Introduction
Le carcinome lobulaire représente de 4 à 15 % des carcinomes mammaires infil- trants. Qu’ils soient de type canalaire ou lobulaire, les carcinomes mammaires nais- sent au niveau de l'unité terminale ducto-lobulaire. Le cancer lobulaire représente une entité anatomo-pathologique particulière. Il s’agit d’un carcinome infiltrant formé de petites cellules régulières, rondes, uniformes et non cohésives, ressemblant à celles du carcinome lobulaire in situ et ayant en général un faible taux de mitoses.
L’aspect typique est celui d’une diffusion de cellules tumorales isolées ou en « file indienne », groupées de façon concentrique autour de canaux galactophoriques résiduels ou au pourtour de lésions de carcinome lobulaire in situ. Ces cellules tumorales peuvent infiltrer un stroma fibreux, mais le plus souvent la réaction fibreuse est faible. Il existe des formes pures avec différents sous-groupes, ainsi que des formes mixtes associant des lésions carcinomateuses de type canalaire et lobu- laire. Classiquement, le carcinome lobulaire infiltrant est considéré comme un cancer de diagnostic difficile, relativement tardif, souvent bilatéral et multicen- trique. À partir d’une revue de la littérature, nous ferons une mise au point sur les caractéristiques radiologiques (mammographie, échographie, IRM) de ces cancers, après avoir rappelé pour chaque technique radiologique les aspects des carcinomes canalaires infiltrants communs (les types particuliers tels que les cancers médullaire, mucineux ou tubuleux ne seront pas abordés). Nous conclurons par la fiabilité et l’apport des différentes imageries dans le bilan d’extension local des carcinomes lobulaires invasifs.
les carcinomes canalaires infiltrants : quelles sont les différences pour
le diagnosticien ?
P. Chérel
La mammographie
Le carcinome canalaire infiltrant (CCI)
Le CCI est le type de cancer le plus fréquent et se traduit classiquement sous la forme d’une image spiculée ou stellaire (1). L’image stellaire est formée d’une opa- cité centrale constituée de cellules tumorales au sein d'un stroma et de spicules qui sont des prolongements à base pyramidale rayonnant à partir du centre tumoral.
Ces prolongements conjonctifs, qualifiés également de stroma réaction, sont consti- tués de fibrose et d’élastose, celles-ci créant des phénomènes rétractiles. Cette pro- lifération conjonctive est beaucoup plus marquée dans les cancers stellaires que dans les cancers nodulaires. Ces spicules peuvent contenir des cellules tumorales, plus nombreuses au niveau de leur base d'implantation et plus rares dans leur partie distale. Le nombre, la longueur, l'épaisseur de ces prolongements sont très variables.
Tous les intermédiaires sont possibles entre l'image stellaire classique et l'opacité nodulaire à bords discrètement irréguliers dont les micro-spicules ne seront vus que sur des clichés en compression localisée ou en agrandissement. Classiquement, plus l'image est stellaire, plus la cellularité est faible et plus la part du conjonctif est grande. Des signes associés à cette image stellaire peuvent être mis en évidence. Il peut s’agir du halo clair périphérique, hyperclarté inconstante entourant l'opacité centrale et limitée en dehors par les extrémités de la majorité des spicules ou de micro-calcifications qui sont retrouvées dans environ 35 % des cas.
Le CCI peut apparaître sous la forme d’images moins typiques, telles que des opacités nodulaires avec des bords plus ou moins nets, parfois discrètement irrégu- liers, dentelés sur une partie ou la totalité du contour. Il peut également s’agir d’une désorganisation architecturale, éventuellement d’une asymétrie de densité.
Le carcinome lobulaire infiltrant (CLI)
Le diagnostic mammographique des CLI est considéré comme plus difficile. En
effet, le CLI peut infiltrer le tissu mammaire de façon importante, tout en respec-
tant son architecture, sans former de masse ni provoquer de fibrose. Cette crois-
sance diffuse est caractérisée par les signes mammographiques suivants (2) : une
asymétrie de densité par rapport au sein controlatéral (anomalie iso-dense à la
glande), une augmentation de densité diffuse ou focale par rapport au parenchyme
avoisinant ou controlatéral, un estompage des structures mammaires. Une défor-
mation de l’architecture de la glande peut se rencontrer sous la forme d’une désor-
ganisation architecturale, une modification rétractile : « signe de la tente » réalisant
un aspect d'encoche du bord antérieur ou postérieur de la glande. Lorsqu’il existe
une masse focale, sa densité est souvent proche de la densité du parenchyme mam-
maire. Il peut s’agir d’un surcroît d'opacité peu caractéristique, à contours mal
définis, de masses spiculées et, beaucoup plus rarement, de nodules relativement
bien circonscrits. Habituellement, le CLI ne produit pas de micro-calcifications.
