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L'alliance impossible : diplomatie et outil militaire dans les relations Franco-Italiennes (1929 - 1938)

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UNIVERSITÉ ROBERT SCHUMAN STRASBOURG III

Institut des Hautes Etudes européennes

L’ALLIANCE IMPOSSIBLE : DIPLOMATIE ET

OUTIL MILITAIRE DANS LES RELATIONS

FRANCO-ITALIENNES

(1929 - 1938)

Thèse pour le Doctorat en Histoire contemporaine

présentée par Jean-Marie PALAYRET

Directeur de recherche

Monsieur le Professeur Raymond POIDEVIN

1998

(2)
(3)

REMERCIEMENTS

Cette étude n’aurait pu voir le jour sans de multiples concours.

Mes remerciements vont au premier chef au professeur Raymond Poidevin qui a bien voulu diriger cette thèse. Je lui sais gré d’avoir inspiré l’idée de cette entreprise et d’en avoir aidé la réalisation par sa constante disponibilité et par les ressources de son érudition. Il a su, dans les moments où le doute s’installait, m’encourager à persévérer par ses conseils éclairés, écouter mes interrogations et réorienter mon travail lorsque le besoin s’en faisait sentir. Pendant de nombreuses années, Raymond Poidevin m’a formé, conseillé et honoré de sa confiance. Je le prie de trouver ici l’expression de ma profonde gratitude. Je ne saurais oublier la dette contractée envers lui.

Ma reconnaissance va également aux autres membres du jury et à tous les historiens français et italiens qui m’ont prodigué leurs remarques et m’ont aidé à progresser dans le cheminement de ma recherche : Pierre Milza et Guy Pedroncini m’ont aidé à cerner le sujet dans ses aspects diplomatiques et militaires, Antonio Varsori m’a fait l’amitié de relire les épreuves. Elisabeth du Réau m’a communiqué nombre d’informations utiles sur la période 1936-1938. Le regretté Renzo de Felice m’a permis, au cours des entretiens que dois à sa bienveillance, d’approfondir ma réflexion sur la politique mussolinienne.

Au cours de mon périple à travers les archives française et italiennes, j’ai bénéficié de concours précieux. Je voudrais remercier tous les directeurs et responsables d’archives qui m’ont facilité l’accès aux sources : en France, Chantal de Tourtier Bonazzi, Paule René-Bazin (Archives nationales), François Renouard (Archives du ministère des Affaires étrangères), Alice Guillemain (Archives des Finances); en Italie, Mario Serio (Archivio Centrale dello Stato), Giovanni Cassis (Ministero degli Esteri). Je n’aurai garde d’oublier les responsables des archives militaires, en particulier le major Fratollillo (Ufficio Stato Maggiore Esercito), l’amiral Sicurezza (Ufficio Storico Marina

Militare) et l’amiral Kessler (Service historique de la Marine) qui m’ont accueilli avec

(4)

Au cours de ces longues années de recherche, bien des conservateurs et personnels d’archives m’ont aidé à m’orienter dans le maquis des fonds diplomatiques et militaires. Je suis particulièrement redevable à Vincenzo Pellegrini, à Maria-Adelaide Frabotta, et à Mme Ruggeri du Ministero degli Affari esteri, à Monique Constant et à Pierre Fournié du Ministère des Affaires étrangères, à Maria Mancinelli de l’Ufficio Storico della

Marina militare qui m’ont approvisionné en dossiers avec compétence et célérité.

Qu’ils trouvent tous ici, mes vifs remerciements.

L’auteur de cette étude n’aurait pu achever sa recherche sans la compréhension et le chaleureux soutien de ses proches, de sa femme France et de ses enfants. Il tient à remercier tout particulièrement ses assistantes techniques, Agnès Brouet et Evy Chiostri, dont le dévouement et la patience sans bornes ont permis de mener à bien l’écriture de cet ouvrage et largement contribué à son achèvement.

(5)

TABLE DES MATIÈRES

- Tome I -

Table des abréviations p. 10

Introduction p. 11

CHAPITRE I:LES PROTAGONISTES DES RELATIONS FRANCO-ITALIENNES AU TOURNANT DES ANNÉES TRENTE

I - Mussolini et la France : le mythe de la sorellastra p. 23

A - L’accord impossible avec la France? p. 23

B - Le héraut du révisionnisme p. 26

II-Grandi et la politique de l'équidistance p. 30

A - Dino Grandi aux Affari esteri p. 30

B - Une vision rationnelle de la politique extérieure italienne p. 32

C - Le principe du peso determinante (poids déterminant) p. 35

D - L'accord nécessaire avec la France? p. 36

III - Badoglio : un ami de la France p. 41

IV - La perception de la puissance italienne

par les décideurs français au tournant des années trente p. 43 A - Aristide Briand : l’Italie, une puissance de second ordre

dans le concert européen p. 43

B - Pierre Laval : renouer le dialogue avec Rome p. 48

CHAPITRE II:LA FRANCE ET L’ITALIE À LA CONFÉRENCE NAVALE DE LONDRES

I - Position des deux antagonistes à la veille de la conférence p. 54

A- L’Italie revendique la parité d’armements avec la France p. 55

B-Les réactions françaises à la demande de parité p. 67

(6)

III - La question des sous-marins p. 82

A - L'opposition française à l'abolition de l'arme sous-marine p. 82

B - L'Italie et la question des sous-marins: un problème "ouvert" p. 83 IV - L’échec des pourparlers préalables : les memoranda français

et italien de décembre1929 et janvier 1930 p. 87 V - L'échec des négociations techniques p. 94 A - La première phase des négociations : la méthode de limitation p. 94

B - La question des sous-marins - abolition ou limitations d'emploi p. 103 C - La seconde phase de la conférence : vers l'isolement de l'Italie p. 106 VI - L'échec des négociations politiques p. 113

A - Le temps des experts : la faillite des négociations sur la parité p. 113 B - La phase “briandiste” : sécurité et accord méditerranéen p. 119

C - Accord à quatre ou accord à trois? p.

130

Conclusion p.

134

CHAPITRE III:DE LONDRES AUX BASES D’ACCORD DU 1ER MARS 1931: LA MONTÉE DES TENSIONS ENTRE LA FRANCE ET L’ITALIE

I - Après la conférence de Londres : des lendemains qui "déchantent" p. 138

A - Le programme naval italien du 30 avril 1930 p.

138

B - Les discours de Livourne, Florence et Milan (11, 17 et 22 mai 1930) p. 142

II - Vers un accord naval p.

150

A - La reprise des conversations d'experts p.

150

B - Le recours aux bons offices anglais et les bases d'accord

du 1er mars 1931 p.

157

III - La montagne fortifiée : les développements du système

(7)

A - La ligne Maginot de la région Sud-Est p. 169

B - Les fortifications italiennes : Il Vallo alpino del Littorio p. 177 CHAPITRE IV:SÉCURITÉ COLLECTIVE CONTRE RÉVISIONNISME : LA FRANCE ET

L’ITALIE À LA CONFÉRENCE GÉNÉRALE DU DÉSARMEMENT (1932-1934)

I - La phase Tardieu-Grandi : isoler l'adversaire (février-juillet 1932) p. 185

A - Deux conceptions opposées du désarmement p.

185

B - La surenchère italienne ou la France mise en demeure de désarmer p. 198

II - La phase Herriot - Paul-Boncour - Mussolini :

Les velléités d'un rapprochement (juillet 1932-décembre 1932) p. 221 A - L'avènement d'Herriot et l'éloignement de Grandi (juin-juillet 1932) p. 221 B - Herriot et Mussolini confrontés à la Gleichberechtigung,

juillet-décembre 1932 p. 244

III - Du désarmement au révisionnisme (février 1933-mai 1934) p. 266 A - Du plan Herriot - Paul-Boncour au plan Mac Donald (février-mars 1933) p. 266

B - Le Pacte à Quatre p. 296

IV - Du pacte à Quatre à la note du 17 avril 1934 :

un rapprochement avorté des thèses française et italienne

sur le désarmement p.

318

A - La réponse au plan Mac Donald. L’évolution des thèses italiennes

en faveur du contrôle p.

