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Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'Etat dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

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(1)

N

°

1408

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTIONDU4OCTOBRE1958 QUATORZIÈMELÉGISLATURE

EnregistréàlaPrésidencedel'Assembléenationalele 8 octobre 2013.

RAP PORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE relative aux éventuels

dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement

Président

M. Charles de COURSON

Rapporteur M. Alain CLAEYS

Députés.

——

(2)

La commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement est composée de : MM. Charles de Courson, président ; Alain Claeys, rapporteur ; Christian Assaf, Dominique Baert, Mme Marie-Françoise Bechtel, MM. Étienne Blanc, Emeric Bréhier, Sergio Coronado, Jacques Cresta, Mme Marie-Christine Dalloz, MM. Gérald Darmanin, Patrick Devedjian, Christian Eckert, Daniel Fasquelle, Georges Fenech, Hugues Fourage, Jean-Marc Germain, Jean-Pierre Gorges, Mmes Estelle Grelier, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Philippe Houillon, Guillaume Larrivé, Pierre-Yves Le Borgn', Jean-René Marsac, Pierre Morel-A-L'huissier, Hervé Morin, Jean-Philippe Nilor, Stéphane Saint-André, Thomas Thévenoud, Mme Cécile Untermaier.

(3)

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS DE M. CHARLES DE COURSON, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

... 7

INTRODUCTION

... 9 PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS SURVENUS ENTRE LE 2 DÉCEMBRE 2012

ET LE 4 AVRIL 2013 ... 13

I. AU 4 DÉCEMBRE 2012, LES INFORMATIONS DONT POUVAIENT DISPOSER LES SERVICES DE L’ÉTAT SONT RESTÉES SANS SUITES, FAUTE DE SAISINE DANS LES FORMES APPROPRIÉES

... 15

A. EN 2000, L’ENREGISTREMENT N’EST PAS TRANSMIS À LA JUSTICE PAR MICHEL GONELLE ... 15 1. Les conditions dans lesquelles l’enregistrement de la conversation entre

Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires a été réalisé ... 16 2. L’absence de saisine de la Justice ... 17 B. EN 2001, LE SIGNALEMENT INDIRECT AUX SERVICES FISCAUX

N’ABOUTIT PAS ... 18 1. Une saisine inappropriée des services fiscaux ... 18 2. Les vérifications entreprises en 2001 sont demeurées étonnamment

superficielles ... 19 3. Le dossier fiscal de Jérôme Cahuzac est conservé pendant sept ans, sans raison

apparente, à Bordeaux ... 21 C. IL N’EST PAS DÉMONTRÉ QUE LES DOUANES ONT ÉTÉ

INFORMÉES, NI EN 2001, NI EN 2008 ... 21 D. EN 2006, L’ENREGISTREMENT N’EST APPAREMMENT PAS UTILISÉ

PAR JEAN-LOUIS BRUGUIÈRE ... 24 E. LA MENTION, EN 2008, DU COMPTE DANS LE « MÉMOIRE EN

DÉFENSE » DE RÉMY GARNIER N’A JAMAIS ÉTÉ SIGNALÉE AUX DIRECTEURS GÉNÉRAUX ... 27 1. Un inspecteur des impôts en conflit avec sa hiérarchie ... 27 2. Quelle était la crédibilité de la note du 11 juin 2008 ? ... 28

(4)

3. Le contenu de la note du 11 juin 2008 n’a pas été porté à la connaissance du

DGFiP ou des ministres, avant les révélations de Mediapart ... 30

II. DANS LES SEMAINES SUIVANT LES RÉVÉLATIONS DE

MEDIAPART, L’APPAREIL D’ÉTAT RÉAGIT DANS LE RESPECT

DE LA LÉGALITÉ

... 33

A. L’ADMINISTRATION FISCALE TIRE LES CONSÉQUENCES DU DÉPORT DE SON MINISTRE DE TUTELLE ... 33

1. L’établissement très rapide de la « muraille de Chine » ... 33

2. La poursuite de l’examen de la situation fiscale de Jérôme Cahuzac ... 35

3. L’envoi à Jérôme Cahuzac d’une demande type de renseignements dans la perspective d’une éventuelle saisine des autorités suisses ... 37

B. LA JUSTICE N’EST SAISIE QUE DE DEUX PLAINTES EN DIFFAMATION ... 40

1. La question de la base juridique de la plainte en diffamation du 6 décembre 2012 ... 40

2. La seconde plainte et le déroulé normal de la procédure ... 42

C. LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR INTERROGE LA DIRECTION CENTRALE DU RENSEIGNEMENT INTÉRIEUR ... 43

1. L’incident mettant en cause la direction départementale de la sécurité publique du Lot-et-Garonne ... 43

2. La question de la « note blanche » de la direction centrale du renseignement intérieur ... 46

D. LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE INVITE MICHEL GONELLE À SAISIR LA JUSTICE DES INFORMATIONS QU’IL DÉTIENDRAIT ... 48

1. La conversation téléphonique entre Michel Gonelle et le directeur de cabinet adjoint du président de la République ... 49

2. Les suites de cette conversation ... 51

a. Le compte rendu au président de la République et la réaction de celui-ci ... 52

b. L’absence de second échange téléphonique ... 53

c. La révélation, par la presse, de la conversation du 15 décembre... 54

d. La lettre adressée par Michel Gonelle au juge Daïeff ... 55

III. À COMPTER DE L’OUVERTURE DE L’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE, LA JUSTICE N’EST NI ENTRAVÉE, NI RETARDÉE

.. 57

A. L’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE EST MENÉE AVEC EFFICACITÉ ... 57

1. L’ouverture de l’enquête, déclenchée par le courrier d’Edwy Plenel ... 57

a. L’initiative prise par Edwy Plenel ... 57

b. La décision du parquet de Paris ... 59

2. Une enquête conduite avec diligence ... 61

a. Les principales étapes de l’enquête préliminaire ... 61

(5)

b. Le rôle déterminant des expertises de l’enregistrement ... 63

3. Une enquête menée en toute autonomie par le parquet de Paris ... 64

a. La remontée d’informations au sein de la hiérarchie judiciaire ... 64

b. Le suivi de l’affaire par le ministère de la Justice ... 67

c. Le rôle du ministère de l’Intérieur ... 69

B. LA DEMANDE D’ASSISTANCE ADMINISTRATIVE À LA SUISSE ÉTAIT-ELLE OPPORTUNE ET BIEN FORMULÉE ? ... 71

1. L’échange de renseignements : une procédure à la disposition de l’administration fiscale ... 72

a. Depuis 2009, l’évolution positive du cadre de l’échange de renseignements bancaires avec l’administration fiscale suisse ... 72

b. Une démarche fiscale indépendante des procédures judiciaires, conformément au principe de spécialité ... 76

c. Cette démarche a abouti à une réponse rapide des autorités suisses ... 78

2. Était-il opportun de saisir les autorités suisses d’une demande d’assistance administrative ? ... 79

a. Un instrument qui reste d’un maniement délicat ... 79

b. Une procédure qui n’était pas sans risques ... 80

i. Jérôme Cahuzac a été averti du lancement de la procédure, en marge du conseil des ministres ... 80

ii. Le ministre du budget a été informé du contenu de la demande par ses avocats suisses . 81 iii. Une tentative de manipulation : la publication dans la presse de la réponse au début du mois de février ... 83

c. La transmission de la réponse à la Justice n’allait pas de soi ... 84

i. La question de la transmission de la réponse à la Justice a donné lieu à controverse ... 84

ii. La DGFiP n’avait pas informé le parquet de Paris de la question, mais elle a transmis rapidement la réponse ... 84

