Quad. Bot. Amb. AppL, 19 (2008): 183-201.
Quelques aspects topoclimatiques de l'étagement de la végétation spontanée en montagne méditerranéenne, avec référence aux montagnes du Moyen et Haut Atlas (Maroc)
MUSTAPHA
RHANEM
Laboratoire de Botanique et d'Ecologie Montagnarde, Faculté des Sciences, Département de Biologie B.P., 11201- Zitoune, Meknès, Maroc.
ABSTRACT. - Sorne topoclimatic mpects of natural vegetation distribution in Mediterranean mountains, with reference to the Middle and High Atlas (Morocco). - Mountains show peculiar conditions. On local climate (or topoclimat) contrasts and «anomalies» in vegetation distribution in Mediterranean mountain determine lowering of the upper limit of trees and reversais in the normal vertical distribution of phytoclimats. This can be related with some explicative factors such as tem- perature reduction according to the increase of altitude and humid or dry adiabatic, solar radiation, orientation in compar- ison with the dominant moist wind, modifications in energy balance of soil surface and particular air flows. A methodolo- gy of study of the characteristics of vegetation distribution is here presented, taking into account different topoclimates resulting from the interaction of topography, dynamic and thermal effects and atmosphere circulation on the whole.
Key words: Mediterranean mountain, level of vegetation, topoclimate, Atlas, Morocco.
INTRODUCTION
La montagne couvre une proportion significative de la surface terrestre. Il est, en effet, établi actuellement, d'après
PRICE & al. (2004), qu'à peu près un quart des terres émer- gées sont couvertes par des espaces de montagne. Ainsi, presque partout, le Bassin méditerranéen est ceinturé à sa péri hérie de montagnes à peu de distance de la mer (Fig.
1 ). Le climat régnant sur le pourtour de la méditerranée, déterminée essentiellement par la latitude et la présence d'un volant thermique, est fortement influencée par le relief montagneux: là où celui-ci disparaît comme en Libye et dans la presqu'île du Sinaï, le climat subdésertique se fait sentir jusqu'à la mer (GAUSSEN, 1985). De ce fait, la végé- tation de montagne occupe, dans l'étude du domaine médi- terranéen, une place privilégiée. Cet espace montagnard est un assemblage de versants que différencient leur dévelop- pement, leur pente, leur exposition. Ces caractéristiques conduisent tout naturellement à faire intervenir en monta- gne plusieurs facteurs écologiques dans la différenciation des groupements végétaux; l'altitude en est cependant une clé importante. Mais l'altitude en elle-même n'a aucune action propre; elle traduit une réaction à la raréfaction de l'air réduisant le rôle de frein thermique que joue l'at- mosphère, d'où une diminution de la pression suivant une loi exponentielle décroissante. Il en résulte une diminution des températures, une augmentation de l'insolation, un accroissement des hauteurs de pluie et de la couverture
nivale, des modifications dans l'éclairement. .. qui ont sur la végétation des effets directs.
Les caractères généraux du climat de montagne sont donc liés à l'altitude et au modelé topographique. En effet ce climat est parfaitement individualisé partout où l'altitu- de modifie fortement les divers éléments climatiques cités plus haut, partout où le volume orographique, par son épais- seur et son dénivelé, change les modalités de la circulation (ROUGERIE, 1962 et 1990; Escomwu, 1981; VIGNEAU, 2000; WHITEMAN, 2000 ).
Ainsi, les montagnes apparaissent partout comme des îlots plus froids que les espaces connexes, d'où le concept d'orosystème proposé par P. ÜZENDA (2002).
Dans tous les cas les dénivellations introduisent un effet d'altitude provoquant un gradient climatique (PÉGUY, 1969;
PEYRE, 1978; DOUGUEDROIT, 1984 et 1986, RliANEM, 1985 et 2008) d'autant plus énergique que l'ampleur des dénivel- lations est importante sur une faible distante. Ce gradient, quant à lui, est constitué de deux composantes: un gradient de refroidissement se produit par suite de la raréfaction pro- gressive de la pression atmosphérique et une augmentation des précipitations qui est toujours une fonction croissante de l'altitude dans les régions tempérées, notamment dans la région méditerranéenne. De plus, la combinaison de ces deux mécanismes détermine un nouveau facteur, lui-même croissant avec l'altitude: l'existence d'un manteau neigeux dont le rôle comme régulateur thermique et comme réserve d'eau est capital. Retenons enfin, qu'à mesure que l'on s'é-
....
