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Trois principes d’inclusion démocratique

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Trois principes d’inclusion démocratique1

Dans le présent essai, j’esquisse, dans une perspective de théorie politique normative, une courte grammaire de l’inclusion

démocratique, dans l’espoir qu’une explication analytique des principes d’inclusion soit également utile à la recherche

empirique. Cet espoir se fonde sur l’hypothèse que la légitimité démocratique est une notion au contenu à la fois normatif et empirique et que l’inclusion est une condition essentielle de la légitimité démocratique dans ces deux dimensions.

Par inclusion démocratique, j’entends ici la prise en compte dans les décisions politique des intérêts concernés, l’implication dans les systèmes de droits civils et sociaux des personnes assujetties aux lois et la reconnaissance du statut de membre et de droits à la participation politique dans une communauté démocratique. Je propose de montrer que ces trois modes de l’inclusion devraient être régis par des principes normatifs spécifiques qui ont des portées personnelles différentes.

1. À quelles questions les théories de l’inclusion doivent-elles répondre ?

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Les théories normatives poursuivent en général des objectifs critiques, lesquels orientent leur quête de principes. Cela vaut aussi pour les théories de l’inclusion démocratique. Souvent, l’objectif critique est d’extraire la légitimité démocratique des frontières existantes des états. Dans ce but, il ne suffit pas de montrer que les frontières actuelles et que la composition de la population de presque tous les états sont le résultat d’une histoire de guerres, de conquêtes, de colonisation et de nettoyages ethniques et religieux. Les frontières ne sont pas démocratiquement illégitimes en raison de leur genèse mais lorsque, dans les contextes contemporains, elles excluent ceux qui aspirent de manière fondée à l’inclusion, ou à l’inverse,

lorsqu’elles incluent ceux qui revendiquent l’autodétermination et l’indépendance. De nombreuses théories contemporaines

répondent à ce constat en affirmant qu’il n’y a en principe pas de justification démocratique à la fermeture des frontières. Dans cette perspective, les frontières politiques sont non seulement contingentes historiquement mais aussi fondamentalement arbitraires moralement et peuvent être remises en question à tout moment.

Robert Goodin (2007) défend par exemple l’idée selon laquelle tous ceux potentiellement concernés par les décisions politiques

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doivent être inclus dans le demos qui prend ces décisions. Mais puisque qu’il est impossible de savoir à l’avance, au moment de décider de la composition de ce demos, qui sera concerné par toutes les décisions potentielles prises sur la base de tous les agendas potentiels du législateur, il s’en suit qu’il ne peut y avoir qu’un demos global qui comprend toute l’humanité. En réponse à cela, Ian Shapiro propose, sur la base du même principe

d’inclusion de tous les intérêts concernés, des frontières politiques variables pour le droit de vote : « The appropriate demos should be settled decision by decision, not people by people » (Shapiro 2002, 244). Arash Abizadeh défend, à la différence Goodin et de Shapiro, un principe d’inclusion de tous ceux qui sont soumis à la force coercitive des lois. Ses conclusions sont cependant similaires : le demos doit fondamentalement être sans limite car chaque état régule l’immigration par la loi et soumet ainsi à sa coercition le reste de l’humanité. En

conséquence, les lois sur l’immigration doivent être décidées dans les forums démocratiques dans lesquels les étrangers

potentiellement exclus participent à la prise de décision (Abizadeh 2008, 26). D’autres auteurs, comme Seyla Benhabib (2004) et Sofia Näsström (2007), sont plus prudents à l’égard de telles implications institutionnelles mais ont également recours aux

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principes démocratiques d’inclusion dans leur remise en question de la légitimé des exclusions pratiquées actuellement.

Bien que cette question soit importante, les principes d’inclusion démocratique ne peuvent mener à remettre fondamentalement en question toutes les frontières. L’inclusion implique l’existence d’une frontière à franchir. Si la frontière est elle-même illégitime, alors les questions de l’inclusion ne se posent plus. Par exemple, la question de qui doit pouvoir participer à des élections

démocratiques n’a pas de sens si le territoire où se déroule ces élections a été auparavant annexé de façon illégale. Pour le dire autrement, la théorie de l’inclusion démocratique doit envisager au moins la possibilité de frontières territoriales légales et de distinctions entre membres et non-membres du demos, afin que l’on puisse répondre de façon constructive à cette liste de questions sur l’inclusion pratique :

• Qui peut demander à devenir membre d’une communauté démocratique et à y participer politiquement ?

