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« Mythes » et aspects du réel dans l’œuvre de Stendhal. Analyse des modalités discursives qui relèvent des « mythes » et des éléments mimétiques

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(1)

U

NIVERSITÀ DI

P

ISA

Dipartimento di Filologia, Letteratura e Linguistica

Dottorato in Filologia, Letteratura e Linguistica

XXXI ciclo (A.A. 2015-16)

« Mythes » et aspects du réel dans l’œuvre de Stendhal

Analyse des modalités discursives qui relèvent des « mythes »

et des éléments mimétiques

Tutor : Prof.ssa Hélène de Jacquelot

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R

EMERCIEMENTS

Je souhaite remercier d’abord Madame Hélène de Jacquelot, ma directrice de thèse, qui a toujours suivi mes recherches et mon travail.

Je tiens également à remercier Mme Ute Heidmann et MM. Enrico Medda et Jean-Jacques Labia pour les précieux conseils prodigués au cours de mes années de doctorat et MM. Xavier Bourdenet et Francesco Fiorentino, pour avoir pris le temps de lire ma thèse et de me donner la possibilité de progresser dans mon travail.

Je remercie encore l’Association des Amis de Stendhal – Paris qui, en m’accordant une bourse d’étude, a contribué à mes travaux de recherche.

Je remercie enfin tous mes collègues et tous les professeurs du doctorat en Filologia, Letteratura e Linguistica de l’Université de Pise, qui m’ont accompagnée dans mon parcours doctoral. Notamment une pensée reconnaissante va à mon collègue Carlo Zanantoni qui a suivi de près et encouragé mes recherches.

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Table des Matières

INTRODUCTION 9

État de la recherche 12

Cadre méthodologique 15

Mythe et (re)configuration 15

Méthode utilisée : scénario d’une « comparaison différentielle » appliquée à l’œuvre

stendhalienne 20

Plan d’analyse 24

I.UNE ÉTUDE DU ROUGE ET LE NOIR ET DES BACCHANTES : UNE HYPOTHÈSE D’ANALYSE

COMPARÉE ET DIFFÉRENTIELLE 27

Stendhal, lecteur des Bacchantes 32

Stendhal face à la littérature grecque 32

Les éditions du Théâtre des Grecs : Stendhal et la traduction des Bacchantes 37

Construction des comparables et modalités comparatives : le Rouge et les

Bacchantes 44

Les personnages, la mise en scène et les comparables 46

Dionysos et Julien : beauté et ambiguïté sexuelle 46

Les figures féminines, sujets et objets 52

L’épiphanie du dieu et la compétition religieuse de genre 70

Composantes thématiques et lexicales des comparables 81

« Fureur » et « folie » 82

« Beauté » 92

(Re)configuration générique, poétique de la réception et dénouement 97

(Re)configuration générique : roman et tragédie 97

Politisation de la réception et énonciation… 102

Innovation générique : Le Rouge est-il un « roman réaliste » ? 111

L’affaire Berthet 111

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II.LE ROUGE ET LE NOIR ET LE DON GIOVANNI DE MOZART : UNE HYPOTHÈSE DE

(RE)CONFIGURATION GÉNÉRIQUE 124

Le Rouge et le Noir et le « mythe littéraire » du Don Juan 126

D’autres « Don Juan » stendhaliens et les épigraphes du Rouge 128

Julien et le donjuanisme 135

Le Don Giovanni de Mozart et Le Rouge et le Noir 151

Mise en texte d’un « Don Juan » et scène de l’énonciation 162 III.LES CENCI OU UNE (RE)CONFIGURATION D’UNE « CHRONIQUE ITALIENNE » 170

François Cenci, (re)configuration d’un Don Juan stendhalien 172

La tradition du « mythe littéraire » de Don Juan et l’introduction de Stendhal dans Les

Cenci 172

Les Cenci et un Don Juan qui tient de Sade 176

Nouvelle, genre et (re)configuration 183

Scène de l’énonciation et (re)configuration 186

Une nouvelle, plusieurs traits génériques 188

Débris et fragments : une esthétique du rebut et de l’ajout d’un traduttore\traditore 191

Rebuts et poétique de la réception 200

La (re)configuration d’un Don Juan sécularisé sous le romanesque du « vrai » 209

IV.AUTRES PERSPECTIVES 212

IVA.LE ROUGE ET LE NOIR ET VIE DE HENRY BRULARD :(RE)CONFIGURATION ET HYBRIDITÉ, OU CONTAMINATION ROMANESQUE ET AUTOBIOGRAPHIQUE ? 215 Vie de Henry Brulard, question de genres et d’hybridité 215 Vie de Henry Brulard et Le Rouge et le Noir : personnages, scène de l’énonciation et

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Cannibalisme paternel, langue maternelle et grammaire : ce qui passe par la bouche et

par le texte 224

« Un père et un fils » : figures (anti)paternelles 224

Langue maternelle et savoir (-faire) 227

Identités sexuelles et modèles érotiques : Don Juan ou Chérubin ? 232

(Re)configuration et genre : contamination du romanesque intratextuel 238 IVB.LAMIEL OU UNE SCÉNOGRAPHIE GÉNÉRIQUE DE LA NARRATION INACHEVÉE 241

Lamiel : un exemple d’énergie féminine au XIXe siècle, ou l’énergie sans genre 245

Le mouvement : connotation sociale et de genre 245

Lamiel et l’(auto)pédagogie 250

Noms et identité de genre 253

Sexualité et neutralisation du genre 255

Sujets énonciateurs et voix narratives 262

Univers fictionnel et traits génériques 271

Lamiel féministe avant la lettre ou récit au seuil d’un nouveau genre ? 274

CONCLUSION 281

ANNEXE -UNE AUTRE PERSPECTIVE :« MYTHE » ET COGNITIVE FRAME 283

BIBLIOGRAPHIE 289

Œuvres 289

Critique Stendhalienne 292

Critique portant sur le corpus secondaire 302

Ouvrages méthodologiques 305

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I

NTRODUCTION

Cette thèse se propose d’analyser et de comparer quelques œuvres de Stendhal afin d’y déceler d’éventuelles (re)configurations de « mythes1 » et déterminer ainsi les enjeux

d’une analyse comparée portant sur les modalités discursives qui relèvent à la fois des « mythes » et des éléments mimétiques, c’est-à-dire des éléments pertinents du « réel ». L’objectif de ma recherche est d’étayer une hypothèse qui suppose que les références aux « mythes » sont impliquées sur le plan de la construction, de l’élaboration et de la signification du récit stendhalien et qu’elles s’intègrent à une représentation mimétique de la réalité. Cela engage par ailleurs l’ensemble des modalités discursives, notamment les modalités énonciatives et génériques de la production et de la réception, de même que la création des effets de sens sur le plan de la signification. Dans cette perspective, mon analyse se concentrera avant tout sur la fonction étiologique et intégrative des références aussi bien dans la construction d’un paramètre esthétique fondé sur le mimétisme textuel que dans le processus de l’écriture, tout en présentant les résultats du travail herméneutique que les « mythes » introduisent dans les textes stendhaliens qui seront analysés.

