La chimiothérapie adjuvante
La chimiothérapie adjuvante améliore incontestablement la survie sans rechute et la survie des patientes qui ont présenté un cancer du sein.
La méta-analyse d’Oxford menée par Richard Peto a quantifié récemment ce bénéfice (1).
Analysée sur un suivi de quinze ans, la polychimiothérapie est responsable, glo- balement, d’une diminution relative du risque de rechutes de 23 % ± 2, de décès spécifiques de 17 % ± 2 et de décès, quelle que soit la cause, de 15 % ± 2.
Néanmoins, ces résultats varient avec l’âge de la patiente : il est clair dans le tableau 1 que le bénéfice est beaucoup moins évident chez la patiente plus âgée : après 60 ans, la diminution relative est à peu près la moitié de celle obtenue entre 50 et 60 ans.
Tableau 1 - Diminution relative des risques.
Rechute % Décès spécifique % Décès %
Global 23 ± 2 17 ± 2 15 ± 2
Age < 40 40 ± 6 29 ± 7 29 ± 7
40 – 49 36 ± 4 30 ± 5 27 ± 5
50 – 59 23 ± 3 15 ± 4 15 ± 3
60 – 69 13 ± 3 9 ± 4 7 ± 3
70 + 12 ± 11 13 ± 12 12 ± 11
Exprimés en taux absolus, les bénéfices sont aussi différents suivants l’âge de la patiente : avant et après 50 ans (tableau 2).
Dans quelles circonstances, cette association est utile ?
M. Namer
Tableau 2 - Bénéfice à quinze ans en taux absolu.
Rechute % Décès spécifique % Décès %
Avant 50 ans 12,3 ± 1,6 10,0 ± 1,6 8,7 ± 1,6
50 – 69 ans 4,2 ± 1,2 3,0 ± 1,3 2,1 ± 1,3
Dans toutes les circonstances, la différence reste significative : p < 0,0001. Ceci est probablement dû au grand nombre de patientes impliquées : avant 50 ans, 26 743, entre 50 et 69 ans, 30 139. Il est néanmoins objectif de faire remarquer qu’il faudra faire subir la chimiothérapie à 100 femmes ménopausées pour en faire bénéficier de 2 à 4.
Variations des diminutions relatives obtenues par une chimiothérapie suivant les caractéristiques de la tumeur ou du traitement
Les diminutions relatives de risque ont été calculées dans différentes circonstances.
Elles sont globalement moins importantes pour les patientes qui ont entre 50 et 69 ans. Si l’on se base sur la survie globale, les bénéfices ne sont pas significatifs pour les cancers du sein ménopausées ayant une tumeur RE+ (tableau 3).
Tableau 3 - Diminution relative des risques.
Rechutes % Décès %
< 50 ans 50-69 ans < 50 ans 50-69 ans
Protocole : CMF 41 ± 4 19 ± 3 31 ± 5 10 ± 3
Anthracyclines 37 ± 8 21 ± 4 25 ± 9 14 ± 4
N moins 36 ± 5 22 ± 5 26 ± 6 20 ± 6
N plus 37 ± 5 17 ± 5 28 ± 5 9 ± 3
RE moins 39 ± 7 22 ± 5 30 ± 8 25 ± 8
RE plus 44 ± 7 17 ± 3 27 ± 10 1 ± 8
La diminution du taux absolu de rechutes à cinq ans est aussi influencée par l’âge des patientes, comme le montrent les tableaux 4 et 5.
Tableau 4 - Bénéfice à quinze ans en taux absolu.
N moins % N plus %
Avant 50 ans 9,9 (SE 1,3) 14,6 (SE 2,3)
50-69 ans 5,3 (SE 1,0) 5,9 (SE 1,0)
428 Cancer du sein
L’état ganglionnaire influence peu les bénéfices.
Tableau 5 - Bénéfice absolu sur les rechutes à cinq ans.
RE moins % RE plus %
Avant 50 ans 12,8 (SE 2,5) 7,6 (SE 1,7)
50-69 ans 12,1 (SE 2,7) 4,9 (SE 0,9)
La présence de récepteurs d’estrogènes conditionne l’efficacité de la chimiothé- rapie.
Il est clair que la patiente RE+ perd à peu près 50 % du bénéfice obtenu par la patiente RE-. Parallèlement, la patiente ménopausée perd à peu près 50 % du béné- fice obtenu par la patiente âgée de moins de 50 ans. Il est légitime de se poser des questions sur l’utilité d’une chimiothérapie pour les patientes ménopausées RE+.
