CONCLUSION
Raymond Devos était prédestiné à devenir artiste, dès son enfance il a été attiré par le monde du spectacle. Se vouer au métier de comique n’a pas été un choix, mais une question de talent inné. « Je devais agiter mon hochet comme un fou agite sa marotte, sûrement, mais je ne pouvais pas le constater »
1, a-t-il dit à son ami et journaliste Guy Silva. Puis, tout au long de sa vie, l’expérience lui a donné la maîtrise du débit, de la mimique, du rythme, des gestes ; et tout cela, avec sa dextérité à manipuler le langage et à parsemer ses spectacles d’éléments comiques multiformes, a créé un comique extraordinaire, d’un genre tout à fait inédit. Ce qui suscite l’émerveillement et l’enthousiasme chez les spectateurs, ce sont surtout ses jeux de mots qui se suivent parfois rapidement dans ses monologues. Nous avons constaté, en effet, que l’accélération ou le ralentissement de l’énonciation, les pauses, en un mot, le rythme, est un élément essentiel qui multiplie l’effet comique. Nous nous demandons la raison pour laquelle le rythme, mais aussi tous les éléments paralinguistiques et de l’oralité, sont tellement importants pour apprécier non seulement le comique de Devos, mais aussi le comique en général. Il s’agit, selon nous, d’une question complexe, qui puise, probablement, dans la complexité des circuits neuronaux. On sait que l’élaboration d’un énoncé pendant la lecture parcourt, à travers les synapses, des zones du cerveau partiellement différentes de celles parcourues pendant l’écoute du même énoncé. Si l’on tient compte aussi du fait que les stimuli de la vue et de l’ouïe sont bien plus nombreux pendant que l’on assiste au récital d’un acteur, plutôt que pendant la lecture silencieuse d’un texte, force est de reconnaître que le mécanisme neurophysiologique du comique reste influencé par cette différence, par la présence ou moins de la composante paralinguistique et orale.
Un autre motif qui expliquerait le poids des éléments prosodiques et paralinguistiques dans la perception d’un effet comique, réside dans l’aspect social du phénomène comique.
Comme nous le rappelle Devos
2, et comme chacun de nous a pu l’expérimenter au moins une fois dans sa vie, l’expression physique du rire est une manifestation contagieuse, qui se produit le plus souvent et avec plus d’intensité au sein d’un groupe de personnes, plutôt que chez un individu isolé. Cette contagion du rire pourrait dériver de ses origines préhistoriques : comme nous l’avons mentionné dans le premier chapitre, selon la théorie
1
G. Silva, Op. Cit., p. 21.
2
Ibid., p. 37.
soutenue par V. S. Ramachandran
3et par d’autres scientifiques, le rire serait le résultat d’une décharge d’énergie (vis-à-vis d’un danger qui s’est révélé soudainement inexistant), communiquée aux autres membres du groupe social.
Raymond Devos, seul sur les planches du théâtre, est enfin parvenu à incarner l’un des exemples mieux réussis de ce phénomène mystérieux, complexe, hétérogène et fascinant qu’est le comique.
3