Je me propose d’éclairer la manière dont les références aux « mythes » peuvent amener une réévaluation du texte de Stendhal dans la perspective comparatiste de Ute Heidmann, la « comparaison différentielle2 ». Je voudrais appliquer cette méthode, qui vise à

« différencier au lieu d’universaliser » pour mettre en lumière les enjeux et le gain d’un « dialogue intertextuel », aux écrits stendhaliens et définir avant tout un Corpus spécifique qui servira à mon analyse. Sous cet angle, je ne considère pas les « mythes » comme des motifs, des « structures » ou des récits préconstitués aux œuvres, autrement dit comme des constructions critiques qui les énoncent. Je n’envisage les « mythes » que selon les répercussions de leur diffusion et de leur résonance culturelle, voire

1 Les guillemets seront conservés au terme « mythe » pour suggérer une connotation inhérente à la méthode

utilisée dans le cadre de ma thèse et qui sera par la suite explicitée. En revanche, utilisé dans son acception courante par l’usage ou revêtant une nuance épistémologique n’étant pas l’objet de mon étude, ce même terme sera dépourvu de guillemets.

2 Voir entre autres Ute Heidmann, « Que veut et que fait une comparaison différentielle ? », propos

recueillis par Jean-Michel Adam & David Martens, dans Aina Pérez Fontdevila & Meri Torras Francès (dir.), Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 21, décembre 2017, p. 199-226 ; Ute Heidmann, « Différencier au lieu d’universaliser. Comparer les façons de (r)écrire des mythes », dans Interférences

littéraires/Literaire interferenties, « Le mythe : mode d’emploi. Pour une nouvelle épistémologie des réécritures littéraires des mythes », n° 17, 2015, p. 15-34.

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transculturelle, ce qui signifie les considérer dans leur dimension intertextuelle et comme œuvres d’art, notamment sous les formes de l’écriture.

En suivant les propositions théoriques de Ute Heidmann, dans chaque chapitre de la première partie je me penche sur l’étude d’une comparaison littéraire et différentielle entre un texte stendhalien et un « mythe », que ce soit sous la forme d’un texte ou de plusieurs textes, ce qui peut solliciter toutes les modalités discursives spécifiques de l’écriture littéraire. D’ailleurs l’approche méthodologique que j’utilise pour mon travail repose sur l’adaptation de la méthode opératoire de Heidmann à mon sujet d’étude au fur et à mesure de l’évolution de ma recherche. En effet, bien que les ouvrages de Stendhal proposés dans mon Corpus principal ne puissent être considérés comme de véritables (r)écritures ou (re)configurations des autres ouvrages évoqués par le processus de comparaison, nous pouvons néanmoins observer des aspects et des implications qui nous permettent de dégager des éléments communs et divergents. Je polariserai effectivement mon analyse sur les textes stendhaliens avant de les considérer dans une dimension comparatiste : ce travail, ainsi que la définition du Corpus, notamment du Corpus secondaire, offre par conséquent une étude de l’œuvre narrative et romanesque stendhalienne et des enjeux ainsi mobilisés grâce à la comparaison des modalités discursives. Par ailleurs, dans une seconde partie de la recherche je focaliserai mon attention sur deux ouvrages stendhaliens, afin d’offrir une perspective de comparaison, encore « différentielle », qui porte seulement sur les rapports intratextuels et sur le « dialogue » que je voudrais instaurer entre les ouvrages de Stendhal eux-mêmes, et ce à partir des hypothèses d’interprétation de la première partie.

Ma recherche s’est appuyée sur un procédé heuristique qui a déterminé au fur et à mesure aussi bien la direction du travail que la définition du Corpus. À ce sujet, il me semble nécessaire de préciser que l’objectif premier de ma thèse n’est pas d’afficher l’éventail exhaustif des références aux « mythes » dans l’ensemble de l’œuvre stendhalienne ou d’en présenter une sélection. Je me propose au contraire de déterminer les enjeux de la présence des « mythes » dans les ouvrages de Stendhal et leurs implications dans l’analyse du processus d’élaboration et de réception de l’œuvre, autrement dit la réévaluation du paradigme esthétique qu’impose la nature mimétique d’un contexte souvent affiché comme référentiel. Tout en tenant compte de ce cadre d’analyse qui évolue au fil du développement de celle-ci, le Corpus principal a été défini en suivant une direction spécifique.

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La critique a déjà examiné certains aspects des textes stendhaliens qui relèvent des mythes ou, mieux, de la mythologie en utilisant des approches méthodologiques diverses : ces études se sont concentrées notamment sur La Chartreuse de Parme, mais également sur d’autres ouvrages, sans conférer toutefois à cette perspective une valeur résolutive. Ainsi, j’ai donné à mon analyse une orientation différente, tout en préférant à La Chartreuse des textes moins prisés dans cet aspect par la critique antérieure.

La définition de mon Corpus principal a donc été déterminée par la nécessité de déployer un tableau de formes génériques variées de l’œuvre stendhalienne, en considérant diverses typologies, aussi à partir du contexte d’énonciation et de réception : par conséquent le Corpus porte sur Des textes narratifs, romanesques et autobiographique. J’ai préféré m’appuyer sur les potentialités d’un cadre générique le plus ouvert possible pour mieux mettre en lumière la pertinence et l’efficacité de mon approche méthodologique au sujet. Ainsi, les chapitres de ma thèse présentent dans l’ordre l’étude des ouvrages suivants : le roman Le Rouge et le Noir, la nouvelle Les Cenci, le texte « autobiographique » Vie de Henry Brulard, et le roman inachevé de Lamiel. Le choix d’utiliser des formes génériques variées a modelé mon analyse et l’a parfois menée à un tournant pour ainsi dire pragmatique, ce qui m’a permis de me confronter aussi bien à la scène de l’énonciation qu’à la scène de la réception afin d’identifier l’évolution de traits génériques des œuvres stendhaliennes. En outre, j’ai parcouru ainsi une période significative de la production de Stendhal, du moins en ce qui concerne les éléments pris en considération dans mon étude, de la parution du Rouge à la mort de l’écrivain.

Quant aux choix qui ont défini le Corpus secondaire, ou l’ensemble des ouvrages choisis en vue d’une comparaison différentielle avec les textes stendhaliens, ils sont définis et justifiés au fur et à mesure.

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État de la recherche

La critique stendhalienne a déjà approché le sujet de l’existence des motifs, récits ou structures soi-disant mythiques dans l’œuvre de Stendhal. Tout d’abord la fameuse étude de 1961 écrite par Gilbert Durand, Le Décor mythique de la Chartreuse de Parme3.

L’auteur présente l’application littéraire de l’esthétique structurale qu’il a précédemment théorisé et qui réorganise la lecture du roman en envisageant certaines structures des mythes ou de la mythologie de l’Antiquité classique. Durand examine tous les éléments qui ont une origine mythique et qui constituent le « décor mythique » de l’œuvre, domaine dans lequel il inscrit cependant aussi des éléments qui renvoient à une réalité subjective de l’imaginaire. Observons ce que Pierre Brunel reprochait déjà à l’approche de Durand dans Mythocritique : théorie et parcours, à savoir l’inscription des thèmes ou des archétypes aux titres d’éléments mythiques : « La mythocritique est ici débordée par ce qu’il serait plus juste d’appeler une archétypocritique, ou du moins la recherche de structures qui peuvent être communes à plusieurs mythes sans en caractériser aucun4. »

En effet, dans son étude Durand octroie à un même personnage ou à un même élément du récit plusieurs possibilités et plusieurs structures mythiques : montrant la relation de l’écriture stendhalienne et des archétypes mythologiques, il l’a ouverte aux principes psychanalytiques modernes.

