans les autorités en place décrétées « fréquentables » avant même que les processus politiques stipulés par le fameux article 96 des accords de Cotonou (et ses dispositions sur le retour à un ordre constitutionnel normal) ne soient arrivés à terme. Il est vrai qu’en l’occurrence, l’Espagne, située sur la ligne de front, reconnaitra systématiquement tout régime qui arrive en Mauritanie du fait même de ces impératifs de lutte contre la migration clandestine. Cette dernière devient ainsi une ressource politique importante pour l’acceptabilité internationale des régimes mauritaniens. Ceux-ci n’ont guère d’hésitation quand il s’agit de jouer sur la psychose migratoire pour se faire appuyer par leurs vis-à-vis européens qui eux-mêmes sont généreux en appuis dès qu’il s’agit du « péril migratoire». Or, cela a des effets politiques concrets et durables quelle que soit la conjoncture . Ainsi, lorsque la Mauritanie achève avec succès sa ‘transition démocratique’ et qu’un régime légitime se met en place en Mars 2007 sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, la communauté internationale salue l’expérience et promet son appui notamment pour lutter contre la pauvreté dans le pays. Or, lorsque, en Août 2008, des Généraux de l’armée décident de renverser le régime démocratique, la plupart des pays européens condamnent et se montrent intraitables, à 7. 4. Voir Horizons, N° 4187 du 17 au 19 mars 2006. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS.

(10) La migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie : quelques aspects sociopolitiques. l’exception de l’Espagne. Les garanties données en matière de poursuite de la coopération en matière de lutte contre la migration irrégulière servent de sauf conduit au pouvoir illégitime pour se renforcer et perdurer. Celui-ci accède aux demandes espagnoles et redouble d’efforts sur ce le terrain privilégié par son « voisin » européen. L’auteur principal du putsch, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz bénéficie de cet appui qu’il fait tout pour continuer à mériter. Du reste, une année après son coup d’Etat, il arrive à se faire légitimer par des élections présidentielles qui se tiennent le 18 Juillet 2009. Arrivé dans le pays quelques mois plus tard, le Ministre Espagnol des Affaires Etrangères se fait volontiers élogieux : « Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a affirmé lundi à Nouakchott le soutien de Madrid au nouveau pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz, élu en juillet, près d'un an après son coup d'Etat militaire. "L'Espagne veut présenter son soutien, son amitié et toute la volonté de coopération avec le nouveau président (Ould Abdel Aziz)", a dit M. Moratinos au sortir d'une audience avec le chef d'Etat mauritanien. Il a salué ‘l'élan démocratique que la Mauritanie ‘a réussi à redonner aux institutions" du pays. L'élection présidentielle de juillet a été contestée par l'opposition qui a dénoncé des "fraudes massives". Le chef de la diplomatie espagnole a qualifié ses entretiens avec le président Aziz de "positifs, amicaux et fructueux" promettant des aides dans divers domaines dont la pêche, l'industrie agro-alimentaire, l'assainissement et le système sécuritaire". A ce sujet, M. Moratinos a insisté sur le caractère "extraordinaire" des résultats de la coopération entre Madrid et Nouakchott dans la lutte contre l'immigration clandestine. ‘J'ai remercié le président pour la contribution de la Mauritanie dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine dont les résultats sont extraordinaires, nous allons continuer à travailler la main dans la main pour éradiquer ce phénomène’, a-t il souligné. ‘La Mauritanie subit une forte pression des migrants qui viennent des autres pays et porte ainsi