3. L’administration fiscale a-t-elle utilisé toutes les possibilités ouvertes par la procédure d’échange de renseignements ? ... 86

a. Quelles banques devaient être visées dans la demande ? ... 86

i. Un seul établissement est visé ... 86

ii. Une demande non ciblée, théoriquement possible, aurait probablement été jugée non pertinente ... 88

b. La période visée par la demande pouvait-elle être plus large ? ... 88

c. La référence à la notion d’ayant droit économique était-elle opérante ? ... 89

d. Pourquoi l’administration fiscale française n’a-t-elle pas également interrogé Singapour ? ... 90

CONCLUSION

... 93

(6)

EXAMEN EN COMMISSION

... 97

CONTRIBUTIONS

... 109

ANNEXES

... 115

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS ... 117

II. DOCUMENTS ... 715

(7)

AVANT-PROPOS DE M. CHARLES DE COURSON, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Au moment de la création de cette commission d’enquête, « chargée de déterminer les éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement », j’ai énuméré

(1)

les points, nombreux, sur lesquels je souhaitais que les travaux de la commission fassent la lumière, afin de répondre au besoin de transparence de nos concitoyens : raisons pour lesquelles le ministre de l’Économie et des finances, sur décision du Président de la République, avait formulé une demande d’entraide fiscale à la Suisse deux semaines après l’ouverture, par le parquet de Paris, d’une enquête préliminaire, contenu de cette demande, choix de ne pas interroger les autorités singapouriennes, éventuelle instrumentalisation de l’administration fiscale, existence possible, au sein de cette administration ou dans d’autres services de l’État, d’éléments antérieurs aux révélations de Mediapart sur l’existence du compte à l’étranger non déclaré de Jérôme Cahuzac, actions du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice à la suite de ces révélations et pendant l’enquête préliminaire, degré d’information des plus hautes autorités de l’État quant à la détention d’un compte à l’étranger par Jérôme Cahuzac.

Je considérais en effet que les pouvoirs d’une commission d’enquête devaient permettre d’obtenir des réponses sur tous ces points.

Après plusieurs mois de travail, j’estime que les travaux de la commission d’enquête ont été utiles. Nous avons pu entendre les principaux protagonistes de

« l’affaire Cahuzac », certains même par deux fois, ainsi que ceux, membres du Gouvernement et fonctionnaires, qui ont été concernés par la gestion de cette affaire, et nous avons rassemblé un nombre important de documents. Je regrette que la majorité des membres de la commission d’enquête ait écarté deux auditions, que je jugeais pertinentes, celle du Premier ministre et celle de Patricia Cahuzac, l’épouse de Jérôme Cahuzac. Nous avons néanmoins réuni de nombreuses informations qui nous ont conduits à mieux comprendre l’enchaînement des événements et les choix faits par les uns et les autres.

(1) Rapport (Assemblée nationale, n° 925, XIVème législature) de M. Charles de Courson sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative au fonctionnement de l’action du Gouvernement et des services de l’État entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement, 16 avril 2013.

(8)

On peut discuter du fait de qualifier telle ou telle action de dysfonctionnement : ce qui n’apparaît que comme une maladresse à certains peut constituer une erreur pour les autres. C’est ainsi que mon appréciation diffère de celle du Rapporteur de la commission d’enquête sur un certain nombre de points, en particulier en ce qui concerne la réaction de la présidence de la République fin décembre 2012 – ou plutôt ce que je perçois comme une absence critiquable de réaction – et l’action de l’administration fiscale, sur décision du président de la République, que je juge inopportune et dont l’issue était à mon avis parfaitement prévisible. Le Rapporteur a le mérite de signaler, dans ses développements, les sujets sur lesquels les opinions des membres de la commission d’enquête sont différentes voire opposées. Je préciserai mon analyse dans la contribution de mon groupe.

En revanche, je partage la présentation faite par le Rapporteur des raisons pour lesquelles l’existence des avoirs dissimulés de Jérôme Cahuzac est restée dans l’ombre, en dépit de sa découverte par Michel Gonelle à la fin de l’année 2000. Comme lui, je rends hommage au travail de la Justice dans cette affaire et je constate que les travaux de la commission n’ont pas révélé d’interférences de la part de la chancellerie ou du ministère de l’Intérieur.

Sans partager toutes les conclusions du présent rapport, je salue le travail

accompli par la commission d’enquête. Il est vrai que des questions importantes

restent posées, telle que celle relative à l’inaction du président de la République

fin décembre 2012 alors qu’il disposait d’informations privilégiées permettant de

douter de la véracité des affirmations de Jérôme Cahuzac de non-détention d’un

compte à l’étranger, mais il ne peut en être fait reproche à la commission. Le

respect de la séparation des pouvoirs, le périmètre bien défini de l’enquête et le

refus de Jérôme Cahuzac de répondre aux questions – et pas seulement à celles qui

étaient extérieures au strict champ de nos travaux – faisaient obstacle à ce que

nous obtenions des révélations sur l’origine des fonds, leurs montants et les

montages financiers utilisés ; c’est à l’enquête judiciaire en cours de faire la

lumière sur ces points. Cette commission d’enquête a fait ce qu’elle devait, dans le

cadre et dans les limites de ses pouvoirs : remplacer la rumeur, poison de la

démocratie, par la vérité, quel que soit le jugement que l’on porte sur celle-ci.

(9)

INTRODUCTION

« Je démens catégoriquement les allégations figurant sur le site Mediapart. Je n’ai pas, monsieur le député, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni auparavant. Je démens donc ces accusations, et j’ai saisi la justice d’une plainte en diffamation, car ce n’est que devant la justice, hélas, que les accusateurs doivent prouver la réalité des allégations qu’ils avancent.

« Et c’est donc devant la justice que je m’expliquerai face à ces contradicteurs, en attendant d’eux des éléments probants qui, à ce jour, font manifestement défaut. Merci, monsieur le député, de m’avoir permis de le dire devant la représentation nationale. »

Interrogé, ce mercredi 5 décembre, par l’un de nos collègues

(1)

au début de la séance des questions au Gouvernement, le ministre délégué au budget, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, proteste de son innocence et rejette dans les termes les plus nets les accusations parues la veille dans la presse. Il expliquera plus tard

(2)

avoir trompé, avec la même assurance, le président de la République et le Premier ministre, qui l’avaient questionné quelques heures auparavant.

Ce mensonge proféré devant la Représentation nationale, Jérôme Cahuzac l’a renouvelé à maintes reprises dans les médias, au cours des semaines suivantes.

Ses aveux à la justice, quinze jours après sa démission du Gouvernement, ont choqué nos concitoyens, comme ils ont choqué l’ensemble des responsables politiques.

Il est vrai que, au-delà du mensonge, les agissements de l’ancien ministre délégué au budget sont particulièrement condamnables : il s’est rendu coupable de fraude fiscale alors même qu’il était, de par ses fonctions, le garant de la légalité fiscale et qu’il s’était fait le champion de la lutte contre la fraude.

*

(1) Réponse à une question de M. Daniel Fasquelle, compte-rendu intégral de la première séance du 5 décembre 2012 de l’Assemblée nationale.

(2) Audition de M. Jérôme Cahuzac, le 26 juin 2013.

(10)

Très peu de temps après ces aveux, des accusations graves ont été portées quant à l’action des services de l’État dans la gestion de cette affaire. Il revenait, dès lors, au Parlement de « substituer à la rumeur la vérité, dans le cadre de la mission de contrôle qui est [la sienne], tout en respectant la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice »

(1)

.

