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La prison et l'hopital psychiatrique du XVIIIe au XXIe siecle: institutions totalitaires ou services publics? Contribution à l'étude de la privation de liberté en France et du paradigme de l'institution totale

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LA PRISON ET

L'HOPITAL PSYCHIATRIQUE DU XVIII

E

AU XXI

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SIECLE :

INSTITUTIONS TOTALITAIRES OU SERVICES PUBLICS ?

Contribution à l'étude de la privation de liberté en France et du paradigme de l'institution totale

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UNIVERSITE DE NANTES

FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES

ECOLE DOCTORALE : DROIT, ECONOMIE-GESTION, SOCIETES,TERRITOIRES Année 2011 N° attribué par la bibliothèque

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THESE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L'UNIVERSITE DE NANTES Discipline : Droit public

présentée et soutenue publiquement par

Caroline MANDY

le 30 juin 2011

LA PRISON ET L'HOPITAL PSYCHIATRIQUE DU XVIIIE AU XXIE SIECLE :

INSTITUTIONS TOTALITAIRES OU SERVICES PUBLICS ?

Contribution à l'étude de la privation de liberté en France et du paradigme de l'institution totale

____

Directeur de thèse :

Monsieur Emmanuel CADEAU, Maître de conférences à l’Université de Nantes (HDR) ____

JURY

Madame Anne LAUDE, Professeur à l’Université René Descartes (ParisV) - Rapporteur Monsieur Grégoire BIGOT, Professeur à l’Université de Nantes

Monsieur Emmanuel CADEAU, Maître de conférences à l’Université de Nantes (HDR)

Monsieur Jacques CHEVALLIER, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) - Rapporteur Monsieur Jean DANET, Maître de conférences à l’Université de Nantes (HDR)

Monsieur Didier TRUCHET, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

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« La liberté des uns commence là où s'arrête celle des autres » (proverbe français)

« L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse : ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. »

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A la mémoire de Jean-Yves VINCENT,

A mes parents, A P., dont les facéties et la joie de vivre ont toujours su me rappeler à la réalité terrestre.

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS

LISTE DES ACRONYMES ET ABREVIATIONS UTILISES INTRODUCTION GENERALE

PREMIERE PARTIE :

Un état des lieux historico-juridique de la gestion de la privation de liberté : construction et prégnance du paradigme de l'institution totale

TITRE I : Le paradigme de l'institution totale Chapitre 1 : Naissance du paradigme Chapitre 2 : L'âge d'or du paradigme Conclusion du titre I

TITRE II : La déconstruction du paradigme de l'institution totale.

Réagencement pour un nouveau modèle

Introduction : Aperçu historique général : déconstruction du paradigme dans le discours, résistances dans la pratique

Chapitre 1 : La perte de l'autarcie matérielle Chapitre 2 : La perte de l'autarcie juridique Conclusion du titre II

CONCLUSION DE PARTIE I SECONDE PARTIE :

Lecture fonctionnelle de l'évolution institutionnelle :

Les institutions privatives de liberté face aux pouvoirs publics et à l'individu

TITRE I : Les institutions privatives de liberté progressivement saisies par le droit public : de l'institution totale au service public

Chapitre 1 : L'institution totale mode de gestion naturel de la privation de liberté Chapitre 2 : Le service public, mode de gestion moderne de la privation de liberté Conclusion du titre 1

TITRE II : De l'homme animalisé au citoyen administratif : les institutions privatives de liberté face à l'individu Chapitre 1 : Le processus décisionnel :

de l'enfermement à la liberté sous contrôle

Chapitre 2 : La définition des rapports de l'individu a l'institution au gré des époques : de la négation à la reconnaissance de la personne et du citoyen

Conclusion du titre II CONCLUSION DE LA PARTIE II CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DE JURISPRUDENCE TEXTES NORMATIFS

INDEX

TABLE DES MATIERES

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REMERCIEMENTS

C’est sur la mémoire de Jean-Yves VINCENT que je tiens à ouvrir ces remerciements, dont l’âme plâne au-dessus de ce travail qu’il a à peine vu s’engager et dont les premiers conseils sont restés comme des lanternes toujours vives tout au long de ma réflexion.

Tous mes remerciements vont en premier lieu à Emmanuel CADEAU, mon dévoué directeur de recherches qui a su m’accompagner avec toute la rigueur intellectuelle qui le caractérise alliée à une chaleur humaine si communicative. Merci surtout, pour cet optimisme si réconfortant dans les moments de découragement et pour cette philosophie de la vie instillée par petites touches à chaque fois que besoin s’en est fait sentir. Il a donné une autre dimension à cette étude, débordant le seul intérêt scientifique, en me montrant, au-delà de ce travail, la profondeur introspective de ce type de recherches. C’est un don inattendu et précieux.

Toute ma reconnaissance va également à un certain nombre de professionnels de terrain ou professeurs, pour leur disponibilité et leur gentillesse lorsque j’ai été amenée à les solliciter :

— Madame GRABOY-GROBESCO, infirmière diplômée d’Etat de l’Education Nationale ayant travaillé plusieurs années en psychiatrie, qui, par ses réponses précises et sans masque, m’a apporté de précieuses informations de terrain introuvables dans les livres,

— Madame Martine HERZOG-EVANS, Professeur de droit pénal à l’Université de Reims, qui a accepté de mettre à ma disposition, le temps d’un entretien, sa profonde connaissance des arcanes du monde pénitentiaire avec ce regard de théoricienne acéré qui fait sa renommée dans le monde universitaire,

— Madame Simone LAGARDE, Directrice adjointe au CHU de Nantes (hôpital Saint- Jacques), qui a su trouvé deux longues heures d’entretien dans un emploi du temps pourtant surchargé pour s’engager avec entrain dans un échange mettant à l’épreuve toute ma théorie par sa large connaissance du terrain, due à son expérience quotidienne en matière d’admnistration hospitalière et plus spécifiquement dans une importante structure psychiatrique,

— Monsieur Wilfrid MARTINEAU, chef du service de Psychiatrie 2 à l’Hôpital Saint- Jacques de Nantes, qui n’a pas hésité à m’ouvrir les portes de ses unités pour un stage de quatre jours dans son service. Lui-même ainsi que toute son équipe ont toujours trouvé le temps, malgré

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un emploi du temps quotidien serré, de répondre à mes nombreuses interrogations sans réticences et même avec un certain enthousiasme,

— Monsieur Boris TARGE, Secrétaire national adjoint du Syndicat national des Directeurs pénitentiaires, qui s’est laissé questionner avec une réelle passion et une vraie générosité ; son ouverture d’esprit et sa franchise m’ont amené à renouveler mon regard sur la situation carcérale et sur le fonctionnement de l’administration pénitentiaire dans le cadre de ce prolixe échange d’une grande richesse intellectuelle.