La même réflexion peut se faire à partir de l’état de différenciation de la tumeur (tableau 6).
Tableau 6 - Diminution relative des risques.
Rechutes % Décès %
Différentiation < 50 ans 50 – 69 ans < 50 ans 50 – 69 ans
Bonne 44 ± 15 8 ± 10 ND 11 ± 10
Modérée 38 ± 8 10 ± 5 29 ± 9 4 ± 5
Mauvaise 43 ± 9 22 ± 5 41 ± 11 13 ± 7
ND : Non déterminé.
Il semble que pour les patientes ayant de 50 à 69 ans, seules les tumeurs de mauvaise différentiation pourraient, à la rigueur, profiter d’une chimiothérapie.
Influence de l’addition d’une anthracycline à la chimiothérapie adjuvante
Les anthracyclines font partie actuellement de tous les protocoles modernes de chi- miothérapie adjuvante. Il est intéressant de voir si ces protocoles vont subir la même influence suivant les caractéristiques de la patiente ou de sa tumeur (tableaux 7 et 8).
Tableau 7 - Diminution relative du risque (CT avec anthracyclines).
Rechutes Survie
Avant 50 ans 10 ± 4 15 ± 4
50-69 ans 13 ± 5 14 ± 6
430 Cancer du sein
Tableau 8 - Diminution relative du risque (CT avec anthracyclines).
Rechutes Survie
N - 12 ± 6 22 ± 7
N + 11 ± 3 13 ± 4
Les bénéfices procurés par l’utilisation de protocoles de chimiothérapie asso- ciant une anthracycline ne sont pas influencés par l’âge ou l’état ganglionnaire (tableau 9).
Tableau 9 - Diminution relative du risque (CT avec anthracyclines).
Rechutes Survie
RE- 10 ± 4 14 ± 4
RE+ 11 ± 6 13 ± 8
Les patientes dont la tumeur exprime la présence de récepteur d’estrogènes ne vont pas avoir d’amélioration significative de leur survie sans rechute et de leur survie générale.
L’influence de la posologie de l’anthracycline a été explorée par l’étude CALGB 8541 (2). Toutes les patientes recevaient une chimiothérapie par le protocole CAF avec trois posologies d’adriamycine : faible, moyenne et forte. L’augmentation de la posologie n’a profité qu’aux patientes RE-. La diminution des rechutes est de 36 % pour les tumeurs RE- (IC de 15 % à 52 %) et de 14 % pour les tumeurs RE+ (IC de -18 % à 37 %). La diminution des décès est de 29 % pour les patientes RE- (IC de 3 % à 48 %) et de 8 % pour les patientes RE+ (IC de -27 % à 36 %).
Influence de l’addition d’un taxane à un protocole de chimiothérapie adjuvante comportant une anthracycline
Il y a deux façons d’ajouter un taxane à un protocole de chimiothérapie comportant une anthracycline : soit en combiné avec l’anthracycline, soit en séquentiel avec presque toujours l’anthracycline donnée au début.
Protocoles combinés
L’exemple presque unique se trouve dans l’essai thérapeutique du BCIRG 001 (3)
comparant six cycles de FAC (fluoro-uracile : 500 mg/m
2+ adriamycine 50 mg/m
2+ cyclophosphamide 500 mg/m
2) à six cycles de TAC (taxotère 75 mg/m
2+ adria-
mycine 50 mg/m
2+ cyclophosphamide 500 mg/m
2). Ce groupe a randomisé 1 491
patientes entre ces deux bras. La moitié des patientes étaient ménopausées et 76 %
avaient des récepteurs d’hormone positifs. Les résultats n’ont pas été analysés sui-
vant l’état ménopausique. Néanmoins, l’analyse des résultats suivant l’état des
récepteurs d’hormones montre une diminution du risque de 31 % pour les RE- (p < 0,03) et de 28 % pour les RE+ (p < 0,008). Il n’y a pas eu d’analyse des patientes suivant leur état ménopausique.
Protocoles séquentiels
Deux essais thérapeutiques très semblables ont été réalisés avec le Taxol®.