Sur la proposition du groupe UDI

(2)

, l’Assemblée nationale a ainsi décidé, dès le 24 avril, la création d’une commission d’enquête, de trente membres, chargée de déterminer les éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, notamment ceux des ministères de l’Économie et des finances, de l’Intérieur et de la Justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement.

Cette commission s’est rapidement mise au travail, procédant en cinq mois à trente-six auditions. Elle a entendu pendant plus de cinquante heures de réunions cinquante-deux témoins, dont trois l’ont été à deux reprises. Usant des prérogatives que lui reconnaît l’ordonnance du 17 novembre 1958

(3)

, le Rapporteur de la commission d’enquête s’est fait communiquer de nombreux documents, sans que le secret fiscal ne puisse lui être opposé.

*

Le champ des investigations de la commission était strictement limité d’abord par le texte de la résolution mais, surtout, par le principe de séparation des pouvoirs, en vertu duquel il est interdit aux travaux d’une commission d’enquête de porter « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». L’ouverture, par le parquet de Paris, le 8 janvier dernier, d’une enquête préliminaire, puis, le 19 mars, d’une information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale » et « blanchiment de fonds provenant de la perception par un membre d’une profession médicale d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la sécurité sociale » à l’encontre de Jérôme Cahuzac et, enfin, l’annonce de sa première mise en examen le 2 avril, interdisaient à la commission de s’intéresser au volet judiciaire de cette affaire.

Dans ces conditions, il n’appartenait pas à la commission d’éclairer l’origine des fonds dissimulés par l’intéressé à l’étranger. La légalité des activités de consultant de Jérôme Cahuzac, entre 2002 et 2008, n’entrait pas non plus dans le champ de l’enquête parlementaire.

(1) Intervention de M. Charles de Courson, compte-rendu intégral de la première séance du mercredi 24 avril 2013 de l’Assemblée nationale.

(2) Proposition de résolution n° 896 rectifiée de M. Jean-Louis Borloo, Jean-Christophe Lagarde et plusieurs de leurs collègues.

(3) Le II de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose : « Les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs. »

(11)

En revanche, les travaux de la commission ont porté sur l’existence ou non de dysfonctionnements au sein de l’appareil d’État afin de répondre aux interrogations de nos concitoyens. Le Président et le Rapporteur, d’un commun accord, ont retenu une interprétation large du champ de la commission d’enquête.

Ils ont étendu à la présidence de la République les investigations, dans les limites posées par l’article 67 de la Constitution

(1)

; le directeur adjoint du cabinet du président de la République a ainsi pu déposer

(2)

devant les commissaires. Le champ temporel retenu par la résolution créant la commission a également été compris avec souplesse, permettant de remonter le temps jusqu’à l’enregistrement d’une conversation téléphonique de Jérôme Cahuzac – la première preuve matérielle, dans cette affaire – à la fin de l’année 2000.

*

Du point de vue des commissaires, trois questions principales se posaient au début des travaux de la commission d’enquête :

1°/ Les services de l’État disposaient-il, avant le 4 décembre 2012, d’éléments matériels permettant de caractériser une fraude fiscale de la part de Jérôme Cahuzac ?

2°/ En dehors de l’intéressé, d’autres membres de l’exécutif, ou leurs collaborateurs, étaient-ils, avant les aveux du 2 avril, informés de la véracité des faits allégués par Mediapart et ont-ils cherché à peser sur le déroulement de l’affaire ?

3°/ Après la révélation de l’affaire, les services de l’État, et en particulier ceux du ministère de l’Économie et des finances, du ministère de l’Intérieur et de la Chancellerie, ont-ils agi opportunément et conformément à la légalité ? Leur action a-t-elle entravé, en quoi que ce soit, la bonne marche de la justice ?

En suivant ce fil conducteur, la commission a tâché de faire œuvre de transparence en démêlant les faits, parfois confus ou imprécis, relatés par la presse. Elle a entendu les acteurs de cette affaire

(3)

et rassemblé les documents permettant de recouper les faits allégués, dans le respect des limites des poursuites judiciaires en cours.

Se fondant exclusivement sur des éléments objectifs et vérifiables, le Rapporteur a examiné l’action du Gouvernement et des services de l’État au cours de ces quatre mois. Le présent rapport livre ses conclusions.

(1) Les dispositions de la Constitution qui régissent les rapports du président de la République et du Parlement font obstacle à l’audition devant une commission d’enquête du président de la République.

L’extension de l’irresponsabilité du président de la République (article 67) à ses collaborateurs est demeurée pendant longtemps un point débattu. Les auditions du secrétaire général de l’Élysée, M. Claude Guéant, et du conseiller diplomatique, M. Jean-David Lévitte, en 2007 par la commission d’enquête sur les conditions de la libération des infirmières bulgares constituent cependant deux précédents récents.

(2) Audition de M. Alain Zabulon, le 18 juin 2013.

(3) Les comptes rendus des auditions sont regroupés dans l’annexe I.

(12)
(13)

PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS SURVENUS ENTRE LE 2 DÉCEMBRE 2012 ET LE 4 AVRIL 2013

4 décembre 2012 : Mediapart fait état de la détention par Jérôme Cahuzac d’un compte bancaire en Suisse. Selon le site, ce compte, non déclaré, détenu à l’UBS de Genève aurait été clos en 2010 et les avoirs transférés à l’UBS de Singapour.

5 décembre 2012 : interrogé par Daniel Fasquelle, au cours de la séance des questions au Gouvernement, sur la véracité des informations publiées la veille, Jérôme Cahuzac proteste solennellement de son innocence. Mediapart met alors en ligne un enregistrement, présenté comme un échange entre Jérôme Cahuzac et Hervé Dreyfus, son gestionnaire de fortune en 2000, qui corroborerait ces informations.

10 décembre 2012 : une note signée Jérôme Cahuzac, dite « muraille de Chine », le met à l’écart de toute procédure relevant de l’administration fiscale pouvant concerner sa situation.

11 décembre 2012 : Mediapart mentionne pour la première fois les liens familiaux entre Hervé Dreyfus et le fondateur de Reyl et Cie.

14 décembre 2012 : l’administration fiscale adresse à Jérôme Cahuzac une demande type de renseignements l’invitant à fournir des informations sur les comptes bancaires et les avoirs qu’il détiendrait à l’étranger.

15 décembre 2012 : Michel Gonelle, ancien maire RPR de Villeneuve-sur-Lot, prend contact avec Alain Zabulon, directeur adjoint du cabinet du président de la République pour lui révéler qu’il est le détenteur de l’enregistrement publié par Mediapart, et lui expliquer comment il était entré en sa possession.

27 décembre 2012 : le président de Mediapart, Edwy Plenel, adresse une lettre au Procureur de Paris, François Molins, pour demander l'ouverture d’une enquête.

8 janvier 2013 : le Parquet ouvre une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale, confiée à la Division nationale des investigations financières et fiscales (DNIFF) de la police judiciaire.

16 janvier 2013 : à l’issue du Conseil des ministres, un échange a lieu entre le président de la République, le Premier ministre, le ministre de l’Économie et des finances et Jérôme Cahuzac, au cours duquel ce dernier est informé de la décision de lancer une demande d’assistance administrative auprès des autorités Suisses.

24 janvier 2013 : l’administration fiscale adresse la demande d’assistance administrative aux autorités suisses.