Fig. 1 - Positionnement des montagnes du Moyen et du Haut Atlas (Maroc) par rapport aux principaux reliefs bordant la Méditerranée et dont la végétation appartient en tout ou en partie au domaine méditerranéen. Echelle: 1120000000.
lève en montagne, la saison de végétation se réduit en lon- gueur, mais aussi s'atténue en intensité, ce qui limite la mise en place de formations arborescentes ou arborées (l'arbre ne pouvant plus produire du bois pendant une aussi courte période végétative). Cette limite supérieure des arbres (« timberline »)est due à des causes écophysiologiques dont on trouve un exposé détaillé dans TRANQUCLLTNl ( 1979); on se reportera aussi à GRJGGS (1946), WARDLE (1971et1974), HOLTMEIER (1973), TROLL (1973), DOLUKHANOV (1978), MULLENBACH (1982) et ÜZENDA ( 1985). La conjugaison de ces divers gradients aboutit à une véritable gradation des conditions climatiques différentes du bas au sommet des montagnes.
Certes, le relief agit écologiquement par d'autres méca- nismes: exposition des versants, érosion, effet d'écran (les fronts montagneux exercent un effet de blocage sur les mas- ses d'air humides) et d'une manière générale par tous les facteurs liés à la topographie. Néanmoins, le gradient cli- matique altitudinàl reste le fait prédominant. Mais c'est sur- tout la diminution de la température qui est, du point de vue écologique, le fait le plus net et le plus important; le froid en constitue l'élément climatique le plus sensible dont les effets, directs ou indirects, sont les plus décisifs. En effet le trait capital qui unit toutes les montagnes, sous quelque lati- tude qu'on se trouve, est le froid plus ou moins intense et plus ou moins persistant (EMBERGER, 1961-1962). Ce der- nier impose sa marque brutale sur la végétation qui se struc- ture en niveaux superposées et échelonnées le long des ver- sants, appelées « étages de végétation » et qui se succèdent dans un ordre déterminé, de bas en haut; ie terme étage signifiant ici degré ou échelon. Cet étagement est souvent matérialisé, rendu bien visible, par une succession altitudi- nale de divers arbres et de différents groupements écomor- phologiques.
Nous pouvons dire alors en définitif que la disposition de la végétation de montagne en étages superposés est due essentiellement à la diminution de la température avec l'al- titude. Il en est de même pour l'étagement aussi bien des formes biologiques sensu Raunkiaer surtout lorsque les variations du milieu sont assez fortes (ROMANE, 1987), que
des formes de relief (CAILLEUX & al., 1962; COUVREUR, 1973; RAYNAL, 1977 et 1978; DRESCH, 1984; CHARDON, 1984 et 1989; ETLICHER, 1988). La diminution de la tempé- rature est donc la cause essentielle de l'étagement aussi bien phytogéographique que morphologique.
Mais suivant les régions le climat varie différemment et plus ou moins rapidement; si bien qu'il existe une grande variété de gradients climatiques. Ceci est particulièrement net en montagne où la variation des gradients climatiques est plus ou moins importante suivant l'importance du dénivelé du ver- sant. Ceci a fait dire à PEYRE (1975), à juste titre, que l'étage de végétation est une entité de largeur variable dépendant de la vitesse de variation des gradients climatiques.
Nous n'insisterons pas davantage, laissant en particulier de côté toutes les questions théoriques pour lesquelles on se reportera notamment aux mises au point de ÜZENDA ( 1970, 1974 et 1975) et de QUEZEL (1976). En effet la notion d'é- tage de végétation a été largement abordée dans différents travaux. Nous ne ferons ici que rappeler brièvement, de notre point de vue, les éléments essentiels et les étapes majeurs de la méthodologie retenue, accompagnés de réfé- rences bibliographiques auxquelles on pourra se reporter pour préciser certains points théoriques ou pratiques. Il est à signaler que seules ont été citées les publications qui inter- viennent directement dans les discussions des problèmes évoqués en essayant d'être aussi complet que possible en ce qui concerne les travaux biogéographiques publiés sur la région méditerranéenne et plus particulièrement sur le Maroc.
Dans le présent article, après avoir rappelé quelques aspects méthodologiques de l'étagement de la végétation tel qu'il est admis actuellement dans les pays du Maghreb, nous essaierons, en nous appuyant sur les données actuelles de nos connaissances, de donner dans une première partie un aper- çu des critères climatiques retenus habituellement pour le découpage des étages de végétation puis nous proposerons des critères supplémentaires. Dans une seconde partie, nous passerons en revue les principaux facteurs topoclimatiques qui interviennent d'une part dans l'étagement de la végéta- tion ainsi que dans la variation altitudinale des limites d'é-
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Figure 2 - localisation géographique des stations prises comme exemple (indiquées par des points noirs). A- situation générale des stations. B- place dans le système atlasique du centre du Maroc.
tages, et d'autre part dans l'élaboration et l'individualisation des structures de végétation qui leur sont inféodées. Ces situations sont illustrées par quelques exemples choisis dans les montagnes du Moyen et du Haut Atlas (Fig. 2).