• Qui peut exiger la protection du droit par le biais d’institutions démocratiques ?

• Qui peut demander à faire entendre et faire valoir ses intérêts dans une décision politique donnée ?

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• À quelles conditions est-il démocratiquement légitime de modifier des frontières territoriales par la sécession ou l’unification ?

Dans ce court article, je vais tenter de répondre, au moins de façon élémentaire, aux trois premières de ces questions. Ces questions présupposent des frontières territoriales stables et légitimes. La quatrième question portant sur la légitimité

démocratique d’une modification des frontières doit être ici mise entre parenthèses, afin de limiter la complexité du propos (voir Bauböck 2018).

2. Correspondance entre l’inclusion légitime et les buts de l’association

Mon but n’est pas donc pas seulement de faire une critique de l’exclusion mais aussi de combler une lacune dans la théorie de la démocratie que déploraient déjà Fredrick Whelan (1983) et Robert Dahl (1989) dans les années 1980. Le « democratic boundary problem », énoncé par Dahl et Whelan et beaucoup débattu par la suite, affirme que le demos ne peut pas se

prononcer de façon démocratique sur sa propre composition ou sur son territoire puisque de telles décisions ne peuvent être prises que par un demos déjà composé de façon démocratique et

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exerçant un pouvoir légitime sur son territoire. Dans ce qui suit seront identifiées certaines des conditions dans lesquelles ce paradoxe logique pourrait être résolu dans la pratique.

Je propose comme première règle d’une grammaire normative de l’inclusion le principe de correspondance entre les objectifs de l’association et les revendications d’inclusion. Les communautés politiques sont une forme d’association entre les individus. Toutes les associations de ce type sont particulières et opèrent une distinction entre membres et non-membres. L’humanité dans son ensemble est une espèce naturelle et non pas une association. Les associations sont des rassemblements orientés vers des buts. Cela vaut aussi pour les communautés politiques. Aristote définit la polis comme une union ayant pour but la vie bonne et autarcique des citoyens. Hobbes conçoit l’État comme une union garantissant la sécurité des sujets, tandis que Locke le décrit comme la

condition pour garantir les libertés naturelles dans le cadre de la vie en société. Pour Rousseau, la soumission à un pouvoir

politique a pour objectif la liberté collective à travers l’autogouvernement. L’exigence de légitimité du pouvoir

démocratique (contrairement à celui dynastique ou religieux) est toujours justifiée par de tels buts.

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Du point de vue interne à une association, l’inclusion est légitime lorsque les revendications d’admission formulées par les individus extérieurs sont en accord avec les buts de l’association. Un joueur d’échec passionné n’a pas vocation à intégrer un club de tennis. Dans un état démocratique, déterminer en quoi consiste la

correspondance entre les revendications d’admission individuelles et la finalité de l’association ne va pas de soi car cela dépend de notre conception de la démocratie. Celui qui conçoit le peuple démocratique comme une nation verra cette correspondance dans la convergence entre les caractéristiques identitaires individuelles et une identité collective fondée sur l’origine, l’histoire, la langue, la culture ou les valeurs qui distinguent cette nation des autres. La volonté de préserver cette différence justifie alors les catalogues de critères correspondants pour la

naturalisation de personnes immigrées. La nécessaire

correspondance entre des revendications légitimes d’inclusion et les buts de l’association signifie qu’il existe toujours deux

infractions possibles à la norme : l’exclusion injustifiée et l’inclusion injustifiée. Par cette dernière, je n’entends pas l’inclusion forcée d’individus ou de groupes mais une

sur-inclusion. La notion d’inclusion suggère le consentement explicite ou l’accord implicite des personnes inclues. Les détenus d’une

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prison ou les sujets d’un pouvoir colonial ne sont pas « inclus ». La sur-inclusion survient lorsque l’intégration consentie contredit les buts de l’association. Un exemple de cette situation est

l’attribution de la nationalité et par là des droits de vote à de puissants investisseurs (Shachar/Bauböck 2014). Un intérêt pécuniaire de l’état est-il suffisant pour justifier l’attribution de la nationalité ou ceci va-t-il à l’encontre du principe de démocratie si le droit de vote peut être acheté par une personne sans lien authentique avec la communauté politique ?