31 janvier 2013 : l’administration fiscale reçoit la réponse des autorités helvétiques à sa demande : elle indique que Jérôme Cahuzac n’a pas détenu de compte à l’UBS de Genève pour la période courant à partir du 1er janvier 2006.

Du 6 au 9 février 2013 : le Journal du dimanche et le Nouvel Observateur font état de la réponse négative apportée par la Suisse, réponse couverte par le secret fiscal.

(14)

19 mars 2013 : le Parquet ouvre une information judiciaire contre X pour

« blanchiment de fraude fiscale, et perception par un membre d’une profession médicale d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale, blanchiment et recel de ce délit ». Jérôme Cahuzac démissionne du Gouvernement en réaffirmant son innocence.

2 avril 2013 : Jérôme Cahuzac déclare à la justice qu'il détient un compte non déclaré à l'étranger. Il est mis en examen.

(15)

I. AU 4 DÉCEMBRE 2012, LES INFORMATIONS DONT POUVAIENT DISPOSER LES SERVICES DE L’ÉTAT SONT RESTÉES SANS SUITES, FAUTE DE SAISINE DANS LES FORMES APPROPRIÉES

Pour pouvoir juger des éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État entre la révélation, par Mediapart, du compte non déclaré qu’aurait détenu en Suisse celui qui était alors ministre délégué en charge du budget, et les aveux de l’intéressé devant la Justice, il est essentiel de savoir de quelles informations l’administration, voire les membres du Gouvernement eux-mêmes, pouvaient alors disposer. Certains, dans les milieux médiatique et politique, ont affirmé que l’existence de ce compte était connue depuis longtemps par un nombre important de personnes, et notamment par les plus hautes autorités de l’État. Aucune preuve n’en a cependant jamais été apportée, et les travaux de la commission d’enquête n’ont pas non plus permis de confirmer de telles assertions.

En revanche, la commission d’enquête a pu établir que cette information a été communiquée, à deux occasions, d’ailleurs liées entre elles, à des agents de l’administration fiscale, mais dans des conditions qui n’ont pas permis sa vérification. Les travaux de la commission d’enquête ont en outre conduit à mettre très sérieusement en doute l’affirmation selon laquelle la douane aurait aussi été informée de l’existence de ce compte.

Dans tous les cas, la circulation de cette information est la conséquence de l’utilisation qui a été faite de l’enregistrement de la conversation entre Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires, réalisé fin 2000. Or cette utilisation a beaucoup surpris les membres de la commission d’enquête. En effet, chacune des initiatives qui ont été prises par le détenteur de l’enregistrement pour en faire connaître le contenu peut être qualifiée d’« oblique », pour reprendre la formule utilisée par un membre de la commission d’enquête

(1)

. C’est très clairement le choix de ces voies détournées qui explique qu’elles n’aient jamais eu de suites.

A. EN 2000, L’ENREGISTREMENT N’EST PAS TRANSMIS À LA JUSTICE PAR MICHEL GONELLE

Si l’enquête de Mediapart ne s’est pas résumée à la découverte de cet enregistrement, dont M. Fabrice Arfi n’avait pas connaissance lorsqu’il l’a engagée

(2)

, il a joué un rôle clé dans le déclenchement de l’affaire – comme il en a joué un dans l’enquête préliminaire, le Rapporteur y reviendra infra. Il est donc utile de comprendre dans quelles conditions il a été réalisé, avant de préciser l’utilisation qui en a été faite.

(1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013 : cette expression est utilisée par Mme Marie-Françoise Bechtel.

(2) Audition de MM. Edwy Plenel et Fabrice Arfi, le 21 mai 2013.

(16)

1. Les conditions dans lesquelles l’enregistrement de la conversation entre Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires a été réalisé

Mediapart a, dès le 5 décembre 2012, mis en ligne des extraits de cet enregistrement et expliqué son origine, sans citer le nom de Michel Gonelle. Ce dernier a, devant la commission d’enquête

(1)

, confirmé le récit publié par Mediapart. Fin 2000, à la suite d’un message laissé par Jérôme Cahuzac sur son téléphone portable relatif à la venue à Villeneuve-sur-Lot du ministre de l’Intérieur pour l’inauguration d’un commissariat de police, Michel Gonelle, qui en est alors le maire, découvre l’enregistrement d’une conversation entre le député du Lot-et-Garonne et une autre personne qu’il n’a pas identifiée – et qui se révélera être Hervé Dreyfus, son gestionnaire de fortunes et chargé d’affaires – à propos d’un compte détenu par Jérôme Cahuzac en Suisse, à la banque UBS.

Devant la commission d’enquête, Michel Gonelle a présenté sa réaction à cette découverte dans les termes suivants : « De tels enregistrements sont conservés dans la mémoire du téléphone pendant quatorze jours. À l’époque maire d’une commune de 23 000 habitants – ne sachant pas si j’allais le demeurer –, j’ai immédiatement compris le caractère sensible et choquant du message. Je n’ai donc pas souhaité que ce document disparaisse. » Il demande donc à un ingénieur du son qu’il connaît de bien vouloir sauvegarder cette conversation, ce qui est fait au cours des jours suivants. Le spécialiste réenregistre cet échange sur un minidisque, le support couramment utilisé à cette époque par les professionnels pour les enregistrements audios de qualité.

Interrogé par écrit par le Rapporteur

(2)

, l’ingénieur du son concerné confirme qu’il a enregistré sur un minidisque la totalité du message – l’échange avait commencé avant le début de l’enregistrement sur le répondeur et le message s’interrompt brutalement – et qu’il n’en a pas conservé de double. Il se souvient avoir effectué cette opération fin 2000 pendant la période de Noël. Il indique clairement n’avoir remis à Michel Gonelle qu’une copie, sur un seul minidisque, alors que celui-ci affirme en avoir reçu deux exemplaires, sur deux minidisques identiques

(3)

.

Parallèlement, selon ses dires, Michel Gonelle fait écouter l’enregistrement à « un petit cercle d’amis – moins de cinq personnes ». Parmi ces personnes, la commission a pu identifier un ancien gendarme devenu détective privé et un inspecteur des finances publiques, qu’elle a entendus

(4)

, ainsi qu’un

(1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013.

(2) Le président et le rapporteur de la commission d’enquête ont décidé de procéder par écrit après que la personne qui indiquait avoir effectué l’enregistrement – M. Jacques Menaspa – leur a fait part de son état de santé lui interdisant de se déplacer. Dans la réponse écrite, il apparaît que ce n’est pas cette personne, mais son fils – M. Julien Menaspa –, qui a réalisé l’opération. Le courrier qui a été adressé à M. Menaspa et la réponse qui y a été apportée figurent en annexe au présent rapport (annexe II, document n° 1).

(3) Michel Gonelle a réitéré cette affirmation dans sa réponse au courrier du Président et du Rapporteur daté du 4 septembre 2013 (annexe II, document n° 2).

(4) Audition de MM. Alain Letellier et Florent Pedebas, le 24 juillet 2013, et audition de M. Jean-Noël Catuhe, le 3 juillet 2013.

(17)

huissier de Justice. Le premier et le troisième semblent avoir entendu l’enregistrement depuis le portable de Michel Gonelle, le deuxième à partir de la copie faite sur minidisque.