Je remercie vivement Jacques FIALAIRE, directeur du laboratoire Droit et Changement Social (DCS) à l’Université de Nantes, qui, à travers cette fonction mais aussi celles d’enseignant sous la houlette duquel j’ai travaillé en tant que chargée de Travaux Dirigés durant toutes ces années, a toujours fait preuve d’une vraie sollicitude et d’un soutien sans atermoiement. Merci à tous ceux qui, au sein de l’Université (enseignants, personnel de DCS comme de la bibliothèque universitaire), par leur disponibilité, leur chaleur humaine et leur bonne humeur, ont participé à leur manière à cette longue entreprise.

Toute ma reconnaissance va enfin, et surtout, à mes parents, sans lesquels ce travail n’aurait pu voir le jour. Merci pour ce soutien moral indéfectible et cet encouragement continu qui m’ont permis de traverser sans fléchir toutes les périodes de doutes et de remises en cause.

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LISTE DES ACRONYMES ET ABREVIATIONS UTILISES

AFNOR : Association Française de NORmalisation

ANAES : Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé

ANDEM : Agence Nationale pour le Développement et l’Evaluation Médicale ARH : Agence Régionale d’Hospitalisation

ARS : Agence Régionale de Santé CA : cour d’Appel

CAA : Caour Administrative d’Appel

CADA : Commission d’Accès aux Documents Administratifs Cass : Cour de cassation

CC : Conseil Consitutionnel

CDHP : Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques CDSP : Commission Départementale des Soins Psychiatriques

CE : Conseil d’Etat

CEDH : Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales

CGLPL : Contrôleur Général des Lieux de Privation de liberté Cour EDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme

CP : Code Pénal

CPP : Code de Procédure Pénale

CPT : le Comité européen pour la Prévention de la Torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

CHR : Centre Hosptalier Régional CHS : Centre Hospitalier Spécialisé CHU : Centre Hospitalier Universitaire CMU : Couverture Médicale Universelle

CNCDH : Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme CNDS : Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité CNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés CNO : Centre Nationbal d’Observation

CSP : Code de la Santé Publique

CURAPP : Centre Universitaire de recherches Administratives et Politiques de Picardie DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales

DDHC : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 DPS : comme Détenu Particulièrement Signalé

DRAC : Direction Régionale des Afffaires culturelles

DRASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

ENAP : Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire

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ERIS : Equipes Régionales d'Intervention et de Sécurité FAED : Fichier Automatisé des Empreintes Digitales

FIJAIS : Fichier Judiciaire national automatisé des Auteurs d'Infractions Sexuelles et violentes

FNAEG : Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques Gr. Chb. : Grande Chambre

HAS : Haute Autorité de Santé

HDT : Hospitalisation sur Demande d’un Tiers HL : Hospitalisation Libre

HO : Hospitalisation d’Office HSC : Hospitalisation Sous Contrainte

IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales ISP : Inspection des Services Pénitentiaires JLD : Juge des Libertés et de la Détention

JUDEX : système JUdiciaire de Documentation et d'EXploitation OIP : Observatoire International des Prisons

PIDCP : Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques

PIDESC : Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels PSE : Placement sous Surveillance Electronique

PSEM : Placement sous Surveillance Electronique Mobile QHS : Quartie de Haute Sécurité

QPGS : Quartiers de plus grande sécurité QSR : Quartiers de Sécurité Renforcée

RIEP : Régie Industrielle des Etablissements Pénitentiaires SMPR : Service Médico-Psychiatrique Régional

SPIP : Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation SSJ : Suivi Socio-Judiciaire

STIC : Système de Traitement des Infractions Constatées

SROS : Schéma Régional d'Organisation Sanitaire /Schéma Régional d'Organisation des Soins

TA : Tribunal Administratif Tr. Cflits : Tribunal des Conflits

UCSA : Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires UE : Union Européenne

UHSA : Unité Hospitalière Spécialement Aménagée UHSI : Unité Hospitalière Sécurisée Interrégionale UMD : Unité pour Malades Difficiles

UPSI/USIP : Unité Psychiatrique de Soins Intensifs UVF : Unité de Vie Familiale

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LISTE DES ABREVIATIO NS DES NOM S DE REVUE

AJDA : L’ Actualité Juridique de Droit Administratif AJFamille : Actualité Juridique. Famille

AJP : Actualité Juridique. Pénal

BOMJ : Bulletin Officiel du Ministère de la Justice BOMS : Bulletin Officiel du Ministère de la Santé

Bull. Civ I : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.Première chambre civile Bull. Civ II : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.Deuxième chambre civile Bull. Crim : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Chambre criminelle EDCE : Etudes et Documents du Conseil d’Etat

GAJA : Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative JCP G = JCP : La Semaine juridique. Edition générale

JCP A : La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales JO = JORF : Journal Officiel de la République Française

LPA : Les Petites Affiches

RAJF [en ligne] : Revue de l’Actualité Juridique Française

Recueil Dalloz = Recueil Sirey = Recueil Dalloz Sirey = Dalloz périodique Recueil des décisions du CC : Recueil des décisions du Conseil Constitutionnel Rec. Lebon = Recueil des décisions du conseil d’Etat

RDP : Revue du Droit Public et de la science politique en France et à l’étranger RDSS : Revue de Droit Sanitaire et Social

RFAP : Revue Française d'Administration Publique RFDA : Revue Française de Droit Administratif RFDC : Revue Française de Droit Constitutionnel RGDM : Revue Générale de Droit Médical

RPDP : Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal. Bulletin de la Société générale des prisons et de législation criminelle

RSC : Revue de Science Criminelle et de droit pénal comparé RTDC : Revue Trimestrielle de Droit Civil

RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme

RTDSS : Revue Trimestrielle de Droit Sanitaire et Social (devient RDSS)

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INTRODUCTION GENERALE

« Quand vous nous quitterez, il faudra oublier absolument tout ce que vous avez vu, l'effacer de votre esprit aussi complètement que si ça n'avait pas existé.