Essai du CALGB 9344 (4)
Les 3 121 patientes N+ sélectionnées ont été randomisées entre un bras qui recevait quatre cycles de AC (adriamycine 60, 75 ou 90 mg/m
2+ cyclophosphamide 500 mg/m
2) et un autre bras où la chimiothérapie avec AC était suivie de quatre cycles de 175 mg/m
2de Taxol®. Les patientes RE+ ont reçu du tamoxifène qui a démarré après la fin de la chimiothérapie. Après soixante-neuf mois de suivi, les résultats ont été globalement positifs. Survie sans rechute : diminution des événe- ments de 17 % (p = 0,002), survie globale : diminution des décès de 18 % (p = 0,006). Pour la survie sans rechute, le bénéfice n’a été retrouvé que pour les patientes RE- : diminution du risque de 25 % (IC de 11 % à 36 %), tandis que cette diminu- tion n’est que de 12 % pour les RE+ (IC de -4 % à 25 %). Pour la survie globale, le bénéfice est de 25 % pour les RE- (IC de 11 % à 37 %) et de 10 % pour les RE+
(IC de -10 % à 26 %).
Essai du NSABP B28 (5)
Les 3 060 patientes qui ont été incluses ont été randomisées dans un essai de schéma assez proche. Les quatre AC n’ont eu qu’une posologie d’adriamycine. Le Taxol®
était à la dose de 225 mg/m
2. Le tamoxifène a été prescrit aux patientes RE+ et a été administré dès le début de la chimiothérapie. Après soixante-quatre mois de suivi, les résultats ont été positifs pour la survie sans rechute : diminution du risque de faire un événement de 0,83 avec un intervalle de confiance de 0,72 à 0,93. La survie globale n’a pas été modifiée d’une manière significative : Hazard ratio : 0,94, IC : 0,81-1,07. L’état des récepteurs d’hormones n’influence pas les résultats.
Ces deux essais qui ont démontré la supériorité du bras où le Taxol® était rajouté
à la fin des quatre AC mélangent en fait deux variables : l’addition du Taxol® et la
prolongation du protocole, qui passe de quatre cycles à huit cycles. La prolongation
d’un protocole de chimiothérapie adjuvante peut influencer les résultats, comme l’a
montré la méta-analyse d’Oxford. Cette influence est variable suivant l’âge ou l’état
des récepteurs d’estrogènes (tableau 10).
432 Cancer du sein
Tableau 10 - Diminution des risques relatifs.
Rechutes Décès
< 50 ans RE - 40 ± 7 35 ± 9
< 50 ans RE + 33 ± 8 20 ± 10
> 50 ans RE- 30 ± 5 17 ± 6
> 50 ans RE+ 18 ± 4 9 ± 5
Il est clair que les patientes qui ont plus de 50 ans et des récepteurs d’hormones positifs ne bénéficient pas d’un allongement de la chimiothérapie.
Un autre essai utilisant le taxotère en séquentiel a été récemment publié : c’est l’étude PACS 01 (6) : 2 000 malades N+ ont été randomisées entre un bras qui rece- vait six cycles de FEC 100 (fluoro-uracile 500 mg/m
2+ epirubicine 100 mg/m
2+ cyclophosphamide 500 mg/m
2) et un autre bras qui recevait trois cycles de FEC 100, suivis de trois cycles de taxotère 100 mg/m
2. La moitié des patientes étaient méno- pausées. Les trois quarts avaient des RE+. Après un suivi de cinq ans, il a été montré que l’introduction du taxotère améliorait la survie sans rechute : HR : 0,83 (IC : 0,69-0,99). Contrairement aux résultats habituels dans les essais de chimiothérapie adjuvante, ce bénéfice ne se retrouve que pour les patientes qui avaient plus 50 ans (HR : 0,67 ; IC : 0,51 à 0,88). L’amélioration n’est pas significative pour les patientes qui ont moins de 50 ans (HR : 0,98 ; IC : 0,77 à 1,25). De la même façon, il n’y a pas eu de bénéfice pour les patientes qui ont des RE+ ou qui prenaient du tamoxifène.
La survie globale a été améliorée (HR : 0,77 ; IC : 0,59 à 1,00).
L’hormonothérapie adjuvante
Pendant vingt-cinq ans, l’hormonothérapie adjuvante a été dominée par le tamoxi- fène. Ce produit a été prescrit sur une période de cinq ans et à la posologie de 20 mg/j. Dans ces conditions, les bénéfices ne sont pas influencés par l’âge ou par l’état ganglionnaire (tableau 11).
Tableau 11 - Diminution relative des risques.