un lourd fardeau", a-t-il affirmé en promettant de développer une "coopération intense" dans la lutte contre l'insécurité sous tous ses aspects. ».8. Si cet appui bienvenu permet au régime mauritanien de se prévaloir d’une reconnaissance internationale, il faut mentionner qu’à l’intérieur du pays, les opposants et certains membres de la société civile ne sont guère satisfaits d’un régime auxquels ils reprochent non seulement d’être arrivé au pouvoir par coup d’Etat mais aussi d’avoir réussi de façon « frauduleuse » dans des élections dont ils ont pourtant pris acte des résultats. Surtout, la presse d’opposition mauritanienne même modérée continue à voir derrière l’appui européen aux autorités en place des intérêts espagnols évidents. Un éditorialiste en vue déplorait même cette relation ambigüe en des termes clairs : L’Union européenne a décidé, la semaine dernière, de reprendre sa coopération, pleine et entière, avec la Mauritanie. Ainsi en a décidé son Conseil, réuni à Bruxelles (…) Pourtant, le 20 décembre dernier, avait été signée, à Nouakchott, par le directeur général de la Commission européenne, Stefano Manservisi, et Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, une déclaration d‘intentions qui disposait, en tête des engagements pris par le gouvernement mauritanien actuel, ceux concernant les « droits de l’Homme, les libertés et droits fondamentaux, la poursuite de l’ouverture des médias et l’amélioration du cadre légal, assurant une plus grande liberté d’association, et la dépénalisation des délits de presse ».Qu’a-t-on fait, de tout cela, pour mériter l’ouverture des vannes financières? Les médias officiels se sont-ils ouverts à l’opposition? A quel niveau se situe la loi libéralisant les ondes? A-t-on jamais évoqué la dépénalisation des délits de presse? Hanevy (un journaliste mauritanien) ne croupit-il pas, toujours, en prison, malgré l’expiration de sa peine? Où en est le dialogue entre le pouvoir et l’opposition? (…) Sans présumer des « efforts » de la France dont les intérêts ne sont, certes pas, moindres, c’est bien l’Espagne qui semble mener la danse, dans le tintamarre médiatique émanant du Palais ocre. L’Espagne qui, après avoir, très tôt, milité contre les sanctions, puis pesé, de tout son poids, pour que l’UE reprenne sa coopération avec la Mauritanie, parrainera, en avril prochain, une réunion des donateurs pour aider le pays. Faisant du contrôle des flux migratoires vers les Canaries une priorité « sécuritaire », Ould Abdel Aziz ne manquera pas, en retour, d’accorder toutes les facilités aux bateaux espagnols, lorsque l’accord de pêche avec l’UE arrivera à expiration. On se souvient, en outre, que c’était,. 8. Dépêche de l’agence France Presse, en date du mardi 06 octobre 2009.. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS. 5.

(11) Zekeria Ahmed Salem. précisément, l’argument sécuritaire, l’enrobage espagnol pour faire avaler le coup six-aoûtard, à ses partenaires de l’UE. C’est pourquoi l’enlèvement, le mois dernier, de trois humanitaires espagnols, sur la route Nouakchott-Nouadhibou, est venu, un peu, comme un cheveu sur la soupe. C’est ce qui explique que Ould Abdel Aziz fait tout son possible pour obtenir la libération de ceux-ci, avec grand bruit autour de négociations qui aboutiront, à terme, à la libération d’hommes qu’AQMI ou assimilés réclame, en échange des espagnols. La boucle est bouclée : les affaires sont les affaires9.. Cette dénonciation à peine voilée de la realpolitik motivée par la volonté de lutter contre l’immigration clandestine peut laisser entendre que certains acteurs de la société civile mauritanienne la regardent avec suspicion.. Cette instrumentalisation de l’enjeu migratoire est parfois dénoncée par l’opposition et la presse mauritaniennes. A