Il faudra vivre comme tout le monde […] » Janet FRAME, Visages noyés, Paris, Payot et Rivages, coll. « Rivage poche », 2004 (1964), p. 309

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La prison comme l'asile psychiatrique sont des lieux lourds en mythes et fantasmes, lieux de toutes les infamies légales portées à l'encontre des individus, lieux d'exclusion que chacun rejette comme inhumains mais dont on ose difficilement nier la nécessité.

La problématique de la privation de liberté ici développée tient ainsi dans un quadrilatère délimité par les deux institutions, pénitentiaire et psychiatrique, et les paradigmes théoriques qu'elles mettent en oeuvre durant les trois siècles considérés, à savoir, au plan institutionnel, l'institution totale et le service public ou, sur un plan plus métaphorique, le « modèle » et la « règle »1.

Du « modèle » à la « règle », dira-t-on en effet ; du carcan normalisateur des esprits et des comportements au filet juridique vecteur de liberté, tel sera donc le parcours juridique accompli dans le présent travail. Dans les deux cas, le droit, au sens de corpus de règles impératives, est présent, mais sa forme castratrice dans le premier, coule vers une force libératoire dans le second.

Aborder la privation de liberté dans ce cadre implique de l'aborder dans son phénomène sociétal, dans ses répercussions individuelles, notamment pour les personnes privées de liberté, et avant tout dans son phénomène institutionnel. C'est donc toujours sur un double tableau qu'il faudra se placer, sautant des moyens – les institutions privatives de liberté carcérale et psychiatrique –, aux sujets de cette privation de liberté – les « enfermés », à savoir les détenus et les hospitalisés sous contrainte – plus largement les délinquants ou présumés tels et les « fous »2.

L'ensemble de ce champ d'étude et de ces termes imposent explication (I). Faisant ressortir les noeuds d'intérêt juridique devant arrêter l'attention du juriste, ce jeu de définitions et de délimitation du champ d'étude amène à la formulation de la problématique générale de ce travail (II) et à la thèse soutenue pour tenter d'y répondre (III).

Un dernier point doit être signalé : il n'aura pas échappé au lecteur familier des thématiques abordées dans ce travail l'effervescence législative et réglementaire dont sont saisis depuis deux ans les deux mondes ici étudiés. Cette dernière n'a fait que s'intensifier dans les six derniers mois, alors même que nous avions achevé la rédaction de cette étude. Si, en conséquence, nous avons eu à coeur de tenir à jour, par de régulières et fréquentes actualisations, ce travail, il fut difficile, à quelques semaines de son dépôt, d'intégrer les décrets d'application de la loi du 24 novembre 2009, attendus plus d'un an et inopinément publiés, enfin, au Journal officiel du 28 décembre 20103. Ils ont quasi intégralement recodifié le Code de procédure pénale en ce qui concerne le droit

1 Nous reprenons à Madame CHOAY ce couple mis en opposition et à Danièle LOCHAK l'idée de l'utiliser dans le cadre de l'institution totalitaire. Seulement, nous diffèrerons un peu sur la portée donnée au paradigme de la règle, son intérêt actuel par rapport aux analyses de Françoise CHOAY. Cf. infra, p. 16, nos explications sur ce point. (cf.

F. CHOAY, La règle et le modèle. Sur la théorie de l'architecture et de l'urbanisme, Paris, Ed. du Seuil, rééd. revue et corrigée 1996 (1980), note p. 30, pp. 175-186 et p. 347 et D. LOSCHAK [sic],« Droit et non-droit dans les institutions totalitaires. Le droit à l'épreuve du totalitarisme », dans CENTRE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHES ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES DE PICARDIE (CURAPP), L'institution, Paris, PUF, 1981, p. 128, note 8).

2 Le terme de « fou » n'est pas un terme scientifique. Il sera donc utilisé avec parcimonie dans cette étude, désignant par là davantage un regard porté sur l'individu alors même que l'on parle de lui en tant que sujet. Il définit, dans ces cas-là, sous notre plume, l'individu stigmatisé comme « fou » par l'opinion publique et éventuellement par les autorités médicales d'époque, alors que cette stigmatisation vise à souligner un décalage par rapport à la normalité et à des normes comportementales établies pour une société donnée davantage qu'elle ne s'appuie sur de véritables critères scientifiques médicaux et psychologiques. Le champ couvert par le terme de « fou » est donc plus large, lorsque nous l'employons, que celui de personnes atteintes de troubles psychiques, soit que l'on veuille désigner la folie et les personnes qui en sont atteintes à travers les siècles, dans toute l'imprécision que cet ensemble englobe, soit que l'on veuille clairement signifier le caractère moins scientifique que polémique de certaines positions sociétales ou certaines politiques appliquées ou proposées encore actuellement.

3 Décrets n°2010-1634 du 23 décembre 2010 « portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale (deuxième partie : Décrets en Conseil d'Etat) » et n°2010-1635 « portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale (troisième partie : Décrets) ».

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pénitentiaire et les conditions de détention. Dans la mesure du possible, nous avons donc, d'une part, introduit cette nouvelle numérotation à notre travail et, d'autre part, tiré les conclusions d'une étude rapide de ces nouveaux textes. En conséquence, cette étude n'a pas été aussi approfondie qu'il aurait été souhaitable et, en outre, nous n'avons pu réintroduire tous les changements, notamment concernant la renumérotation, dans la fluidité de nos développements. Parti a été pris, dès lors, d'introduire autant que possible les commentaires les plus importants dans le texte-même et, lorsque les modifications étaient d'ordre moindre et tenaient surtout à des problèmes de numérotations, à le signaler par une note attachée au titre du paragraphe. De même, dans notre second domaine de prédilection qu'est la psychiatrie, c'est la loi principielle, le cadre porteur de tout le droit concernant les hospitalisations en psychiatrie dont la refonte profonde est en cours d'examen devant les assemblées parlementaires. Nous avons eu à cœur, cette fois encore, de rester au plus près du droit constant, émettant des premières analyses sur les projets successifs soumis aux parlementaires. Néanmoins, l'art divinatoire en droit n'étant point encore reconnu comme scientifique, nous laissons à un futur article le soin de porter nos réflexions et études approfondies sur la loi à venir, devenue alors un texte abouti et notre nouveau droit positif en matière d'hospitalisation psychiatrique.