319

B - Une diplomatie française paralysée p.

323

C - L’Italie reprend sa politique d’équidistance p.

328

D - Vers l’épilogue p.

333

Conclusion p.

(8)

CHAPITRE V:GRANDEUR ET DÉCADENCE D’UNE ALLIANCE MILITAIRE : DES ACCORDS DE ROME À LA CRISE MÉDITERRANÉENNE (JANVIER 1935- JUILLET 1936)

I - Le nouveau contexte politique : les conditions ambiguës

du rapprochement franco-italien p.

344

A - Mussolini abandonne la politique d’équidistance p. 344

B - Barthou, la sécurité française et l'Italie p.

347

C - Les accords de janvier 1935 p.

350

II - Du rapprochement politique aux accords militaires p. 360 A- Les ouvertures de Badoglio en faveur d'une entente militaire italo-française p. 360

B - Badoglio et la recherche d’une garantie italo-française

pour l’Autriche p.

363

C - Les réactions françaises aux ouvertures italiennes

avant le 16 mars 1935 p. 371

D - Le «front de Stresa» donne une nouvelle impulsion

aux conversations militaires p.

380

E - Le point d'orgue du rapprochement franco-italien :

les accords d’état-major de mai-juin 1935 p.

387

III - Paris entre Rome et Londres : la politique de “corde raide” p. 399

A - Aux origines de la crise méditerranéenne de l’été 1935 p. 399

B - Le dilemme français p.

406

IV - De la crise ethiopienne au coup de force rhénan (janvier-juillet 1936) p. 459

A - Les sanctions et la remilitarisation de la rive gauche du Rhin :

des questions liées p.

459

B - Le front de Stresa agonise p. 470

C - Vers une remise en cause des accords Gamelin-Badoglio p.

(9)

- Tome II -

CHAPITRE VI:LA FIN DES ILLUSIONS : LES RELATIONS POLITICO-STRATÉGIQUES FRANCO-ITALIENNES DE LA GUERRE D’ESPAGNE À L’ANSCHLUSS

I - La France et l’Italie dans les sables mouvants espagnols p. 491

A - Des premières aides à la non-intervention p.

492

B-La farce de la non-intervention p.

515

C - La France mise sur la touche : Mussolini choisit

l’Allemagne et l’Angleterre p.

527

D - La reconnaissance du gouvernement de Franco et ses conséquences p. 536

E - Nyon et ses suites : la France prend l’initiative d’une politique

de force contre l’Italie p. 564

II - De la crise espagnole à l’Anschluss : les dés sont jetés p. 586

A - L’émergence d’une stratégie méditerranéenne oppose les “soeurs latines” p. 586

B - Dissocier l’Axe : une mission impossible p. 606

CHAPITRE VII:L’ALLIANCE IMPOSSIBLE : INSUFFISANCE DU CALCUL STRATÉGIQUE OU ÉCHEC D’UN PROCESSUS DÉCISIONNEL ?

I - L’insuffisance du calcul stratégique : l’information

et l’évaluation de la puissance d’outre-monts p. 629

A - Le renseignement militaire et les “services spéciaux”

en France et en Italie au cours des années trente p.

629

B - L’appréciation de la puissance d’outre-Alpes p.

661

II- L’échec d’un processus decisionnel p.

676

A - La position française : entre méfiance et prudence p.

(10)

B - La décision italienne et la France : la politique des oscillations p. 705

Conclusion p.

727

Sources et Bibliographie p.

722

Table des illustrations p.

777

Index p.

(11)

TABLE DES ABRÉVIATIONS

ACS Archivio centrale dello Stato

ADMAE Archives diplomatiques. Ministère des Affaires étrangères.

AMF Archives du ministère des Finances

AN Archives nationales

ASMAE Archivio storico del ministero degli Affari esteri

AP Affari politici

FL Fondo Lancellotti

UC Ufficio coordinamento

US Ufficio Spagna

Ass. Nat. Assemblée nationale

DBFP Documents on British Foreign Policy

DDF Documents diplomatiques français

DDI Documenti diplomatici italiani

DGFP Documents on German Foreign Policy

NARA National Archives and Records Administration

PRO Public Records Office

FO Foreign Office Papers

CAB Cabinet papers

SHAA Service historique de l’armée de l’Air SHAT Service historique de l’armée de Terre

EMA Etat-major de l’Armée

SHM Service historique de la Marine SE Section Etudes

USSME Ufficio storico Stato Maggiore Esercito

SME Stato Maggiore Esercito

USMM Ufficio Storico Marina Militare

b. busta (liasse)

cart. carteggio (classeur)

d. dossier doc. document f. fascicule s. série télég. télégramme vol. volume RI Relations internationales

RH2de GM Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale

(12)
(13)

CHAPITRE

I

LES PROTAGONISTES DES RELATIONS

FRANCO-ITALIENNES

(14)

I-MUSSOLINI ET LA FRANCE : LE MYTHE DE LA SORELLASTRA

A - L’accord impossible avec la France?

Pour être moins anti-français que la plupart des fascistes, ce qui s'explique par la survivance en lui d'éléments idéologiques puisés aux sources du jacobinisme “risorgimental” et par sa peur atavique de l'Allemagne, Mussolini n'en partage pas moins la plus grande partie des revendications de son parti à l'égard du voisin transalpin. Le groupe dirigeant du PNF et son chef ont en commun leur projection méditerranéenne et surtout africaine de l'avenir de l'Italie, et le fort ressentiment qu'ils nourrissent à l'égard de la Yougoslavie, construction artificielle à leur yeux, qui ne survit que grâce à la protection de Paris. Ils défendent tous l'idée que l'Italie doit agir et être traitée en grande puissance, à l'égal de la France ou de la Grande-Bretagne. En politique réaliste, Mussolini se rend toutefois à l'évidence: la situation intérieure, la conjoncture internationale se liguent pour ne lui laisser qu'une latitude de manoeuvre réduite. Certes, il est convaincu que le temps joue en faveur de l'Italie, mais il lui faut en attendant éviter les faux pas qui conduiraient à l'isolement, la rendre au contraire crédible en tant que puissance responsable, pacifique, même si elle ne doit pas perdre de vue le capital-dettes que les alliés ont contracté à son égard entre 1915 et 1918. Ce, en conservant toujours à l'esprit deux exigences :

- l'Italie devrait se trouver en position favorable le jour où la conjoncture internationale permettrait une politique dynamique;

- le gouvernement devrait être en mesure de jouer à tout moment la carte de la politique extérieure afin de renforcer l'image du régime à l'intérieur, en manifestant que le fascisme signifiait un nouveau rang pour l'Italie dans le concert des nations, qui lui permettrait d'arracher aux démocraties ce que les précédents gouvernements libéral-démocrates n'étaient pas parvenus à en obtenir1.

Au terme des années vingt, compte tenu de ce contexte diplomatico-idéologique, un accord italo-français apparaît à Mussolini pratiquement impossible pour deux raisons.

1Voir sur l'ensemble de ces points, R. De Felice, Mussolini Il Duce. t. 1 Gli anni del consenso, op. cit.,

(15)

La première, de caractère général, est liée à la politique d'hégémonie continentale poursuivie par la France, et à l’intransigeance qu'elle oppose à toute révision de la situation créée par les traités de paix. Avec Poincaré, cette politique avait été d'abord fondée sur la force pure. Avec Briand, elle avait pris un visage différent, en affichant les principes de sécurité, d'équilibre, de collaboration pacifique. Mais le Duce estime que la réalité est bien différente. Pour Paris ce qui importe, c'est de construire un "système européen" qui interdise à l'Allemagne de redevenir une grande puissance, qui l'empêche de se libérer du garrot qu'elle s'était vue imposer à Versailles, et qui permette de consacrer du même coup l'hégémonie de la France en Europe. Pour Mussolini, une telle perspective est bien entendu inacceptable. D'abord parce qu'elle condamnerait l'Italie à une position de second ordre, en limitant au maximum sa liberté de manoeuvre; ensuite parce que le danger subsiste que l'Italie ne fasse les frais d'une éventuelle collaboration franco-allemande, étant donné que pour l'obtenir, le prix que Paris devrait payer à Berlin ne pourrait avoir qu'un nom : l'Anschluss2.