Rechute % Décès spécifique % Décès %
Global 39 ± 2,8 32 ± 4 24 ± 3
Âge < 40 44 ± 10 41 ± 12 37 ± 12
40-49 29 ± 7 24 ± 9 18 ± 9
50-59 34 ± 5 24 ± 7 16 ± 7
60-69 45 ± 5 35 ± 6 27 ± 5
70 + 51 ± 12 37 ± 15 35 ± 11
N- 39 ± 4
31 ± 5 20 ± 4
N+
39 ± 4 31 ± 5 29 ± 5
Après quinze ans de suivi, la tamoxifène améliore les taux bruts de survie sans rechute de 11,8 % ± 1,3 et de survie générale de 7,9 % ± 1,3. L’influence de l’âge et de l’état ganglionnaire a été étudiée par l’évaluation des bénéfices bruts à cinq ans : – 9,7 % ± 1,5 pour les moins de 50 ans et 12,3 % ± 1,0 pour les plus de 50 ans ; – 9,1 % ± 0,9 pour les N- et 16,1 % ± 1,8 pour les N+.
Contrairement à la chimiothérapie, le tamoxifène va être efficace pour les patientes ménopausées et dont la tumeur est différenCiée et exprime un taux positif de récepteur d’hormone.
L’hormono-chimiothérapie adjuvante
Devant ces deux méthodes thérapeutiques différentes, la question qui se pose est de savoir si on doit les associer.
Addition d’une chimiothérapie au tamoxifène : chimiothérapie plus tamoxifène versus tamoxifène
Plusieurs essais thérapeutiques ont été réalisés dans ce but.
Le NSABP B-20 répond à cette préoccupation (7). Un total de 2 363 patientes ont été randomisées entre le tamoxifène seul ou associé à CMF ou à MF (melphalan + fluoro-uracyle). Globalement, les patientes qui ont reçu l’association d’hormono- thérapie et de chimiothérapie ont eu, à cinq ans, une meilleure survie sans rechute (85 % versus 89 % : p = 0,0001) et une meilleure survie (94 % versus 96 % : p = 0,03). Une analyse récente avec n suivi de 11,8 ans a démontré que le bénéfice le plus important revenait aux patientes ayant moins de 50 ans. Ce bénéfice n’est plus significatif pour les patientes âgées de plus de 60 ans.
Le groupe IBCSG (8) a inclus 1 669 patientes dans un essai qui a comparé la prise de tamoxifène à la prise de cette hormonothérapie associée à du CMF. Les patientes étaient RE- ou RE+ ! Après soixante et onze mois de suivi, la chimiothé- rapie n’a pas bénéficié aux patientes ménopausées RE+.
Le groupe SWOG (9) a réalisé une étude dans le but d’explorer la même problé-
matique : les patientes ménopausées N+, RE ou RPg+ ont été randomisées entre
cinq ans de tamoxifène et la même hormonothérapie associée avec une chimiothé-
rapie avec anthracycline (CAF). L’originalité de cette étude est qu’ils ont testé deux
modes d’association : le tamoxifène était donné, soit avec (concomitant), soit après
(séquentiel) la chimiothérapie. Après un suivi de dix ans, les résultats sont nette-
ment en faveur de l’association en séquentielle. La survie sans rechute et la survie
globale ont été améliorées de respectivement de 31 % et de 21 %. La différence
absolue pour la survie sans rechute était de 12 % et pour la survie de 8 %
(tableau 12).
Tableau 12 - Survie sans rechute, survie générale.
Tamoxifène 48 % 60 %
CAF + tamoxifène 53 % 62 %
CAF suivi de tamoxifène 60 % 68 %
Plus proche de nous, le groupe GFEA (10) a analysé récemment 457 patientes ménopausées de deux essais (GFEA 02 et 07) qui exploraient l’apport de l’addition du FEC 50 à une hormonothérapie par tamoxifène. Après un suivi de neuf ans, l’ad- dition de la chimiothérapie a amélioré la survie sans rechute de 11,3 % (p = 0,008).
La survie a été améliorée de 3,8 % et la différence n’est pas significative.
Le groupe d’Oxford a quantifié l’association hormono-chimiothérapie dans sa méta-analyse (tableau 13).
Tableau 13 - Diminution relative des risques.
Rechutes Survie
Avant 50 ans 35 ± 7 31 ± 9
50-69 ans 16 ± 3 10 ± 3
Addition du tamoxifène à une chimiothérapie. Tamoxifène + chimiothé- rapie versus chimiothérapie
Ceci a été réalisé beaucoup plus fréquemment. La bonne tolérance de l’hormono- thérapie pose dans cette situation beaucoup moins de problèmes éthiques.
La méta-analyse distingue l’association concomitante de l’association séquen- tielle, mais ne spécifie rien sur l’âge (tableau 14).
Tableau 14 - Diminution relative des risques.
Rechutes Survie
CT + tamoxifène vs CT 40 ± 8 38 ± 8
CT puis tamoxifène vs CT 31 ± 7 24 ± 9