3. Présupposés d’une théorie de l’inclusion pour les états territoriaux

Chaque théorie normative doit respecter des présupposés fondamentaux sur la nature humaine ou sur les caractéristiques générales des sociétés qui ne seront plus remises en question dans la suite de l’analyse. Ainsi, pour son influente théorie, John Rawls postulait des « circumstances of justice », par lesquelles il entendait les conditions normales dans lesquelles la coopération humaine est tout aussi possible que nécessaire (Rawls 1999, 109). Par ailleurs, Rawls présupposait une pénurie modérée de

ressources (car aussi bien dans le cas d’excès que de pénurie absolue de ressources, les principes de juste redistribution

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perdent leur sens) et un « sens de la justice » comme disposition psychologique essentielle présente chez les êtres humains, sans laquelle l’aspiration normative ne trouverait aucune résonance. Pouvons-nous d’une façon comparable nommer les circonstances dans lesquelles l’inclusion démocratique est à la fois

empiriquement possible et normativement nécessaire à la légitimation d’un pouvoir politique ? Je voudrais sur ce point différencier les conditions a-historiquement universelles de celles historiquement variables. Dans les premières figurent selon moi la diversité interne au sein de sociétés politiquement constituées et la variété externe des communautés situées au-delà des

frontières. S’il n’y avait pas de diversité des intérêts, des identités et des idéologies (par lesquelles j’entends les idées élémentaires sur le bien commun), alors la démocratie ne serait pas nécessaire puisque chaque individu pourrait prendre toutes les décisions au nom de tous. L’existence de frontières extérieures séparant la communauté d’autres états politiques n’est certes pas une précondition stricte de la démocratie ; elle est également imaginable dans une société insulaire qui n’aurait jamais eu de contacts avec d’autres sociétés2. Mais au cours de l’histoire humaine, les communautés politiques se sont toujours constituées dans un environnement dans lequel elles

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entretenaient des relations avec d’autres communautés

indépendantes d’elles. En tous les cas, comme expliqué plus haut, la question de l’inclusion démocratique n’émerge que dans des contextes où des frontières entre communautés politiques et des différences entre membres et étrangers existent.

Je compte parmi les circonstances historiquement variables de l’inclusion démocratique une condition fondamentale politique et une condition sociale qui sont étroitement liées : la territorialité du pouvoir politique et la relative sédentarité des peuples. Par relative sédentarité, j’entends le fait que la plupart des êtres humains passent la majeure partie de leur vie dans les frontières politiques d’une communauté donnée. Les sociétés relativement sédentaires se distinguent de celles nomades, qui se déplacent comme groupe à travers l’espace, de celles statiques

territorialement, dans lesquelles quasiment tous les êtres humains passent leur vie entière sur un même territoire et où la migration est une rare exception, et des hypermobiles, dans lesquelles la plupart des êtres humains migrent de façon individuelle et passent ainsi l’essentiel de leur vie dans des

territoires dans lesquels ils ne s’installent pas de façon durable. La sédentarité relative est une condition pertinente pour l’inclusion

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démocratique car elle signifie que les migrants sont inclus dans des sociétés territorialement constituées avec des majorités installées de façon durable. Dans les sociétés nomades ou statiques, la question de l’inclusion de ceux qui traversent les frontières ne se pose pas et dans les sociétés hypermobiles, la question serait inversée puisqu’il s’agirait d’inclure une minorité de sédentaires dans une société qui n’a pas de lien durable à un territoire.

Mobilité et sédentarité ne dépendent pas seulement du

comportement des êtres humains mais également de la taille et des limites du territoire politique. On évalue aujourd’hui à un peu plus de 3% de la population mondiale les migrants internationaux qui séjournent plus d’un an en-dehors de leur pays de naissance3 ; ce chiffre étonnamment faible s’explique du fait qu’il ne prend en compte ni la migration de courte durée entre états, ni la migration interne aux états et ni la migration de retour. Après l’implosion de l’Union soviétique et de la Yougoslavie, ce chiffre des migrants internationaux a augmenté puisque la migration interne à ces états s’est transformée en migration entre états. Ce point est essentiel pour le modèle multi-niveaux d’inclusion démocratique que je vais esquisser à la fin de cet article. Les conditions de l’inclusion démocratique au niveau des états se distinguent de

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celle au niveau des communautés locales, notamment parce que ces dernières abritent des sociétés bien plus mobiles que les premières.

