141 Conclusion:
La zone sahélienne (et particulièrement le Mali, qui en Afrique francophone était considéré comme un modèle de démocratie, à l’État solide mais en réalité failli, à l’abri de tout prétorianisme) illustre tous les atouts et les handicaps d’un continent dont elle est l’un des centres. La région est riche de potentialités, mais ses caractéristiques structurelles, comme on a succinctement tenté de le montrer, en font une région complexe et fragile. Les turbulences et violences politiques qui affectent cycliquement une partie de l’Afrique de l’Ouest sont aussi un symptôme des mutations et ajustements qui travaillent les sociétés africaines, confrontées à diverses contraintes internes aux cours de ces dernières décennies: aspirations démocratiques, demandes d’autonomie politique pour motifs identitaires ou pour un meilleur partage des ressources. Les mêmes événements produiront les mêmes effets et entretiendront les causes profondes de la crise malienne. Depuis l’indépendance, le développement de l’État a été marqué par des contradictions et des crises. La période qui a mené à l’établissement d’un État à parti unique en Afrique postcoloniale a vu l’émergence d’un régime néo-patrimonial qui a eu des effets de longue portée sur la nature des relations État/société et sur la capacité étatique. La fin des années 1970 et les années 1980 ont été marquées par une érosion systématique du pouvoir de l’État et par un déclin de l’effectivité des institutions étatiques.
Cette dynamique résultait d’une forte centralisation, de la personnalisation du pouvoir, des problèmes croissants de légitimité, d’une politique économique altérée et d’une fragmentation institutionnelle. En conséquence, l’État était incapable de générer des ressources afin de couvrir ses besoins budgétaires en rapide expansion et de fournir des biens publics. La faiblesse de l’État s’est encore davantage manifestée dans son incapacité croissante à exercer son pouvoir dans le cadre des institutions formelles, et son manque évident de relations constructives avec la société. Le mode de régulation du pouvoir, essentiellement fondé sur les réseaux patron-client, a davantage fragilisé la capacité de l’État à gouverner en toute efficacité. La guerre a ajouté une dimension supplémentaire à cette situation. Le concept d’État, tant par sa composante sociétale qui suppose la conscience claire d’une identité nationale que par ses attributs juridiques impliquant l’institutionnalisation d’un pouvoir souverain, est apparu dans le monde occidental à la suite d’une lente évolution historique marquée par des spécificités socio-culturelles. Il était donc inévitable que la seule transposition en Afrique de ses aspects structurels, sous la forme d’une machine
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administrative complexe héritée des pratiques coloniales, conduise à une bureaucratie routinière insensible aux réalités de l’environnement social et politique.
L’action militaire lancée par la France le 11 janvier 2013 ne pourra finalement être justifiée que si elle permet de créer les conditions pour établir un réel climat de sécurité afin d’entamer une politique de développement qui seule pourra garantir à long terme le maintien de cette sécurité. Car la solution au Mali, comme dans quasiment tous les conflits, ne sera pas militaire mais politique et socio-économique. Il est trivial que le premier défi des pays de l’Afrique subsaharienne est celui du développement durable. Pour des pays qui se trouvent au bas du tableau de l’indice du développement humain, le développement socio-économique est la pierre angulaire de toute politique de sécurité. Comme il n’y a pas de développement sans sécurité et vice-versa, des défis subsidiaires s’imposent conjointement. Le développement du pays ne pourra progresser sans une réforme de la gouvernance nationale qui place réellement les citoyens au cœur des décisions et renforce les contre-pouvoirs.
Les Africains doivent désormais être maîtres de leur avenir. La responsabilité de mettre en place un nouveau contrat pour le développement incombe en premier lieu à l'Étatafricain. Le développement du pays ne pourra être amélioré sans une réforme de la gouvernance qui place réellement les citoyens et les contre-pouvoirs au cœur des décisions. Les autorités doivent s’engager à mieux redistribuer les bénéfices de l'exploitation des ressources naturelles, à être plus transparentes dans la gestion des affaires publiques et à lutter contre la corruption.
L’actuelle crise du Mali a débuté par une sécession du nord, notamment parce que cette partie du pays avait été trop longtemps négligée par les autorités politiques nationales. La reconstruction du Mali nécessitera de développer au nord du pays des infrastructures et de lancer des politiques de soutien notamment aux activités agro-pastorales, ainsi qu’à d’autres formes de nouvelles activités possibles et utiles. S’il n’y a pas de développement sans développement économique, le développement doit être assuré par un «juste État», soucieux d’assurer une redistribution équitable de la richesse créée, par un État qui stimule les forces du marché, les infléchit pour les mettre au service d’une amélioration du bien-être collectif.
La mauvaise gouvernance tant sur le plan politique qu’économique, l’absence de vraies réponses au chômage des jeunes, l’absence de moyens permettant d’assurer à chaque citoyen le bien-être dans l’exercice de ses droits et dans ses possibilités d’émancipation socio- économiques, la nécessité d’une plus grande intégration régionale sont les principales causes du développement du terrorisme dans les États fragiles ou en post-conflit de cette région de l’Afrique de l’Ouest.
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Une guerre mondiale contre le terrorisme: c’est le mot d’ordre de la communauté internationale. Depuis treize ans, cette guerre a abouti à une augmentation de la violence dans la région, et au chaos. À diverses occasions, les responsables onusiens, ainsi que les chefs d’État et de gouvernements, ont exprimé une forte volonté d’éradiquer la menace terroriste.
Toutefois, les avancées des États concernés, directement ou indirectement par cette lutte, restent limitées et les résultats accomplis ne concordent toujours pas avec les buts fixés ou déclarés. La situation demeure gravement préoccupante et la menace que représente ce phénomène mondial ne cesse de s’accroître. Le terrorisme reste un défi qui ne saurait être relevé effectivement, outre son traitement sécuritaire, que par des choix politiques clairs et sans concession sur les valeurs d’ouverture, de progrès et de tolérance de la société. Le danger, avec ce terme de terrorisme “à dimension variable”, c’est qu’il empêche la réflexion politique et donc toute stratégie efficace. Tirons les leçons de la décennie des guerres perdues, en Afghanistan, en Irak, en Libye. Jamais ces guerres n’ont bâti un État solide et démocratique. Au contraire, elles favorisent les séparatismes, les États faillis, la loi d’airain des milices armées. Jamais ces guerres n’ont permis de venir à bout de terroristes essaimant dans la région. Au contraire, elles légitiment les plus radicaux.
La guerre qui secoue le nord du Mali est une guerre qui dépasse le Mali, la sous-région, l’Afrique et l’Europe. L’Europe est en première ligne face aux risques collatéraux de l’instabilité dans la région. La réponse doit être plurielle, combinant les questions de sécurité avec celles du développement et de la promotion des droits de l’homme. Il faut travailler en amont du terrorisme sur des programmes de développement, d’éducation, de santé afin d’assurer un bien-être minimum au citoyen. Ce n’est que de cette façon que les populations les plus faibles et les plus démunies seront moins réceptives aux idéologies extrémistes et de violence. Seule une promesse de développement et d’épanouissement personnel peut combattre un avenir sombre et mortifère pour ces populations. Nous ne gagnerons jamais notre lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière tant qu'une si grande partie du monde vivra dans des conditions qui mènent les gens au désespoir.