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Chapitre IV. La crise malienne: entre guerre et négociation 1-

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Chapitre IV. La crise malienne: entre guerre et négociation

1- "War on Terror" au Sahel: évolution de la stratégie et approche comparative avec l'Union Européenne de lutte contre le terrorisme

L’intervention entamée par la France au Mali en janvier 2013 est symptomatique de la progressive remilitarisation des termes de l’échange entre les puissances occidentales et les pays du Sud1. Initié au lendemain de la fin de la guerre froide, ce processus marque une rupture avec le relatif équilibre mondial qui avait prévalu durant le demi-siècle précédent. Il peut néanmoins se comprendre dans une temporalité plus longue: l’interventionnisme des «grandes puissances» s’inscrit dans une périodicité cyclique, révélatrice du rapport durable de domination entre la métropole et la périphérie, renvoyant à une tendance qui s’était déjà manifestée aux XIXe et XXe siècles2. Au lendemain du 11 septembre est apparu un prêt-à-penser sécuritaire agencé dans une nouvelle mise en scène de la conflictualité: face à des groupes armés identifiés comme «terroristes» et hostiles à l’Occident, une volonté s’est manifestée de porter la guerre dans leurs sanctuaires pour les faire disparaître. Les approches américaine et européenne pour le Sahel offrent des perspectives réelles dans la lutte contre les facteurs d’insécurité, à travers la prise en compte de problématiques comme la lutte contre l’extrémisme violent, dans une région confrontée à une poussée de l’Islam radical depuis une vingtaine d’années. Tant les États-Unis que l’Union européenne ont développé pour le Sahel des approches destinées à agir à la fois au niveau des institutions militaires et civiles.

Dans les deux cas leur élaboration n’a pas été aisée et s’est faite progressivement. L’Union européenne (UE) a adopté en 2011 une approche régionale et globale associant sécurité et développement pour répondre aux défis de la région du Sahel. Cette stratégie, dont la mise en œuvre commence à peine, n’est pas sans évoquer celle des États-Unis dans le cadre du Partenariat transsaharien pour la lutte contre le terrorisme

(Trans-Sahara Counter Terrorism Partnership -TSCTP), le principal programme américain

dans la région du Sahara. Destiné à renforcer les capacités des États de la région, ce

1

M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit., p. 58.

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dernier ambitionne en effet d’agir à la fois dans les domaines politiques, sécuritaires, économiques et culturels.

L’intérêt politique et militaire des États-Unis pour l’Afrique est antérieur aux attentats du 11 septembre 2001, comme en témoigne la mise en place dès 1996 par le Secrétariat d’État de l’ACRI (Africa Crisis Response Initiative)3

, programme destiné à renforcer les capacités de gestion de crise d’États africains volontaires. Plusieurs États d’Afrique subsaharienne ont répondu positivement dont le Mali, le Sénégal, le Kenya, la Côte d’Ivoire et l’Ouganda. Quelques années plus tard, la priorité accordée à la lutte contre le terrorisme et la crainte de voir la région devenir un espace de recrutement et de formation de terroristes ont sensiblement accru l’intérêt de Washington pour l’espace saharo-sahélien. En 2002, les Américains lancent l’Initiative Pan-Sahel (Pan-Sahel

Initiative -PSI) pour renforcer les forces armées de plusieurs pays: Mauritanie, Mali,

Niger et Tchad4. Dotée d’un budget de 8 millions de dollars, elle est destinée à équiper et à former dans chacun des quatre pays au moins une compagnie de 150 hommes, interopérables entres elles5. En 2005, le PSI est remplacé par le Partenariat transsaharien pour la lutte contre le terrorisme qui regroupe, outre les quatre pays sahéliens membres du PSI, l’Algérie, le Burkina Faso, le Maroc, le Nigeria, le Sénégal et la Tunisie. La Libye, invitée à intégrer le dispositif, a décliné la proposition, préférant s’engager dans des projets impliquant seulement les pays de la région et estimant pouvoir combattre par ses propres moyens le terrorisme sur son sol. Plus ambitieux que le PSI, le TSCTP est un programme inter-agences placé sous la direction du Département d’État. Il inclut l’Agence américaine pour le développement international (USAID), le Département de la Défense, le Département du Trésor et le Bureau fédéral d’investigation (FBI). Le volet civil comporte notamment des actions dans le domaine éducatif et la lutte contre l’extrémisme et la radicalisation, ou encore un renforcement des efforts dans l’utilisation des trésoreries nationales.

Le volet militaire du TSCTP est plus particulièrement assuré par l’Operation Enduring

Freedom-Trans Sahara (OEF-TS, renommée Operation Juniper Shield), placée sous le

commandement de l’AFRICOM (United States Africa Command), qui dirige les forces

3 L.-A. Ammour, G. Berghezan (eds.), op.cit., pp. 78-79. 4

Ivi, p. 79.

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américaines en Afrique, créé en 2007 et basé à Stuttgart en Allemagne6. Cet aspect du TSCTP repose concrètement sur deux actions. La première est destinée à améliorer l’efficacité des forces locales par le biais du partage de renseignements, des programmes de formation, le renforcement de l’interopérabilité ou la fourniture d’équipements. La seconde contribution américaine consiste à renforcer la coopération militaire en Afrique avec la tenue régulière d’exercices réunissant les forces armées des États-Unis, d’États d’Afrique du Nord et subsaharienne, ainsi que de plusieurs pays membres de l’OTAN comme la France et l’Espagne. Ces manœuvres, appelées

Flintlock,7 se déroulent chaque année au Sahel depuis 2005, exception faite de l’année 2012 (Flintlock devait se tenir entre le 27 février et le 18 mars 2012 au Mali, mais les combats entre forces maliennes et rebelles Touaregs ont conduit à son annulation). De l’autre côté de l’Atlantique, il faut attendre 2008 et la présidence française de l’Union européenne pour voir la question du Sahel devenir une priorité dans l’agenda européen de politique étrangère. Ce sont précisément les préoccupations exprimées dans le Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale, alors récemment rendu public, qui vont guider les décideurs de Bruxelles8. La vulnérabilité des États de la région sahélienne ainsi que leur faiblesse pour s’opposer aux rébellions, trafics, flux de migrants illégaux et actes de terrorisme représentent des dangers pour l’espace saharo- sahélien et le Vieux Continent. Le projet d’Union pour la Méditerranée (UpM), mal accueilli des deux côtés de la Grande Bleue , échoue toutefois à mobiliser l’Union européenne sur les enjeux de la région. Les révoltes arabes ayant touché en particulier la Tunisie en 2011, la Libye en 2012, ainsi que la crise malienne en 2013 et le désordre qui s’en est suivi en Afrique subsaharienne ont mis en évidence les défaillances du système Euro-méditerranéen dans la mesure où celui-ci n’a pas fonctionné comme espace de dialogue et de conciliation dans les crises ayant affecté ces sociétés et ne prévoyait pas de dispositif efficace d’aide économique et financière en direction des pauvres pays du Sahel. Hormis la France qui a des liens particuliers avec ces pays, en tant qu’ancienne métropole, les autres membres de l’UE s’intéressent peu à cet espace désertique jusqu’à ce que l’insécurité sahélo-saharienne soit devenue un enjeu important pour l’Europe dans son ensemble. Les stratèges maghrébins et européens intègrent désormais la donne sahélienne dans leurs stratégies méditerranéennes. Si, pour le Maghreb, le Sahel

6 Ibidem. 7

Ivi, p. 80.

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constitue sa profondeur méridionale naturelle, pour l’Europe elle en constitue une nouvelle ligne de frontière entre la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne. Mais, pour les deux rives, le Sahel avec ses frontières longues et poreuses est une source de danger et d’insécurité. Les enjeux euro-méditerranéens, qu’ils soient stratégiques, économiques ou sécuritaires trouvent ainsi leur prolongement naturel et historique dans l’espace sahélien.