D’autre part, Michael Nerlich a envisagé la mythologie comme l’un des langages possibles du texte stendhalien. Il parle de « réseau de structures signifiantes5 », autrement

dit des structures inhérentes aux mythes introduites dans le texte par l’auteur intentionnellement, et non plus inconsciemment, et qui tendent à produire des effets de sens façonnant la compréhension du texte jusqu’à déterminer en dernier ressort le sens du roman stendhalien, le critique se référant ici à La Chartreuse de Parme. Bien que Nerlich ne considère pas les romans de Stendhal, notamment Le Rouge et le Noir, en tant que « textes mythologiques » tout-court, il observe pourtant que le potentiel herméneutique d’une nouvelle lecture mythologique découle avant tout des quelques événements narratifs qui ne peuvent, dans sa perspective, être expliqués qu’en dépassant le paradigme

3 Gilbert Durand, Le décor mythique de la Chartreuse de Parme, Paris, José Corti, 1961. 4 Pierre Brunel, Mythocritique : théories et parcours, Paris, P.U.F., « Écriture », 1992, p. 74.

5 Michael Nerlich, Stendhal, ou l’invention de l’écriture et de la science des signes, dans Apollon et Dionysos ou la science incertaine des signes. Montaigne, Stendhal, Robbe-Grillet, Hitzeroth, Marburg, 1989, p. 119-330, p. 130 ; Voir aussi id., « Le Rouge et le Noir ou le Dieu qui revient », Les lettres

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réaliste. D’ailleurs, cette analyse borne en quelque sorte la composition du texte stendhalien à une construction incohérente hors du contexte mythologique. De même, elle enferme l’exégèse critique dans un cadre trop étroit et par conséquent elle risque, selon moi, de forcer l’interprétation du texte à travers des mécanismes qui ne sont pas toujours évidents, ou du moins arbitraires. Quoi qu’il en soit, il est évident que la critique a souvent approché l’étude de mythes dans les textes stendhaliens par le prisme d’une conception du mythe comme archétype, récit préconstitué ou motif, ainsi que comme structure préexistant au texte, un pré-texte ayant des caractéristiques spécifiques et typiques qui l’identifient. Mais ceci signifie abstraire des caractéristiques supposément universelles pour réduire le sens intrinsèque d’un mythe.

Un autre exemple en opposition à cette lignée critique est amené par Pierre Laforgue qui distingue l’Œdipe romantique du Rouge en termes d’« espace critique où le fantasmatique et l’idéologie s’éprouvent ensemble » : le « mythe », auquel Laforgue préfère le terme « nœud », est envisagé comme un « espace où se noue et en même temps se dénoue le problématique6. » Hors d’une définition psychanalytique ou mythologique, cette révision

du « mythe », ou de ce qu’il en reste, est au contraire pertinente vis-à-vis de la sociocritique littéraire.

Que le mythe soit perçu en tant que noyau de sens réinterprété dans le texte ou comme un thème ou une structure recontextualisée, mon analyse ne s’inscrit pas dans le sillon des études qui ont auparavant traité le mythe dans l’œuvre stendhalienne. Dans cette perspective, une partie du caractère inédit de ma recherche est tirée du concept de « diversalité » réinterprété par Heidmann qui me permet de traiter le « mythe » essentiellement dans sa forme de production artistique et esthétique, et plus spécifiquement dans sa forme littéraire, pour engager une « comparaison différentielle », c’est-à-dire pour prendre en compte autant les points communs que les différences. Sous cet angle, l’approche méthodologique impose un changement de paradigme allant dans la direction d’un travail qui porte uniquement sur des œuvres et non sur des concepts abstraits. Son atout principal est le potentiel heuristique de la mise en analyse et en comparaison des modalités de l’écriture (les modalités de l’inscription générique, les modalités de l’énonciation, les modalités du dialogisme intertextuel et interdiscursif et les

6 Pierre Laforgue, « Le Rouge et le Noir, ou Œdipe et révolution » dans id., l’Œdipe romantique. Le jeune homme, le désir et l’histoire en 1830, Grenoble, Ellug, 2002, p. 59-73, p. 73.

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modalités de la mise en texte et de la mise en langue7) : grâce à ce travail puisant dans les

modalités discursives, j’ai pu affirmer que les « mythes » sont constitutifs du paradigme esthétique stendhalien et qu’ils s’intègrent à une conception de la réalité comme représentation des éléments pertinents au réel. Par contre, la méthode ici utilisée se situe dans le cadre littéraire, ce qui m’oblige à abandonner une perspective herméneutique basée sur des thèmes, voire des « mythèmes », mais également un point de vue anthropologique et psychanalytique.

7 Ute Heidmann, « Différencier au lieu d’universaliser. Comparer les façons de (r)écrire des mythes »,

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Cadre méthodologique

Mythe et (re)configuration

Selon Véronique Gély, les difficultés et les contradictions épistémologiques à la base de la définition de « mythe » peuvent être dépassées « en prenant bien conscience qu’il n’y a pas d’essence du mythe, qu’un récit, une image ou le nom d’un héros ne sont des mythes que quand on les nomme mythes, c’est-à-dire quand on les reçoit comme tels8. » Une des

difficulté de la mythocritique a été le renoncement à l’« origine » des mythes, qui a été au contraire l’objet d’autres « disciplines – métaphysique, psychologie, anthropologie –, qui donnent naissance à des spéculations parfaitement légitimes à l’intérieur de leur domaine, mais qui peuvent s’avérer encombrantes dès lors que l’on en sort9. »

Envisager les mythes à partir des textes qui les « fabriquent » devient le fondement d’une approche aux « mythes » qui mobilise la façon, selon les termes de Heidmann, de les (r)écrire et de les ré-énoncer. La conception de Ute Heidmann ne s’appuie pas sur une « supposée » valeur archétypale ou ontologisante des « mythes », impliquant un sens universel intrinsèque. En opposition à d’autres approches qui mettent en valeur les éléments de similarité et qui définissent la signification d’un mythe pour la rechercher par la suite dans les représentations artistiques, le postulat à la base de la méthode est d’envisager les mythes gréco-romains comme tirant « leur potentiel sémantique de la diversalité de leurs usages très inventifs par les auteurs (anciens et modernes)10. » Pour

Heidmann, ce sont alors les (r)écritures « qui confèrent aux vieilles histoires non pas leur sens supposé universel, mais des effets de sens nouvellement pertinents. Notre intérêt se porte donc sur le processus même de création de sens et sur comment sont créés ces effets de sens11. »

Dans cette perspective, la forme de l’écriture, ou plutôt des (r)écritures des « mythes » nous permet de confiner l’étude des soi-disant « mythes » au domaine de la critique littéraire et de ses modalités spécifiques. L’écriture est alors envisagée comme une des formes de la représentation des « mythes », revêtant ailleurs des formes de représentation

8 Véronique Gély, « Le "devenir-mythe" des œuvres de fiction », dans Sylvie Parizet (dir.), Mythe et littérature, Paris, SFLGC, « Poétiques comparatistes », 2008, p. 69-98, p. 70.

9 Ibid., p. 74.

10 Ute Heidmann, « Différencier au lieu d’universaliser. Comparer les façons de (r)écrire des mythes »,

art. cit., p. 16.