I. LE CHAMP DE L'ETUDE :

LA PRIVATION DE LIBERTE, ENTRE PRISON ET FOLIE

La privation de liberté ici considérée désigne le retrait à un individu de sa faculté d'aller et venir librement. Il ne s'agit pas de se cantonner au seul champ pénal, auquel cette expression renvoie généralement d'instinct ; l'expression est ici adoptée pour balayer un champ plus large en y alliant également l'hospitalisation sous contrainte (HSC). Ce sont dans les deux cas des privations de liberté voulues et organisées par les pouvoirs publics et la loi, reconnues comme légitimes et même nécessaires dans des sociétés libérales et démocratiques.

Tout l'intérêt de s'appuyer sur cette définition élargie est de s'extraire d'une problématique univoque et particulière à une forme précise de privation de liberté pour faire ressortir les constantes de la privation de liberté en elle-même, dans sa dimension phénoménale primaire de retrait de liberté.

Il ne s'agit pas de se cantonner au seul enfermement stricto sensu. Tout l'objet de cette étude est de souligner la filiation entre la séquestration complète et la mise sous contrôle de la liberté d'aller et venir, privation de liberté plus souple mais aussi plus insidieuse qui prend son essor dans la société contemporaine. Ceci concerne deux populations : d'une part, la population délinquante ou celle des personnes jugées à surveiller par l'autorité judiciaire et d'autre part, celle des personnes atteintes de troubles psychiques ayant connu ou connaissant l'HSC4. La privation de liberté recouvre enfin deux dimensions, qui seront toutes deux étudiées car intrinsèquement liées : à la fois celle de la décision de privation de liberté et celle de la mesure de privation de liberté en tant qu'exécution de cette décision, prise en charge, gestion de l'individu à qui on a retiré cette liberté.

Elles doivent être très nettement différenciées alors même qu'elles interagissent inévitablement : la première amène inexorablement la seconde et peut avoir des conséquences sur la détermination précise du mode d'exécution et sur son déroulement ; la seconde pouvant en retour influencer l'évolution de la première. « Décision de privation de liberté » recouvre en effet ici l'ensemble du processus décisionnel et procédural, depuis la décision primaire d'enfermement - ou éventuellement de mise sous contrôle - jusqu'à celle de fin de la mesure.

Ce sont donc deux institutions, celle pénitentiaire et celle psychiatrique, ainsi que les deux populations privées de liberté qui leur correspondent, les détenus et les personnes hospitalisées sous

4 Nous introduisons dans cette population d'étude les personnes qui, si le projet de loi de mai 2010 est adopté en l'état, seront soumises non plus à une HSC mais à des soins obligatoires tout en conservant leur liberté d'aller et venir. Ces personnes peuvent en effet être considérées comme « passibles d'une HSC », pouvant, sur simple décision du psychiatre qui les suit, voir leur régime se transformer en HSC. En outre, ces personnes appartiennent bien encore, sous l'empire de l'actuelle loi, aux groupes de personnes du ressort de l'HSC. Cf. développements infra, le contenu de projet de loi du 5 mai 2010 « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge »

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contrainte, qui seront au coeur de cette étude5. Il s'agira cependant de se cantonner à cette dimension restrictive de liberté de l'institution. En psychiatrie, c'est donc bien aux seuls hospitalisés sous contrainte que l'on s'intéresse et non à l'ensemble de la population prise en charge par l'institution, dont une part importante la fréquente en tout consentement. La situation de l'institution carcérale est plus simple sur ce plan, puisqu'elle ne reçoit, de l'essence même de la mesure, que des personnes dont le consentement n'a pas été recherché, que ces dernières soient des prévenus ou des condamnés. Ces deux sous-catégories spécifiques à cette seconde institution, remplissant les critères minimaux propres à notre étude de la privation de liberté sans consentement, seront par contre toutes deux objets de notre attention. Un autre parti pris a été d'éliminer de ce travail la question des mineurs, leur cas recouvrant des spécificités compliquant à outrance un sujet en soi déjà complexe. Ces élagages n'ont néanmoins pas interdit des références faites à ces différentes catégories écartées – personnes en hospitalisation libre dans le cadre psychiatrique ou mineurs dans les deux cas – à titre comparatif, pour éclairer ou pour souligner de manière plus explicite des positions ou orientations institutionnelles sur certains points.

L'institution totale, pour sa part, est l'élément fondateur originel de ce travail, l'une de ses trames de fond. Elle est définie par Erving GOFFMAN comme « [...] un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées. »6 Concept paradigmatique, il est l'aboutissement d'une appréhension de la privation de liberté par enfermement, permettant au minimum de neutraliser l'individu et de l'éliminer, au moins pour un temps, de la société, ainsi que, en créant un microcosme spécialisé, de le rééduquer ou de le soigner de manière appropriée. Il est aussi la mise en pratique idéal-typique du concept de « modèle » tel qu'utilisé par Françoise CHOAY7 : normalisation des êtres humains que l'institution reçoit, une normalisation consubstantielle au fonctionnement hyper-normé d'une institution ne laissant pas de place au libre choix de l'individu reclus. La vie interne y est réglée dans ses plus infimes détails « [...] selon un programme strict, en sorte que toute tâche s'enchaine avec la suivante à un moment déterminé à l'avance, conformément à un plan imposé d'en haut par un système explicite de règlements dont l'application est assurée par une équipe administrative. Les différentes activités ainsi imposées [dormir, se distraire et travailler, activités qui forment la trame occupationnelle de la vie humaine tout en étant, selon GOFFMAN, des activités que l'on exécute en général dans des lieux et avec des partenaires différents dans les sociétés libérales « modernes » pour reprendre ses termes8] sont [...] regroupées selon un plan unique et rationnel, consciemment conçu pour répondre au but officiel de l'institution »9.