Dans ce contexte, les critiques françaises selon lesquelles l’UE n’a pas fait preuve de solidarité concrète avec Paris dans son intervention militaire au Mali sont à relativiser. Le Sahel est présenté par les diplomates européens eux-mêmes comme la «frontière géopolitique» de l’extrême sud de l’Union européenne. Mais par rapport à l’action française au Mali, il y a comme un partage des rôles, le «hard power» étant laissé à la France alors que l’UE concentre son action, en tant que puissance douce, sur la diplomatie, l’aide humanitaire et le développement9

. Consciente que l’instabilité du Sahel finira par se propager aux pays voisins de l’Europe et au sein même de son territoire, l’UE a, dès mars 2011, élaboré une stratégie globale face à la crise dans cette région. Cette stratégie se veut cohérente et complémentaire avec les approches des autres acteurs régionaux et extrarégionaux. Elle se base sur l’hypothèse selon laquelle sécurité et développement sont intimement liés et que la crise complexe qui frappe le Sahel nécessite une coopération régionale étroite. En réalité, l’UE s’est préoccupée depuis l’année 2000 de la détérioration de la situation politique, sécuritaire, humanitaire et des droits de l’homme dans la région du Sahel, mais les crises libyenne et malienne l’ont exacerbée. C’est néanmoins au cours de la présidence française de l’UE en 2008 que cette dernière a réellement commencé à se soucier de la situation chaotique prévalant dans cette région. Plus sensibles que leurs partenaires européens à l’égard du pré carré sahélien, les Français ont mis à profit leur passage à la tête de l’Union pour les sensibiliser sur l’urgence d’un véritable engagement communautaire dans le Sahel. La Stratégie européenne pour le Sahel est ambitieuse10. Elle vise à «s’attaquer aux causes profondes de l’extrême pauvreté» et à «créer des conditions propices pour des perspectives économiques et le développement humain» en rétablissant notamment «des

9 A. Baghzouz, Le Maghreb et l’Europe face à la crise du Sahel : Coopération ou rivalités ?, “L’Année

du Maghreb”, 2013, 173-192 (disponible sur: https://anneemaghreb.revues.org/1898).

10 Pour plus de détails sur la stratégie, voir A. Tisseron, Lutte contre l’insécurité au Sahel. Quelle plus-value pour la nouvelle stratégie européenne ?, “Institut Thomas More”, 26 mars 2012 (disponible sur:

http://www.institut-thomas-more.org/fr/actualite/lutte-contre-linsecurite-au-sahel-quelle-plus- value-pour-la-nouvelle-strategie-europeenne.html).

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conditions de sécurité»11. L’objectif est donc d’adopter une «approche globale» en s’attaquant simultanément aux problèmes de développement et de sécurité (par la mobilisation des instruments adéquats dans ces domaines) afin de «prévenir» la détérioration de la situation politique, humanitaire et sécuritaire12. Lors de son lancement, elle vise à agir précisément dans trois pays -la Mauritanie, le Mali et le Niger-, avec une ambition affirmée à s’étendre dans la région. Quatre champs d’action sont identifiés: le développement, la bonne gouvernance et la résolution des conflits internes ; l’action politique et diplomatique ; la sécurité et l’État de droit ; la lutte contre l’extrémisme violent. Ce dernier pilier est crucial car il est nouveau et il implique d’agir sur le plan psychologique suivant un slogan à la mode ces dernières années: «gagner les cœurs et les esprits»13

.

Malgré le dynamisme européen et américain sur les questions de lutte contre le terrorisme et la radicalisation, la mise en œuvre et le résultat des programmes d’action font l’objet de réserves voire de critiques. Les critiques adressées au TSCTP ne sont pas nouvelles. Elles sont antérieures à l’effondrement en 2012 du Mali, pourtant considéré comme la priorité de la coopération américaine dans la région. Faisant suite aux recommandations du Government Accountability Office (GAO), le bureau Afrique de l’United States Agency for International Development (USAID) a lancé en 2010 une évaluation de la lutte contre l’extrémisme dans trois pays: le Mali, le Niger et le Tchad14. Selon les évaluateurs, certains programmes ont un impact, notamment les émissions radiophoniques promouvant la paix et la tolérance. Mais dans le même temps, sur la violence au nom de l’Islam, l’action d’Al-Qaida ou encore la perception des États-Unis, les réponses aux sondages montrent les limites des actions menées. Par exemple, les interventions américaines sont encore souvent perçues comme menées pour combattre l’islam et non des groupes terroristes. Deuxième limite, les populations locales ont manifesté lors des entretiens d’évaluation des attentes fortes en ce qui concerne le développement des entreprises et de l’emploi. Une réaction qui témoigne d’une perception des programmes du TSCTP en décalage avec leur objectif initial: faire émerger des leaders modérés et des voies alternatives pour résoudre les tensions et non offrir des emplois et une vie meilleure. Faute d’un véritable «Plan Marshall» pour le

11 L.-A. Ammour, G. Berghezan ( eds.), op.cit. p. 81. 12 Ivi, p. 82.

13

Ibidem.

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Mali, qui s’appuierait sur la société civile et non sur des programmes imposés de l’extérieur, et sans une lutte résolue contre la corruption et les trucages électoraux, les mêmes événements produiront les mêmes effets et entretiendront les causes profondes de la crise malienne15.

L’UE est décidée à agir selon une approche globale reposant sur une articulation entre le développement et la sécurité. Mais plusieurs facteurs l’en empêchent, à commencer par le manque de compétences sur le plan des questions sécuritaires et plus précisément de la lutte contre l’extrémisme. Il est d’ailleurs révélateur de voir que la réflexion se prolonge toujours en décembre 2012 (soit quatorze mois après la publication de la stratégie EU-Sahel) sur la façon de contrer la diffusion de l’idéologie islamiste. Il s’agit à la fois d’une question sécuritaire et d’une question culturelle sur lesquelles les membres des délégations n’ont aucune d’expérience. En outre, il est politiquement difficile de s’attaquer à des problèmes qui touchent à la religion. Les difficultés de la mise en œuvre de la stratégie européenne au Sahel ne sauraient être dissociées de celles de la politique étrangère européenne en général. L’Europe peine en effet à avoir une politique étrangère forte et déterminée, faite de positions cohérentes et d’actions clairement définies16. Certes, le traité d’Amsterdam de 1997 a prévu la création de «stratégies communes» destinées à doter l’Union d’une vision plus large ne se limitant pas à de simples réactions souvent tardives sur les dossiers internationaux, et en prévoyant la nomination d’un haut représentant pour la PESC, pour garantir une cohésion d’action. Mais la crise du Mali et la réaction jugée mitigée de l’UE ont confirmé les limites de la cohérence globale de l’action européenne.

2- L'intervention militaire française au Mali: au-delà de la Françafrique

La France a déclaré la "guerre contre le terrorisme", en lançant le 11 janvier 2013 une intervention armée au Mali. L’élément qui a été à l’origine de l’intervention française a été la subite offensive à partir du 7 janvier 2013 de plusieurs groupes de «djihadistes» d’Ansar Eddine et d’AQMI vers le sud du Mali, franchissant la ligne de démarcation théorique et symbolique séparant géographiquement le nord du sud du Mali depuis la prise des villes du Nord par les islamistes au printemps 2012. Le 10 janvier, la ville de Konna, à 500 kilomètres de Bamako, était aux mains de ces groupes.

15

M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit. p. 89.