La seconde tient au fait que, sur le plan bilatéral, Paris reste absolument sourd aux demandes que Rome formule sur les questions "en suspens". Si l’on exclut le règlement de questions particulières comme la participation italienne à l'administration internationale de Tanger ou le statut juridique des Italiens en Tunisie, les demandes de Rome visent essentiellement à obtenir les compensations coloniales prévues dans le traité de Londres, en particulier la révision et la redistribution des mandats et l'instauration de nouveaux territoires sous tutelle à confier à l'administration italienne. Pour la France, la contrepartie de son amitié devrait consister pratiquement - comme cela avait été mis en évidence à l'occasion des négociations du Pacte rhénan en 1925 - dans la garantie qu’elle offrirait à l'Italie à la fois sur le Brenner et dans l'Adriatique. Si, selon Paris, l'Anschluss constitue en effet un danger pour la France, il est plus redouté encore par l'Italie. La sécurité et l'amitié françaises coïncident donc avec l'intérêt de l'Italie. Celle-ci devrait s'estimer payée de celles-là3. Pour ce qui est de l'Adriatique, la sécurité italienne, toujours selon

l’argumentation française, passe par l'élimination préalable des frictions avec la Yougoslavie et du risque d'une restauration des Habsbourgs. Rome est invitée à

2Ibid., p. 342.

3Dans des conversations avec Painlevé et avec Briand (avril-mai 1925) l'Ambassadeur Romano

Avezzana avait expressément fait référence aux colonies portugaises, qui étant donné la décadence de l'empire de Lisbonne, auraient du faire l'objet d'une redistribution.

(16)

concourir au maintien du statu quo dans la région balkano-danubienne et à recourir aux bons offices de la France pour trouver un modus vivendi avec Belgrade4.

Cette façon de poser les rapports entre la France et l'Italie revient à dénier à la politique extérieure italienne toute faculté d'initiative, en la réduisant à un simple "appendice" de la politique française, et sanctionne ce que le fascisme conteste avec la plus grande vigueur, à savoir que l'Italie ne serait pas une grande puissance, mais seulement une puissance de seconde classe5, non autorisée à jouer de manière

autonome dans la cour des “Grands”. Bref, pour le chef du fascisme, la France n’est pas loin de se comporter à l’égard de l’Italie, comme une grande soeur indigne, una

sorellastra!

Ces malentendus conditionnent l'évolution des relations entre Paris et Rome. L'ambassadeur italien à Paris, Romano Avezzana pouvait écrire à ce propos à Mussolini dès novembre 1926 qu'en France,

«la possibilité d'une guerre avec l'Italie, considérée comme impossible il y

a peu de temps encore, commençait à être vue comme un événement auquel la France, bien que réticente, devait se préparer, parce que voulu par l'Italie».6

Quelque chose était donc survenu entre les deux pays, un an à peine après la signature du pacte de Locarno qui les liait, au moins sur le papier, de manière assez étroite. De fait les années qui suivent immédiatement Locarno apparaissent comme l'une des périodes les plus critiques des relations franco-italiennes: incompréhension et malentendus surgissent avec une extrême facilité, exacerbés par des polémiques de presse et des déclarations vindicatives qui finissent par rejeter dans l’ombre les intérêts communs aux deux pays. C’est le cas du fameux "discours de l'Ascension" prononcé par Mussolini en mai 1927, dans lequel celui-ci prononce le "De profundis" de l'esprit de Locarno, en attribuant la responsabilité à la France:

4A la fin de 1924 et au début de 1925, les rapports italo-yougoslaves s'étaient refroidis du fait d'une

série de manoeuvres yougoslaves en Albanie visant à affaiblir les positions italiennes dans ces pays. D'où l'offre française, en 1925, d'élargir à la France, comme médiatrice et garante, l'accord italo-yougoslave stipulé l'année précédente; cf. Pastorelli, Italia e Albania, 1924-1927, Firenze, Il Mulino, 1987.

5Cf. R. De Felice, Mussolini Il Duce, t. 1. Gli anni del consenso, op. cit., p. 351. 6DDI. VIIe S, vol. IV, doc. 500, rapport d'Avezzana à Mussolini, novembre 1926.

(17)

«Qu'est-il arrivé? Il est arrivé que les Nations, disons ‘locarnistes’,

s'arment fiévreusement sur terre et sur mer. Il est arrivé que chez certaines de ces nations on a même osé parler de guerre idéologique qui devrait être menée par la démocratie des principes immortels contre cette irréductible Italie fasciste, antidémocratique, antilibérale, antisocialiste et antimaçonnique».7

La presse stipendiée du régime se fait alors l'écho des accusations de militarisme et de soutien aux gouvernements hostiles à l'Italie proférées à l'encontre de la France. On met l’accent sur le différend idéologique qui sépare les deux pays, Rome accusant en particulier Paris d’offrir l’hospitalité et de faciliter les activités terroristes des

fuorisciti, ces antifascistes qui cherchent refuge à l’étranger pour continuer leur

opposition et attenter à la vie du Duce8.

B - Le héraut du révisionnisme

Sur la base de la documentation disponible, on peut sans aucun doute attribuer la responsabilité de ces polémiques à l'Italie; il est en effet indéniable que Mussolini à cette époque s’est non seulement ingénié à saboter le système de Locarno mais qu’il a cherché également à contrecarrer l'hégémonie française dans la région balkano-danubienne. En un premier temps il s’était évertué à mettre sur pied un pacte de sécurité dans la région avant de tenter d’empêcher la conclusion d'un accord direct entre Paris et Belgrade (tout en renonçant à la possibilité d'un accord italo-yougoslave, ce qui avait motivé la démission de Contarini du Palais Chigi).

Il s'était efforcé, dans le même temps, de provoquer une crise au sein de la Petite Entente9 en agissant de l'intérieur sur la Roumanie et à l'extérieur, en se faisant le

chantre du révisionnisme hongrois: le traité d'amitié italo-hongrois signé entre

7B. Mussolini, Opera Omnia, Rome, Susmel, vol. XXII, p. 385 et suivantes.

8Sur la concentrazione et sur les réactions des gouvernements de Rome et de Paris à son égard, on verra

P. Guillen. J-B Duroselle et E. Serra, “La question des fuorisciti et les relations franco-italiennes (1925-1935)” in Italia e Francia dai 1919 ai 1939. Milan, ISPI, 1981, p. 239-260.

9Sur la Petite Entente, cf. O. Carmi, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, 1972, ainsi que

(18)

Mussolini et le comte Bethlen pouvait en ce sens être considéré comme un moment décisif dans l'évolution "révisionniste" de la politique italienne10.

Parler de francophobie à propos de Mussolini serait cependant excessif. Très justement, Garocci, parlant des relations italo-françaises en ces années, a écrit :

«Avec la France, litiges souvent, rupture non. Ces mots furent prononcés

par Mussolini lors de la rencontre de Livourne de septembre 1926 pour rassurer Chamberlain au sujet des relations, souvent orageuses, avec la voisine transalpine. Les mots étaient sincères et reflétaient la vérité : une vérité qui pour exclure, au moins en cette période la rupture, admettait largement les litiges».