2. L’absence de saisine de la Justice

À la question du Rapporteur relative aux initiatives qu’il avait prises ensuite, Michel Gonelle a apporté la réponse suivante : « Trois voies étaient possibles. La première consistait à en parler devant les médias : je l’ai immédiatement rejetée. La deuxième, d’une certaine façon, s’imposait à moi, mais je ne l’ai pas choisie : c’était celle de l’article 40 du code de procédure pénale, c’est-à-dire aller trouver le procureur de la République de mon département pour lui signaler ce qui constituait un fait délictueux. J’ai adopté une autre voie [celle d’un signalement à l’administration fiscale par l’intermédiaire d’un agent de cette administration, voir infra]. »

Il a justifié ce choix ainsi : « Nous étions à la veille des élections, et je détenais un document sensible. Je n’avais aucune assurance, en l’écoutant, que le compte à l’étranger dont il était fait mention n’était pas déclaré, même si j’avais une forte présomption. Si j’avais livré ce document sur la place publique en plein débat électoral, je me serais probablement exposé à une action en diffamation ou, plus grave encore, en dénonciation calomnieuse. »

Il ne fait pourtant aucun doute que, comme il le reconnaît lui-même, Michel Gonelle aurait dû transmettre l’enregistrement au procureur de la République, en application de l’article 40 du code de procédure pénale. Le deuxième alinéa de cet article dispose en effet que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Michel Gonelle était alors maire de Villeneuve-sur-Lot, et donc « autorité constituée ». Il est vrai que la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que les prescriptions du second alinéa de l’article 40 du code précité ne sont assorties d’aucune sanction pénale

(1)

, seules des sanctions disciplinaires pouvaient être encourues par les fonctionnaires ou les magistrats. Un élu qui ne respecte pas ces dispositions ne peut être sanctionné, mais elles n’en constituent pas moins une obligation, à laquelle M. Gonelle n’aurait pas dû manquer. Le contenu de la conversation enregistrée ne laissait en fait guère de doute sur le caractère non déclaré du compte en question

(2)

.

(1) Sauf en cas de non-dénonciation d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, laquelle constitue un délit en application de l’article 434-1 du code pénal.

(2) Selon la transcription publiée par Mediapart, Jérôme Cahuzac dit par exemple : « Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas la plus planquée des banques. »

(18)

Toujours au cours de sa première audition par la commission d’enquête, Michel Gonelle ajoute ensuite de nouveaux arguments pour justifier le fait qu’il n’avait pas saisi la Justice : « À un point de l’enregistrement, on entend M. Cahuzac dire qu’il n’y a plus rien sur le compte

(1)

. Ce détail a pesé sur ma décision. Beaucoup d’entre vous pensent que j’aurais dû agir de façon plus énergique, saisir le procureur, par exemple. Mais mettez-vous un instant à ma place : il s’agissait d’un compte ouvert à l’étranger, sur lequel il ne restait plus d’argent. J’étais dans l’embarras. Je craignais une action en retour contre moi, de surcroît dans un contexte de campagne électorale. Ne me faites pas grief de n’avoir pas utilisé ce document dans la bataille électorale, selon ma conception, ce n’est pas le lieu de tels déballages. Elle est faite pour évoquer des idées, des projets, les positions politiques respectives des candidats. ».

Le fait que l’argent qui avait été déposé sur ce compte ait été soit dépensé, soit transféré ailleurs n’avait nullement pour effet de faire disparaître l’éventuel délit de fraude fiscale constitué par son placement illégal en Suisse. Saisie de l’enregistrement, la Justice aurait pu soit transmettre cette information à l’administration fiscale, soit ouvrir une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale, comme elle l’a fait en janvier 2012. Il semble que ce soit bien moins un raisonnement juridique que la crainte que lui inspirait Jérôme Cahuzac – dont il n’a pas fait mystère au cours de cette audition –, qui conduit Michel Gonelle à ne pas aviser le procureur de la République et à choisir une autre voie, celle du signalement auprès de l’administration fiscale.

Mais, au lieu de s’adresser directement à cette administration, il recourt à des intermédiaires, ce qui a eu pour effet de rendre sa démarche inefficace.

B. EN 2001, LE SIGNALEMENT INDIRECT AUX SERVICES FISCAUX N’ABOUTIT PAS

Les travaux de la commission d’enquête ont permis d’éclairer les conditions dans lesquelles des soupçons relatifs aux avoirs détenus par Jérôme Cahuzac à l’étranger ont été, une première fois, portés à la connaissance d’agents de l’administration fiscale.

1. Une saisine inappropriée des services fiscaux

Plutôt que d’utiliser l’article 40 du code de procédure pénale, Michel Gonelle s’est tourné à la toute fin de l’année 2000 ou au début de l’année 2001 vers un inspecteur des impôts, Jean-Noël Catuhe, alors en poste à Villeneuve-sur- Lot et avec lequel il entretenait une relation de confiance. Cet ami a fait partie du petit cercle de familiers auxquels Michel Gonelle a laissé écouter l’enregistrement qu’il avait réalisé.

(1) Toujours selon la transcription publiée par Mediapart, il aurait en effet dit : « Moi, ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS, mais il n’y a plus rien là-bas, non ? ».

(19)

Comme il l’a expliqué lors de son audition

(1)

, Jean-Noël Catuhe se souvient d’avoir proposé, lors d’un entretien auquel Michel Gonelle l’avait convié à son cabinet, « de faire un signalement et de transmettre l’information au service ad hoc, qui se chargerait de faire une enquête ». Il a ainsi pris contact avec l’un de ses anciens condisciples à l’École nationale des impôts, Christian Mangier, qui travaillait à la brigade interrégionale d’intervention (BII) de Bordeaux, dépendant de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF).

La saisine de cette direction nationale, au-delà du caractère officieux de la procédure suivie par MM. Catuhe et Gonelle, paraît surprenante. S’il n’y a pas de compétence d’attribution stricte en matière de recherche des infractions fiscales, la DNEF a plutôt vocation à prendre en charge des opérations collectives centrées non sur un contribuable en particulier mais sur une thématique (par exemple, les carrousels en TVA et la fraude internationale, au cours des trois dernières années), comme l’a rappelé lors de son audition l’un de ses anciens directeurs

(2)

. Les BII, à Bordeaux ou ailleurs, n’ont donc pas vocation à procéder à l’examen de la situation fiscale personnelle des contribuables : une telle mission relève d’autres services au sein de l’administration fiscale, sauf sur demande expresse de la direction générale – ce qui n’était pas le cas, en l’espèce.

Un inspecteur des impôts chevronné, comme Jean-Noël Catuhe, ne pouvait ignorer que son signalement du début de l’année 2001 aurait dû être adressé au centre des impôts de Paris Sud, en charge du dossier fiscal personnel des époux Cahuzac demeurés domiciliés à Paris, ou à la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), qui était le service à compétence nationale spécialisé en matière de fiscalité personnelle. Il faut sans doute voir dans le choix de se tourner vers la DNEF, moins le « hasard »

(3)

d’une rencontre avec un ancien camarade de promotion que la recherche délibérée d’une voie informelle. Cette option initiale peut expliquer, en tout cas, l’impasse sur laquelle déboucheront finalement les vérifications de Christian Mangier.

2. Les vérifications entreprises en 2001 sont demeurées étonnamment superficielles

Si la commission d’enquête n’a pu entendre ce fonctionnaire de la DNEF, aujourd’hui décédé, elle a convoqué trois de ses anciens collègues, en fonction à Bordeaux entre 2000 et 2007. Leurs témoignages attestent de l’absence de toute entrave. Ils révèlent cependant de stupéfiantes lacunes dans le fonctionnement de ce service.

Interrogé par le Rapporteur, Patrick Richard, le contrôleur des finances publiques qui travaillait alors en binôme avec Christian Mangier, a confirmé que son collègue l’avait informé, en février 2001, d’un renseignement reçu « sur la détention, par M. Cahuzac, d’un compte bancaire en Suisse, lequel lui aurait

(1) Audition de M. Jean-Noël Catuhe, le 3 juillet 2013.