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Les craintes étaient doubles. Soit, les voir poursuivre leur action jusque Bamako, d’autant plus que les forces armées maliennes avaient fui face aux «djihadistes», démontrant ainsi leur incapacité à défendre le sud du territoire malien, après avoir déserté la partie nord au printemps 2012. Soit, les voir prendre la ville de Sévaré et de son aéroport international, élément hautement stratégique, ce qui risquait de rendre très difficile la reconquête du Nord par les forces maliennes et africaines. C’est suite à ces constats que la France a décidé d’intervenir militairement. La France est intervenue à la demande d’aide du président malien par intérim, Dioncounda Traoré, formulée oralement le 9 janvier puis dans une lettre le 10 janvier. L’opération Serval a également été conforme à l’esprit17 de la résolution 2085 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité le 21 décembre 2012, après négociations notamment entre les Américains et les Français, ces derniers étant les auteurs principaux de ce texte. La résolution autorise le déploiement d’une Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) «sous conduite africaine» et «pour une durée initiale d’une année»18

. Pour autant, la résolution n'est pas la seule base légale sur laquelle peut s'appuyer le gouvernement français. En effet, Paris a mis en avant l'article 51 de la charte de l'ONU qui mentionne «le droit de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée»19. Le Mali a bien été agressé par les «djihadistes», qui ont pris possession de places fortes au nord du Mali, comme à Gao et Kidal, et continuaient leur poussée vers le Sud. Mais le pays était incapable d'exercer sa légitime défense, en raison de l'état de son armée. Il a donc fait appel à l'armée française, qui exerce ici une «légitime défense collective»20. En l’absence d’un mandat explicite du Conseil de sécurité au-delà de ces dispositions, nombreux sont les observateurs qui se sont demandé si l’intervention française entrait dans un cadre onusien. Mais on peut aussi se demander si un tel débat importe réellement quand on sait avec quelle facilité les normes internationales sont contournées par les «grandes puissances»21. Le «grand

17

B. Adam, Mali: de l’intervention militaire française à la reconstruction de l’État, “GRIP”, 2013 , p. 8 (disponible sur: http://www.un.org/press/en/2012/sc10870.doc.htm).

18 Les objectifs premiers de cette MISMA sont précisés comme étant les suivants: aider à reconstituer la

capacité des forces de défense maliennes, aider les autorités maliennes à reprendre les zones du Nord et passer progressivement à des activités de stabilisation afin de renforcer l’autorité de l’État. Voir M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit., p. 71.

19 D. Roucaute, Mali: l'opération "Serval" est-elle légale ?, “Le Monde”, 14/01/2013 (disponible sur:

www.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/14/mali-l-operation-serval-est-elle-legale_1816877_3212 .html).

20

Ibidem.

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jeu contemporain»22 se caractérise par la liberté que les puissances ont de moduler leur intervention en suscitant peu d’interrogations.

Cultiver l’ambiguïté quant aux termes de l’engagement apparaît en effet comme une dimension cruciale qui permet à l’acteur interventionniste, quelles que soient ses contradictions, de ne jamais se retrouver prisonnier du processus dans lequel il est engagé. En l’espèce, les autorités françaises maintiennent initialement une position en retrait: «Il n’y aura pas de troupes françaises engagées (au Mali)», déclare le président François Hollande le 11 octobre 2012, précisant: «Nous ne pouvons pas intervenir à la place des Africains»23. Une fois les troupes sur le terrain, c’est la durée de l’intervention qui fait l’objet d’une ambiguïté tactique: «La France restera le temps qu’il faudra»24

, indique le président Hollande le 2 février 2013. Les positions qui s’expriment au sein de la «communauté internationale» au lendemain de l’intervention française sont-elles, elles aussi, marquées par une forte ambiguïté. Bien qu’ils se soient montrés réservés, voire critiques, les États-Unis fournissent une aide militaire et financière à l’intervention française (et inaugurent simultanément l’ouverture d’une base de drones située au Niger)25. De même, l’Allemagne a d’abord entretenu l’ambiguïté dans son soutien à la France, avant de la soutenir elle aussi. La même logique s’applique aux pays de la région, notamment l’Algérie qui, en dépit d’une opposition publique au projet d’intervention, autorise le survol de son territoire26

. Cette dualité se retrouve enfin aux Nations unies: alors que son secrétaire général, Ban Ki-moon, prévenait le 28 novembre 2012 qu’une intervention militaire mal conçue et exécutée «pourrait aggraver une situation humanitaire déjà extrêmement fragile et entraîner également des graves violations des droits de l’homme»27, l’ONU soutien l’opération française quelques semaines plus tard. De la même façon qu’au XIXe siècle, la compétition coloniale était émaillée d’intrigues qui ne remettaient pas en cause fondamentalement les règles du jeu, aujourd’hui les autres puissances modulent minimalement leur soutien, afin certes de limiter les dividendes que pourrait tirer leur allié de telle ou telle opération, mais sans remettre en question le principe de l’ingérence en soi28

. Quand le président François Hollande justifie l’intervention au Mali par la «guerre au terrorisme» international, cela 22 Ivi, p. 72. 23 Ibidem. 24 Ivi, p. 73. 25 Ibidem. 26 Ibidem. 27 Ibidem. 28 Ibidem.

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rappelle évidemment la rhétorique bushienne de son prédécesseur, dans la filiation néoconservatrice nord-américaine des interventions militaires dans les pays du Sud. Au-delà des objectifs officiels déclarés, certains se sont demandé si on assistait à un retour de pratique de la Françafrique:

La Françafrique -concept repris par François-Xavier Verschave29 à …Félix Houphouët-Boigny, dans une acception critique bien différente !- pourrait se définir par l’intrication complexe de différents facteurs: indépendance formelle des ex-colonies africaines et dépendance politico-militaire vis-à-vis de Paris, monopole français des matières premières, liens économiques et monétaires privilégiés et présence de «coopérants» ; cette «indépendance» dans l’interdépendance paraît l’essence du pacte colonial (…) Ainsi, quelles que soient les justifications immédiates des conflits récents, force est de constater que la continuité prévaut et que la France est bien en retard d’une décolonisation, même si ce système n’a cessé d’évoluer depuis l’époque de Jacques Foccart: alors qu’il dégénérait en partie dans une forme de criminalité, comme l’ont notamment illustré l’affaire Elf (ou l’«Angolagate»)30

, la rhétorique officielle française a tenté de «moraliser» les relations franco-africaines en insistant en particulier sur la nécessaire «démocratisation» des régimes partenaires, sur la «bonne gouvernance» ou sur la «transparence».31

Les quarante-huit interventions françaises en Afrique depuis 1960 (date des «indépendances» de beaucoup de pays francophones) s’inscrivent dans la longue durée de la Françafrique32. Ancienne puissance coloniale, la France a maintenu des liens étroits avec les pays de la zone. La relation revêt un caractère multiforme favorisé par le partage de la langue commune. La relation française à l’Afrique résulte d’évolutions délicates et débattues depuis trente ans, entre normalisation, retrait, et (ré)engagement. Dans ce cadre, le Mali, qui avait partiellement échappé au système françafricain sous la présidence de Modibo Keita (1960-1968), fut présenté comme un «modèle» dans les années qui suivirent le renversement, en mars 1991, du dictateur Moussa Traoré (1968-1991). Les présidences d’Alpha Oumar Konaré (1992-2002) et d’Amadou Toumani Touré (2002-2012) renvoyaient une image positive de l’Afrique francophone. Mais, derrière la façade, la situation sociale, politique et sécuritaire ne cessait de se dégrader:

29 F.-X. Verschave, La Françafrique. Le plus long scandale de la République, Paris, Stock, 1998. 30

Sur l’affaire Elf voir par exemple P. Robert-Diard, Mieux qu'un polar: l'Angolagate, “Le Monde,” 05/08/2008 (disponible sur: http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/08/05/mieux-qu-un-polar-l-angolagate_1080343_3224.html).

31

M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit., pp. 84-85.

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corruption endémique des élites, dysfonctionnements de l’appareil militaire, misère économique des populations, résurgences des rébellions au nord du pays. Ces facteurs conjugués expliquent l’écroulement de l’État malien en 2012. Nombre d’observateurs ont souligné la lourde responsabilité de la France dans la genèse de la crise malienne, comme par exemple Danièle Rousselier, attachée culturelle à Bamako de 2007 à 2009: «Au nom de la "bonne gouvernance", nous avons été complices d’un État malien prédateur, appuyé sur une "société civile" artificielle profitant de la faiblesse et de la corruption du régime pour s’enrichir à vive allure sur le dos du pays»33

. Dans ce contexte, les campagnes de presse et l’instrumentalisation des médias semblent un préalable à l’intervention diplomatique et politique, avant l’intervention militaire elle-même. C’est dans le même souci de «maquillage», et singulièrement pour masquer le caractère néocolonial de la politique français, que l’on peut ranger la volonté croissante de la France d’impliquer politiquement, financièrement et militairement ses partenaires, africains et occidentaux, dans ces interventions militaires à l’étranger, en particulier dans ses anciennes colonies africaines.