Pour comprendre le révisionnisme de Mussolini en cette période on peut hasarder une hypothèse qui peut sembler à première vue déconcertante et paradoxale mais qui semble fournir la clé de sa stratégie politique au moins au cours de la première moitié des années trente: Mussolini aurait pratiqué une politique antifrançaise dans le but d’aboutir à un accord avec la France. En dépit de l'intransigeance française, et une fois assuré l'arrimage à la politique anglaise, Mussolini peut en effet difficilement concevoir une politique de rechange à celle de l'amitié avec la France. Seule cette dernière est en mesure de satisfaire à la fois ses aspirations d'expansion coloniale et son besoin de sécurité à l'égard de l'Allemagne. Et c'est encore cet objectif qu'il poursuit lorsqu'il se rapproche par exemple de la Hongrie. Alors que Bethlen recherche dans l'accord un appui pour réaliser les ambitions irrédentistes de son pays, Mussolini vise un objectif tout différent : la Hongrie lui sert à isoler et à mettre en difficulté la Yougoslavie; à constituer, avec l'Autriche, un frein au révisionnisme allemand et surtout à exercer une pression - à travers la Petite Entente - sur la France. Une longue relation de juillet 1932 sur la politique extérieure italienne, rédigée très probablement par L. Vitetti, l'un des proches collaborateurs de Guariglia, pour faire le point sur la nouvelle situation déterminée par la conférence de Lausanne est révélatrice du caractère très particulier du "révisionnisme" affiché par l'Italie à partir de 1927 :

10Sur le traité italo-hongrois cf. G. Garocci, ibid, p. 78 ainsi que M. Ormos, "L'opinione del comte

Stefano Bethlen sui rapporti italo ungheresi (1927-1931)", in Storia contemporanea, avril-juin 1971, p. 283 et suivantes.

(19)

«En réalité, notre révisionnisme, en ce qui concerne l'Italie, a toujours eu

et a un objectif précis: celui de revoir à notre avantage la distribution des territoires coloniaux. En Europe notre révisionnisme nous a servi à exercer une pression politique sur la France, non à satisfaire aucune de nos aspirations. Lorsque nous parlions de révision des traités, c'était toujours l'Afrique, la Méditerranée orientale, l'inique distribution des mandats faite à la conférence de Paris que nous avions à l'esprit. Nous avons sans cesse pensé qu'il était utile d'exciter et d'augmenter le péril allemand en Europe pour que la France soit obligée de revoir en notre faveur la situation coloniale. Ce ne sont ni les Allemands de Silésie, ni les Hongrois de Transylvanie qui nous intéressent. Ce sont les Italiens auxquels il faut donner de la terre et du travail, des champs à cultiver, des marchés à exploiter. Qu'il s'agisse de la Syrie ou qu'il s'agisse du Cameroun, nous avons notre "révision" qui presse, les autres devront penser à eux-mêmes».11

Si bien que dès la fin de 1927 on enregistre une recherche de détente, qui semble prendre corps lorsque Beaumarchais est nommé ambassadeur à Rome et qu'il engage, au cours des premiers mois de 1928, des conversations posant les conditions d'un accord entre Paris et Rome12. Les éléments ne manquent pas qui permettent d'avancer

que Mussolini est, en la circonstance, davantage favorable à la conclusion d'un accord, quel qu’il soit, que la Carriera, laquelle prône la fermeté parce qu’elle est désireuse d'aboutir à un accord global. Bien qu'il apparaisse très vite que Berthelot et Briand ne sont pas disposés à prendre les revendications italiennes sérieusement en considération (sauf sur la question de Tanger déjà en voie de règlement), Mussolini persiste pendant un certain temps à se montrer conciliant, au point que si les discussions s'enlisent, ce n’est pas tant sa faute que celle du Palais Chigi, en l'espèce celle du directeur général pour l'Europe et le Levant, Raffaele Guariglia qui, probablement d'accord avec les éléments les plus "ultras" du ministère des colonies, estime qu'un accord bilatéral italo-français ne constitue pas la panacée pour le

11Cf. Archivio L. Vitetti, cité par R. De Felice, in Mussolini Il Duce, t.1, Gli anni del consenso, op. cit.,

p. 359. Rapport de L. Vitetti à Mussolini, La Haye, 10-11 juin 1932.

(20)

règlement des questions en suspens. Pour les milieux diplomatiques et coloniaux, le problème est de portée plus large et devrait s’inscrire dans le cadre des relations européennes en général et des rapports italo-britanniques en particulier. Il ne convient donc pas de se lier les mains. Selon Guariglia :

«Mussolini au contraire n'avait pas vu ou pas voulu voir ledit problème

général, avec son système (consistant à) parvenir à un accord quel qu'il soit, en exploiter les résultats immédiats et transitoires pour ensuite tout reprendre depuis le début».13

De fait, les résultats que la politique étrangère fasciste peut mettre à son actif à la fin de 1929 sont pour le moins modestes et n’ajoutent guère au prestige de l'Italie dans le monde. Cette politique a par ailleurs suscité la résistance de certains représentants éminents de la Carrière (Contarini, Guariglia), et provoqué l'irritation des courants les plus francophobes et colonialistes du groupe dirigeant fasciste.

Or, la politique extérieure assume, du fait de la stabilisation du régime à l'intérieur et des grandes échéances qui se profilent à l'horizon international, un poids sans cesse croissant dans les préoccupations de Mussolini. C'est alors que mûrit en lui la décision de lui conférer un caractère différent. La nomination de Dino Grandi au ministère des Affaires étrangères le 12 septembre 1939 sanctionne cette inflexion.

II-GRANDI ET LA POLITIQUE DE L'ÉQUIDISTANCE

A - Dino Grandi aux Affari esteri

Les raisons qui conduisent Mussolini à nommer le hiérarque au poste de ministre des Affaires étrangères le 12 septembre 1929 ont été amplement expliquées par le biographe du dictateur Renzo de Felice. On se limitera à rappeler que cette nomination intervient à l'occasion d'un important cambio della guardia (relève de la garde) décidé par le Chef du gouvernement au lendemain de la conciliazione (réconciliation) avec l’église de Rome et du plébiscite de mars 1929. Ces deux

13Cf. Raffaele Guariglia, Ricordi (1922-1944), Naples, 1949, p. 71 ainsi que Arianna Arisi Rotta, La

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événements, qui ont stabilisé le régime et renforcé le consensus politique autour du Duce, incitent ce dernier à se libérer des trop nombreux portefeuilles ministériels qu'il détenait en promouvant, en ses lieu et place, les anciens sous-secrétaires qui en expédiaient jusqu'alors les affaires courantes, tout en plaçant aux postes de responsabilité certains des éléments les plus représentatifs de la classe dirigeante fasciste14.

La nomination de Grandi ne représente pas pour autant un bouleversement de la politique extérieure italienne. En témoigne la stabilité de l'organigramme du Palais Chigi15, siège du ministère italien des Affaires étrangères. Grandi avait été nommé

sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères dès mai 1925 et était parvenu assez rapidement à éliminer le groupe de fonctionnaires qui dominait alors le Ministère. Le Secrétaire général, Contarini, avait donné sa démission dès le 26 janvier 1926, remplacé un temps par Bordonaro, la fonction demeurant ensuite vacante avant d'être supprimée en 1932. Calboni Barone, chef de cabinet de Mussolini depuis 1922, et Locajono, directeur des Affaires politiques depuis 1924 ayant été éloignés du Palais Chigi16, le ministère est dominé de 1926 à 1932 par Grandi et ses principaux

collaborateurs : Guariglia, ex-collaborateur de Contarini, placé depuis décembre 1926 à la tête de la prestigieuse direction générale pour l'Europe-Levant, Ghigi, chef de cabinet et Rosso, chef de l’Ufficio Société des Nations17.

L'arrivée de Grandi au ministère correspond à une situation internationale nouvelle, caractérisée par une série de mutations et échéances qui semblent pouvoir remettre en cause le statu quo européen. L'horizon diplomatique apparaît à la fois chargé et mouvant. La conclusion du problème des dettes et des réparations de guerre, la crise que traverse les relations franco-allemandes, l'arrivée des Travaillistes au pouvoir en Grande-Bretagne avec leurs velléités pacifistes, la réapparition sur la scène européenne des Américains un peu revenus de l'isolationnisme sont autant de questions face auxquelles l'Italie doit prendre position.

Confronté aux diverses conférences internationales qui s'annoncent, sur les réparations ou le désarmement, Mussolini ressent alors la nécessité de reconsidérer le

14R. De Felice, Mussolini il Duce; Gli anni del consenso, op. cit., p. 370 à 375. 15 Le Palais Chigi est actuellement le siège de la Présidence du Conseil italien.

16Le premier nommé secrétaire général de la Société des Nations, le second Directeur général des

Italiens à l'étranger.