C’est à ce niveau que, de totale, l’institution devient représentative d’un phénomène totalitaire en puissance. On retrouve dans ce caractère une dimension d’emprise sur l’individu caractéristique des régimes du même nom : il faut dominer l’ensemble des aspects de la vie, autant

5 L'Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de police de Paris (IPPP) n'est par contre pas incluse, restant un lieu à statut particulier et suffisamment spécial pour ne pas rentrer dans cette étude à visée généraliste dans le domaine en lui-même singulier de la privation de liberté dans les champs pénal et psychiatrique.

6 E. GOFFMAN, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, trad. Les éditions de minuit, coll. « Le sens commun », 1968, p. 41

7 Dans son ouvrage La règle et le modèle. Sur la théorie de l'architecture et de l'urbanisme, l'auteur mène une étude historique poussée sur les écrits et discours théoriques « instaurateurs » sur l'urbanisme et l'architecture, y édifiant deux paradigmes correspondant à ses deux textes-souche, la « règle » d’une part, le « modèle » d’autre part. Elle y démontre le caractère très embrigadant et hégémonique autant du paradigme de la « règle » que de celui du

« modèle », même si la « règle » se montre vectrice d'un champ de créativité et plus souple que le « modèle » standardisateur. Déplorant cet état de la théorie urbanistique, elle conclut pour sa part par un appel à la constitution d'une autre voie toujours régulée mais ouvrant davantage sur une potentialité d'émancipation des acteurs. On mesure donc, à cette exposé, toute la similitude de contenu conceptuel entre notre définition du modèle et celle de Madame CHOAY et, par contre, toute la divergence entre nos deux approches de la notion de « règle ». (cf. F. CHOAY, La règle et le modèle. Sur la théorie de l'architecture et de l'urbanisme, Paris, Ed. du Seuil, réed. revue et corrigée 1996 (1980), 378 p. )

8 E. GOFFMAN, Asiles. op. cit., 1968, p. 47

9 Idem, p. 48

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sociale et professionnelle que privée, des individus. Par contre, la comparaison doit s’arrêter là, l’institution totale n’est bien évidemment pas une réduction à l’échelle d’une entité particulière du totalitarisme tel que défini par Hannah ARENDT. Néanmoins, on en retrouve des traits caractéristiques, mais appliqués à un degré moindre. Ainsi, l’idée de ce rappel constant aux reclus de « qui a le pouvoir », du statut d’assujettis auquel ils sont soumis et qu’il ne leur s’agit pas d’oublier est mise en œuvre dans l’institution totale : on ne glisse pas forcément dans une instauration de la terreur, caractéristique du totalitarisme, mais par contre dans un climat continuel de rapport de discipline exacerbé, allant au-delà de la simple dimension fonctionnelle de cette dernière, celle de maintenir l’ordre et de faire appliquer les politiques adoptées par les instances dirigeantes. Il faut être démonstratif dans le pouvoir imposé et le rabaissement de l’individu possible par ce pouvoir.

L’institution totale apparaît ainsi comme la description purement sociologique et factuelle d’un phénomène organisationnel dont la dimension totalitaire est la traduction plutôt politique et juridique. Danièle LOCHAK, qui, pour sa part, assimile d’emblée les termes de « totale » et

« totalitaire » pour qualifier l’institution concernée, la définit comme « […] l’envers de la société libérale [...] »10 ce qui signifie à la fois le dessous nécessaire au bon fonctionnement de cette dernière mais aussi son inverse : au plan juridique, c’est l’anti-libéralisme et la négation des droits de l’homme, donc de tout ce respect de l’individu dans son humanité, qui y règne là où le constat sociologique va relever une nécessité de redressement ou d’éducation, sans plus.

Ainsi que le démontre l’auteur, confirmant et théorisant juridiquement sur les constats sociologiques d’Erving GOFFMAN, l’institution totale est également un monde normé, hyper- normé même. Au-delà de la simple emprise factuelle, « […] qui affecte toutes les parties, tous les éléments de la chose ou de la personne considérée » ainsi que le définit le Nouveau petit Robert,

11ces institutions portent en elles la traduction juridique et souvent idéologique de cette emprise sur l’individu. Une emprise née d’un mode de gouvernement à l’intérieur de l’institution proprement autoritaire et trouvant ces applications évidentes dans les faits, concernant le statut même des reclus. L’un des enjeux de ce travail est aussi de mettre en exergue le lien inévitable qui unit l’institution totale à sa dimension totalitaire. La note de traduction du terme anglais « total institution » dans l’édition française d’Asiles confirme d’ailleurs ce lien établi entre le paradigme sociologique et le concept historique et idéologique de totalitarisme. Dans la présente étude, le choix des termes « totale » ou « totalitaire » selon les cas, est donc à chaque fois un choix réfléchi, renvoyant à ce subtil glissement entre deux réalités bien distinctes mais si indéfectiblement liées au final. Dès lors, l’expression d’ « institution totale totalitaire », employée à plusieurs reprises au cours de ce travail, n’est pas artificielle mais permet, au contraire, de faire ressortir la nuance des qualifications et réalités attachées à chacun de ces termes : une institution totale n’est pas totalitaire par essence, même si elle semble devoir glisser dans ce travers juridique quasi immanquablement du fait de ses caractéristiques de base. L’expression du « paradigme totalitaire » prend également sa pleine signification, renvoyant au modèle qui s’instaure de cette réalité institutionnelle d’emprise complète sur l’individu, dans une dimension particulièrement conceptuelle et englobante, telle que peut le soutenir notre acception, précédemment indiquée, du terme paradigme.

Mais elle a aussi une vocation standardisatrice, l'institution totalitaire ayant une mission de transformation de ces individus pour les rendre, « renormalisés », à la société. Se plaçant par rapport à un « normal » pris comme étalon, il s'agit alors d'évacuer toute singularité individuelle ; le pathologique est considéré uniquement sous un angle négatif et la normalité – ou plus exactement ce que l'on déclare comme tel – vue comme seul salut ; la diversité, le « différent » sont combattus au nom de cet unique repère comportemental acceptable, autoritaire et nécessairement castrateur.