Les interventions françaises en Afrique menées sous la présidence de François Hollande semblent marquer une forte continuité avec la tradition interventionniste des présidents qui l’ont précédé. Cependant si la Françafrique ne «meurt» pas réellement, elle évolue par des changements de pratiques, qu’il faut chercher dans les usages du politique au quotidien et dans les convictions personnelles des acteurs choisis pour mener les politiques. Deux ou trois périodes se succèdent et marquent l’évolution de la politique africaine de la France depuis l’élection de 2012: «Hollande 1» se distingue par un effort de normalisation de la relation ; «Hollande 2» est caractérisée par les interventions militaires au Mali et en République centrafricaine (RCA) ; et peut-être «Hollande 3», avec un renforcement de la diplomatie économique à la suite de l’intégration du Commerce extérieur au ministère des Affaires étrangères34. C’est lors du discours de Dakar, le 12 octobre 2012 que François Hollande annonce une nouvelle donne des relations avec le continent africain: «Le temps de la Françafrique est révolu: il y a la France, il y a l’Afrique, il y a le partenariat entre la France et l’Afrique, avec des

33 Ivi, pp. 85-86.

34 A. Leboeuf, H. Quénot-Suarez, La politique africaine de la France sous François Hollande, renouvellement et impensé stratégique, “Ifri”, 2014, p.3 (disponible sur: https://www.ifri.org/sites/default/

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relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité»35. Le discours sur la fin de la

Françafrique est banal, presque incantatoire: «Mitterrand et Sarkozy avaient aussi

proclamé la fin de la Françafrique, puis leurs partisans avaient fini par [y] revenir» rappelle Yves Gounin dans une analyse au Monde36.

Au début de son mandat présidentiel, François Hollande a essayé de mettre de la distance entre la France et les pays africains ne respectant pas les règles de bonne gouvernance (Hollande 1). Progressivement, mais surtout avec le Mali (Hollande 2), ces efforts ont été mis de côté au profit d’un discours sur «l’Afrique aux Africains», formulé en termes d’appropriation et respectueux, par nécessité, des pouvoirs en place. Ce discours est ancien et date des années Lionel Jospin mais il prend une importance accrue aujourd’hui37

. Cette nouvelle dynamique traduit la forte dépendance française vis-à-vis de ces pouvoirs africains. Suite à son élection, François Hollande, et son équipe, ont tenté de mettre en place une nouvelle relation avec les décideurs africains, normative, valorisant les décideurs africains «bien élus» et la bonne gouvernance tout en essayant de marginaliser, au moins en partie, les caciques du «pré-carré»38. Au-delà de l’aspect un peu «sanction» des mauvais élèves (qui pourrait être lu comme encore très néocoloniale), il s’agit de mettre en place une relation de partenariat, d’égal à égal, «à hauteur d’homme» ou même entre «amis».39

Conséquence de cette approche, Paris favorise les démocrates tout en adoptant une posture de distanciation avec les décideurs africains «mal élus», même si François Hollande a reçu à Paris les présidents du Tchad (Idriss Déby), du Gabon (Ali Bongo) et du Togo (Faure Essozimna Gnassingbé). Comme on le dit alors à l’Élysée: «Notre ligne n’est pas de rompre les relations avec eux, mais nous ne leur déroulerons pas le tapis rouge»40.

Avec le Mali, la politique africaine de la France change et commence «Hollande 2» et l’ère de la dépendance réciproque. La thématique de la bonne gouvernance disparaît alors presque complètement et on observe un «retour à une vision mitterrandienne de l’Afrique sans les réseaux», guidée par la préservation des intérêts davantage que par des normes. Toutefois, «Hollande 2» se distingue de l’époque mitterrandienne par le

35 Ivi, pp. 7-8. 36 Ibidem. 37 Ivi, p. 21. 38 Ibidem. 39 Ibidem. 40 Ivi, p. 22

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rôle central que jouent les Africains dans la politique africaine de la France41. On retrouve un discours déjà présent depuis le milieu des années 1990, hérité du panafricanisme, «l’Afrique aux Africains», et qui s’est incarné notamment dans le projet de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP): la coopération militaire française doit désormais permettre aux Africains et aux organisations régionales africaines de mieux gérer «leurs» crises. Ce discours est devenu omniprésent dans la relation. L’influence, le pouvoir de décision et la volonté française semblent désormais au deuxième plan, cantonnés dans un rôle de «soutien» aux décisions des Africains et non plus de décideur. Il s’agit de redonner aux acteurs locaux et régionaux la main sur les interventions militaires françaises, afin de les relégitimer mais aussi de compenser les faiblesses françaises, dans la mesure où la France n’est plus en mesure de stabiliser un pays seule, que ce soit au Mali ou en République Centrafricaine (RCA)42. Ainsi, pour la France, la participation de forces africaines en Côte d’Ivoire hier, au Mali et en RCA aujourd’hui est essentielle, non seulement militairement (exemple des forces tchadiennes au Mali, qui ont joué un rôle central dans la guerre contre les groupes armés djihadistes du Nord), mais aussi politiquement. Cette posture s’explique par une réduction des moyens français, notamment en termes de coopérants militaires, dont le nombre a été divisé par deux depuis 199843. Elle s’inscrit ainsi en continuité avec l’effort de multilatéralisation de la politique africaine de la France depuis les années 1990.

La France aujourd’hui a besoin de relais politiques et militaires. Avant d’agir, elle recherche une validation internationale, «un certificat de cause légitime»44. Lorsque le président François Hollande annonce que les forces armées de son pays ont entamé des opérations militaires au Mali pour libérer ce pays du joug des groupes armés, une étape importante est franchie dans la normalisation de l’intervention militaire comme mode de réponse aux crises internationales. Après l’effondrement du bloc soviétique, l’interventionnisme occidental (théorisé en un «droit d’ingérence» dès 1987 et précisé en une «responsabilité de protéger» en 2001)45 se manifestera tous azimuts: en Somalie 41 Ivi, pp. 23-24. 42 Ivi, p. 24. 43 Ivi, p. 25. 44 Ibidem.

45 Voir E.-M. Mbonda, Responsabilité de protéger et éthique de l’intervention humanitaire armée, réflexions éthiques et juridiques à partir du cas libyen, “Institut Afrique Monde”, 21/01/2015 (disponible

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en décembre 1992 (États-Unis), au Rwanda en juillet 1994 (France), à Haïti en juillet 1994 (États-Unis), au Timor en septembre 1999 (Australie), en Yougoslavie en mars 1999 (OTAN), en Afghanistan en octobre 2001 (États-Unis et Grande-Bretagne), en Irak en mars 2003 (États-Unis et Grande-Bretagne), en Côte d’Ivoire en novembre 2004 et en avril 2011 (France), en Libye en mars 2011 (OTAN) et au Mali en janvier 2013 (France). Dès alors, le nouveau grand jeu se caractérise moins par une division du monde en aires de contrôle direct, comme cela avait été autrefois le cas avec la Conférence de Berlin qui inaugura en 1885 la «ruée vers l’Afrique», que par la normalisation d’une nouvelle grammaire des relations internationales mettant hors-jeu la diplomatie et consacrant l’usage de la force pour le règlement des différends.46

Ce faisant, elle permet aux États puissants de conclure, dans une logique circulaire, à la nécessité du recours à l’intervention militaire. L'enjeu est d'ordre géopolitique: il s'agit bien pour la France de conserver une aire d'influence en Afrique, quitte à mettre sous tutelle les États, à cautionner des pouvoirs sans légitimité47. Antoine Glaser, dans son livre «AfricaFrance»48, démontre avec efficacité que la relation entre Paris et les capitales africaines n’est pas à sens unique, Paris ayant peut-être plus besoin des décideurs africains que ceux-ci n’ont besoin de Paris. Cette analyse est partagée par plusieurs observateurs, qui soulignent que «la France se met en position de demandeur de services », ce qui réduit de fait sa marge de manœuvre et de critique.49 Comme l’écrit le journaliste sénégalais Mamadou Biaye: «La Françafrique ne disparaîtra pas tant que les Africains eux-mêmes, et non la France, ne lui refuseront pas le droit d’existence».50 D’un autre côté, se dessine au Sahel un nouveau «Grand jeu» fait de manœuvres subversives et de manipulations où la duplicité et les stratégies de l’ombre sont la règle. Si la France a besoin de l’Afrique, c’est aussi parce qu’elle peut jouer un rôle dans la relance de l’économie française. Les facteurs économiques ont certes joué depuis longtemps un rôle important dans la géopolitique régionale et internationale, avec notamment l’exploitation, depuis 1958, de l’uranium nigérien par une filiale du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) français (qui deviendra Areva) ou les accords

http://www.institutafriquemonde.org/img/upload/IAM_Responsabilite%20de%20proteger%20et%20ethiq ue.pdf).