17F. Lefebvre d'Ovidio, L'intesa italo-francese del 1935 nella politica estera di Mussolini, Roma, 1984,

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rôle de l'Italie dans le concert des Puissances18. Plus prosaïquement, le chef du

gouvernement doit disposer d’un ministre des Affaires étrangères libre d'autres obligations, susceptible d'effectuer de fréquents voyages à l'étranger et disposé à se jeter corps et âme dans sa tâche19. Dino Grandi apparaît comme l'homme le plus apte à

réunir ces qualités. Fasciste d'une foi et d'une fidélité incontestables, mais exempt de toute compromission avec le radicalisme noir, le nouveau ministre des Affaires étrangères peut en outre faire valoir sa solide expérience internationale. Bien qu’ayant été le promoteur de la première fascisation de la Carriera durant les quatre premières années de son administration au Palais Chigi, il ne s'en est pas moins taillé, face aux velléités d'ingérence du P.N.F., la réputation d'un défenseur de la diplomatie traditionnelle. Sa participation à d'importantes négociations l'ont par ailleurs doté d'un bagage que la plupart des diplomates de carrière pourraient lui envier. Comme adjoint du premier délégué italien Scialoja, à Genève, il s’est frotté au milieu sociétaire, où il évolue avec aisance, à une époque où les hiérarques fascistes affectent une attitude de mépris, mêlée d'embarras, à l'égard d'une institution considérée comme l'antre de la maçonnerie et du socialisme internationalistes.

Mussolini, dans son choix, ne peut avoir de doute: Grandi représente une compétence fasciste sûre à faire valoir.

B - Une vision rationnelle de la politique extérieure italienne

Cela signifie-t-il que le Duce entend laisser au nouveau ministre la liberté de déterminer la politique extérieure italienne ?

Pour certains historiens, les différences entre l’administration “grandienne” et la gestion directe de Mussolini n’auraient été que de pure forme, de style plus que de contenu. Grandi, dans cette perspective, n'aurait été qu'un instrument conjoncturel dans la politique du Duce, qui n’aurait visé qu'à donner le change à l'étranger, en lui procurant l'impression rassurante de traiter avec un diplomate de type traditionnel, le Duce se réservant les explosions oratoires et le maintien du cap, résolument révisionniste, qu'il entendait donner à la politique extérieure italienne. D'autres chercheurs admettent en revanche l'autonomie relative de l'action de Grandi, et même

18Sur ces points, voir R. de Felice, Mussolini il Duce, Gli anni del consenso, op. cit., p. 372-373. 19Par prestige et par crainte d'attentats contre sa personne, Mussolini refusait systématiquement de se

rendre en voyage à l'étranger, le Brenner ou Stresa lui apparaissant comme les limites extrêmes de ses déplacements...!

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l'existence chez lui d'une théorie cohérente sur le profil à donner à la politique extérieure italienne20. Sans adhérer totalement à une interprétation qui fait peu de cas

de la stricte tutelle dans laquelle Mussolini maintenait ses subordonnés, on peut affirmer qu'en prenant les rênes du ministère, Grandi a des idées extrêmement précises sur la politique extérieure qui convient à son pays. Si le fascisme et l'école du sous-secrétariat ont contribué à enrichir son expérience en la matière, les idées du ministre ont germé sur un "iter" idéologico-culturel composite plus ancien. Dans cet héritage intellectuel qui date des années de jeunesse on dénote l'influence de l'idéalisme de Missiroli ou du nationalisme d'Alfredo Oriani21.

Le principe auquel Grandi se réfère prioritairement réside dans la volonté de «rationaliser la politique extérieure italienne afin de la doter d'une vision organique

d'ensemble et de la concentrer sur la finalité unique de l'intérêt national italien»22.

On la rendra ainsi plus incisive et plus souple. Devant l'imminence des conférences sur les réparations et sur le désarmement, le fascisme se trouve confronté à des problèmes qui impliquent une vision globale de la politique étrangère. Ces questions ne peuvent, de l’avis de Grandi, être traitées d'un point de vue unilatéral et contingent, mais doivent être considérées dans la perspective de l'intérêt général européen.

Dans la relation qu’il présente devant le grand conseil fasciste le 2 octobre 1930, le hiérarque explique que les orientations d'une grande puissance ne sauraient être abordées de façon fragmentaire, voire "incohérente", encore moins «dépendre de la

(conception) nécessairement polémique et idéologique d'un parti en phase de formation où quelquefois, même inconsciemment, les problèmes contingents de la

20De Felice et Rosaria Quartararo, Lefebvre d'Ovidio, H.g. Burgwyn, etc.

21Cf. Renzo de Felice, Mussolini il Duce, Gli anni del consenso, op. cit., p. 370. Sur la formation

idéologico-politique de Dino Grandi, voir Paolo Nello, Dino Grandi, la formazione di un leader fascista, Bologne, 1987. Missiroli, journaliste bolognais, auteur de la Monarchie socialiste, s'était livré à une relecture d'Hegel et de Georges Sorel en tirant la théorie selon laquelle la dialectique à l'époque moderne se concrétisait non seulement dans la lutte des classes mais aussi dans le domaine des relations internationales où agissaient les réels protagonistes de l'histoire, les nations. L'apport d’Alfredo Oriani est essentiel, par la façon dont il conçoit le rôle particulier de l'Italie dans le concert des Nations européennes, notamment par sa croyance dans "le rôle fécond des grandes initiatives" d'une péninsule désormais consciente d'être une "grande nation". A. Oriani, Lotta politica in Italia, 1935, vol. III, p. 445 et suivantes

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politique intérieure peuvent prévaloir sur les problèmes permanents de la politique étrangère...»23.

En d'autres termes, la politique étrangère de l'Italie ne doit pas subir de conditionnement idéologique, mais se fonder uniquement sur des critères objectifs. En poursuivant une politique libre de tout préjugé, Grandi espère optimiser les options diplomatiques qui s’ouvrent à l’Italie.

L'Italie doit ensuite se voir reconnue le rang de grande puissance au sein du concert européen. Pour le nouveau ministre des Affaires étrangères, la volonté de puissance constitue le seul moteur, le seul critère incontestable d'une politique étrangère digne de ce nom. C'est en conquérant son rang impérial que le peuple italien sera en mesure de revendiquer «son droit à la vie et à la grandeur» et qu'il assumera son destin. Grandi s'inspire ce faisant des leçons d'Oriani et de Guariglia: pour les nationalistes de la classe dirigeante fasciste comme pour les diplomates de la Carriera la création d'un empire colonial ne souffre aucune discussion. L'empire apparaît comme une nécessité vitale pour un peuple riche de bras mais pauvre en matières premières, désireux de trouver un exutoire à son exubérance démographique en terre italienne et non plus étrangère. Il est également indispensable pour ouvrir des sphères autonomes d'approvisionnement ou de débouchés à l'économie italienne. En ce domaine, même si l'action de Grandi semble parfois hésiter entre diverses orientations telles que la transversale Tchad-Cameroun ou l'ouverture vers l'Océan (sans doute évoquées sur les pressions du ministère des Colonies et plus comme des diversions que comme des alternatives), l'oeil du ministre reste perpétuellement rivé, dans le souvenir de Crispi et la fidélité à la pensée d'Oriani, sur les terres abyssines où les «morts glorieux et non

vengés de Macallé et d'Adoua» appelent l'action rédemptrice et la mission civilisatrice

de l'Italie24.

Quant à l'Europe, confrontée à la menace bolchevique, elle a besoin d'une longue période de paix, qui ne lui sera assurée qu'à la condition que l'on reconnaisse aux

23ASMAE, Archivio Grandi, Relation de Grandi devant le grand conseil, 2 octobre 1930.

24Voir à cet égard, F. Perfetti, “Alle origini degli accordi Mussolini-Laval: contatti italo-francese del

1932 in materia coloniale”, in Storia contemporanea, décembre 1977, p. 684, ainsi que R. Quartararo, Roma tra Londra e Berlino. La politica estera fascista dal 1930 al 1940, Bonacci ed., Rome, p. 37, selon laquelle "en réalité, le Cameroun et l'Angola revêtaient un très faible intérêt et la demande italienne à leur propos avait une valeur instrumentale pour pousser les Français à se désintéresser complètement de l'Ethiopie".