(2) Audition de M. Bernard Salvat, le 4 juin 2013.

(3) Audition de M. Jean-Noël Catuhe, le 3 juillet 2013.

(20)

permis de financer ses activités électorales ». Comme c’est l’habitude en la matière, M. Mangier a demandé

(1)

communication du dossier fiscal du contribuable concerné, afin de démarrer leurs vérifications mais également pour s’assurer que celui-ci ne faisait pas l’objet d’une enquête par un autre service.

Le centre des impôts de Paris Sud a adressé sans délai l’intégralité du dossier fiscal des époux Cahuzac, par voie postale. Lorsque le dossier est arrivé, il a été examiné pour vérifier en premier lieu que le contribuable n’avait jamais déclaré de compte bancaire à l’étranger. Patrick Richard a indiqué aux commissaires avoir ensuite discuté de son contenu avec son collègue et émis le souhait de rencontrer la source du renseignement afin d’« en évaluer la crédibilité avant d’entamer quelque action que ce soit »

(2)

. Jamais pourtant il ne rencontrera Jean-Noël Catuhe, ni même ne connaîtra son nom.

Cette manière de procéder conduit à un premier dysfonctionnement.

Lorsque l’informateur était un fonctionnaire d’une autre administration et a fortiori un collègue de la direction générale des impôts, les deux hommes avaient en effet coutume de recevoir ensemble, dans les locaux de l’administration, la personne ayant donné le renseignement, afin « de mesurer sa proximité avec la source principale, de comprendre par quel moyen l’information lui était parvenue, de rechercher de premières pistes pour commencer l’enquête [ ;] en général, ce que l’un savait, l’autre le savait aussi, car avant de prendre une décision ou d’ouvrir une enquête, nous en discutions entre nous ». En l’espèce, Patrick Richard a indiqué, lors de son audition, que la source avait requis l’anonymat, ce que démentent les intéressés. Disposant de peu d’éléments, et ne pouvant interroger plus avant leur source, les fonctionnaires de la DNEF ont rapidement interrompu leurs investigations sur Jérôme Cahuzac.

L’absence d’information de l’autorité hiérarchique constitue une autre anomalie. Comme il l’a expliqué aux membres de la commission d’enquête, l’ancien chef de la brigade de Bordeaux de 1998 à 2003, Olivier André, n’a jamais été averti par ses deux subordonnés. Il aurait pourtant dû être avisé dans la mesure où ce renseignement concernait une personnalité exerçant des fonctions électives et non pas un contribuable ordinaire

(3)

: « Dans le cas d’espèce, et dans la mesure où il s’agissait d’une « notoriété », la règle – qui n’a pas été respectée – voulait que l’enquêteur vienne me demander l’autorisation de se faire communiquer le dossier. Je la lui aurais certainement accordée, et j’aurais informé ma hiérarchie, à Pantin. ».

Comme l’a confirmé sous serment Patrick Richard

(4)

, Christian Mangin et lui n’ont transmis ni à leur chef de service, ni à aucune autorité de l’État les renseignements qu’ils avaient recueillis en 2001 sur le député Jérôme Cahuzac. La

(1) Le formulaire correspondant à cette demande est daté du 9 février 2001 et il porte la seule signature de Christian Mangier ; le motif du prélèvement est « consultation ».

(2) Audition de M. Patrick Richard, le 18 juin 2013.

(3) Audition de M. Olivier André, le 18 juin 2013.

(4) Audition de M. Patrick Richard, le 18 juin 2013.

(21)

commission d’enquête n’a découvert aucun élément accréditant l’hypothèse d’une information des ministres de l’époque en charge de l’économie ou du budget, et encore moins la preuve d’une intervention politique pour faire cesser l’enquête de la BII. Le Rapporteur en conclut que c’est l’insuffisance des renseignements ainsi que les réticences de MM. Catuhe et Gonelle à utiliser les voies officielles qui, principalement, expliquent que ce premier signalement n’ait pas abouti.

3. Le dossier fiscal de Jérôme Cahuzac est conservé pendant sept ans, sans raison apparente, à Bordeaux

Les travaux de la commission d’enquête ont mis en évidence une dernière anomalie. Les bordereaux de transmission du dossier fiscal ont en effet mis en évidence que ce dossier était demeuré jusqu’en 2007 dans les locaux de la BII.

Aucune justification à la conservation de ces pièces pendant sept ans n’a pu être fournie par l’administration fiscale

(1)

; seule la négligence paraît pouvoir expliquer pareil enlisement. Apparemment, comme cela a été confirmé au Rapporteur

(2)

, le traitement des déclarations d’impôts des époux Cahuzac n’a pas été entravé pour autant : – un nouveau dossier avait été ouvert à partir de la transmission en 2001, – mais il n’a pas non plus permis de détecter le délai anormalement long de conservation du dossier à Bordeaux.

C. IL N’EST PAS DÉMONTRÉ QUE LES DOUANES ONT ÉTÉ INFORMÉES, NI EN 2001, NI EN 2008

La commission d’enquête s’est efforcée de faire la lumière sur les informations relatives à la détention à l’étranger par Jérôme Cahuzac d’un compte non déclaré qu’auraient pu avoir les services de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI). Cette direction générale est en effet mise en cause par certaines des personnes qu’elle a entendues.

C’est d’abord Fabrice Arfi qui y a fait allusion : au cours de son audition

(3)

, il a invité la commission d’enquête à « aller chercher des documents » auprès, notamment, des douanes, où, selon lui, « des gens ont des choses à dire » ; dans son livre sur l’affaire, il parle d’« un correspondant de la DCRI et des douanes qui [lui] parle de la connaissance du compte suisse de Cahuzac par ces deux services de renseignements français »

(4)

.

Michel Gonelle abonde dans le même sens. Il a ainsi déclaré à l’AFP, qui l’a publié dans un communiqué du 3 avril 2013 : « Selon ce que je sais de bonne source et qui m’a été rapporté, un haut fonctionnaire des douanes avait identifié le compte en 2008 », avant de préciser, toujours selon l’AFP : « ce haut fonctionnaire est élu d’une ville de l’Oise ».

(1) Audition de M. Laurent Habert, le 18 juin 2013.

(2) Contrôle sur place à la DRFiP Paris - Île-de-France, le 10 juillet 2013.

(3) Audition de MM. Edwy Plenel et Fabrice Arfi, le 21 mai 2013.

(4) Fabrice Arfi, avec la rédaction de Mediapart, L’affaire Cahuzac. En bloc et en détail, Don Quichotte, mai 2013, p. 21.

(22)

Au cours de sa première audition par la commission d’enquête

(1)

, M. Gonelle est interrogé par le Rapporteur sur cette déclaration. Sa réponse est la suivante : « En réalité, il y a une erreur dans la transcription de mes propos, car cette administration le savait bien avant 2008. J’ai entendu dire par plusieurs sources journalistiques concordantes que le service compétent des douanes, le chef du 4

ème

bureau de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières - une des divisions de la DNRED - avait obtenu ce renseignement dès 2001, même si j’ignore de quelle façon. Selon mes informations, dont j’ai tout lieu de penser qu’elles sont sérieuses, ce cadre de haut niveau, administrateur civil d’origine, a été interrogé par plusieurs journalistes sur ce fait, sans jamais le démentir ni le confirmer. » À la demande du président de la commission d’enquête, il donne son nom : il s’agirait de Thierry Picart – qui est élu local dans le Val d’Oise.