cet égard, la lutte contre la migration irrégulière restera longtemps perçue comme une politique externe menée pour complaire à des partenaires étrangers dans le cadre d’arrangements politiques par définition fragiles au regard de la fragilité même du pouvoir d’Etat en Mauritanie. On peut seulement se demander en quoi cette situation peut délégitimer la politique de réduction des flux migratoires illégaux. Quelle que soit la motivation, le gouvernement mauritanien agit contre la migration irrégulière avec d’autant plus de détermination que des enjeux internes peuvent le motiver à le faire. Ainsi par exemple, devant le constat d’une recrudescence des actes terroristes dans le pays, des mesures de sauvegarde des frontières ont été prises qui pourraient servir également à lutter contre la migration clandestine et c’est bien ainsi que les autorités comptent les « vendre » à la fois auprès des populations qu’auprès des partenaires étrangers. En effet, Le gouvernement mauritanien a défini 35 nouveaux points de contrôle et de passage obligatoires sur les frontières, dans la perspective d’une meilleure maîtrise du mouvement des entrées et sorties à travers le territoire mauritanien. Cette mesure concerne les frontières avec le Sénégal, le Mali, l’Algérie et le Maroc. Un arrêté du ministère de l’intérieur, publié dans le journal officiel a appelé tous les étrangers qui ne seraient pas passés par l’un de ces points de « se mettre en règle » pendant leur séjour et à leur entrée en territoire mauritanien. « Tous ceux qui ne se seront pas conformés seront considérés en situation irrégulière… », indique cet arrêté. Cette disposition intervient à un moment où, face aux enlèvements d’étrangers survenus en novembre et décembres derniers, les autorités mauritaniennes ont envisagé de mettre en place un nouveau dispositif de surveillance des routes et des frontières à travers la mise en place des unités de surveillance et le déploiement de plusieurs unités mobiles de la gendarmerie. Pourtant, sur le plan institutionnel, la visibilité des dispositifs éventuels en Mauritanie n’est pas évidente. Il n’y a pas eu réellement de création de corps spécifiques ou d’organismes dédiés à la lutte contre la migration irrégulière. La question est traitée au coup par coup et généralement à la demande ou en application d’ententes tacites ou explicites bilatérales, généralement suscitées par le partenaire européen. Si l’on prend par exemple un dispositif comme le centre de rétention des immigrés clandestins de Nouadhibou, on se rend compte qu’il s’agit d’une infrastructure créée, supervisée et financée par l’Union européenne et l’Espagne en particulier. Autrement dit, si la législation a été revue pour cadrer avec les nouvelles dispositions relatives à la migration irrégulière, cette législation n’a pas été traduite par la création d’organismes spécifiques. Ce sont toujours des programmes et des organismes étrangers qui collaborent avec les autorités et les forces de sécurité mauritaniennes pour faire face au problème de l’immigration clandestine. L’institutionnalisation de cette politique publique est donc faible et son caractère externalisé reste prégnant. On peut parler davantage dans ce cadre de l’inscription de la migration irrégulière dans des programmes ou des agences gouvernementales existantes. C’est le cas de la gendarmerie, des gardes-frontières ou de la police, mais c’est aussi le cas de la Délégation à la Surveillance Maritime et au Contrôle en Mer (DSPCM) dont les prérogatives et le champ d’action ont été élargis à cet effet. Créée il y a plusieurs années pour prévenir et punir le. 9. 6. Editorial de l’hebdomadaire indépendant Le Calame, édition du 03 février 2010.. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS.