Un modèle hypernormé, donc, auquel vient s'opposer, à sa chute, le paradigme de la

« règle », plus souplement encadré, qui prend forme ici dans le paradigme du « service public ». La

10 D. LOSCHAK [sic], p.126

11 J. REY-DEBOVE et A. REY, Le nouveau petit Robert.Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2010, p.2578

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politique de la « règle » consiste en effet en l'énonciation de grands principes se cantonnant à un cadre laissant un jeu d'action à la liberté et surtout à l'expression des droits des personnes soumises à ce système. Un espace de dialogue, même restreint, s'ouvre entre l'institution et les reclus, une aire éventuellement imposée à l'institution par des autorités qui lui sont extérieures et également garantie par ces mêmes autorités. Le dialogue peut ainsi s'avérer peu authentique, jouant davantage sur un rapport de force juridique et une dispute triangulée par l'intermédiaire d'instances extérieures. Cette conformation ne cherche plus à standardiser ses pensionnaires mais simplement à leur redonner le cadre incontournable de la vie dans la société occidentale actuelle. C'est le système juridique commun qui se dessine ainsi, cadre nécessaire à toute collectivité mais libéral. Un système qui néanmoins, restant sur une dimension institutionnelle, garde la potentialité de devenir totalitaire12. Ainsi, on ne peut reléguer la thèse avancée par Jacques CHEVALLIER, que toute institution demeure ontologiquement un « [...] dispositif de normalisation [...] »13, mais dans ce second schéma, le phénomène sera dans tous les cas plus insidieux, non frontal ni violent, et les résistances réellement possibles dès lors que la prise de conscience est acquise. Surtout, des stratégies de protection de l'individu sont conservées, telles que le maintien de « [...] zone[s]

d'opacité individuelle[s] [...] »14 préservant l'intimité des personnes soumises à l'institution, autant de moyens de préserver, par extension, une véritable autonomie individuelle ; toutes choses qui sont impossibles dans l'institution totale et le paradigme du modèle, où l'intimité n'a plus place.

La différence de paradigme joue ainsi sur deux niveaux, celui organisationnel et de l'ordre juridique, impliquant par ricochet celui de l'impact sur l'individu privé de liberté. La valeur de la norme n'est pas la même dans les deux paradigmes. L'institution totale bénéficie d'un statut à part, hors droit, se créant à elle-même ses propres règles très minutieuses qu'elle impose à ses enfermés.

Elle créé ce carcan juridique étouffant, rejetant toute initiative ou émancipation de la part des reclus. Elle est dans le contrôle total, le système normatif étant ainsi tourné sur elle, pour elle, ne visant à assurer que sa propre viabilité, ses missions, sans rechercher le moindre dialogue avec l'individu enfermé, sans s'intéresser à son point de vue. Danièle LOCHAK parle de droit « [...]

réduit à sa fonction instrumentale [...] », qui « [...] ne représente en aucune façon une contrainte pour les détenteurs du pouvoir, dans la mesure où il ne garantit aux individus ni une sphère d'autonomie à l'abri des interventions du pouvoir, ni les moyens de s'opposer aux empiètements illégitimes de celui-ci. »15. La « norme » rejoint son sens scientifique de formule définissant un

« état habituel, conforme à la règle établie »16, de standard, « type convenu » rationnellement17. On est dans la déshumanisation par le droit, et dans la déshumanisation entérinée par le droit. La première est la déshumanisation créée directement par le droit, la seconde est la conséquence passive donc indirecte de ce premier phénomène ; dans le second cas, il y aurait illégitimité, en tout cas perte de pertinence, pour le droit à venir s'opposer aux conséquences du régime normatif tel qu'élaboré au titre de système juridique sur les individus et leur condition. Une autre théorie, soutenue par le Professeur LOCHAK dans un deuxième temps et inspirée notamment de PASUKANIS18, va même jusqu'à considérer que ce système normatif n'appartient plus à « [...]

12 Cf. à ce sujet Robert CASTEL dans « Présentation » à l'édition française d'Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, de E. GOFFMAN aux éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1968, p. 34 ou Danièle LOCHAK parlant des « [...] virtualités totalitaires de toute institution [...] » (D. LOSCHAK [sic], « Droit et non- droit dans les institutions totalitaires. », dans CURAPP, L’institution, op. cit., 1981, p. 130). Cf. également notre analyse, infra p. 418 et s.

13 J. CHEVALLIER, « For intérieur et contrainte institutionnelle », dans CURAPP, Le for intérieur, Paris, PUF, 1995, p. 254

14 Idem p. 266

15 D. LOSCHAK[sic], « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires. », dans CURAPP, L’institution, op. cit., 1981, p. 132

16 Cl. KANNAS et F. DEMAY (dir.), Le petit Larousse illustré 1996. Dictionnaire encyclopédique, Paris, Larousse, 1996, p. 702

17 G. CORNU, ASSOCIATION HENRI CAPITANT, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. « Quadrige. Dicos Poche », 8e éd., 2007 (1987), p. 618

18 Evgeny B. PASUKANIS (1891-1937) Juriste soviétique et théoricien du droit bolchévique, il disparaît en 1937, vraisemblablement victime du régime stalinien.

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l'univers du droit [...] »19, les normes posées n'y étant plus qu'illusion de Droit.

Au contraire, la règle juridique retrouve, dans le second paradigme, sa valeur de norme protectrice des droits et des intérêts des deux parties et dès lors, dans le cadre de la théorie d'inspiration pasukanienne, son essence véritablement juridique. C'est par cette force nouvelle donnée au reclus que l'espace de dialogue peut se créer. Sa dimension de sujet humain est redonnée à l'enfermé. L'institution, en l'occurrence le service public, est moins maitre de ses normes, placées en grande partie sous le contrôle d'autorités extérieures, ce qui permet de mettre fin à une vision et donc à une conception monolithique du système organisationnel.

Il est bien évident que les figures du modèle et de la règle restent des idéaux-types, qui ne se retrouvent pas sous une forme aussi caricaturale dans les deux institutions étudiées. Mais précisément, tout le jeu, notamment de l'institution carcérale, est de s'imposer comme service public, relevant du paradigme de la règle, tout en conservant des caractéristiques propres au paradigme du modèle. L'un des objectifs de cette étude est de souligner ces perversions latentes, de les comprendre (d'où viennent-elles, pourquoi ce besoin de jouer sur les deux tableaux, de se poser un masque pour conserver, en profondeur, un fonctionnement qui ne correspond pas aux apparences ?), de les valider ou éventuellement d'en proposer des pistes de correction.