4. Principes d’inclusion pré-démocratiques, procéduralement démocratiques et substantiellement démocratiques

Le « problème de la frontière démocratique » incite à chercher des principes d’inclusion au-delà de la démocratie. Une telle solution a déjà été évoquée. Les frontières de toutes les

communautés politiques sont historiquement contingentes mais chaque état moderne aspire à un idéal de concordance entre état et nation. Les frontières de l’état ne peuvent être justifiées démocratiquement si ce n’est par l’identité collective de ses citoyens en tant que membres d’une nation dont l’existence comme entité collective historique n’est pas dépendante de la constitution démocratique de l’état. Qu’un état soit ouvert à l’intégration politique des migrants n’est de ce point de vue pas une question de démocratie mais d’identité nationale. Les nations d’immigration issues de territoires colonisés se distinguent en cela des pays d’émigration ou des états-nations issus de l’implosion d’empires multinationaux.

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De telles solutions pré-démocratiques restent sans réponse quant à savoir comment des états libéraux et démocratiques peuvent justifier sur le long terme l’exclusion de la citoyenneté et du droit de vote des migrants établis de longue date. Même d’un point de vue empirique, il existe dans ces états, en dépit de différences considérables, une dynamique commune d’inclusion des

immigrants comme des émigrants dans le demos qui ne peut être expliquée par la seule référence aux différentes histoires et identités des nations.

Les principes d’inclusion démocratique peuvent être procéduraux ou substantiels, selon que la démocratie est envisagée avant tout comme une méthode pour la prise de décisions collectivement contraignantes ou comme un système de normes et d’institutions qui, ensemble, permettent à des citoyens libres et égaux en droit de mandater un pouvoir politique. La solution de Joseph

Schumpeter au problème de la frontière démocratique était purement procédurale : « Democracy is a political method .... incapable of being an end in itself » (Schumpeter 1950, 242). En conséquence, il faut laisser à chaque demos la tâche de décider par lui-même de sa composition (Ibid., 245). Comme l’a montré Robert Dahl, selon cette approche, non seulement le régime d’apartheid en Afrique du Sud aurait été démocratiquement

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légitime, mais également le pouvoir d’un comité central communiste, tant que sont appliqués dans ce comité des processus décisionnels démocratiques (Dahl 1989, 121). Les paradoxes de ces solutions procédurales sont particulièrement évidents dans le cas du droit de vote des femmes. Celui-ci fut décidé par des assemblées constituantes, des parlements ou des votes populaires dans lesquels seuls les hommes étaient en droit de voter. Est-ce que l’introduction du droit de vote des femmes fut légitime parce que décidé par un demos existant et selon un processus démocratique ou fut-il illégitime parce que les femmes n’ont pas été impliquées dans ce processus ? Est-ce qu’une décision contraire au vote des femmes serait légitime si les femmes, égales en droit, participaient à cette décision et se prononçaient en majorité contre leur propre droit de vote ? Pour les principes substantiels d’inclusion, la légitimité du recours à des processus décisionnels démocratiques est possible si les intérêts concernés sont dans une certaine mesure pris en compte dans les décisions, si ceux qui sont soumis au pouvoir d’un

gouvernement sont respectés et protégés par ce gouvernement en tant que citoyens égaux en droit, et si le peuple qui mandate le gouvernement inclut tous ceux qui peuvent démocratiquement revendiquer le statut de membre et le droit de vote.

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Dans les débats actuels, tous les auteurs généralisent chacune de ces trois conditions pour en faire un principe général d’inclusion. Je tente au contraire de montrer que ces trois conditions

renvoient chacune à des aspects différents de la démocratie. 5. Domaines d’application des principes d’inclusion démocratique La plupart des auteurs défendent un principe d’inclusion soit de tous les intérêts concernés soit de tous ceux soumis à la loi. Si un de ces principes est généralisé, cela incite à répondre à la

question de qui peut revendiquer le statut de membre et le droit de vote. Cela est cependant impossible car le processus

démocratique consiste en différentes étapes dont le déroulement logique ne peut être transformé, sous l’effet de feedbacks, en un processus circulaire : un peuple démocratique mandate par le biais des élections les institutions exécutives et législatives du gouvernement qui sont dotées, dans un territoire politique

donné, de compétences législatives générales et qui établissent et font appliquer des lois qui affectent, de différentes manières, les intérêts de personnes à l’intérieur et à l’extérieur de ce territoire. Tout d’abord, le demos ne peut pas être déterminé en fonction des intérêts concernés par les décisions du gouvernement car dans ce cas, aussi bien la composition du peuple que du