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rituelle et cultuelle, pertinentes à d’autres domaines scientifiques que « les mythologues, anthropologues et historiens des religions sont mieux à même d’explorer que les sciences littéraires. Celles-ci gagnent à se donner comme objet d’étude ce qui a trait à l’écriture des mythes gréco-romains tout en tenant compte des hypothèses et conclusions formulées par les mythologues, anthropologues et historiens des religions12. »

Au terme « (r)écriture », dont le préfixe contracté traduit la convergence entre écriture et ré-écriture, Heidmann associe le terme « (re)configuration », pour prendre en compte les nouvelles configurations langagières, énonciatives, génériques, compositionnelles des « mythes » et en considérant dans son l’analyse aussi des éléments de l’art visuel, c’est-à-dire qui engagent des « dynamiques icono-textuelles13 ». Bien que mon analyse ne se

polarise que sur des œuvres littéraires, j’utilise, la grande majorité du temps, le terme « (re)configuration » qui maintient une perspective plus inclusive, tout en conservant la signification de (r)écriture là où elle est nécessaire. Par conséquent, je me focaliserai sur les modalités de la mise en discours et en texte et sur les effets de sens qu’elles produisent en opposition à un présupposé sens universel, intrinsèque aux mythes. Or, si la critique n’a travaillé sur la base d’une « réification » ou d’une « psychologisation » de ce sens universel qu’à travers des motifs/mythèmes envisagés comme des éléments constitutifs d’une intrigue prototypique ou archétypale, il me semble que la perspective d’un travail centré sur les modalités discursives de l’écriture peut permettre de mieux observer les enjeux de la présence d’éléments « mythiques » au cœur du texte stendhalien. Une partie de l’analyse se penche d’ailleurs aussi bien sur la réception de ce type d’éléments que sur leurs conséquences sur le lecteur, qui découlent de la contamination des aspects mimétiques et « mythiques ».

Les « vieilles histoires hellènes14 » ont été communément définies comme des mythes par

l’usage depuis l’Antiquité, de même que la notion de « nouveaux » mythes utilisée pour certains « thèmes » de l’époque moderne a été souvent contestée par la critique. Véronique Gély souligne que l’usage impose le mot tout en montrant que « ses définitions

12 Ibid., p. 16.

13 Ute Heidmann définit le terme « dynamique icono-textuelle » à partir de son étude sur les images

intercalées dans certaines éditions de contes aux XVIIe siècle. Cette dynamique qui est productrice d’effets

de sens et participe au processus de différenciation résulte : « de la façon particulière de faire interagir textes et images au fil de la lecture qui consiste tour à tour à tromper le lecteur par l’image et à le détromper par le texte qui suit, ou inversement. » (Ute Heidmann, « Ces images qui (dé)trompent… Pour une lecture iconotextuelle des recueils manuscrits (1695) et imprimé (1697) des contes de Perrault », Féeries n° 11, 2014, p. 47-69, [En ligne], URL : https://journals.openedition.org/feeries/937, § 7)

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sont plurielles, sans s’exclure les unes les autres15. » La question d’une création et d’une

définition des « mythes » accentue de plus le rapport indissoluble entre « mythe » et poïesis, ou la création esthétique d’une œuvre.

Alors que les « mythes » peuvent être envisagés comme une construction culturelle que l’on reçoit, les récits qui se sont transformés en passant par la culture et la langue latine en « mythes » gréco-romains forment une matière d’importance cruciale pour les littératures occidentales et ont produit nombre de (re)configurations et (r)écritures d’anciens récits sous des formes nouvelles. Cette matière, la mythologie, a été inventoriée, définie et classée à l’époque moderne et contemporaine :

Il peut à bon droit apparaître comme une partie intégrante de la culture savante des sociétés occidentales, un matériau préexistant et disponible pour toute création artistique. C’est ainsi que le Chevalier de Jaucourt, dans l’Encyclopédie, définissait la mythologie, et cette définition a eu une belle postérité. Essentiellement constituées des fables grecques et romaines d’un côté, des mythes bibliques de l’autre, cette mythologie de l’Occident s’est peu à peu grossie des apports d’autres continents, d’autres cultures, intégrés sur le mode de l’assimilation16.

La réception moderne de l’héritage culturel mythique influencée par une perspective qui envisage un caractère foncièrement ontologique du mythe ne tient souvent pas compte de certaines caractéristiques fondamentales que les mythes grecs, en tant que tel, revêtaient pour assumer leur rôle dans la société antique et qui sera par exemple mis en évidence dans le chapitre consacré à la comparaison du Rouge et le Noir et des Bacchantes d’Euripide. Le « mythe » grec se caractérisait aussi comme « opérateur de construction symbolique, “anthropopoïétique” de l’être social dans son identité culturelle et religieuse17. » La dimension rituelle et culturelle, ou anthropologique au sens large du

terme, n’est pas à proprement parler mon objet d’étude, mais mon analyse textuelle la prend cependant en considération, d’abord pour différencier le « mythe » grec d’autres types de « mythe » et par la suite pour définir l’horizon socio-politique de la comparaison.

15 Véronique Gély, « Le "devenir-mythe" des œuvres de fiction », art. cit., p. 73. 16 Ibid., p. 72.

17 Claude Calame, « Pour une anthropologie historique des récits héroïques grecs : comparaison

différentielle et pragmatique poétique », dans Ute Heidmann (dir.), Mythes (re)configurés : création,

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[…] enfin les mythes contemporains. À l’égard de cet autre ensemble de récits et de figures, on peut, certes, adopter une attitude radicale qui leur dénierait justement le droit d’être appelés des mythes – ils ne seraient que thèmes, figures ou types –, ou, avec plus de souplesse, tenter de distinguer plusieurs sortes de mythes, – mythe ethnoreligieux, mythe littéraire et mythe littérarisé18.

Ce que la critique a parfois qualifié de mythe littéraire représente une catégorie de récits ou de thèmes ayant eu une résonance culturelle, sinon transculturelle, comparable à celle des mythes antiques, mais qui ont été reçus avant tout à partir d’une tradition des œuvres de fiction. Ils n’occupent plus le rôle « d’opérateur de construction symbolique » du mythe grec qui se caractérise par les rapports « d’ordre sémantique et figuré, syntaxique et logique, pragmatique et fonctionnel, rituel et institutionnel19 » qu’il entretient avec son

monde de référence. Ian Watt propose une définition opérative applicable à une taxonomie des mythes modernes qui les envisage comme des histoires traditionnelles dont l’extraordinaire diffusion culturelle leur attribue en quelque sorte une « vérité » historique, symbole des valeurs principales d’une collectivité sociale20. En revanche, ce

que Véronique Gely appelle le « devenir mythe » des œuvres fictionnelles se caractérise par la dispersion de l’autorialité, ou mieux par « le va-et-vient entre autorité et anonymat, entre chefs-d’œuvre et œuvres ordinaires21 », à l’intérieur de la constellation d’écriture, de

(r)écriture : le nom de l’auteur disparaît, remplacé par un autre nom significatif ou par celui du héros. Mais l’autorité exercée sur le mode d’écriture littéraire ne se perd pas, elle se reconstitue chaque fois à travers le nom qui a remplacé l’autorité auctoriale « changeant de nature et de domaines d’application22 ».

Du reste, la résonance des mythes demeure plutôt dans la réactualisation de l’horizon d’attente et dans la pluralité des réceptions du texte « chaque fois qu’il actualise son mythisme, chaque fois qu’il engage son devenir-mythe23. » Les « mythes », modernes ou

antiques, se présentent ainsi sous la forme de textes, avant d’être des récits préexistant au texte : ce phénomène engage une redéfinition de l’objet mythique en conséquence de sa continuelle réactualisation à travers des œuvres nouvelles et par rapport au contexte de

18 Véronique Gély, « Le "devenir-mythe" des œuvres de fiction », art. cit., p. 72.

19 Claude Calame, « Pour une anthropologie historique des récits héroïques grecs : comparaison

différentielle et pragmatique poétique », art. cit., p. 212-213.

20 Ian Watt, Miti dell’individualismo moderno : Faust, don Chisciotte, don Giovanni, Robinson Crusoe

[Myths of Modern Individualism, 1996], Roma, Donzelli, 2007.

21 Véronique Gély, « Le "devenir-mythe" des œuvres de fiction », art. cit., p. 86. 22 Ibid., p. 87.

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réception, sinon de production. Cette notion appelle à l’ouverture d’une comparaison intertextuelle et « différentielle ».