Précisons enfin que, dans ce travail, le terme de « paradigme » renvoie à un concept à triple détente. Nous nous appuyons principalement, pour l’appréhender, sur la définition retenue par les sciences « dures », davantage pragmatique et resserrée que celle issue des sciences sociales ;cette dernière n’est pas pour autant écartée mais vient plutôt enrichir la première afin de donner au concept toute l’ampleur que nous souhaitons lui voir déployer dans notre étude.

Aristote fait du paradigme « « […] l'argument qui, fondé sur un exemple, est destiné à être généralisé. »20. De manière plus actuelle, pour le philosophe des sciences Thomas KUHN, le paradigme «[d]'une part, […] représente tout l'ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d'un groupe donné. D'autre part, il dénote un élément isolé de cet ensemble : les solutions concrètes qui, remployées comme modèle ou comme exemple, peuvent remplacer les règles explicites en tant que base « de solutions pour les énigmes qui subsistent dans la science normale »21 . On retrouve donc, dans cette définition épistémologique, l'accent porté sur un objectif de mise en pratique d'un schéma conceptuel idéel, avec l'établissement de règles théoriques formant un ensemble cohérent et caractérisant un nouveau schéma de pensée, en général appuyé en sciences sur des observations donc sur la réalité. Ce « modèle », doté de ses deux faces -théorique et appliquée-, reste un élément essentiel du concept large de paradigme tel que nous l'entendons ici. En sciences sociales, le paradigme se définit plus largement, comme une représentation du monde contenant les grandes catégories d'organisation de la pensée et de l'intelligibilité ainsi que toutes les relations d'interactions que ces catégories peuvent générer entre elles. Cette vision du monde, appuyée sur un ensemble d'expériences, croyances et valeurs, impacte, par la suite, la manière dont les individus appréhendent une réalité et y réagissent, que ce soit dans leur perception de cette réalité ou dans leur manière de la définir, de la comprendre et même de la prévoir. On est surtout, dans cette perspective, sur une vision idéelle de la réalité, une construction conceptuelle quoique établie à partir de cette réalité, de son observation et d'expériences.

Au confluent de ces deux définitions, la notion de paradigme renvoie pour nous à la fois à cette dimension idéelle, de l'ordre du « Weltanschauung » des sciences sociales, et à celle concrète de ses applications dans la réalité. La dimension abstraite ne peut se départir de son reflet concret, ancré sur la réalité : le modèle théorique appliqué. Il s'agit alors du déploiement des effets, dans le monde réel, de ce système organisé. Et en réalité, il faut retourner l'ordre d'émergence de ces deux dimensions : le système de représentation du monde existe certes, de manière évanescente et

19 D. LOSCHAK[sic], « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires », dans CURAPP, L’institution, op. cit., 1981, p. 153

20 Définition rappelée par E. MORIN, La Méthode 4. Les idées. Leur habitat, leur vie, leurs moeurs, leur organisation, Paris, ed. du Seuil, p. 211

21 Th. KUHN, 1983, p. 238

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surtout non explicite derrière la mise en place du modèle théorique concret mais c'est bien d'abord ce dernier qui est affirmé lors de l'émergence d'un nouveau paradigme. Il n'est qu'une théorisation de premier niveau, ouvrant immédiatement sur sa mise en œuvre, un système d'organisation de la réalité, avec ses règles et ses caractéristiques. Ce ne peut être que dans un second temps qu'est formulé le paradigme idéel dans toute sa perfection, expliquant et théorisant à un degré supérieur, de manière plus large et plus conceptuelle encore, tout le système de pensée sous-tendant le modèle théorique et ses applications. C'est donc bien, au final, trois niveaux qui se dessinent dans ce seul concept de paradigme, réorganisés dans la double dimension abstraite/concrète.

II. LA PROBLEMATIQUE GENERALE

Danièle LOCHAK présente donc l' « institution totalitaire »22 prise en tant qu'idéal-type comme « [...] l'envers de la société libérale et sa vérité profonde, comme un monde séparé de la société normale et la condition même de son existence. »23. Il est certain, et nous ne manquerons pas de le rappeler au cours de ce travail, qu'en permettant l'éviction de la société des sujets perturbateurs voire dangereux pour l'ordre sociétal et la sécurité publique, l'institution totale lui permet précisément de fonctionner paisiblement et dans toute l'amplitude de son libéralisme24. Ce système, par son principe-même si fragile face à la moindre utilisation à mauvais escient de sa liberté par un individu, peut ainsi, non choisir ses acteurs, mais au moins sélectionner ceux qui le mettent en défaut voire le remettent en cause pour mieux les mettre à l'écart. En la matière, l'institution totale s'avère donc un outil nécessaire au bon fonctionnement de la société libérale.

Reste néanmoins à vérifier que ce soit réellement l'institution totale ayant dérivé en institution totalitaire, c’est-à-dire l’institution totale et totalitaire dans cette forme si peu respectueuse des droits de l'homme, qui soit nécessairement la solution ou si ce n'est pas plutôt la privation de liberté entendue au sens large. Et en ce cas, le lien n'est peut-être plus aussi évident avec le placement dans des institutions dotées de telles caractéristiques. La raison du choix de ce modèle pour tenir enfermés « [...] ceux qui ne peuvent ou ne veulent jouer le jeu de la société libérale [...] »25 mérite alors d'être questionnée.