46 M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit., p. 61. 47

Ivi, p. 89.

48 A. Glaser, Africafrance: Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu, Paris, Fayard,

2014.

49

A. Leboeuf, H. Quénot-Suarez , op.cit, p. 27.

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d’Évian qui préservaient en 1962 les intérêts pétroliers français dans le Sahara algérien. La principale critique avancée par les opposants à l’intervention française était que la réelle motivation était la défense des intérêts économiques de la France dans la région. Étaient ainsi avancées notamment les mines d’uranium au Niger, exploitées par Areva, ou les ressources naturelles (souvent non encore exploitées) au Mali ou dans d’autres pays du Sahel. Une information accréditant cette thèse apparut trois semaines après le début de l’intervention française lorsqu’on apprit que des forces spéciales françaises seraient affectées au Niger à la sécurisation des mines d’uranium exploitées par l’entreprise privée Areva, leader mondial dans le secteur nucléaire civil51

. L'enjeu essentiel de la question saharo-sahélienne ne se joue pas à l'échelle locale: il concerne l'économie mondiale et le redécoupage des zones d'influence entre les puissances internationales avec l'entrée en scène de nouveaux acteurs (chinois, américains, etc.) qui bousculent l'ancien paysage colonial. En intervenant au Mali, la France s'est positionnée dans ce jeu d'influences et d'intérêts politiques et économique en cours de reconfiguration au Sahara central.

L'accès convoité aux richesses minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphates...) présentes dans les sous-sols du Niger, de la Libye et de l'Algérie -et aussi du Mali d'après des prospections plus récentes-, est au centre de la bataille invisible qui se déroule dans le désert. Les ressources minières de la zone créent une rude compétition entre les acteurs. Des accusations sont portées contre les uns ou les autres pour des calculs d’inspiration hégémonique. Ces controverses entretiennent dans la région une atmosphère trouble. Ainsi, les puissances extérieures, sous couvert de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, convoitent les ressources naturelles avérées et potentielles et visent, à terme, une militarisation croissante de la zone afin d’asseoir leur contrôle et d’évincer les puissances rivales. Ces puissances ont tout intérêt à favoriser l’émergence d’une équation géopolitique les plaçant en situation de force pour le partage des richesses avérées et potentielles du Sahel.

51 B. Adam, Mali. De l’intervention militaire française à la reconstruction de l’État, “Groupe de

recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP)”, 2013, p. 10 (disponible sur: http://www.grip.org/sites/ grip.org/files/RAPPORTS/2013/Rapport_2013-3.pdf).

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Figure 6. Le Sahel en proie à de multiples défis

Territoire malien sous occupation des groupes armés islamistes

Zone de peuplement touareg Base militaire française

Coopération militaire française Mini-bases américaines et/ou coopération militaire

Pays producteurs de pétrole Gisement d’uranium

Zones stratégiques (or, diamants…) Exploration de sous-sol en cours

-- --->

Routes des trafics (drogues essentiellement)

Trafics d’armes qui ont suivi la chute du régime de Kadhafi

Actes terroristes à la suite de l’intervention française au Mali

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L’accès convoité aux richesses minières présentes dans les sous-sols du Niger, de la Libye e de l’Algérie (et aussi du Mali d’après des prospections plus récentes), est au centre de la bataille invisible qui se déroule dans le désert52. L’exploration pétrolière dans la région saharienne a beaucoup évolué depuis une dizaine d’années. Cela est notamment le résultat d’une augmentation des cours du pétrole sur les marchés internationaux. De dix dollars le baril en 1998, le brut est passé à 147 dollars le 11 juillet 2008. Puis le cours s’est effondré à 40 dollars en décembre 2008 pour se reprendre en 2009 et 2010 où il a fluctué entre 70 et 90 dollars53. Ces cours élevés ont modifié en profondeur la géographie des zones d’exploration dans le monde et en particulier en Afrique. Les budgets d’exploration des sociétés pétrolières ont explosé dans les périmètres déjà connus, mais ces cours ont permis d’encourager la recherche dans des bassins sédimentaires peu explorés comme dans la zone saharienne. Cette vaste étendue caractérisée par une ultra-aridité englobe géographiquement des régions allant de la Mauritanie jusqu’au Soudan, en passant par l’Algérie, le Mali, le Burkina Faso, la Libye, le Niger et le Tchad54. S’agissant des ressources énergétiques et minières, les potentialités du Nord-Mali restent encore incertaines. Depuis 2004, le gouvernement malien a lancé une politique active d’exploration des ressources en hydrocarbures de son territoire, principalement dans le Nord, et une dizaine de multinationales ont acquis des droits d’exploration. Mais cela relève plus de la partie de poker que de la ruée vers l’or noir. Seuls deux opérateurs majeurs travaillent dans la région, la Sonatrach algérienne et l’italienne ENI55. Les autres ne que de petites entreprises (principalement états-uniennes, canadiennes et australiennes) n’ayant pas les capacités techniques ou financières pour aller au bout de l’exploration. Un autre enjeu énergétique émergent est celui de l’énergie solaire. Le projet allemand Desertec, coalisant des intérêts européens, vise ainsi à édifier des centrales thermiques solaires à travers tout le Sahara pour fournir à terme un tiers de l’électricité européenne56

. Mais ni la technologie ni les moyens ne sont actuellement prêts pour une telle mise en œuvre, même si des discussions, principalement avec le Maroc, se poursuivent depuis 200957. L’uranium est présent au Sahara, comme l’attestent les gisements nigériens exploités

52 M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit., p. 146.

53 Voir B. Augé, Les nouveaux enjeux pétroliers de la zone saharienne, Hérodote 3/2011, n. 142, p.

183-205 (disponible sur: http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=HER_142_0183).

54 Ibidem.

55 M. Galy, B. Badie (dir.), op.cit., p. 33. 56

Ibidem.

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par la firme française Areva, qui vont faire de ce pays le second producteur mondial. Il y a aussi des gisements au Mali, dans la région de Kidal qu’explore depuis 2006 une société australienne, tout comme dans le bassin du fleuve Niger, en amont de Gao. Mais, début 2013, les prospections ne semblaient pas permettre d’évaluer l’importance réelle de ces gisements. Par ailleurs, de l’or, la principale ressource du Mali avec le coton, est présent à la limite du nord du pays, dans la région sahélienne de Ségou ; il y en aurait aussi dans l’Adagh (Adrar des Ifoghas). Enfin, une multinationale investit depuis 2011 pour exploiter du phosphate à l’est de Bourem et une autre devait commencer en 2012 l’exploitation d’une mine de manganèse à Ansongo, au sud de Gao58. Mais ce ne sont que de «petites» entreprises opérant sur des gisements mineurs, dont les opérations ont été arrêtées par la guerre.