Ces considérations préalablement données, je voudrais définir et adapter à mon sujet d’étude une notion de « mythe » possédant des caractéristiques déclinables au sein de l’œuvre stendhalienne. Je me garderai bien de considérer toutes les œuvres de Stendhal prises en compte pour ma recherche comme des (re)configurations de mythes, même si nous pouvons pourtant envisager des éléments (re)configurés qui nous aideront dans une comparaison productive et foisonnante du potentiel heuristique.

Pour déterminer l’extension et la définition du « mythe » en tant qu’objet de mon travail, je propose de le circonscrire en lui octroyant les propriétés suivantes : ensemble ouvert et susceptible de s’agrandir, composé de productions artistiques, c’est-à-dire de (re)configurations sous forme d’écriture et, le cas échéant, d’autres domaines issus des arts, comme les formes picturale et musicale, et qui se caractérise par une forte dimension intertextuelle témoignant d’une vaste résonance culturelle, parfois transculturelle. Dans cette perspective, le « mythe » demeure une entité purement virtuelle et un outil critique : c’est un ensemble qui d’ailleurs n’a pas de valeur en lui-même s’il n’est pas considéré à partir de chaque (re)configuration et à partir du rapport qu’elle entretient avec les autres, c’est-à-dire du « dialogue intertextuel et interdiscursif », afin de renouveler le processus de création d’effets de sens.

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Méthode utilisée : scénario d’une « comparaison différentielle » appliquée à l’œuvre stendhalienne

Pour Heidmann, le processus de la différenciation sous-tend une évolution culturelle, langagière et littéraire. Tandis que d’autres approches orientent leurs analyses sur des éléments engageant un rapport de similarité, la « comparaison différentielle » offre l’étude du « différentiel », résultat de ce processus de différenciation.

Le gain heuristique qui réside à la base de la « comparaison différentielle » de Ute Heidmann se construit avant tout sur l’abandon de tout rapport hiérarchique entre textes et intertextes, ainsi qu’entre « originel » et traduction ou réédition : les textes sont reçus comme des énonciations et des ré-énonciations dans des « contextes langagiers, énonciatifs, historiques et culturels significativement différents24 ». Avant de considérer

le rapport entre textes à partir des notions qui instaurent des rapports hiérarchiques, par exemple les catégories d’« hypertexte » et d’« hypotexte » avancées par Genette, la comparaison différentielle se fonde sur un « dialogisme intertextuel et interdiscursif25 ».

Cela signifie envisager les rapports entre texte et intertexte, ainsi qu’entre discours et interdiscours à partir d’une « réponse », c’est-à-dire une « relation dialogique créatrice qui produit des effets de sens nouveau26 », au lieu de les penser en termes d’influence

subie ou en calque. À ce sujet, Heidmann distingue des rapports « non-hiérarchiques ou non-hiérarchisant », instaurés par « l’acte de comparaison comme opération mentale et méthodologique » et non intrinsèque aux objets comparés, qui visent à désigner une relation autre que celle s’instaurant par le terme de « rapport d’égalité » :

pour éviter la connotation du terme égalité qui dépasse l’aspect purement épistémologique de cette exigence. Dans cette optique, il me semble aussi plus adéquat de dire que nous instaurons ce rapport non-hiérarchique plutôt que de le « dégager » pour signaler qu’il n’est justement pas intrinsèque aux objets, mais que nous devons l’établir dans un souci épistémologique et heuristique. Il s’agit donc de construire des comparables qui évitent de privilégier l’un ou l’autre objet et d’introduire des préconstruits et des préjuges avant même de les avoir analysés.27

24 Ute Heidmann, « Que veut et que fait une comparaison différentielle ? » propos recueillis par

Jean-Michel Adam & David Martens », art. cit., p. 202.

25 Ibid., p. 216. 26 Ibid. 27 Ibid., p. 223.

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La comparaison différentielle s’érige en analyse différentielle des modalités du discours : ainsi, Heidmann présente cinq modalités discursives principales qui constituent le plan d’analyse et qui possèdent une pertinence similaire pour tous types de discours, dont le discours littéraire. Cinq dynamiques discursives qui orientent le discours, interchangeables et non hiérarchisées qui collaborent au processus global de création de sens : modalités de l’inscription générique, modalités du dialogisme intertextuel et interdiscursif, modalités de l’énonciation, modalités de la mise en (inter)langue(s), modalités de la mise en texte(s) ou en livre.

À mon sens, les œuvres stendhaliennes, sans être envisagées comme des (r)écritures de « mythes » au sens de Heidmann, contiennent néanmoins des références à d’autres (re)configurations : nous le verrons ensuite à propos des Bacchantes d’Euripide ou des textes de la tradition littéraire du « mythe » de Don Juan. De plus, elles ne manquent pas d’éléments sémantiquement saturés qui, selon l’usage, renvoient à la perception d’un mythe au sens large du terme. J’entends par là par exemple des noms propres, tel que Don Juan, Médée ; des situations narratives, notamment une belle-mère amoureuse de son beau-fils ; des objets ou des caractéristiques significatives comme une sexualité double, etc. Il s’agit somme toute d’éléments qui renvoient au problème et à la notion de l’anonymat des « mythes » envisagée par Véronique Gély, tout en étant souvent moins impératifs ou persistants. D’ailleurs les références intertextuelles dans les textes romanesques de Stendhal ne sont souvent pas isolées, mais s’inscrivent dans des réseaux plus complexes qui puisent dans plusieurs plans de la textualité et peuvent être envisagés comme ce que Heidmann définit comme une « réponse intertextuelle » à d’autres (r)écritures d’un « mythe ».

D’après cette dernière, la pratique de (r)écrire les « mythes » gréco-romains peut être considérée comme une activité discursive qui crée des effets de sens à chaque fois pertinents. Une partie de ma recherche s’inscrit dans le sillon de cette méthode, examinant les résultats des « réponses intertextuelles et interdiscursives » dans la perspective d’un travail centré sur les textes stendhaliens : en ouvrant le discours de la comparaison différentielle des « mythes » antiques aux modernes, j’ai pu distinguer certains aspects de l’œuvre stendhalienne relevant de (re)configurations et finalement appréhender de nouveaux enjeux de la textualité découlant de la présence de ces « mythes », ou plutôt des références aux (r)écritures de « mythes ». Le plan d’analyse de Heidmann bascule continuellement entre les cinq modalités, phénomène qu’elle configure

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virtuellement par un pentagone dont chaque extrémité est reliée aux quatre autres par des doubles flèches, symbolisant les interactions qui connectent les plans des modalités discursives entre eux. Selon la nécessité et en fonction du meilleur angle qui met en évidence un certain aspect de l’objet de mon travail, je me concentrerai sur l’une ou sur l’autre de ces modalités.

Parmi les cinq, celle de l’« inscription générique » exprime aussi bien le passage de genre à une catégorie plus dynamique telle que la « généricité » qu’un changement fondamental du paradigme critique :

La généricité permet de penser la participation d’un texte à plusieurs genres. Ce passage du genre à la généricité est, selon nous, un changement de paradigme. La mise en relation d’un texte, considéré dans sa clôture, avec une catégorie générique constituée généralement en essence diffère profondément de la dynamique socio-cognitive que nous proposons de mettre en évidence. […] Il s’agit moins d’aborder le problème du genre comme l’examen des caractéristiques d’une catégorie de textes que comme la prise en compte et la mise en évidence d’un processus dynamique de travail sur les orientations génériques des énoncés. Ce travail s’effectue sur les trois plans de la production d’un texte, de sa réception-interprétation et sur le plan intermédiaire très important de son édition.28

Au fil du temps, la transformation d’un genre, voire la modification de son « étiquette » d’appartenance introduisent une nouvelle codification, qui à son tour sera soumise à une transformation ultérieure. Adam et Heidmann affirment qu’une codification « en synchronie stable d’un genre est un effet trompeur de la coupe analytiquement pratiquée dans un continuum dynamique29. » Par conséquent, la généricité des textes, voire

l’hétérogénéité générique, résulte d’après le paradigme énoncé par Adam et Heidmann du dialogue et de la transformation des trois régimes différents de la généricité : auctoriale, lectoriale, éditoriale.