Les aspects mammographiques retrouvés dans la littérature (3-9) sont résumés dans le tableau 1. L'anomalie mammographique la plus rapportée est, comme pour les carcinomes canalaires invasifs une masse (de 32 à 69 %), soit spiculée (de 16 à 69 %), soit à contours mal définis (de 7 à 34 %). Leur fréquence est très variable sui- vant les séries, probablement du fait qu'elles regroupent un panel d'images allant de l'image stellaire typique à l'image nodulaire à contours discrètement irréguliers, spi- culés, de faible densité. Dans l’étude de Newstead (5), ce type de masse est beaucoup moins fréquent dans les CLI par rapport aux CCI (32 % versus 71 %). Les opacités rondes bien limitées sont absentes ou très rares (< 2 %). La deuxième anomalie mammographique rencontrée est la désorganisation architecturale (de 10 à 30 %).
Cet aspect est plus fréquemment trouvé dans les CLI que dans les CCI, 18 % versus 6 % pour M. Le Gal (4), 30 % versus 5 % pour G. M. Newstead (5). L'asymétrie de densité est présente dans 4 à 27 % des cas, plus fréquemment retrouvée dans les CLI que dans les CCI, 27 % versus 8 % pour G. M. Newstead (5). Cette différence n'est pas retrouvée dans la série de M. Le Gal (4). Les micro-calcifications isolées sont rares, mises en évidence dans moins de 4 % des cas. Les micro-calcifications asso- ciées à une opacité sont plus fréquentes, mais moins souvent que dans les CCI : 24
% versus 41 % pour M. Le Gal (4), 28 % versus 46 % pour E. J. Cornford (8), 0 %
versus 45 % pour G. M. Newstead (5). Ces micro-calcifications isolées ou associéesaux opacités sont, non seulement moins fréquentes dans les CLI, mais, de plus, elles correspondent le plus souvent à des lésions autres que le carcinome lobulaire. Ainsi, pour E. B. Mendelson (10), 25 % des CLI présentent des calcifications, mais celles- ci sont liées le plus souvent à des CLI avec composante canalaire associée, à des lésions de carcinome canalaire in situ ou à des lésions bénignes adjacentes au cancer.
Pour D. J. Hillaren (3), ces micro-calcifications sont rares (6 %) et 70 % sont consi- dérées comme non spécifiques. Pour M. A. Helvie (6), ces calcifications sont égale- ment rares et associées à d'autres lésions que le CLI dans 50 % des cas. Dans deux études (3, 4), il est rapporté un taux élevé d'anomalies cutanées et/ou mamelon- naires avec, en particulier, une rétraction mamelonnaire plus fréquente dans les CLI que dans les CCI, 26 % versus 17 %. La fréquence des différentes anomalies mam- mographiques varie suivant les séries. Ces différences peuvent s’expliquer par des dénominations d’images (masse spiculée ou mal définie, asymétrie de densité, désorganisation architecturale) non parfaitement reproductibles, mais également par le fait que les CLI regroupent plusieurs sous-types histologiques. Ainsi, dans l’étude de R. S. Butler (11), les asymétries de densité et les désorganisations archi- tecturales sont sur-représentées dans les CLI de forme « classique » par rapport aux masses spiculées ou mal définies (respectivement 25 et 50 % versus 4 et 4 %). Les autres sous-types se rapprochent plus des descriptions « typiques » de cancer du sein, compte tenu d’une sur-représentation des asymétries de densité dans la forme
« solide » et des désorganisations architecturales dans la forme « alvéolaire ».
La mammographie a été considérée comme suspecte ou évocatrice de malignité
dans 51 à 76 % des cas. Pour M. Le Gal (4), cette suspicion de malignité est moins
souvent rencontrée dans les CLI que dans les CCI (57 % versus 64 %). Cette différence
est retrouvée dans une étude de 2004 portant sur 182 cas (73 % versus 85 %) (12).
Le taux de CLI sans traduction mammographique est compris entre 5 et 19 %.
Ce taux est plus élevé dans les CLI que dans les CCI, par exemple 8,1 % versus 1,3 %, pour G. M. Newstead (5), 19 % versus 10 % pour O. B. Adler (13). Par ailleurs, la taille des CLI radios occultes est plus élevée que celle des CCI sans anomalie mammographique. Dans l’étude de K. N. Krecke (7), les faux négatifs ont une taille comprise entre 6 et 65 mm (moyenne de 26 mm).
Tableau 1 - Aspects mammographiques et carcinome lobulaire invasif.
Hilleren Le Gal Newstead Helvie Krecke Cornford Rostagno
(2) (3) (4) (5) (6) (7) (8)
Nombre de cas 185 455 37 52 185 86 52
Pas d’anomalie 16 % 12 % 8 % 8 % 19 % 9,5 % 15 %
mammographique
Masses 60 % 51 % 32 % 63 % 55 % 69 % 61
Spiculées 53 % 28 % 16 % - 21 % 69 % 34 %
Mal limitées 7 % 22 % 16 % - 34 % - 27 %
Rondes bien limitées 0 % 1 % 0 % 2% 0 % 0 % 0 %
Désorganisation 16 % 18 % 30 % 10 % 20 % non 13 %
architecturale précisé
Asymétrie 4 % 19 % 27 % 13 % 5 % non 11 %
de densité précisé
Micro-calcifications 4 % 0 % 0 % 4 % 1 % 0 % 0 %
isolées
Anomalies 31 % 38 % 3 % - - -
cutanées/
mamelonnaires
Calcifications 6 % 24 % 0 % - 32 % 28 % 11 %
et opacités