3- La médiation algérienne dans la gestion de la crise malienne: l’opacité d’une diplomatie régionale incertaine

Tout au long de l’année 2012, plusieurs pays ont plaidé pour entamer des négociations avec les groupes rebelles du nord du Mali. Lorsque la crise malienne éclate en 2012, l’Union africaine (UA) et la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ont longtemps ignoré le problème au nord de ce pays, se placent dans une logique de résolution de crise par la coercition et non par l’intercession59

. Si une médiation est menée par le président burkinabé Blaise Compaoré, au nom de la CEDEAO, elle est traversée d’incertitudes quant à la nature des discussions. De même, la nomination par l’UA d’un Haut représentant pour le Mali et le Sahel (l’ancien président burundais Pierre Buyoya) intervient le 26 octobre 2012, deux semaines après que le secrétaire général des Nations unies a nommé son représentant spécial pour le Sahel (l’ex-président du Conseil italien Romano Prodi). La France, pour sa part, nommera l’ambassadeur Jean Felix-Paganon «représentant spécial» pour le Sahel le 25 juin 2012 et l’Union européenne décidera d’en nommer un en janvier 201360

. C’est dans tel contexte international, le 5 juillet 2012, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 2056, dans laquelle il soutient les efforts des autorités de transition maliennes et appelle à la restauration de l’intégrité territoriale du Mali61. Le 12 octobre suivant, la résolution 2071 est adoptée: envisageant le déploiement au Mali d’une force 58 Ivi, pp. 33-34. 59 Ivi, p. 69. 60 Ivi, pp. 69-70. 61 Ivi, p. 70.

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africaine dirigée par la CEDEAO, le Conseil demande à nouveau plus d’informations aux pays africains, auxquels sont donnés quarante-cinq jours pour produire ces éléments62. En préparation à l’entrée en guerre au Mali, des réunions internationales ont lieu à New York (26 septembre), Malte (6 octobre), Abuja (11 novembre), où un «concept stratégique opérationnel» est élaboré, et enfin New York où, le 21 décembre, la résolution 2085 est adoptée63. En dépit des pressions internationales pour une intervention militaire musclée au nord du pays pour en expurger les groupes terroristes, même si les dommages collatéraux ne sont pas pris en compte par les tenants de cette option, l'Algérie reste inflexible. L’Algérie est le pays le plus proches, situé au nord du Mali, qui a insisté pour trouver une issue non militaire. Pas d'intervention militaire contre les Maliens, mais plutôt pour lutter et éradiquer les groupes d'AQMI qui pullulent dans cette partie du Mali.

L'Algérie a été obligée de sortir de sa réserve qu'elle observe depuis le début de la crise malienne au mois d'avril 2012, pour bien se faire comprendre et exposer clairement sa position sur ce dossier qui menace la paix et la stabilité dans la région sahélo-saharienne. Les dirigeants algériens ont toujours insisté sur le règlement par le dialogue de la crise malienne, notamment les revendications des Touaregs: «Nous sommes pour une solution qui passe par le dialogue. L'Algérie n'acceptera jamais une remise en cause de l'intégrité territoriale du Mali», a déclaré l’ex-premier ministre Ahmed Ouyahia au quotidien français Le Monde64. Ils ne veulent pas d’une région autonome Touareg au Nord Mali car cela peut donner l’idée aux Touaregs d’Algérie de demander aussi eux aussi leur autonomie.

La relation de l'Algérie avec «le problème touareg» remonte à la guerre de libération nationale lorsque certains militants de l'ALN s’étaient réfugiés dans la région de Kidal65. Cependant, deux événements qui se sont déroulés au début de l'indépendance

62 Ibidem. 63 Ivi, p. 71.

64 S. Kauffmann, I. Mandraud, L'Algérie défend "l'intégrité territoriale du Mali", “Le Monde”,

06/04/2012 (disponible sur: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/04/06/l-algerie-defend-l-integrite-territoriale-du-mali_1681659_3212.html).

65 D'abord, les Touaregs algériens possèdent des liens familiaux et tribaux avec leurs homologues maliens

des Ifoghas ; ces liens n'ont fait que se renforcer avec le temps car nombre de maliens et nigériens se sont installés dans la capitale du Hoggar, Tamanrasset, après plusieurs crises alimentaires et sécheresses dans les années 1970 et 1980. Toute crise au Nord-Mali a toujours été considérée par Alger comme porteuse d'une potentielle déstabilisation du sud algérien où vivent plusieurs milliers de réfugiés maliens, dont certains naturalisés algériens y sont définitivement établis. Voir D. Badi, Les Touareg du Nord: les

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du Mali ont constitué les points saillants de cette relation. Il s'agit, d'une part, de l'octroi à l'armée malienne, par le président Ahmed Ben Bella, du droit de poursuite à l'intérieur du territoire algérien des rebelles Touaregs, et, d’autre part, de la remise à Bamako des chefs rebelles66. Ces événements poussèrent les premiers réfugiés Touaregs maliens à se rendre à Tamanrasset et à la base nucléaire française d'In Eker67. Ainsi, lorsque survint la sécheresse de 1973, l'économie nomade se trouvait déjà fragilisée. La sécheresse entraîna des graves famines qui poussèrent des familles entières sur les chemins de l'exil, vers l'Algérie et la Libye, où elles trouvèrent refuge. L’aide de Ben Bella à Bamako ne met pas un terme définitif à la rébellion touareg. Une seconde rébellion éclata en 1990, instruite notamment par les chefs Touaregs en exil. L’Algérie est sollicitée pour une médiation. En janvier 1991, des accords sont signés à Tamanrasset entre le gouvernement du général Moussa Traoré et le chef du Mouvement populaire d’Azawad (MPA) d’Iyad Ag Ghali68

, après six mois de combats. Les accords mirent fin aux hostilités et consacrèrent l'Algérie, qui réussit à amener les deux parties à la table de négociations, comme médiateur. Depuis, l’Algérie campera ce rôle de médiateur dans la crise entre Touaregs et gouvernement malien. Ces accords, qui portèrent sur l'autonomie de gestion des régions du Nord Mali, n'ont jamais été véritablement appliqués sur le terrain. Malgré des gros efforts en matière de développement et d'intégration des ex-combattants dans les corps de sécurité, l'application du Pacte national, signé en avril 1992, n'a pas convaincu certains leaders de la rébellion, qui reprochèrent au pouvoir de Bamako son laxisme dans sa traduction sur le terrain.

C'est dans ces conditions qu'éclata, le 23 mai 2006, la troisième rébellion malienne. Son déclanchement dans un moment particulièrement sensible du fait de la présence des groupes terroristes du GSPC au Sahel a fait que la médiation internationale devenait une question d’urgence. Là encore, les regards de deux parties, gouvernement et rebelles, se sont tournés vers l'Algérie pour solliciter sa médiation. Comme pour exprimer son attachement aux accords passés, l'Algérie a posé, d'entrée de jeu, des conditions aux futures négociations. Elle exigea et obtint de la partie touarègue de renoncer à toute revendication territoriale ou sécessionniste. Tout comme ceux de Tamanrasset, les

Touaregs algériens et libyens, “Géopolitique du Sahel”, 28/06/ 2013 (disponible sur:

http://www.vilain.de/spip.php?article260).

66

Voir S. Aït Iflis, Relation entre l'Algérie et la rébellion touareg. L’antécédent Ben Bella, “Le Soir d'Algérie”, 16/04/2013 (disponible sur: http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/04/16/article.php ?sid=147907&cid=2).