Tout effet de texte, dans quelque langue que ce soit, dans ses manifestations écrites ou orales, ordinaires ou artistiques, s’accompagne d’un effet de généricité dépendant de

28 Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le texte littéraire : pour une approche interdisciplinaire,

Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, « Au cœur du texte 17 », 2000, p. 13-14.

29 Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Des genres à la généricité. L’exemple des contes (Perrault et les

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plusieurs régimes de généricité. Tout au long de l’histoire de sa production et de sa médiation matérielle, un texte subit des modifications auctoriales et est parfois accompagné des commentaires auctoriaux qui affectent ce que nous pouvons appeler, comme J. M. Schaeffer, son régime de généricité auctoriale. Somme des choix souvent intentionnels de positionnement […] Le régime de généricité auctoriale est plus stable que le régime de généricité lectoriale. […] Les grilles génériques de la situation d’interprétation divergent d’autant plus que le temps a passé sur un texte et que les catégories socio-culturelles sont modifiées. […] Les publications successives […] introduisent des modifications péritextuelles et textuelles qui conditionnent en profondeur la réception et l’interprétation des textes. Nous ajoutons donc un régime de généricité éditoriale, entendant par là toutes les instances de médiation des faits de discours. Ce que nous définissons comme la généricité d’un texte résulte d’un dialogue continu, souvent conflictuel entre les instances énonciatives, éditoriales et lectoriales.30

« L’inscription générique », qui d’ailleurs met en valeur plutôt l’acteur de l’action générique que les caractéristiques textuelles envisagés par les régimes de généricité, consiste dans l’activité générique d’inscrire les énoncés au sein des pratiques et des formes génériques d’une communauté discursive : par conséquent elle n’est seulement pertinente à l’activité énonciative de l’auteur, mais encore aux intermédiaires de toute la phase de production ainsi que de la réception. Heidmann distingue par ailleurs l’inscription générique traductoriale31 qui se pose comme une activité générique

particulière : le rôle du traducteur, on le verra très bien dans le chapitre consacré au Rouge et aux Bacchantes, consiste à inscrire les énoncés dans des configurations génériques souvent très diverses, sinon hétéroclites par rapport au système générique propre à l’œuvre à traduire.

Partant de ce préambule, mon objectif est d’examiner les modalités de l’inscription générique des textes stendhaliens. Celles-ci, mobilisées par des éléments qui renvoient aux « mythes », nous aideront à faire ressortir les traits pertinents aux trois régimes de généricité qui s’écartent de(s) tendance(s) générique(s) principale(s).

30 Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le texte littéraire : pour une approche interdisciplinaire, op.cit.,

p. 12-13.

31 Ute Heidmann, « Que veut et que fait une comparaison différentielle ? » propos recueillis par

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Plan d’analyse

Les analyses que je me propose d’entamer dans le cadre de ma recherche peuvent s’axer sur deux lignes directrices contiguës et consécutives, bien que divergentes. Une première partie porte sur une analyse centrée sur Le Rouge et le Noir et Les Cenci et sur une comparaison différentielle qui engage l’hypothèse d’une potentielle (re)configuration de « mythes ». La seconde partie, nommée bien à propos « Autres perspectives », propose une possible adaptation de la méthode de Heidmann dans le cas d’un scénario travaillant surtout sur le plan intratextuel et sur le rapport entre les œuvres stendhaliennes elles-mêmes, en se réappropriant les modalités discursives.

Dans la première partie, un chapitre se consacre à l’étude comparée et différentielle du Rouge et le Noir avec Les Bacchantes d’Euripide, ainsi que d’une traduction française du XVIIIe siècle, le Penthée ou les Bacchantes, tragédie d’Euripide de Pierre Prévost, qui se

trouve dans le Théâtre des Grecs de Pierre Brumoy. Le caractère inédit de cette analyse réside dans la comparaison textuelle des deux œuvres32 et sa principale difficulté en est la

« construction des comparables », selon les termes de Heidmann. Le choix d’utiliser en parallèle à l’œuvre grecque une traduction française de l’époque, lecture présumée de Stendhal lui-même, se justifie avant tout par la nécessité de mettre en relation la mise en langue et le contexte linguistique des deux œuvres, afin d’envisager ensuite les éléments pivots de la comparaison, entre similarités et différences. Le deuxième chapitre se consacre encore au Rouge, dans l’idée cependant de mettre en lumière les enjeux des références au « mythe littéraire » de Don Juan, c’est-à-dire à la partie concernant la réception stendhalienne de la tradition littéraire donjuanesque. Toutefois, l’analyse se bornera par la suite à une comparaison différentielle du Don Giovanni de Mozart et du roman stendhalien.

La nouvelle Les Cenci sera quant à elle l’objet d’étude du troisième chapitre. J’examine cette nouvelle dans la perspective d’une (re)configuration, voire d’une (r)écriture du « mythe » de Don Juan ; la comparaison porte sur la tradition littéraire du « mythe » à travers le prisme de la réception de Stendhal. Par rapport aux comparaisons antérieures, je

32 Michael Nerlich, dans son article « Le Rouge et le Noir ou le Dieu qui revient », propose une lecture de

Julien Sorel en Dionysos et du roman dans son intégralité à travers l’iconographie et les rituels des mythes orphiques, mais il ne fait qu’une fugace allusion aux Bacchantes d’Euripide. (Id., « Le Rouge et le Noir ou le Dieu qui revient », art. cit.)

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focalise notamment mon travail sur les plans des modalités génériques et de l’énonciation.

La seconde partie, « Autres perspectives », traitera au contraire de Vie de Henry Brulard et de Lamiel. L’analyse s’appuie sur un travail textuel et intratextuel qui, de temps à autre, utilise les outils critiques de la comparaison différentielle afin de mettre en avant des éléments inédits et communs aux œuvres stendhaliennes et leurs enjeux génériques. Sous cet angle, j’analyse des occurrences textuelles de Vie de Henry Brulard, « migrant » du Rouge et le Noir et qui relèvent d’un processus spécifique de la mémoire, agissant aussi bien sur le texte romanesque que sur le texte autobiographique. En revanche, mon étude de Lamiel porte aussi bien sur une relecture de la représentation de l’énergie féminine que sur les implications qu’elle engage sur les plans de l’énonciation et de l’inscription générique, avec cette particularité que l’œuvre est restée inachevée.

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I.

U

NE ÉTUDE DU

R

OUGE ET LE

N

OIR ET DES

B

ACCHANTES

:

UNE HYPOTHÈSE

D

ANALYSE COMPARÉE ET DIFFÉRENTIELLE

Ce chapitre se consacre à l’analyse comparée et différentielle du roman Le Rouge et le Noir et de la tragédie des Bacchantes d’Euripide, afin de faire « dialoguer » texte ancien et texte moderne.