(12) La migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie : quelques aspects sociopolitiques. piratage halieutique10, cette agence issue de la Marine Nationale joue désormais un grand rôle dans la lutte contre l’immigration clandestine. De même, il n’y a pas réellement de sensibilisation à l’intérieur du pays sur l’immigration clandestine comme une infraction comme on peut en voir au Sénégal par exemple. Il est vrai que dans ce pays voisin de la Mauritanie que se recrutent les candidats à l’émigration clandestine en Espagne via la Mauritanie et les îles canaries. En tout cas, au sein de la population mauritanienne, l’adhésion à une politique de lutte contre la migration irrégulière est loin d’être acquise ou jugée prioritaire. Il est intéressant de noter que lorsque l’on s’entretient avec certaines franges des intellectuels mauritaniens ou des citoyens ordinaires, la question de légitimité, y compris religieuse, de la migration jugée irrégulière, se pose de façon récurrente.. La migration (irrégulière ou régulière) : un devoir religieux ? Les populations mauritaniennes sont porteuses d’un imaginaire culturel où les catégories de la légalité et de l’illégalité sont particulièrement souples11 en général et en particulier lorsqu’il s’agit des déplacements et des rapports avec l’étranger. Mais, surtout, en interrogeant des acteurs variés, on se rend compte que les individus ont un rapport complexe à la « criminalisation » de certains flux migratoires auxquels ses propres ressortissants populations s’adonnent à l’occasion, notamment en Afrique noire comme le prouve la pression migratoire actuelle exercée par de nombreux migrants mauritaniens voulant entrer en Angola par exemple. La place dans la culture islamique du voyage, de la mobilité et de l’accueil peut affecter l’adhésion des populations aux politiques menées. En effet, en plus d’être majoritairement de culture nomade, les sociétés locales sont profondément imprégnées de culture islamique dont on aurait tort, sous prétexte de ne pas succomber au culturalisme, à négliger l’impact sur les mentalités liées à la fraude migratoire. Car, localement, certains acteurs, sans être concernés directement par les questions migratoires, peuvent recourir à ce registre de justification qu’ils appliquent d’ores et déjà aux immigrés vivant en Mauritanie aussi bien qu’à leurs propres compatriotes tentés par le voyage à l’étranger de façon légale ou illégale. Nombre de Mauritaniens relativisent en effet le caractère ‘’irrégulier’’ de la migration illégale dans un pays où l’Islam est à la fois la religion officielle du peuple et de l’Etat. Sans faire un rappel historique de la perception de la migration dans l’imaginaire musulman, il convient de souligner que la migration (Al Hijra en arabe) renvoie à un registre religieux non seulement important, mais fondateur. L’appellation occidentalisée l’Hégire symbolise une date fondatrice pour le monde musulman qui correspond au commencement de l’ère musulmane en l’an 622 de l’ère chrétienne, date qui marque le départ en exil du prophète de l’Islam de la Mecque vers Yathrîb, l’ancien nom de Médine. Quelques années auparavant, le Prophète de l’Islam avait déjà ordonné, à deux reprises, à certains de ses premiers compagnons, afin d’éviter la persécution des Mecquois, de se diriger vers l’Ethiopie, où les rassura-t-il, ils jouiront de la clémence de cette contrée sous le commandement d’un Roi réputé pour être un Monarque Juste, en l’occurrence, Al-Najachi, le Négus. Tous ces voyages migratoires se sont déroulés sous le sceau du secret absolu. Ce qui, aujourd’hui, pourrait justifier, d’une certaine manière la clandestinité qui entoure la migration dans les sociétés musulmanes où la migration est un acte vertueux et supposé conduire vers des espaces et des univers porteurs de grands espoirs et de lendemains meilleurs. De plus, le voyage en tant que manifestation matérielle de la migration a été au cœur du débat et de la tradition islamique. On note le célèbre Hadith du prophète de l’Islam qui recommande le voyage : 10. 11. Sur cet aspect, voir mon étude récente Z. Ould Ahmed Salem « Les écueils du partenariat : l’Union européenne et les accords de pêche avec l’Afrique », Politique africaine, n°116, pp.23-42 Il faut mentionner la culture de la débrouille et de la fraude telle que je l’ai analysée dans mon étude intitulée « Tchebtchib et compagnie : lexique de la survie et figures de la réussite en Mauritanie », Politique africaine, n° 82, juin 2002, pp. 78-100.. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS. 7.