67

D. Badi , op.cit.

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accords d'Alger n'ont pas pu trouver leur voie à l'application, ce qui encouragea Ibrahim ag Bahanga à faire dissidence et fonder l'ATNMC (Alliance des Touaregs du Nord Mali pour le Changement) entrant en guerre contre l'armée malienne. Cependant, l’ATNMC, n’ayant pas réussi à amener le Mali, et ce malgré des contacts informels notamment à Tripoli, à la table de négociation n’a pas pu obtenir une reconnaissance officielle. Toutefois, l’organisation d’Ag Bahanga resta le seul mouvement armé qui continue à poser le problème des rapports entre les Touaregs maliens à leur État par la voie des armes et ce, jusqu’à l’avènement de l’actuelle rébellion (2012). L’adhésion d’une frange du mouvement touareg à l’idéologie islamiste et l’intervention de forces étrangères sont à appréhender dans le sens de l’internationalisation de la question touarègue, qui se nouait et se dénouait, jusque-là, dans un cadre régional restreint. A l’issue de cette nouvelle rébellion en cinquante ans d’indépendance du Mali, on voit bien que le «problème touareg», qui n’était au départ qu’une question de bonne gouvernance, interne au système politique de ce pays, s’est non seulement internationalisé, après son examen par le conseil de sécurité de Nations Unies, qui a émis la décision n°2085 ayant ouvert la voie à l’intervention militaire des puissances étrangères, mais il s’est également globalisé après l’introduction de la dimension religieuse dans sa revendication traditionnelle. Si cette nouvelle révolte a pris une grande ampleur, c’est parce que le contexte régional a profondément changé depuis 2007, avec la présence plus forte d’AQMI, la chute du colonel Kadhafi et l’essor du trafic de drogue, qui permit aux Touaregs de disposer de moyens financiers importants: beaucoup de chefs traditionnels et de rebelles en ont profité en percevant des droits de passage ou en assurant le convoyage de la précieuse marchandise.

Opposée à toute intervention militaire étrangère dans la région, l’Algérie craint une installation durable de troupes occidentales, en particulier françaises, au Sahel. Une fois le coup d’État militaire de mars 2012 à Bamako condamné, le gouvernement algérien est resté étrangement silencieux pendant plusieurs mois, hormis quelques déclarations sporadiques sur l’aggravation de l’instabilité au Mali. Certains analystes algériens ont même parlé de «neutralité positive» !. Cet attentisme peut s’expliquer par des raisons d’ordre interne: les élections législatives du 10 mai 2012 et la compétition entre élites rivales pour la présidentielle en 2014. C’est seulement en juin 2012 que les autorités ont fait clairement état de leur préférence pour une «solution politique par le dialogue», et engagé un mois plus tard des négociations avec deux des groupes de l’extrémisme

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violent: Ansar Eddine et le MUJAO, ainsi qu’avec le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui s’est presque aussitôt retiré des pourparlers et a refusé la médiation d’Alger. Grâce à Alger, le chef de file d’Ansar Eddine, Iyad ag-Ghaly, est devenu un interlocuteur incontournable dans le plan de résolution de crise, à tel point que même le représentant de la CEDEAO a fini par accepter de discuter avec lui à Ouagadougou en novembre 2012. Mais ce «succès» a été de courte durée. Avant l’intervention française de janvier dernier, Alger avait déployé d’immenses efforts pour éviter l’option d’une solution militaire. Des délégations d’Ansar Eddine et du MNLA étaient reçues à Alger où, d’ailleurs, elles ont signé un accord mort-né, puisque dès la fin 2012, Iyad ag-Ghaly a rompu l’accord signé le 21 décembre avec le MNLA sous les auspices d’Alger. L’agenda d’Ansar Eddine a en effet rapidement révélé d’autres ambitions politiques dès lors qu’il a pris la tête de l’offensive des groupes radicaux vers le sud du Mali. Enfin, alors que le 30 septembre 2012, le patron de l’Africa Command (AFRICOM) dépendant du Pentagone, le général Carter F. Ham, s’alignait clairement sur la «solution politique» consistant à mener des tractations avec Ansar Eddine, et déclarait que «l’une des clés de résolution de la crise au Nord-Mali [était] de séparer les organisations terroristes», l’on a vu un renversement du discours cinq mois plus tard.69 En effet, en février 2013, le Département d’État américain a placé Iyad ag-Ghaly sur la liste des terroristes recherchés. L’attaque conduite par les djihadistes d’AQMI, le 16 janvier 2013, contre le site gazier de Tinguentourine (In- Amenas) constitue un tournant puisqu’elle fait entrer l’Algérie de plain-pied dans la crise.

La brusque détérioration des conditions sécuritaires dans le Sud algérien est une conséquence de la déstabilisation de son environnement proche -principalement au Mali, en Libye et en Tunisie- et se double désormais d’enjeux de politique intérieure liés aux revendications socio-économiques et politiques avec l'émergence de nouvelles mobilisations. L’instabilité libyenne, en particulier, a placé le voisin algérien face à une série d’incertitudes et de nouvelles menaces, et a paralysé le gouvernement qui redoutait à la fois une contagion de la contestation populaire et l’effondrement du régime. Lorsqu’il est question des relations qu’entretient l’Algérie avec ses périphéries sud, la dimension internationale de la projection de la puissance algérienne occulte souvent l’importance stratégique du Sahara algérien, dans un Etat pourtant fortement centralisé. L’actualité des crises et tensions en cours dans l’espace saharo-sahélien et la complexité

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de l’articulation entre des problématiques traversant différentes échelles politiques, institutionnelles et sociales, implique désormais le «Grand Sud» du territoire algérien. Les soulèvements populaires en Tunisie, en Libye et en Égypte ont désorienté la politique extérieure algérienne. Le remaniement ministériel de septembre 2013 semble confirmer cette hypothèse: d’un côté, la nomination de Ramtane Lamamra à la fonction de Ministre des Affaires étrangères (MAE) et, de l’autre, celle d’Abdelmajid Bouguerra au Ministère délégué aux Affaires maghrébines et africaines tendent à accréditer l’existence d’une volonté de prise en charge des questions diplomatiques régionales et continentales. En effet, ces deux diplomates de carrière sont considérés comme des «technocrates» ou des «hommes de dossier» plutôt que comme des «politiques».70 Le premier connaît particulièrement bien le continent africain pour avoir été Commissaire de l’Union Africaine pour la paix et la sécurité et ambassadeur en Ethiopie et à Djibouti ; il était également ambassadeur auprès des Nations Unies ou de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ainsi qu’à Washington et Vienne. R. Lamamra a, d'ailleurs, engagé une tournée diplomatique dans les pays sahéliens le mois suivant sa nomination. Le second a été secrétaire général du MAE et ambassadeur en Chine et en Allemagne. Il faudrait, enfin, noter la création d’un poste de vice-ministre de la Défense, attribué au Général de corps d’armées Gaïd Salah, qui bénéficiera d'une relative liberté d'action.

Dans le contexte géopolitique instable qui entoure l’Algérie, ces décisions illustrent la reconnaissance de l’importance stratégique des périphéries méridionales d’Alger dans la mise en œuvre des politiques étrangères et de défense. En outre, deux nouvelles sous-régions militaires ont ainsi été créées et jouissent d'une large autonomie pour répondre aux menaces potentielles liées à la déstabilisation des frontières algériennes. Plusieurs dizaines de milliers d'hommes, des forces terrestres et aériennes mais aussi des gendarmes gardes-frontières (GGF), ont été mobilisés pour participer à la sécurisation de cet environnement menaçant. D'après des déclarations publiques d'officiels français, l'implication de l'Algérie dans l'appui indirect à l'Opération Serval a soutenu l'effort de guerre franco-africain par la surveillance des frontières pour limiter les replis des

70 L.-A. Ammour, La nouvelle diplomatie algérienne face à la complexité des défis de sécurité régionaux,

“Econostrum.info”, 30/01/ 2015 (disponible sur: http://www.econostrum.info/La-nouvelle-diplomatie-algerienne-face-a-la-complexite-des-defis-de-securite-regionaux_a19695.html).