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Nations indistinctement le droit à la parité, sur le plan de l'autonomie politique comme de la libre concurrence économique. La France et la Grande-Bretagne, nations "satisfaites", ne peuvent en l'espèce prétendre cristalliser le statu-quo issu des traités de 1919-1920. La Société des Nations est, dans cette optique, conçue comme le produit d'un esprit inique ; elle est le rejeton de l’esprit wilsonien bavard et universaliste; elle est exploitée de fait par le couple franco-anglais qui rêve de la transformer en une nouvelle Sainte-Alliance destinée à contenir l'excès d'énergie des Nations jeunes et prolétaires. Grandi ne se pose aucunement en défenseur des notions d'arbitrage et de désarmement. On a, selon lui, commis l’erreur initiale de ne pas fonder ces principes sur les prémices indispensables de justice et liberté dans l'ordre économique international, qui seules auraient pu apaiser les conflits latents. On a au contraire privilégié le mythe du pacifisme abstrait, qui croit identifier les causes des guerres dans des questions de moralité et d'éducation et prétend les empêcher par la mise en place d’instruments juridiques.

La Société des Nations sous un masque de démocratie universelle, dissimule donc mal le soutien donné aux bourgeoisies décadentes contre lesquelles se dressent les nouvelles forces nationales dont Mazzini et Hegel ont démontré que ce serait uniquement en laissant l'histoire les utiliser que l'on parviendrait à "l'humanité". Tant que ces prémices d'égalité et de liberté dans l'ordre mondial ne sont pas réalisées, les instruments juridiques de l'arbitrage obligatoire et des sanctions afférentes, ou de la prudente limitation des armements, ont peu de chance de s'avérer efficaces, puisqu’elles opérent dans une optique et dans une situation favorables aux seules Nations satisfaites25.

C - Le principe du peso determinante (poids déterminant)

Dans le contexte des années trente, l'Italie n'étant pas en mesure, en Europe du moins, de faire valoir ses droits par la force des armes, ces objectifs ne peuvent être atteints que par la voie diplomatique.26

25Dino Grandi, La politica estera dell'Italia in A.C.S., carte Grandi

26Le 2 octobre 1930, Grandi déclarait à ce propos devant le Grand conseil fasciste : "La nation italienne

n'est pas encore assez forte, militairement et politiquement, au point de pouvoir être considérée comme une protagoniste de la vie européenne", in Dino Grandi, La politica estera dell'Italia dal 1929 al 1932, 2 vol. Roma, p. 318-319.

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Pour le ministre des Affaires étrangères italien, convaincu que les guerres au XXe

siècle se résument dans la confrontation des économies nationales, l'Italie n'est pas en mesure de concurrencer ses rivales potentielles sous l'angle de la puissance industrielle et financière qui conditionne la production d'armements. Cette faiblesse de l'Italie n'est cependant que relative, elle ne signifie pas que le pays doive renoncer à ses légitimes aspirations, mais qu’il doit les poursuivre de façon appropriée aux réalités. A cet égard, Grandi estime que «la nation italienne [est] déjà toutefois assez

forte pour constituer, par son support politique et militaire, un poids déterminant à la victoire de l'un ou l'autre des acteurs du drame européen [...]»27. «L'Italie constitue

chaque jour un peu plus, entre la FRANCE et l'ALLEMAGNE, ce que je voudrais appeler le poids déterminant»28».

En cas de conflit européen, l'Italie doit pouvoir peser sur l'équilibre des forces en présence de façon à en tirer, sans scrupule, les plus grands avantages, ce qui présuppose qu’elle demeure libre à tout instant de choisir son camp. Cependant, en temps de paix, le poids de l'Italie ne lui confère ni une telle puissance résolutive dans les affaires internationales, ni la possibilité de déplacer les équilibres majeurs. C’est donc l'ambivalence qui caractérise l’attitude d’esprit de Grandi lorsqu'il s'agit de donner un contenu concret à la politique du poids déterminant. D'une part, on peut y déceler un élément machiavelien, caractérisé par la volonté de saisir l’occasion qui se présente. Il convient d'être prêt à toute éventualité, ce qui implique de ne pas négliger l’équipement militaire et la préparation psychologique du peuple italien. Dans le même temps, Grandi estime que l'Italie a besoin d'une longue période de paix pour peaufiner cette préparation des armes et des esprits. Le gouvernement fasciste doit donc vaincre ses préventions à l’égard de l’institution genevoise et, en utilisant l'idéologie et les méthodes sociétaires, coopérer avec les puissances démocratiques afin d’amener ces dernières à reconnaître l'existence d'une «question italienne», à l'examiner et à la résoudre par la réalisation des objectifs prioritaires que l'Italie s’est fixée et auxquels elle ne peut renoncer, en premier lieu celui de l’expansion en Afrique.

D - L'accord nécessaire avec la France?

27Ibid., p. 319.

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La France tient une place particulière dans cette conception de la politique extérieure “grandienne”. L'influence d'Oriani est ici primordiale. Adaptant à la réalité de l'après-guerre les intuitions que le théoricien nationaliste appliquait à la fin du XIXe siècle, Grandi estime que l'Italie n'a d'autre ennemi en Europe que l'Allemagne et qu'elle a en revanche une affinité historique avec la France29.

La conjoncture diplomatique de l'année 1929 ne peut que renforcer ces convictions. En devenant titulaire du Palais Chigi, Grandi s'est très vite convaincu de l'impossibilité d'une entente germano-italienne. La disparition en 1929 de Stresemann, l'homme qui avait porté la tension entre les deux pays à un point extrême du fait de ses déclarations intempestives en faveur de l'irrédentisme sud-tyrolien, ne suffit pas à ses yeux à motiver un quelconque regain d'optimisme. «Ne nous illusionnons pas, écrit-il à Mussolini, sur le fait que sa mort puisse changer grand-chose à la situation

en Allemagne, mais c'est un grand ennemi du fascisme de moins dans le monde»30.

D'ailleurs, l’éventualité d’un accord italo-allemand, en évoquant le temps de la Triplice, ne manquerait pas d'accroître les difficultés de la politique extérieure allemande, et serait de ce fait rejetée par le gouvernement de Berlin lui-même. La France demeure, envers et contre tout, l'alliée naturelle de l'Italie. L’opinion de Grandi, partagée par les représentants les plus éminents de la carriera, est qu’en dépit des oppositions de régime politique et d'intérêts stratégiques entre les deux pays, la logique de l'histoire et le travail réaliste des hommes d'Etat doivent inéluctablement conduire les soeurs latines à trouver une forme d'entente. Surtout, cet accord lui apparaît comme la condition sine qua non de la réalisation de «l'espérance secrète et

fidèle de la Nation italienne : l'Afrique». Dans un rapport présenté devant le Grand

conseil fasciste le 2 octobre 1930, Grandi s’explique à ce propos :

«Notre nation a une mission civilisatrice à assumer sur le continent noir,

comme notre génération a un problème à résoudre, le problème colonial. Il s'agit pour nous de reprendre, face aux grandes puissances qui ont fait la Paix de Versailles et méconnu les droits de l'Italie, la discussion

29Cf. A. Oriani, La lotta politica in Italia, et surtout les conclusions ainsi que R. De Felice, Mussolini il

Duce. Gli anni del consenso. op. cit., p. 375-376.

30ASMAE, Archivio Grandi, Rapport Grandi à Mussolini, 31 octobre 1929 ainsi que F. Lefebvre

d'Ovidio, l'intesa italo-francese del 1935, op. cit., p. 230 et G. Buccianti, Verso gli accordi Mussolini-Laval, Giuffré, Milano, 1984, p. 3-4.

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brutalement interrompue en 1919[...] A cet objectif doivent se référer non seulement notre action particulière en Afrique orientale... mais d'autre part notre action de politique générale en Europe et en premier lieu notre différend avec la France»31.