Appréhender la lecture de ce roman comme la (r)écriture tout-court de la tragédie ancienne est impossible, du moins dans l’acception méthodologique de Heidmann :

La pratique littéraire et plus généralement culturelle qui consiste à se référer à ces vieilles histoires hellènes que nous appelons communément les mythes grecs est en usage depuis l’Antiquité. Les premières œuvres littéraires grecques relèvent de cette pratique. Ingénieusement reconduite dans la langue et culture latine, qui a transformé les vieilles histoires hellènes en « mythes gréco-romains », la pratique d’y recourir de façon créatrice s’est largement déployée dans les autres cultures occidentales et au-delà. Elle ne cesse de se renouveler et de chercher de nouveaux modes d’expression et de nouvelles formes jusque dans les médias les plus récents. Les œuvres qui en résultent sont à la fois des écritures et des ré-écritures dans le sens où, dès l’Antiquité, elles reprennent, sous forme de nouvelles écritures et pour leur donner une nouvelle pertinence, des récits de la tradition hellène et latine qui étaient toujours déjà des « vieilles histoires » (ta arkhaîa).33

Je tenterai néanmoins d’examiner l’œuvre de Stendhal à la lumière d’une possible résonance des Bacchantes, par le biais d’une analyse des modalités spécifiques du texte littéraire : génériques, énonciatives, intertextuelles et interdiscursive et de la mise en texte et en langue. Mon travail de relecture du roman stendhalien, visant à repérer une comparaison du roman avec les Bacchantes, dont découlent certains enjeux, reposera par conséquent sur l’approche méthodologique proposée au chapitre précédent.

À cause de son panorama intertextuel très complexe, le potentiel herméneutique du Rouge donne lieu à plusieurs interprétations également valables qui en érigent l’édifice romanesque : les Bacchantes d’Euripide peuvent constituer une piste qui exemplifie la contamination des éléments « mythiques » et mimétiques dans Le Rouge et qui engagent, en ce qui concerne l’aspect générique, une hybridation textuelle. Mon hypothèse de

33 Ute Heidmann, « Différencier au lieu d’universaliser. Comparer les façons de (r)écrire des mythes »,

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travail se base alors sur un procédé heuristique qui vise à découvrir les éléments en communs aux deux textes et qui peuvent témoigner d’un possible dialogue entre les deux œuvres touchant à tous les plans de la textualité. Ensuite je m’appuierai sur les éléments qui relèvent du « processus de différenciation » proposé par Heidmann.

Stendhal ne lisait pas le grec : par conséquent une étude liminaire portera autant sur la réception de cette tragédie pour comprendre si elle peut s’inscrire dans l’horizon culturel de Stendhal que sur sa possible réélaboration à l’intérieur même du roman. À ce propos, en suivant la voie tracée par l’approche méthodologique de Heidmann, je considérerai en parallèle à la version grecque une traduction qui aurait pu être lue par le romancier. Le choix, porté sur Penthée ou les Bacchantes, tragédie d’Euripide, découle de la nécessité de tenir compte des enjeux de la « mise en langue » d’une traduction à l’intérieur de son cotexte d’énonciation, ainsi qu’aux effets de sens créés par le processus de ré-énonciation. Une fois le cadre de la comparaison défini et le choix du Corpus du chapitre justifié, je m’appliquerai à tracer des axes comparatifs aptes à justifier mon travail, en d’autres termes je m’occuperai de ce que Heidmann définit comme la « construction de comparables » : vrai cœur du chapitre, concernant l’analyse des modalités discursives du Rouge intéressées par les références aux Bacchantes. J’examinerai les similarités et les différences portant aussi bien sur les éléments internes à la diégèse du texte qu’à la composante lexicale et les modalités de la mise en langue. C’est d’ailleurs sur les modalités de l’énonciation ainsi que sur celles de l’inscription génériques que l’analyse se concentrera : bien que le roman de Stendhal ne soit pas une (r)écriture des Bacchantes, je chercherai à examiner les aspects et les implications politiques relatifs à la dimension sociale et culturelle des deux œuvres, afin d’en dégager les éléments communs et divergents.

Il convient d’alléguer quelques considérations au sujet des Bacchantes : le choix de proposer une comparaison pour le moins singulière en ce qui concerne les études stendhaliennes s’inspire d’un travail propédeutique précédemment réalisé. En effet, dès mon mémoire de maîtrise j’ai associé certains mythes à l’écriture narrative de Stendhal. Ce travail s’inscrivait cependant dans un horizon épistémologique très différent et s’appuyait sur une autre approche méthodologique focalisée sur ce que l’on appelle « mythèmes », en accord avec Lévi-Strauss, et sur la dimension « archétypale », sinon « psychologisée », des mythes. Ceci s’avéra néanmoins profitable pour l’étude des homologies, des points de contact et des morphologies narratives entre tradition mythologique et texte stendhalien. Approfondissant au-delà de cette méthode de travail

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préalablement utilisée, j’ai conservé les matériaux « bruts » de mon mémoire pour les redéfinir au sein d’un travail focalisé sur les œuvres littéraires et sur l’analyse des modalités discursives inhérentes.

Quant à la comparaison entre les Bacchantes et le Rouge, l’idée remonte à l’ébauche d’une comparaison entre Bacchus ou Dionysos (le choix du nom dépendant de la tradition de référence) et Julien. Ce genre de travail a déjà fait l’objet d’une étude par Michael Nerlich qui, dans son article « Le Rouge et le Noir ou le Dieu qui revient34 », propose un

rapprochement à partir de l’aspect physique de Julien, au tournant d’une double sexualité. À partir de ce dernier aspect, mon précédent travail m’avait déjà menée vers l’étude du personnage mythique associé au personnage romanesque : tout en considérant la tournure féminine, ou mieux une sexualité double une caractéristique typique du héros romanesque romantique, je l’avais envisagé, ainsi que l’aspect physique singulier du héros stendhalien, un élément utile à la comparaison. À ce sujet, ma lecture actuelle ne s’oppose pas à l’interprétation socioculturelle qui fait de la « féminisation » du personnage un trait littéraire typique de l’époque postrévolutionnaire, mais se pose au contraire comme son corollaire. Le rapprochement opéré entre Julien et le dieu m’avait d’ailleurs amenée à la tragédie grecque, mais je n’avais alors retenu que la description physique proposée par Euripide et qui semblait cohérente vis-à-vis de mon premier travail de comparaison. J’ai d’ailleurs conservé cet aspect : tout en l’examinant pour mettre en lumière les traits communs au dieu et au héros stendhalien, j’ai utilisé la traduction de Prévost pour essayer une comparaison textuelle. L’idée d’examiner les implications discursives d’une comparaison entre Les Bacchantes et Le Rouge et le Noir, et donc de ne pas restreindre l’analyse aux homologies des « narrations » et des personnages, ne m’est toutefois apparue qu’au cours de ma recherche de doctorat. Cette étude a été conduite avant tout à partir des modifications auctoriales et singulières qui concernent la fin des deux œuvres et que j’ai cherché ici à mettre en relation. Mon travail ne cherche pas tant à montrer une possible influence d’une œuvre sur l’autre, ce qui demeure d’ailleurs indéniablement discutable, qu’à étayer les aspects communs et « différentiels » que la comparaison nous offre. Toujours est-il que d’autres points de contact, qui seront explicités au fur et à mesure du chapitre, ont permis l’évolution de mon analyse vers une comparaison littéraire de la tragédie ancienne avec le roman du XIXème siècle.

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L’analyse des modalités discursives nous permet ici, avant même de rechercher une quelconque filiation ou influence d’une œuvre sur l’autre, de réévaluer systématiquement les similitudes et les différences à partir du changement de leur contexte et « cotexte ». Ceci engage la modification des modalités discursives qui constituent mon objet d’étude. Stendhal a-t-il lu Les Bacchantes et cette tragédie ancienne est-elle l’un des modèles de son roman ? L’auteur a incontestablement côtoyé d’autres « filiations » artistiques de l’œuvre portant sur le dieu Bacchus ou Dionysos, à savoir les tableaux de la Renaissance, et il a lu des tragédies d’Euripide. Malgré mes tentatives pour comprendre si Stendhal a eu la possibilité d’approcher Les Bacchantes, je n’ai trouvé que des indices, mais rien qui atteste indéniablement de sa lecture. Il reste néanmoins à savoir si son roman peut être rapproché du texte ancien et à expliquer les raisons au sein de cette analyse.