(13) Zekeria Ahmed Salem. ‘’Savirou tessihou we Taghnamou ’’, ce qu’on peut traduire par : “voyagez vous gagnerez en santé et ferez fortune.” Il est évident que cette parole du Prophète est une apologie et une invite salvatrice pour la migration pour tout Musulman dont le lieu de résidence lui refuse le minimum de moyen de subsistance. Quant au Coran, il mentionne en termes clairs l’obligation de la migration quand le Musulman est menacé dans sa pratique religieuse : « Ceux qui ont fait du tort à eux mêmes, les Anges enlèveront leurs âmes en disant : ‹Où en étiez-vous? › (à propos de votre religion) - ‹Nous étions impuissants sur terre›, dirent-ils. Alors les Anges diront : ‹La terre d'Allah n'était-elle pas assez vaste pour vous permettre d'émigrer? › Voilà bien ceux dont le refuge et l'Enfer. Et quelle mauvaise destination ! »12 La religion musulmane recommande formellement et d’une manière explicite, à maintes reprises à travers bien des hadiths prophétiques, à la communauté musulmane un traitement particulier, empreint de bonté, envers le voisin, fut-il d’une autre croyance que musulmane. A l’endroit du voisin, Le Prophète de l’Islam a recommandé un traitement de choix : ‘’ Celui qui croit en Allah et au jour dernier, qu’il honore son voisin’’13. Le migrant en transit même irrégulier bénéficie également du statut du voyageur en transit (âbiru al-sabîl) , celui-là dont Le Coran a recommandé le respect de ses droits et la bonté envers lui de la part de la communauté musulmane : ‘’Adorez Allah et ne lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers (vos) pères et mères, les proches, les pauvres, les orphelins, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur…’’14 La présence d’un tel référentiel religieux dans le rapport au voyage donc à la migration, au sein de l’imaginaire de la société musulmane a enveloppé l’acte migratoire d’une onction divine. En dehors de la naturalisation du voyage comme signe distinctif d’une culture nomade, il s’ajoute à cette interprétation l’assimilation du voyage à destination de contrées lointaines à la maturité nécessaire au passage à l’âge adulte. Les migrants sont élevés au statut des Grands hommes armés de bravoure. En opposition au statut de la femme dans la société mauritanienne, qui la confine et limite ses déplacements dans un rayon réduit et autorisé, le voyage requiert, dans une certaine acception sociétale une dimension masculine. Le migrant est d’ailleurs le plus souvent un homme. La migration devient alors synonyme d’expression virile dans l’imaginaire collectif : bien des hommes qui ne souscrivent pas à l’appel du voyage et qui optent pour rester dans le village, parmi les enfants, les femmes et les grandes personnes impuissantes, se trouvent la cible des railleries villageoises : on les compare volontiers aux chèvres, connues pour leur docilité domestique. En tout cas, on aurait bien tort de négliger ces aspects religieux et culturels dans une société où les actes quotidiens sont parfois le résultat de consultations des imams dans les quartiers et sur les gestes quotidiens de la vie économique et sociale. Surtout, lorsqu’on sait que la politique de lutte contre la migration irrégulière est perçue comme étrangère aux préoccupations des agents publics ou privés de la société mauritanienne, on peut saisir encore davantage ce qu’elle est dans les faits : un programme gouvernemental externalisé et lointain. Si, dans le contexte actuel, on ajoute à l’ensemble de ces éléments le poids croissant du soutien économique apporté par les immigrés aux familles dans le pays, on se rend compte de la distance sociale voire de l’hostilité que peuvent avoir les populations envers les démarches répressives envers la migration irrégulière. Pour leur part, les autorités ne manquent aucune occasion de proclamer que dans un pays où la loi musulmane (sharia) est source de toutes les législations, les thématiques migratoires sont abordées dans cet esprit de façon explicite. Par exemple, en décembre 2009, les autorités administratives et sécuritaires dans trois régions de Mauritanie ont initié à Nouakchott une journée de sensibilisation sur le droit d’asile et la protection des flux migratoires mixtes. Cette sensibilisation organisée par le ministère mauritanien de l’intérieur et de la décentralisation avec le concours du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) visait les responsables concernés dans les régions de Nouakchott, Nouadhibou et Rosso, qui reçoivent 12 13 14. 8. Le Coran, Sourate 5 (An-Nisa’), Versets 97-99 Tous les hâdiths sont tirés du recueil d’Al Bukhâri et Mûslîm. Le Coran, Sourate 5 (An-Nisa’), Verset 36. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS.