Reprenant le même thème cinq mois plus tard devant la même instance, il enfonce le clou :

«C'est en Afrique, pas en Europe que nous pourrons trouver une

solution au problème national. C'est de l'Afrique dont nous nous proposons de parler à la France ... pour la concorde entre l'Italie et la France dans l'intérêt de la paix de l'Europe»32.

Ce désir d'entente ne va pourtant pas de soi, il semble même réfuté par deux constatations d'évidence.

D’abord la France ne semble aucunement soucieuse de se rapprocher de sa voisine transalpine. L’échec des négociations Mussolini-Beaumarchais engagées en 1928-1929 en offre un exemple flagrant : Mussolini avait sans doute, après Locarno, souhaité parvenir à un véritable traité d'alliance avec la France qui aurait eu pour point d'ancrage la défense commune de l'Etat autrichien. Il avait dû très vite redimensionner le projet lorsque l'Ambassadeur Beaumarchais lui avait rétorqué que la France et l’Italie partageaient sur ce problème des vues identiques, entendant ainsi marquer que le gouvernement de la République ne voyait pas l'intérêt d'établir en ce domaine des liens particuliers avec un pays dont l'opposition à l'Anschluss était notoire, et dont l'appui pouvait en conséquence être considéré comme acquis.

Les négociations Mussolini-Beaumarchais ont donc visé un objectif plus modeste. Elles ont néanmoins démontré à quel point les relations entre les deux pays évoluent à l'intérieur d'un cercle vicieux. Par une note du 22 juillet 1929 la France a brutalement rompu les pourparlers en déniant à son interlocuteur toute créance dans les deux "questions en suspens" relatives aux conventions tunisiennes et aux confins libyens. Le 7 octobre l'Italie a répliqué en rejetant la proposition française d'une rectification des frontières du sud libyen en échange d’un désintéressement italien en Tunisie. La

31ASMAE, Archivio Grandi, Relations de Grandi devant le Grand conseil fasciste, 2 octobre 1930. 32Ibid, 5 mars 1931, citées dans R. De Felice, Mussolini il Duce, Gli anni del consenso, op. cit., p.374.

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France, dans le règlement des "questions en suspens" a ainsi démontré qu'elle ne désirait pas une entente réelle avec l'Italie, mais qu’elle était seulement soucieuse d’effacer la lourde hypothèque que cette dernière conserve sur le protectorat français d'Afrique du Nord33.

Plus grave peut-être, la France semble poursuivre, en Europe même, une politique qui représente de fait - sinon de propos délibéré - une menace pour la sécurité de l'Italie. Les relations particulières établies entre la France et la Yougoslavie inquiètent Rome: le traité d'alliance signé en 1927 entre Paris et Belgrade ne risque-t-il pas, en vertu des accords secrets d'états-majors que l'on tient pour assurés côté italien, d’entraîner l'Italie à entrer en guerre, en cas de subversion ou de tentative insurrectionnelle en Albanie, contre l'ensemble des pays de la Petite Entente et la France ?34 Comme le

révèle une lecture attentive du Diario de Grandi on craint à Rome que Paris ne profite de l'instabilité albanaise et de l'agressivité serbe, de l'impréparation militaire italienne et de la faiblesse de l'Allemagne pour régler ses comptes avec le gouvernement fasciste en déclenchant une guerre préventive. D'où les hésitations de Mussolini, réellement incertain sur l’attitude à adopter - conciliante ou agressive? - à l’égard de la France ou de la Yougoslavie en vue d’atténuer la tension35.

Bref, puisque ni l'Allemagne, ni la France n'apprécient l'appui de l'Italie (la première parce qu'elle juge cet appui embarrassant, la seconde parce qu'elle le tient pour acquis), Grandi choisit la seule option qui lui reste, celle de la neutralité active. En s’opposant aux intérêts français lorsque cette attitude ne risque pas de rompre l'équilibre des forces en Europe à l'avantage de l'Allemagne, Grandi espère contraindre Paris à se mettre en position de "demandeur", et créer ainsi les conditions d'un accord que le gouvernement fasciste sera en mesure de négocier en position de force. Il s’agit de ne pas avantager l'Allemagne qui demeure un risque potentiel en Europe sans consolider pour autant la position déjà prépondérante de la France sur le continent36.

33Pierre Guillen, "L'échec d'un rapprochement franco-italien dans les années 1926-1929". A. Migliaza

et E. Decleva, Diplomazia e storia delle relazioni internazionali. Studi in onore di Enrico Serra. Giuffré 1991, p. 321 à 337.

34H.J: Burgwyn, "Conflit or rapprochement? Grandi confronts France and its protégé Yougoslavia,

1929-1932" in Storia delle relazioni internazionali, 1985/2, p. 78-79 et 86.

35ASMAE, Carte Grandi, Diario, b. 13 sf. 5, 7 et 9 respectivement des 22 février, 8 et 24 octobre 1929. 36Cf. F. Lefebvre d'Ovidio, L'intesa italo-francese del 1935 nella politica estera di Mussolini, op. cit.,

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En dépit des fondements rationnels dont Grandi souhaite la doter, la "nouvelle diplomatie" italienne tient en définitive du tour de force. Vue de l'étranger, elle ne peut qu'apparaître incertaine et contradictoire.

- D'une part le différend italo-français rend superflu, aux yeux de Berlin l'hypothèse d'une alliance avec l'Italie (les velléités de l'Italie à s'accorder avec la France provoquent d’ailleurs la méfiance de Curtius et de Brüning). A l'opposé, Paris ne voit pas l'utilité d'un rapprochement, l'estimant escompté du fait de la controverse italo-allemande sur les questions d'Autriche et du sud-Tyrol. L'Italie demeure donc dans la position inconfortable de demandeur37.

- La politique “grandienne” nécessite d'autre part une situation internationale fluide. Elle risque fort de montrer ses limites dès que la conjoncture tendra à se cristalliser. Or, entre 1931 et 1933 les conséquences de la crise et la polarisation des forces politiques en Allemagne vont obliger l'Italie à sortir "à découvert". L'Allemagne est certaine que la tension franco-italienne joue en sa faveur et se tient prête à l'exploiter pour ses desseins de révision du statu quo européen sans plus se préoccuper des intérêts italiens. L'Italie a d’ailleurs besoin de l'appui militaire de l'Allemagne, alors que cette dernière ne sollicite qu’un simple soutien diplomatique. En décembre 1930, le colonel Amari, attaché militaire à Belgrade, rapportant ses conversations avec des fonctionnaires de la légation allemande, confirme que si l'Allemagne n'exclut pas de conclure un jour une alliance avec l'Italie, Rome ne doit compter sur aucun appui militaire en cas de conflit franco-italien dans un proche avenir38. En somme, pour

sortir de ce que Grandi appelle “le dilemme crispien” l'Italie devra s'opposer aux intérêts français en collaborant avec l'Allemagne mais en ayant garde de maintenir cette dernière dans "une incertitude fondamentale" quant aux orientations définitives de sa politique39, ce qui ne risque guère d’augmenter sa crédibilité, déjà fort entamée à

Berlin où l’on se souvient du “tour de valse” effectué par l’allié italien en 1915.

37F. Lefebvre d'Ovidio, L'intesa italo-francese..., op..cit., p. 266-268.

38ASMAE, carte Grandi, Galli (Belgrade) à Grandi comportant le rapport Amari en annexe, 16

décembre 1930.

39DDI, S.VII, vol. IX, doc. 123 Grandi à Orsini Baroni (Berlin), 3 juillet 1930.

«C'est pourquoi», écrivait Grandi dans ses instructions à l'ambassadeur Baroni, «si nous sommes contraints, du fait des nécessités incontournables de notre politique générale à rendre ce service gratuit à l'Allemagne [...] nous devons garder envers celle-ci un comportement d'indifférence et de froideur, cherchant sans cesse à donner la sensation nette que le problème des relations italo-allemandes ne dépend pas des relations franco-italiennes et vice et versa. Nous devons donc nous évertuer à éviter qu'on pense en Allemagne que nous recherchons son amitié pour nous en faire un épouvantail contre la France ou que l'opposition générale de notre politique à celle de la France doive

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Dans ces conditions “l'équidistance” prônée par Grandi risque fort de se transformer très vite en équilibre instable.