Par suite, on ne peut que remarquer le rôle fondateur du paradigme institutionnel totalitaire, appuyé sur celui de l’institution totale, dans le domaine de la privation de liberté. Concept structurant au temps de son utilisation sans complexe par la société française jusqu'à la Seconde guerre mondiale, c'est encore par rapport à lui, mais prenant cette fois son contre-pied théorique, que se positionne ensuite le nouveau modèle qui vient lui succéder. Et c'est par rapport à lui que l'on se place encore aujourd'hui pour analyser les institutions dans leur forme actuelle. C'est ainsi que, de manière beaucoup plus automatique que par rapport à toute autre institution n'ayant pas eu ce passé aussi lourd, on renvoie ces fonctionnements autoritaires ou en marge du droit commun à des restes de ce passé d'institution totale. Il n'est pas l'objet de cette étude d'évaluer dans quelle mesure on trouve dans les institutions porteuses d'un passé totalitaire plus que dans les autres, des fonctionnements exorbitants du droit commun et des dérogations offrant des prérogatives fortement attentatoires aux droits des individus. Mais il est certain que la prison conserve encore aujourd'hui cette étiquette sous certaines plumes et que l'institution psychiatrique la garde dans l'imaginaire collectif de manière prégnante. Il faut donc s'interroger sur la véracité de ces écrits ou impressions et sur leur origine. Il faut surtout s'interroger sur la légitimité et la nécessité de la persistance de tels fonctionnements, même de manière ponctuelle, et rechercher les moyens de concilier protection

22 Rappelons ici l’assimilation opérée par l’auteur entre l’institution totale et son caractère totalitaire (cf. supra, p. 16)

23 D. LOSCHAK[sic], « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires. dans CURAPP, L’institution, op. cit., 1981, p. 126. Dans une note, le Professeur LOCHAK insiste sur le caractère idéal-typique du « couple antithétique libéral/totalitaire » qui « [...] ne renvoie à aucune réalité concrète [...] » dans cette forme radicale et que nous reprenons à notre compte.

24 Les termes « libéralisme » ou « libéral » seront employés, dans tout ce travail, au sens politique de reconnaissance ou promotion de la Liberté donc notamment des libertés publiques comme principe fondamental, et jamais dans leur acception économique, relative à la liberté du marché.

25 D. LOSCHAK[sic], « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires dans CURAPP, L’institution, op. cit., 1981, p. 127

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efficace des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et fonctionnement efficient de ces institutions. L'enjeu, qui n'est autre que l'impact sur les droits fondamentaux des individus, est trop important pour être considéré à la légère. C'est l'authenticité de l'ancrage des valeurs libérales, démocratiques et humanistes de notre société qui en dépend.

Mais en réalité, c'est à la question plus vaste de la privation de liberté et de sa gestion que l'intérêt porté au paradigme de l'institution totalitaire et à ses évolutions ramène. C'est bien la privation de liberté qui se trouve au coeur de ce travail, étant à l'origine de ces institutions mais justifiant également qu'au-delà de l'institution totale, un nouveau paradigme vienne prendre la relève. C'est, derrière tous ces questionnements, la place de l'individu dans la société, et le rapport de cette dernière à la « normalité », à la définition d'exigences comportementales et de règles de vie en collectivité qui peuvent si rapidement déraper vers la standardisation des comportements et des individus, qui doivent être interrogés.

Le concept de dangerosité plane comme une « âme errante » au-dessus de ce travail. Elle le hante, présente qu'elle est, en arrière-fond des thématiques étudiées, quelle que soit l'époque et quel que soit le sujet précis abordé : cadre psychiatrique ou cadre pénitentiaire et pénal sont évidemment ses deux aires d'errance de prédilection, mais que l'on aborde les motivations d'une décision d'enfermement ou de mise sous contrôle, la gestion des deux populations considérées au sein comme à l'extérieur de l'institution, l'organisation des institutions elles-mêmes (spécialisation des établissements, régimes internes, palette de mesures et d' « outils » criminologiques ou thérapeutiques mis à la disposition des agents et décideurs dans les deux domaines etc.), partout la dangerosité transpire ; elle est une donnée prise en compte, de manière affichée ou implicite selon les cas. Justification de tout, elle devient une des clefs de compréhension de cette étude.

Et pourtant... existe-t-il concept plus flou que celui de dangerosité ? La notion est ancienne, certes. Pour prendre quelques repères dans nos deux domaines d'étude, on relèvera, concernant le monde pénal et de la délinquance, le Code criminel de Charles Quint de 1532 : ce serait le premier document codifié à proposer une palette de mesures de sûreté visant des individus considérés comme particulièrement susceptibles de récidiver. On voit, dans cette instauration de mesures de prévention, la marque de la dangerosité – notion masquée, dans le discours sur la peine, par la mise en avant de la dimension de punition ou d'exemplarité de cette dernière . Toutes les mesures prises contre les récidivistes au XIXe siècle participent de la même appréciation d'une dangerosité à qui il ne manque que l'appellation affichée. Quant à l'Ecole positiviste italienne fondée à la fin du XIXe par Cesare LOMBROSO, elle est l'expression même du travail et de l'utilisation sociétale de ce concept. Du côté de la folie, la dangerosité est de toute évidence, fort tôt, l'un des motifs principaux d'enfermement des insensés. En 1784, BRETEUIL appuie l'équilibre de sa circulaire26 – qui organise la légalité des enfermements par lettre de cachet – notamment sur la dangerosité supposée de l'individu. Il va sans dire que le placement d'office posé par la loi sur les aliénés du 30 juin 1838 est la consécration législative de la prise en compte de la dangerosité sociale de l'individu atteint de troubles mentaux. Néanmoins, malgré cette longue présence dans les doctrines et les pratiques, la notion n'est apparue officiellement dans la langue française qu'en 1969 et n'a été intégrée qu'en 1989 dans le Grand Robert, sous une seule acception de psychologie, flanquée de la lapidaire définition «caractère dangereux » ; le Petit Larousse 1996 retient encore comme définition, à l'entrée généraliste du terme, le « fait d'être dangereux, caractère de danger que présente quelque- chose ». Les définitions des spécialistes, criminologues et psychiatres, sont plus précises : le rapport 2010 du Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française, qui a pour thème «La prise en charge des états réputés dangereux », reprend la définition proposée par Michel BENEZECH en 2002 : « état, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction »27. Le célèbre criminologue Christian DEBUYST la présente comme « [...] la probabilité que présente un individu de commettre une infraction […] contre les personnes et contre les biens » (reconnaissant lui-même tout l'aspect discutable de cette dernière restriction) et étend la définition à « la probabilité que présente une situation de donner lieu à des

26 Cf. explications sur cette circulaire, infra, pp. 451-452

27 M.-N. VACHERON-TRYSTRAM, F. CORNIC et R. GOUREVITCH (sous-dir.), La prise en charge des états réputés dangereux [Rapport du 108e Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française], Issy-les- Moulineaux, Elsevier- Masson, coll. « Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française », 2010, p. 7

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