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gouvernement élu par lui serait dépendante des décisions futures de ce même gouvernement. Le second principe d’inclusion de tous ceux soumis à la loi mène à une impasse similaire. Le peuple démocratique mandate un gouvernement et l’étendue du pouvoir législatif de ce gouvernement détermine à son tour qui appartient au peuple démocratique. Ce rattachement d’un output

démocratique (l’établissement d’un pouvoir de gouvernement) à un input (l’autorisation de ce pouvoir par le demos) ne peut être exempt de contradiction que dans le cas où nous considérons un monopole territorial de la violence comme légitime

pré-démocratiquement et posons uniquement la question de l’inclusion des immigrants dans le demos. La migration

transfrontalière soulève alors la question de comment justifier, au regard d’un principe d’inclusion de tous ceux soumis à la loi, le refoulement de candidats à l’immigration et l’octroi de la nationalité et du droit de vote aux émigrés.

De telles contradictions sont selon moi résolubles si nous modifions les deux principes de façon à ce qu’ils répondent à la question de l’inclusion démocratique à chaque étape du

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(1) Les décisions démocratiques ne sont légitimes que si elles prennent en compte les intérêts qu’elles concernent, effectivement ou probablement.

La prise en compte des intérêts concernés exige que leurs représentants soient informés d’une décision à venir, qu’ils

jouissent d’un droit d’audition et qu’ils participent, le cas échéant, à la consultation relative à cette décision. Ce processus de prise en compte des intérêts concernés est un aspect indispensable et généralement reconnu de la démocratie au sein d’un état. Elle suppose l’existence d’une sphère publique dotée de médias indépendants et la participation des représentants d’intérêts dans les consultations relatives à la définition et à la mise en œuvre des lois. Cela ne signifie cependant pas que les propriétaires de

médias privés ou les représentants de groupes d’intérêt puissent revendiquer la nationalité, des droits de vote spécifiques aux élections ou des sièges dans les parlements. Cela ne signifie pas non plus que des intérêts potentiellement concernés soient en droit de prendre part à la définition de l’ordre du jour politique de gouvernements démocratiques, car cela porterait atteinte au principe fondamental d’un mandat octroyé au gouvernement par des citoyens égaux en droit.

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Un principe d’inclusion des intérêts concernés n’est cependant pas uniquement pertinent dans le cas de démocraties libérales telles que nous les connaissons. Il constitue également une ressource transformative pour le système étatique international, dans lequel la non-prise en compte des intérêts concernés extérieurs est la règle. La nécessaire prise en compte, dans la politique énergétique d’un état, de l’intérêt de l’humanité toute entière à un ralentissement du changement climatique est ainsi non seulement une question de rationalité écologique mais également de légitimité démocratique. Cette politique comme pour beaucoup d’autres qui ont des effets transnationaux et globaux nécessite des institutions intégrant dans leurs

consultations des acteurs étatiques et non-étatiques, comme les représentants d’intérêts concernés, avant que des

gouvernements et des organisations internationales puissent légitimement prendre des décisions.

(2) Le pouvoir démocratique d’un gouvernement n’est légitime que dans le cas où tous ceux qui y sont soumis jouissent de la même protection et sont en mesure de le contester.

Ce deuxième principe d’inclusion fonde l’état de droit comme un principe démocratique. Contrairement au premier, il ne concerne

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pas des politiques spécifiques, dont les effets ont différentes portées, mais la relation fondamentale entre les gouvernements et ceux qui sont soumis à leur pouvoir coercitif. La légitimité de ce pouvoir exige non seulement un mandat démocratique mais également la même protection des droits de tous ceux qui y sont soumis. Un gouvernement démocratique ne peut ainsi pas être mandaté par une majorité pour opprimer une minorité. La territorialité du pouvoir politique évoquée au troisième paragraphe identifie la population habitant sur le territoire comme celle pouvant en premier lieu revendiquer les droits dérivant de ce second principe.

Ceux soumis aux lois peuvent légitimement revendiquer une protection équitable de leur droits mais également le droit de contester le pouvoir qui est exercé sur eux. Les étrangers établis sur un territoire, même lorsqu’ils ne possèdent pas le droit de vote, jouissent cependant de la liberté d’expression politique, de réunion et d’association, et peuvent recourir à des tribunaux indépendants et à des instances de médiation dans des conflits les opposant aux autorités publiques. Ceux qui ne sont pas

entièrement soumis à un pouvoir politique mais dont les libertés peuvent être significativement limitées par ce pouvoir sont également en droit de se défendre et de faire appel de ses

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décisions. Ces conclusions valent également pour les immigrants expulsés du territoire.