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groupes terroristes, l'ouverture de son espace aérien et un accompagnement des troupes actives par un appui à leur ravitaillement.71

La déclaration de Ramtane Lamamra depuis Washington (septembre 2014) montre combien la diplomatie algérienne est aujourd'hui soucieuse de recouvrer un rôle central dans les affaires régionales: «la Libye et le Mali où règnent le terrorisme et l'instabilité, sont au centre de notre action diplomatique immédiate, et nous nous engageons à apporter notre contribution à des solutions au-delà de nos frontières »72. Le Sahel étant traditionnellement son arrière-cour, l'Algérie a participé à toutes les négociations relatives à la question du Nord-Mali depuis les années 1990. Pourtant, durant les dernières années, l'influence algérienne y a nettement reculé. Sa discrétion et son inaction diplomatiques ont interrogé ses voisins du sud. A l'époque où les islamistes djihadistes occupaient le nord-Mali, la CEDEAO, la France et les pays sahéliens restaient perplexes quant à une contribution algérienne à un processus de négociations avec les groupes armés, en particulier avec Ansar Eddine, dont le leader Iyad Ag Ghali était proche des services de renseignement algériens. En effet, en 2012, l'Algérie maintenait des contacts avec un large éventail d'acteurs, dont Ansar Eddine et le MUJAO, et semblait favoriser l'accès aux informations plutôt que de définir une stratégie clairement formulée pour sortir de l'impasse. L'Algérie fut accusée de passivité. En utilisant Iyad ag-Ghaly comme intermédiaire au Nord-Mali, l'Algérie prétendait promouvoir une politique étrangère personnalisée pour tenter de retrouver son leadership après plusieurs décennies de déclin diplomatique. Cependant, plusieurs revers de fortune vinrent contrarier la stratégie algérienne qui s'avéra peu judicieuse au regard du double jeu mené par le personnage: l'agenda d'Iyad ag-Ghaly révéla d'autres ambitions politiques lorsqu'il rompit son accord avec le MNLA, et qu'il fut clair qu'il

71 Les opérations militaires au Mali, financièrement coûteuses pour la France, ont incité Paris à demander

une participation plus active des partenaires régionaux, afin de sauvegarder les gains opérationnels et politiques de ces deux interventions militaires. Paris avait déjà bénéficié de la collaboration d'Alger durant son offensive contre les islamistes armés dans l'Adrar des Ifoghas, et les deux pays continuent ponctuellement de coordonner leurs actions: ouverture de l'espace aérien aux avions de chasse français (ce qui n'est pas une première: en décembre 2009, l'Algérie avait autorisé des avions américains à survoler son territoire pour y effectuer des reconnaissances de la zone frontalière avec le Mali et la Mauritanie, notamment dans la région de Tindouf), mobilisation des troupes algériennes à la frontière avec le Mali en appui aux forces françaises, livraisons de carburant aux troupes françaises. En mai 2014, douze terroristes poursuivis par l'armée française aux confins maliens, ont été éliminés par les forces de sécurité algériennes à Taoudert, près de Tinzaouatine. Voir L.-A. Ammour, op.cit. Voir aussi Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, en entretien à France 24 (disponible sur: http://www.dailymotion.com/video/x18g1lz_l-entretien-ramtane-lamamra-ministre-algerien-des-affaires-etrangeres_news).

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avait projeté de coordonner ses actions avec Abdelmalek Droukdel (un des émirs d'AQMI), au Mali en particulier, et au Sahel en général.

Le réveil de la politique régionale algérienne et l'activisme du ministre des Affaires étrangères, ont redonné confiance à Paris et Bamako dans la capacité d'Alger de mener à bien le dialogue inter-malien. Le rôle central de l'Algérie dans la crise malienne avait été réaffirmé par Ibrahim Boubakar Keita lors de sa visite à Alger en janvier 2014, et réitéré lors des 2e et 3e sessions du Comité Stratégique bilatéral algéro-malien en avril et mais de la même année73. L’ouverture des négociations entre le gouvernement malien et les mouvements politico-militaires du Nord Mali le 1 septembre 2014 à Alger laissait espérer un processus de retour durable à la paix. Conduites par la diplomatie algérienne, qui a pris la tête d’une équipe de médiation internationale, les discussions réunissaient pour la première fois depuis juin 2013 la plupart des acteurs du conflit autour de la même table. Les pourparlers à Alger font face à de nombreuses difficultés, dues aux divisions et à la méfiance entre groupes rebelles. Le dernier né, baptisé Groupe d'auto-défense des Imghad (Gaita), qui se présente comme un interlocuteur légitime, a d'abord été rejeté par le Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l'Unité de l'Azawad (HCUA) et le Mouvement Arabe de l'Azawad (MAA). Le HCUA, fortement implanté à Kidal, qui fut proche des islamistes de Ansar al-Dine, risque de poser des problèmes dans la mesure où deux de ses membres sont des élus du parti présidentiel. Pour les médiateurs algériens, la question est de savoir si ce mouvement est toujours en cheville avec Iyad ag-Ghaly (qui a entre-temps prêté allégeance à AQMI), ou s'il est un recycleur des hommes de Ansar Eddine. Les négociations entre Bamako et la rébellion touareg du nord du Mali semblent sortir de l’impasse: les principaux groupes séparatistes touareg du nord du pays ont paraphé l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé le 1 mars à Alger par les autorités maliennes et des groupes pro-gouvernementaux. La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) -qui réunit les différents groupes de la rébellion Touareg- a paraphé «en principe» le document à Alger, le 14 mai 201574. L’accord est, selon eux, essentiel pour écarter le risque de reprise de la guérilla islamiste.

73 Ibidem.

74 Voir La rébellion touareg du Mali signe l'accord de paix à Alger, “FRANCE 24”, 14/05/2015

(disponible sur: http://www.france24.com/fr/20150514-mali-rebellion-touareg-approuve-accord-paix-mnla-azawad-kidal-bamako-rebellion-separatistes-alger ).

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L’accord est d’abord un signe positif mais au-delà du contentement mutuel des signataires, de la communauté internationale, des chancelleries, du ministre français de la Défense, JeanYves Le Drian, qui l’applaudit, cet accord de paix n’apporte pas une réponse nette et satisfaisante à la dégringolade malienne. La médiation internationale, conduite par Alger, a mis en avant la restauration de l’ordre et la stabilité dans les régions du nord qui, elles, aspirent à plus de justice, de services sociaux, d’éducation. Or, dans l’accord tout est fondé sur le sécuritaire et peu sur la restauration de l’Etat à travers ses missions et prérogatives. La décentralisation, idée généreuse sur le papier, relancée dans l’accord, est déjà appliquée, mais mal. Pour un observateur joint à Bamako, «90 % de l’accord existe déjà. Rien de bien neuf. Mais le cœur du problème c’est l’application même (...)»75

. Pour qu’elle soit mieux appliquée il faut des institutions solides et un État fort.

Pour les dirigeants algériens, cet accord est une étape historique qui vient couronner de succès la médiation de l’Algérie. Pour eux, la diplomatie algérienne a connu un grand succès grâce à sa gestion des négociations pour assurer la sécurité, la stabilité dans le nord du Mali. Cette diplomatie a prouvé une fois de plus la position de l'Algérie et son rôle d’avant-garde pour l’instauration de la paix et de la sécurité dans la région. Lorsque l’Algérie aux prises avec sa violence interne (1991-2000), se retrouve marginalisée sur la scène internationale, sa diplomatie de leadership, notamment au Sahel, en est profondément affectée. Cherchant à restaurer l’image internationale de son pays, le président Abdelaziz Bouteflika, élu en 1999, réussit à relancer une politique de médiation et d’intégration sur le continent africain (accord Érythrée-Éthiopie en 2000, projet NEPAD en 2001, accords d’Alger sur la question touarègue en 2006), sans pour autant renouer avec l’âge d’or antérieur. De manière inattendue, c’est la problématique sécuritaire née des attentats du 11 septembre qui va offrir au pouvoir algérien une nouvelle légitimité par l’extérieur, et lui permettre de faire de sa politique étrangère une nouvelle source de légitimité de sa politique intérieure. Dans le cadre de la Global War

on Terror (GWOT, guerre globale contre le terrorisme) que l’administration Bush a

lancé après les attentats aux États-Unis du 11 septembre 2001, Alger peut ainsi se présenter comme toujours menacé par le «terrorisme islamiste» et prétendre devenir un

strategic partner des États-Unis dans la lutte antiterroriste régionale. En adhérant à la

75 J.-L. Le Touzet, Au Mali, un accord de paix fragile avec la rébellion touareg, “Libération”,

22/06/2015 (disponible sur: http://www.liberation.fr/monde/2015/06/22/au-mali-un-accord-de-paix-fragile-avec-la-rebellion-touareg_1334606).

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