Entendu à son tour par la commission d’enquête

(2)

, M. Picart, aujourd’hui chef du bureau de lutte contre la fraude à la DGDDI, a très vivement contesté cette affirmation. Il a démontré que le changement de la date de la prétendue information des douanes (2008 dans un premier temps, 2001 ensuite) était loin d’être anodin. Il a d’abord contesté que la mention de l’année 2008 ait pu être une erreur de transcription puisque Michel Gonelle mentionne cette même année dans un entretien à BFM TV. Il a souligné que certains journalistes

(3)

avaient alors déduit de cette date que l’information serait parvenue jusqu’au ministre du budget de l’époque, Éric Woerth, qui l’aurait enterré.

Pourtant, en 2008, Thierry Picart ne pouvait absolument pas avoir rédigé une note sur le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac dans la mesure où il avait été affecté, depuis septembre 2006, à la direction du budget, où il était chargé du suivi des crédits de la mission « Aide publique au développement », fonction qu’il n’a quittée qu’en juillet 2009, pour rejoindre son poste actuel à la DGDDI. Il pense donc que Michel Gonelle a prétendu que l’information de la douane ne datait pas de 2008 mais de 2001 pour rendre crédible le reste de ses affirmations : en 2001, M. Picart dirigeait la quatrième division d’enquête de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, chargée notamment de lutter contre les mouvements financiers illicites ; il pouvait donc, éventuellement, avoir connaissance de transferts de fonds vers un compte non déclaré détenu en Suisse par Jérôme Cahuzac.

Interrogé par le Rapporteur sur le point de savoir s’il avait eu connaissance, dans l’exercice de ses fonctions passées, à quelle que date que ce soit, d’éléments relatifs à la situation financière ou fiscale de Jérôme Cahuzac, Thierry Picart a avoué ne pas pouvoir répondre à cette question parce que « le travail habituel de cette division était justement d’enquêter sur des personnes ayant transféré physiquement des avoirs à l’étranger ». Il voyait donc plusieurs

(1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013.

(2) Audition de M. Thierry Picart, le 4 juin 2013.

(3) Cette thèse apparaît dans un article du Courrier picard du 5 avril 2013, puis dans un article de Marianne, le 13 avril 2013.

(23)

centaines de dossiers par an de personnes ayant investi ou transféré des comptes à l’étranger. Dans ces conditions, il ne peut ni confirmer ni infirmer avoir eu à traiter du cas de Jérôme Cahuzac, n’ayant « aucun souvenir de chacun des dossiers » que lui-même ou son service a traités à cette époque. Il a en outre précisé que le système d’information « Lutte contre la fraude » conservait au maximum pendant dix ans des informations nominatives relatives à des auteurs de fraude constituant un délit d’une certaine gravité – les durées étant moins longues en cas de suspicion sans infraction contestée ou de délit mineur

(1)

. Il a néanmoins concédé qu’il se serait probablement souvenu du dossier d’un député-maire, sauf si celui-ci n’avait pas mentionné ses mandats et s’il ne bénéficiait que d’une faible notoriété.

Lors de son audition par la commission d’enquête

(2)

, Jérôme Fournel, qui a été directeur général des douanes et des droits indirects entre février 2007 et février 2013, a confirmé que des contrôles et des vérifications avaient été faits, après le déclenchement de l’affaire, sur les données informatiques disponibles et que le nom de Jérôme Cahuzac n’y avait pas été trouvé.

Lors de sa seconde audition

(3)

, Michel Gonelle a reconnu qu’il s’était trompé lorsqu’il avait parlé d’un signalement à la douane en 2008 et que la date exacte était 2001, et a répété qu’il tenait ces informations de sources journalistiques.

L’année 2001 est aussi celle pendant laquelle Christian Mangier est informé, par l’intermédiaire de Jean-Noël Catuhe, de la conversation interceptée par Michel Gonelle à propos du compte de Jérôme Cahuzac : peut-être la concomitance des deux prétendus signalements ne relève-t-elle pas du hasard.

Lors de son audition

(4)

, M. Catuhe a indiqué qu’il avait revu Christian Mangier, son ancien condisciple, quelque temps auparavant, alors que celui-ci « était en mission dans le secteur de Villeneuve-sur-Lot pour une affaire de fraude assez importante, en liaison avec les personnels des douanes ». Il n’est pas impossible que certains aient déduit de cette proximité professionnelle entre l’inspecteur des impôts et des agents des douanes que ces derniers avaient aussi été informés de l’existence du compte en Suisse non déclaré de Jérôme Cahuzac.

Quelle que soit l’origine des assertions publiées dans la presse et relayées par Michel Gonelle, la commission d’enquête n’a pas pu établir que les services de la DGDDI avaient eu connaissance, à un moment ou un autre, de l’existence de ce compte.

(1) Il existe depuis peu un délai maximal de vingt ans, pour les informations relatives aux auteurs de manquements à l’obligation de déclaration des transferts de fond, notamment.

(2) Audition de Mme Hélène Croquevieille et de M. Jérôme Fournel, le 4 juin 2013.

(3) Audition de M. Michel Gonelle, le 9 juillet 2013.

(4) Audition de M. Jean-Noël Catuhe, le 3 juillet 2013.

(24)

Afin de compléter l’information de la commission d’enquête, le Rapporteur a interrogé par courrier, le 25 juin 2013, Jean-Baptiste Carpentier, le directeur de TRACFIN. Celui-ci lui a indiqué que « avant le 4 avril 2013, le service ne détenait aucune information se rapportant directement ou indirectement à l’affaire dont est saisie [la] commission ».

D. EN 2006, L’ENREGISTREMENT N’EST APPAREMMENT PAS UTILISÉ PAR JEAN-LOUIS BRUGUIÈRE

Après l’échec de ce signalement indirect, Michel Gonelle indique ne plus avoir utilisé l’enregistrement jusqu’à ce qu’« une autre opportunité » se présente à lui « le 12 novembre 2006, avec la venue de Jean-Louis Bruguière »

(1)

. Cette entrevue a eu lieu dans le cabinet d’avocat de Michel Gonelle, alors que le juge anti-terroriste envisageait de se présenter contre Jérôme Cahuzac à l’élection législative du printemps 2007.

Michel Gonelle a décrit à la commission d’enquête avec beaucoup de détails son entrevue avec Jean-Louis Bruguière et les conditions dans lesquelles il lui a remis une copie de l’enregistrement

(2)

. Au cours de ses deux auditions

(3)

, Jean-Louis Bruguière a fait part de ses souvenirs, nettement moins précis, de cet entretien. Ces deux récits présentent un certain nombre de différences ; c’est pour tenter d’y voir plus clair que la commission d’enquête a décidé, après leur première audition, d’entendre les deux hommes une nouvelle fois. Ces différences portent notamment sur la question de savoir si M. Bruguière a demandé une copie de l’enregistrement, M. Gonelle n’ayant plus l’équipement technique nécessaire pour le lui faire entendre, ou s’il a simplement pris la copie qui lui était offerte.

L’ancien magistrat a, devant la commission d’enquête, regretté d’avoir accepté d’emporter cet enregistrement. Il ne se souvient pas avoir été informé par M. Gonelle des conditions dans lesquelles l’enregistrement avait été effectué et nie lui avoir indiqué qu’il disposait des moyens d’en améliorer la qualité ; il conteste aussi qu’il se soit agi d’un simple prêt.