- Enfin, si la politique préconisée par Grandi reçoit incontestablement “l'imprimatur” du Duce, ce n’est pas sans certaines réserves mentales. Mussolini apprécie les avantages que la ligne “grandienne” lui procure dans l’immédiat en termes de consensus interne, car ils lui permettent de satisfaire le désir de paix du peuple italien et de réaliser des économies financières qui pourront être affectées aux programmes d'assainissement budgétaire ou aux grands travaux destinés à réduire le chômage. Des considérations de prestige et de légitimation internationale du régime renforcent cet accord de principe. Il ne peut cependant partager la conviction “locarnienne” et sociétaire de Grandi qu'il estime inconciliable avec la mythologie nationaliste et le caractère révolutionnaire du fascisme40.

III-BADOGLIO : UN AMI DE LA FRANCE

Pietro Badoglio, nommé chef d’état-major général en 1927, ne fait pas mystère des sympathies qu’il nourrit pour la France comme de la profonde méfiance qu’il éprouve envers l’Allemagne. Dès avril 1925, à Rio de Janeiro où Mussolini l’a expédié comme ambassadeur pour l’écarter de l’armée, il s’ouvre au chargé d’Affaires français de son intention, s’il était rappelé à Rome, d’engager des conversations avec l’état-major français en vue de conclure une convention militaire entre les deux pays. Le maréchal se dit convaincu que l’Allemagne, associée à l’Autriche, prépare une guerre de revanche qui sera engagée simultanément sur le Rhin et sur la frontière italienne des Alpes41. Badoglio se lie alors d’amitié avec Gamelin qui dirige la Mission militaire

française au Brésil. Gamelin note dans ses Mémoires que l’Italien et lui-même ont fréquemment discuté d’un rapprochement impliquant une reconnaissance réciproque d’intérêts en Afrique42.

servir à préparer une nécessaire future entente avec l'Allemagne [...]. Il faut la persuader que l'entente italo-allemande comporte pour elle un intérêt réel».

40Paolo Nello, Un fedele disubbidiente: Dino Grandi da Palazzo Chigi al 25 luglio, Il Mulino,

Bologne, 1993, p. 76-77.

41 SHAT 7N 2915 EMA/2, chargé d’Affaires au Brésil à Briand, 7 avril 1925.

42 Maurice Gamelin, Servir, t. II, Le prologue du drame, op. cit., p. 161 et suivantes : «Nous avions

souvent examiné ensemble les rapports entre nos deux pays. Nous étions tous deux également convaincus de l’intérêt qu’il y avait à les associer. Il lui apparaissait que l’Allemagne était notre adversaire commun. Il avait le soin de préciser : il faut cependant que vous nous fassiez notre part».

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Nouvellement nommé chef d’état-major, Badoglio réitère ses vues sur le péril germanique devant les diplomates français en poste à Rome et dans des conversations informelles avec l’attaché militaire français à plus de dix reprises entre 1925 et 1930. En dépit des instances du général Foch qui conseille à Briand que la France réponde «sans délai [à] ces ouvertures répétées de crainte de ces dispositions favorables à

notre endroit ne puissent être réorientés en d’autres directions»43, Paris ne donne pas

suite, Briand jugeant préférable d’attendre le rétablissement de relations normales entre l’Italie et la Yougoslavie avant de rechercher un accord avec l’Italie, d’autant que ni le palais Chigi, ni Mussolini n’ont jamais fait allusion à un tel accord dans leurs conversations avec lui. On peut raisonnablement en déduire que si les militaires sont intéressés aux arrangements définis par le maréchal Badoglio ils ne sont, ni d’un côté ni de l’autre, prêts à faire une proposition par les canaux diplomatiques officiels. Agir ainsi, ce serait courir le risque de se poser en demandeur et de s’aliéner des tiers, en l’occurrence l’Allemagne. C’est seulement lorsque l’hypothèque allemande sera levée, entre novembre 1934 et mars 1935, que les militaires pourront faire remonter leur volonté d’entente au niveau gouvernemental.

Il convient d’ailleurs d’observer, qu’en dépit de l’importance apparente de sa fonction, Badoglio n’est guère en position d’infléchir les décisions du Duce en matière militaire. Il ne dispose pas lui-même d’une position très forte au sein de l’Establishment (on lui reproche son attitude au lendemain de Caporetto). Son caractère en fait l’homme ad hoc pour cette charge : ambitieux mais trop faible pour réaliser ses ambitions, prêt à tout, lorsqu’il est menacé, pour se remettre en selle, il n’a pas bronché lorsqu’en 1927 l’ordinamento Mussolini a réformé les hautes sphères de l’armée en réduisant sa charge à celle d’un simple consultant technique du chef de gouvernement. Ses fonctions sont alors canalisées en ce qui concerne ses rapports avec les diverses armes par l’obligation de recourir au truchement des ministères respectifs et par l’autonomie rendue à la charge de chef d’état-major de l’armée de Terre (confiée au général Cavallero). En 1929, Badoglio sera même envoyé en Libye comme gouverneur sans cesser pour autant d’exercer ses fonctions de chef

43 ADMAE, série Z “Italie”, 374-4, vol. 96, Foch à Briand, 25 juin 1925, ibid., 374-9, vol. 127b, Roger

à briand, 29 juillet 1927, ibid., 374-4, vol. 100, Roger à Briand , 6 novembre 1928, attaché militaire à EMA/2, 25 octobre 1930, Besnard à MAE, 10 janvier 1930.

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major général. Il cumulera les deux fonctions cinq années, ce qui suffit à démontrer combien le poste a perdu toute fonction d’impulsion et de commandement44.

IV-LA PERCEPTION DE LA PUISSANCE ITALIENNE PAR LES DÉCIDEURS FRANÇAIS AU TOURNANT DES ANNÉES TRENTE

A - Aristide Briand : l’Italie, une puissance de second ordre dans le concert européen

Depuis 1925, la direction de la diplomatie française est entre les mains d’Aristide Briand. Le ministre des Affaires étrangères joue la carte de la sécurité qui réside pour lui dans la garantie anglo-américaine, dans la force de l’opinion publique et dans un arsenal juridique international. D’où la multiplication des traités d’arbitrage, des conventions multilatérales, des traités d’assurance mutuelle, en un mot la “pactomanie”.

Une fois le problème allemand réglé par le traité de Locarno dont l’Italie et la Grande-Bretagne sont les garants, Briand bâtit le système d’alliance français en y attachant les états de la Petite Entente. Ces alliances à l’Est, achevées en novembre 1927 avec le traité franco-yougoslave, lui aliènent l’Italie qui s’estime investie par l’histoire d’un droit de regard sur les Etats successeurs de l’Empire d’Autriche-Hongrie. Elles marquent aussi un point d’arrêt dans les tentatives françaises d’enrôler le gouvernement fasciste au sein d’une alliance anti-allemande. En réalité, il semble que l’Italie ne représente, aux yeux de l’apôtre de la paix, ni un garant, ni un danger méritant d’être vraiment pris au sérieux. Le royaume transalpin n’est pas en mesure, du fait de sa faiblesse militaire et de sa position stratégique de prêter sérieusement main-forte à la France sur le Rhin. L’Italie n’intéresse Briand qu’en raison de sa capacité d’empêcher l’Anschluss. Certes, une Italie hostile représente un facteur d’instabilité en Europe sud-orientale où elle peut fomenter des mouvements sécessionnistes aux dépens des membres de la Petite Entente. Mais, l’Italie mussolinienne n’inquiète pas l’hôte du Quai d’Orsay tant qu’elle est isolée. Le Duce

44 Sur Badoglio et l’ordinamento de Mussolini de 1927, voir P. Pieri et G. Rochat, Badoglio, p.

550-551;Lucio Ceva, Le forze armate, Torino Utet, Storia della società italiana, vol. XI, 1981, p. 206-208; Renzo de Felice, Mussolini l’Alleato, I, L’Italia in guerra, t. I, Torino, Einaudi, p. 12-13.

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