(14) La migration irrégulière de, vers et à travers la Mauritanie : quelques aspects sociopolitiques. le plus grand nombre d’étrangers. Elle permettra de faire connaître les principales innovations juridiques sur l’asile et la protection des réfugiés selon la sharia (législation islamique) et le droit national et international. Prenant la parole à cette occasion, Mohamed Abdellahi Ould Zeidane, chargé de mission au ministère de l’intérieur et de la décentralisation en Mauritanie, a annoncé la mise en place d’une « commission nationale consultative sur les réfugiés chargée d’étudier les demandes d’asile ». 59 demandeurs d’asile ont déjà bénéficié de ce statut en deux vagues, l’une en janvier 2008 et l’autre en décembre 2009, a-t-il précisé. De son côté, la représentante du HCR à Nouakchott, AnneMarie Deutschlander-Roggia, faisait également référence aux valeurs culturelles en expliquant que « la notion d’asile dans son essence, comme celle d’hospitalité, renvoie à la relation avec l’étranger qui, dans certaines conditions de vulnérabilité, approche une communauté donnée et demande à bénéficier de sa protection » .15. Conclusion Nonobstant leur caractère régulier ou irrégulier, les mobilités font partie de ces réalités intemporelles qui s’imposent avec encore plus de force dans le contexte de la globalisation. Si la question de la reconnaissance d’un droit à la mobilité se pose de plus en plus, c’est parce que, fondamentalement, les sociétés humaines n’ont jamais cessé de croître et de se renforcer par une adaptation opportune aux incessants flux migratoires. Les formes nouvelles de la mondialisation ont modifié les motivations des candidats au déplacement en même temps qu’elles entraînaient un changement dans le sens des grands courants de circulation.. La compréhension de ces phénomènes et la définition des enjeux contribuent aussi à l’élaboration de politiques publiques mieux adaptées aux cadres politiques des pays d’origine, de transit et d’accueil. On peut être attentifs notamment à l’histoire, aux capacités des Etats, à leurs contextes politiques particulier mais aussi aux contextes culturels et aux imaginaires de la mobilité. Nous avons tenté ici d’illustrer quelques unes de ces impératifs avec le cas d’un pays érigé par les changements de la problématique migratoire en lieu d’imagination et d’action à la fois pour les candidats à la migration irrégulière et les Etats désireux de contrecarrer leurs projets. L’ambivalence des attitudes par rapport au caractère légitime ou illégitime de la transgression des barrières frontalières nous a permis d’en exposer la dimension ambigüe au-delà des instrumentalisations et des appropriations, des succès ou des échecs de la politique répressive suivie en la matière.. 15. Selon une dépêche de l’Agence de presse africaine citée par www.cridem.org, consulté le 17 décembre 2009.. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS. 9.

(15) Zekeria Ahmed Salem. BIBLIOGRAPHIE Bâ Cheikh Omar, Choplin Armelle, «‘Tenter l’aventure’ par la Mauritanie : migrations transsahariennes et recompositions urbaines », Autrepart, n°36, 2005, pp. 21-42 Bensaad Ali, « L’irrégularité de la Migration en Mauritanie : une appréhension nouvelle, conséquences d’enjeux migratoires externes », CARIM Notes d’Analyse et de Synthèse, 2000/76. Lire aussi Ould Ahmed Salem Zekeria « Tcheb-tchib et compagnie : lexique de la survie et figures de la réussite en Mauritanie », Politique africaine, n° 82, juin 2002, pp. 78-100. Ould Ahmed Salem, Zekeria, «Les écueils du partenariat : l’Union européenne et les accords de pêche avec l’Afrique », Politique africaine, n°116, pp.23-42 Ould Ahmed Salem Zekeria, « Genèse des frontières et question migratoire en Mauritanie », , CARIM Notes d’Analyse et de Synthèse, Février 2010 (à paraitre). Streiff-Fénart Jocelyne, Poutignat Philippe, « De l’aventurier au commerçant transnational, trajectoires croisées et lieux intermédiaires à Nouadhibou (Mauritanie) », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], vol. 73 | 2006, mis en ligne le 19 octobre 2007.. 10. CARIM-AS No.2010/58 © 2010 EUI, RSCAS.

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