En tout état de cause, ces différences ne portent pas sur l’essentiel : Jean-Louis Bruguière a effectivement eu en sa possession une copie de l’enregistrement de la conversation entre Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires et il en connaissait, en substance, le contenu. Reste à savoir ce qu’il en a fait.

Devant la commission d’enquête, il a confirmé les informations qu’il avait données à un journaliste de Paris-Match le 23 décembre 2012 : il n’a jamais écouté l’enregistrement, n’en a parlé à personne, et, peu de temps après, l’a jeté

« dans la poubelle familiale », à son domicile lot-et-garonnais. Il explique ce qui peut apparaître, au minimum, comme un manque de curiosité par la conception qu’il se fait de la politique.

(1) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013.

(2) Auditions de M. Michel Gonelle, le 21 mai et le 9 juillet 2013.

(3) Auditions de M. Jean-Louis Bruguière, le 19 juin et le 24 juillet 2013.

(25)

Son mandataire financier et directeur de campagne, Gérard Paqueron a indiqué à la commission d’enquête

(1)

n’avoir jamais entendu parler, avant décembre dernier, ni de cet enregistrement, ni d’un compte que Jérôme Cahuzac aurait détenu illégalement à l’étranger. Il a aussi confirmé que Jean-Louis Bruguière n’avait jamais voulu utiliser les rumeurs qui courraient alors sur son adversaire politique

(2)

et que M. Gonelle ne faisait pas partie de son équipe de campagne.

M. Bruguière a en effet expliqué que ce qu’il a perçu comme une tentative d’instrumentalisation de la part de l’avocat, ajouté à d’autres incidents, avait contribué à détruire la confiance qu’il accordait à M. Gonelle, ce qui l’avait conduit à se passer de son aide pour sa campagne électorale. Ce dernier a infirmé cette thèse et fourni à la commission des documents qui prouveraient le contraire.

Ceux-ci montrent qu’il figurait dans un organigramme de la future équipe de campagne du magistrat, en janvier 2007, et qu’il était associé à la préparation de cette campagne. Mais, à une exception près

(3)

, ces documents datent de janvier et février. En outre, à l’occasion de sa seconde audition

(4)

, Jean-Louis Bruguière a indiqué que cet organigramme n’avait pas été mis en œuvre. Il ne fait en tout cas aucun doute que les deux hommes se sont éloignés l’un de l’autre, même si le candidat malheureux a adressé une lettre de remerciement à l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot après sa défaite et sa décision de renoncer à toute activité politique.

La commission d’enquête n’a aucun moyen de s’assurer de la véracité du récit de l’ancien magistrat mais elle ne dispose d’aucun élément susceptible de conduire à la mettre en doute. Michel Gonelle, qui dément être celui qui a fourni l’enregistrement à Mediapart – ce qui a été confirmé à la commission par Edwy Plenel

(5)

–, explique ainsi l’origine de sa transmission à la presse : « Dès lors que ce n’est pas mon exemplaire qui a été transmis à Mediapart, puisque je l’ai donné à la police judiciaire, il s’agit forcément de l’autre qui a circulé. Je n’imagine pas une seconde que M. Bruguière ait donné à Mediapart l’exemplaire qu’il détenait. Je ne pense pas, en effet, que les relations qu’il entretient avec ce journal soient au beau fixe. Mon hypothèse est qu’à l’époque, en 2006 et 2007, ce disque a dû circuler entre les mains de plusieurs personnes avant d’aboutir à Mediapart. Je n’en ai cependant aucune preuve. »

(6)

Jean-Louis Bruguière répond, quant à lui, qu’il n’avait aucune raison de le faire

(7)

.

(1) Audition de M. Gérard Paqueron, le 17 juillet 2013.

(2) Notamment relatives au fait qu’il employait une ressortissante sans-papier à sa clinique : cette affaire lui a valu, à la fin 2007, une procédure devant le tribunal correctionnel de Paris, lequel l’a déclaré coupable tout en le dispensant de peine et d’inscription au casier judiciaire.

(3) Un courriel du mois de mai, adressé à un groupe de destinataires, lui demande de confirmer sa présence à une réunion.

(4) Audition de M. Jean-Louis Bruguière, le 24 juillet 2013.

(5) Audition de MM. Edwy Plenel et Fabrice Arfi, le 21 mai 2013.

(6) Audition de M. Michel Gonelle, le 21 mai 2013.

(7) Audition de M. Jean-Louis Bruguière, le 24 juillet 2013.

(26)

Force est de constater que les travaux de la commission d’enquête n’ont permis de trouver ni une quelconque trace de l’utilisation que l’ancien magistrat aurait pu faire de l’enregistrement, ni une personne à laquelle il l’aurait fait écouter.

Ils ont en revanche mis en évidence le manque de sincérité de Michel Gonelle lorsqu’il laisse entendre que l’ancien juge anti-terroriste aurait joué un rôle dans la circulation de l’enregistrement.

La déduction présentée par Michel Gonelle repose sur un élément déterminant : le nombre de copies de l’enregistrement dont il dit être en possession depuis fin 2000. Comme mentionné supra, l’ingénieur du son indique n’avoir alors effectué qu’une seule copie. Puisqu’il est établi que Michel Gonelle en a remis au moins un exemplaire à Jean-Louis Bruguière – sur un support dont ce dernier ne se souvient pas du type – et un autre à la police judiciaire – celui qui a été expertisé, qui était en effet un minidisque

(1)

–, si le souvenir de l’ingénieur est exact, alors il devient évident que Michel Gonelle a fait réaliser au moins une autre copie de l’enregistrement de décembre 2000. Comment, dans cette hypothèse, être sûr qu’il n’en a pas fait faire plusieurs ?

La suite du témoignage de l’ingénieur du son met encore plus directement en cause le discours tenu par Michel Gonelle devant la commission d’enquête

(2)

. Le spécialiste indique, en effet, qu’il a effectué, le 1

er

décembre 2012, à la demande de l’avocat, une copie numérique et une copie sur CD audio du contenu du minidisque sur lequel il avait sauvegardé, fin 2000, l’échange entre Jérôme Cahuzac et son chargé d’affaires. Il précise que la copie numérique permet l’expédition du fichier par courrier électronique. S’il dit la vérité – et le Rapporteur ne voit pas pourquoi il mentirait –, les accusations formulées par Michel Gonelle contre Jean-Louis Bruguière perdent toute crédibilité.

M. Gonelle n’a jamais fait la moindre allusion à cet épisode et a encore répété devant la commission, le 9 juillet, qu’il avait « réalisé en tout et pour tout deux sauvegardes de cet enregistrement. La première a été remise le 12 novembre 2006 à Jean-Louis Bruguière, la seconde le 16 janvier 2013 à la police judiciaire ». Interrogé par courrier par le Président et le Rapporteur le 4 septembre 2013, l’avocat a reconnu avoir fait faire ces copies supplémentaires, tout en affirmant, sans plus de précision, qu’elles « n’ont

rien à voir avec la publication par le site Mediapart », ce qui ne peut que

laisser dubitatif étant donné la concordance des dates.

Le but de la commission d’enquête n’est pas de retrouver la « source » de Mediapart, mais le recoupement du témoignage de l’ingénieur du son et du contenu des auditions de Michel Gonelle par la commission d’enquête jette le soupçon sur les propos qu’il a tenus devant elle, alors qu’il avait prêté serment, et entretient le doute sur le nombre total de copies de l’enregistrement.

(1) Voir infra, III, A, 2.

(2) Le témoignage écrit de M. Julien Menaspa figure en annexe au présent rapport (annexe II, document n° 1).

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