Ce second principe ne signifie cependant pas que tous ceux et seulement ceux soumis aux lois peuvent revendiquer le statut de membre et le droit de vote. Le quatorzième amendement de la Constitution américaine distingue très clairement à ce sujet entre la citizenship clause (« all persons born or naturalized in the United States, and subject to the jurisdiction thereof, are citizens of the United States and of the state wherein they reside ») et la equal protection clause (« no state shall … deny to any person within its jurisdiction the equal protection of the laws »)

(3) Peuvent revendiquer la nationalité et le droit de vote tous ceux dont la liberté et le bien-être sont associés à l’autogouvernement et au bien commun d’une communauté politique spécifique.

Ce principe d’inclusion concerne la première phase du processus démocratique. Plutôt que d’associer l’appartenance à la

communauté à certains résultats de ce processus (comme le pouvoir du gouvernement ou des politiques spécifiques), c’est ici le critère général de la correspondance entre les revendications individuelles d’inclusion et les buts de l’association qui est appliqué à la communauté démocratique. Le but normatif de la

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démocratie est d’assurer la liberté collective et le bien commun des citoyens. Il faut ainsi y inclure tous ceux dont la liberté

individuelle et le bien-être ne peuvent être garantis que par cette inclusion.

Ce principe général doit être envisagé dans deux dimensions afin d’être applicable concrètement. Premièrement, il faut pouvoir évaluer la force des liens qui unissent un individu à une

communauté donnée. Le séjour de longue durée sur un territoire est certainement une condition suffisante mais pas toujours nécessaire. Un séjour passé ou un retour prévu dans un projet de vie future peuvent expliquer pourquoi des émigrés de la première génération conservent leur nationalité et leur droit de vote, bien qu’ils ne soient assujettis que de façon marginale aux lois ayant cours dans leur état d’origine. Mêmes les demandes d’obtention rapide de la nationalité formulées par des réfugiés peuvent se fonder sur le fait que l’état d’accueil est devenu d’une certaine façon responsable de leur liberté et de leur bien-être puisque leur pays d’origine a échoué à cet égard.

Deuxièmement, il découle du principe de correspondance que les conditions d’autogouvernement d’une communauté ont un impact décisif sur la régulation de l’inclusion. Pour les états

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indépendants, l’intégrité de leur territoire et la continuité de leur population sont des conditions de l’autogouvernement au sein du système étatique international. Cela explique et justifie que, dans presque tous les états, le droit de vote pour les élections

nationales soit associé à la nationalité et que celle-ci soit attribuée automatiquement à la naissance et ne puisse être changée que sur demande de naturalisation ou de dénaturalisation. Au contraire, les communes sont des communautés politiques enclavées dans le territoire d’un état et dont les frontières sont ouvertes à l’immigration. Cela est conforme aux conditions d’autonomie communale que d’inclure toute la population résidente au sein du demos autorisé à voter et pas seulement les nationaux. Cette thèse normative est elle aussi fondée sur une tendance démocratique observable : dans la plupart des pays européens et sud-américains, le droit de vote communale est partiellement ou tout à fait découplé de la nationalité

(Arrighi/Bauböck 2016). Dans une structure fédérale

multi-niveaux, les régions sous-étatiques et supra-étatiques forment un troisième type de communauté démocratique dans lesquelles la nationalité et le droit de vote ne sont acquis ni par la naissance ni par la résidence mais dérivent de la nationalité conférée par

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l’état. C’est cas de la citoyenneté européenne et du droit de vote dans les régions qui composent les états fédéraux démocratiques. 6. Conclusions

Cette courte grammaire de l’inclusion démocratique laisse ouvertes de nombreuses questions. J’ai simplement tenté de montrer ici que le problème de la frontière démocratique peut être résolu de façon théorique et pratique sur la base de certaines présuppositions et à travers une différenciation des principes d’inclusion selon trois aspects et phases du processus

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1 Cet article est une version résumée de plusieurs thèses issues de Bauböck

(2017). Certains de ses arguments ont été exposés dans Bauböck (2015). L’article a été traduit de l’allemand par Oriane Calligaro.

2 Je remercie Joseph Carens pour cette suggestion.

3 C’est la définition et l’estimation de la Division Population des Nations Unies.

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