Il faut d’abord répéter que la méthode utilisée au cours de ma thèse n’ignore pas l’existence d’implications rituelles et cultuelles, sinon anthropologiques, des représentations des « mythes ». Il s’agit tout simplement de ne pas, à raison, les considérer comme objets d’étude et de se pencher en revanche sur ce qui a trait à l’écriture. De même, parler d’une dimension « archétypale » des mythes, au sens commun, ne prend ici son sens qu’en la concevant comme le produit d’une abstraction et, avant tout, d’une réception subséquente : tout en faisant référence à un imaginaire commun, le cas dionysiaque, j’avance l’idée qu’il s’agit d’une construction successive, envisageable éventuellement comme « conglomérat » cognitif35. Ce qui le détermine sont

une tradition et une réception (occidentale, soulignons-le) des œuvres et des formes de représentations qui se font écho grâce à un processus dialogique et intertextuel : en d’autres termes, des (r)écritures au sens accordé par Heidmann. Les siècles et les nombreux ouvrages qui se dressent entre la tragédie d’Euripide et Le Rouge ont modifié leur horizon culturel et leur contexte d’énonciation. Il me semble par ailleurs impossible de parler d’une structure ou d’un archétype lorsque cela relève de la réception de Stendhal, ainsi que de n’importe quel récepteur : la perméabilité du concept de (r)écriture nous permet de l’envisager au contraire à partir de la réception stendhalienne des œuvres ayant trait au « mythe » qui, le cas échéant, puise dans un « récit » ancien36 ayant des

35Voir infra « ANNEXE - Une autre perspective : « mythe » et cognitive frame ».

36 « Les œuvres qui en résultent sont à la fois des écritures et des ré-écritures dans le sens où, dès

l’Antiquité, elles reprennent, sous forme de nouvelles écritures et pour leur donner une nouvelle pertinence, des récits de la tradition hellène et latine qui étaient toujours déjà des « vieilles histoires » (ta arkhaîa). » (Ute Heidmann, « Différencier au lieu d’universaliser. Comparer les façons de (r)écrire des mythes », art. cit., p. 16)

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implications cultuelle et rituelle. Qui plus est, il s’avère inévitable que, dans un cadre d’analyse non-hiérarchisé le soi-disant « récit originel » a autant de valeur que chaque (re)configuration successive, dont Les Bacchantes d’Euripide.

L’analyse des modalités discursives nous fait ainsi comprendre l’aspect « évolutif », terme que j’utilise dans une acception neutre et purement chronologique, des œuvres à partir de leurs contextes : « La notion de discours implique que tout texte est indissociable de son contexte d’énonciation et qu’il construit ses effets de sens en étroite relation avec lui. Ce présupposé constitue un apport essentiel pour le comparatisme littéraire, car il lui ouvre le champ d’investigation interculturel qui est le sien37. » Sous cet

angle, l’analyse et la recherche d’une éventuelle « filiation » est subordonnée à la mise en comparaison des deux œuvres en elles-mêmes en tant que produits du discours littéraire et culturel. L’on voit que l’usage du terme « filiation » sans guillemets est dangereux car chaque œuvre se redéfinit aussi bien à partir de son contexte référentiel que de son cotexte littéraire précédent. Ce qui nous intéresse alors est le « dialogue intertextuel » qui les relie et qui n’est que partiellement dépendant de l’intertexte encyclopédique et personnel de l’auteur. De ce fait, les deux œuvres peuvent être comparées autant sous l’angle de la réception que du contexte d’énonciation : par conséquent, la mise en dialogue des textes que j’ai conduite ici a été effectuée en vue d’une réévaluation de certains aspects de l’œuvre stendhalienne, notamment du Rouge et le Noir, dans une perspective qui cherche à en donner une autre lecture possible. Ces prémisses posées, il est indéniable que le dialogue découlant du rapport entre auteur moderne et tragédie ancienne demeure néanmoins une partie essentielle de mon travail et c’est à ce sujet que je consacre l’étude liminaire qui suit.

37 Ute Heidmann, « Enjeux d’une comparaison différentielle et discursive. L’exemple de l’analyse des

contes », Hubert Roland et Stéphanie Vanasten (dir.), Cahier voor Literatuurwetenschap, n° 2, 2010, p. 27-40, p. 31-32.

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Stendhal, lecteur des Bacchantes

En ce qui concerne la contextualisation langagière du texte, j’ai souligné comme il me semble nécessaire d’associer une traduction, que Stendhal a probablement lue, à la version originale d’Euripide. Ceci me permettra d’envisager le texte dans la globalité du processus de « mise en langue » et de contextualisation. La « querelle » au sujet de la traduction des tragédies anciennes faisant rage aux XVIIIe et XIXe siècles, il s’agira

d’évaluer le poids qu’elle eut dans le choix du texte des Bacchantes pour définir les limites d’une comparaison avec le Rouge. À cette fin, je procéderai en traitant brièvement la formation stendhalienne à la littérature grecque. Je m’attarderai également sur l’histoire des enjeux éditoriaux de la traduction du Théâtre des Grecs de Pierre Brumoy ainsi que sur les motivations qui ont poussé à préférer l’édition des Bacchantes de Pierre Prévost de 1787.

Stendhal face à la littérature grecque38

Il est difficile d’évaluer l’étendue des connaissances de Stendhal sur la littérature et la tragédie grecques. À première vue, il semble qu’il considère le monde de Anciens comme anachronique et uniquement destiné à nourrir les réflexions de savants dans les académies contre lesquelles il crie au pédantisme. Sa résistance « romantique » aux langues mortes et à la littérature classique et ancienne39 apparaît toutefois n’être qu’un leurre, son œuvre

présentant un intertexte orienté aussi vers une matrice grecque et latine40. S’il a étudié la

langue latine dès l’enfance41, son projet, avorté, d’apprendre le grec ne vint que plus tard.

38 Voir le titre de Georges Kliebenstein, « Stendhal face au grec » dans Marie-Rose Corredor (dir.), Stendhal à Cosmopolis, Stendhal et ses langues, Grenoble, Ellug, 2007, p. 25-59 ; Id., s.v. « Grèce\grecs\grec », dans Yves Ansel, Philippe Berthier, Michael Nerlich (dir.), Dictionnaire de Stendhal, Paris, Champion, 2003, p. 310-313.

39 Voir Georges Kliebenstein, « Stendhal face au grec », art. cit. ; Victor Del Litto, « Lectures » dans Id., La vie intellectuelle de Stendhal : genèse et évolution de ses idées (1802-1821), Paris, Presses universitaires de France, 1959, p. 79-95.

40 Voir par exemple Michael Nerlich, « Le Rouge et le Noir ou le Dieu qui revient », art. cit. ; Id.,

« Stendhal, ou l’invention de l’écriture et de la science des signes », op. cit. ; Gilbert Durand, Le décor

mythique de la Chartreuse de Parme, op. cit.

41 Au sujet de la langue latine voir Victor Del Litto, « Stendhal et l’antiquité, présence du latin », Les lettres romanes, Hors-série, « Stendhal 1783-1842, cultures antique et médiévale », 1992, p. 7-20 et Philippe Berthier, « La bibliothèque latine de Stendhal », Les lettres romanes, Hors-série, « Stendhal 1783-1842,

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