1. ETAGE DE VÉGÉTATION: DE QUOI s' AGIT-IL AU JUSTE?
1.1-Bref rappel historique
Il y'a déjà maintenant un siècle que les premières défini- tions de la notion d'étage de végétation ont vu le jour. Nous
en retiendrons deux qui nous semblent parmi les plus expli- cites et les plus claires, mais aussi les plus appropriées avec le thème abordé. En 1908, L. Adamovic a précisé que les étages de végétation expriment la« répartition de la végéta- tion sur le flanc des montagnes (qui) est l'expression biolo- gique des conditions qui règnent localement sous l'influen- ce de l'altitude ». Pour leur part FLAHAULT & ScHRôTER
(1910), définissent les étages de végétation comme les uni- tés de végétation qui se superposent dans les montagnes.
Dans ces deux conventions, le critère de verticalité y est sous-jacent et occupe une place de premier ordre. Mais 185
depuis ces premières définitions et terminologies établies pour qu'un langage scientifique unifié explicite sans ambi- guïtés le sens du mot étage, des confusions et des impréci- sions subsistent encore au niveau des concepts, rendant la comparaison difficile entre les travaux publiés par des auteurs différents, notamment à propos des notions d'étage de végétation et d'étage bioclimatique qui ne sont pas tou- jours claires; ces expressions étant parfois employées de façon équivoque l'une à la place de l'autre, surtout depuis qu'EMBERGER (1930 a) a proposé le quotient pluviother- mique (Q2). D'ailleurs, EMBERGER (1930b), lui-même, emploie les deux qualificatifs pour le mot « étage » dans un sens comme dans l'autre. Le résultat est que l'expression étage de végétation est employé trop souvent à tort et à tra- vers et qu'il apparaît à beaucoup comme ambigu et vague.
En fait ce n'est que quelques années plu tard, précisément en 1936, qu'Emberger,lui-même, dans son article sur les
« remarques critiques sur les étages de végétation dans les montagnes marocaines », avançait une opinion peu diffé- rente en distinguant les deux expressions citées plus haut avec pour chacune d'elles un sens bien précis:
d'une part l'étage indique simplement la succession alti- tudinale des ceintures de végétation; dans ces conditions la notion d'étage est un concept spatial purement géo- métrique qui est lié à une tranche d'altitude et qui n'a qu'une valeur descriptive et régionale. On trouve une telle conception dans les travaux de MAIRE (1924) et HUMBERT (1924) consacrés à la végétation du Haut Atlas;
d'autre part l'étage est l'expression d'un climat; dans ce cas il a un sens général et réunit des groupements végé- taux vivants dans des conditions de milieu sensiblement identiques. Compris ainsi, l'étage est donc un principe de classification rationnelle ayant une valeur scienti- fique précise. La notion d'étage est ici complètement dégagée de tout facteur altitudinal. Sa définition est uni- quement climatique mais son expression est dans la végétation; il est la « réplique biologique du climat » (EMBERGER, 1939).
1.2- Pourquoi donner une place privilégiée à /'organisation de la végétation en étages ?
Il y a à cela plusieurs raisons:
l'étage de végétation est une division de premier ordre qui s'impose de manière assez évidente, surtout en mon- tagne à forte dénivellation, parce qu'elle est liée au gra- dient thermique, fondamental en montagne;
comme toute classification, l'étage est une coupure com- mode qui aide à mettre un peu d'ordre dans la séquence altitudinale d'une végétation;
les étages sont rendus apparent par une succession verti- cale d'espèces qui s'organisent en groupements fores- tiers, préforestiers, présteppiques et steppiques caracté- ristiques, cette succession est reconnaissablei et analogue d'une chaîne à l'autre;
cette échelle-étalon permet des comparaisons rationnel- les entre pays.
la notion d'étage est un modèle précieux aussi bien pour aborder l'étude de la montagne que pour exprimer une synthèse;
cette échelle-référence constitue des repères qui ont l'a- vantage de détecter ou de préciser, de la seule lecture de l'étagement de la végétation, les changements d'allure
des gradients climatiques, leur accélération lorsque les espèces se renouvellent rapidement le long des axes cli- matiques et leur ralentissement dans le cas contraire. les étages de végétation rendent compte de ces variations climatiques en dessinant, sur le terrain, un canevas beau- coup plus fin que celui de n'importe quel réseau des pos- tes météorologiques.
cette typologie est d'une utilisation courante à l'occasion d'opérations de descriptions-inventaires.
1.3- Comment occuper les étages ?
En toute rigueur, pour être parfaitement précis, il faut cerner les étages couverts non pas par les espèces végétales
· prises isolément mais plutôt par des ensembles de composi- tion sensiblement constante. Ainsi une espèce donnée peut, par individus isolés ou par petits groupes formés d'individus réunis en taches plus ou moins importantes, révélateurs de microstations favorables à l'espèce en question, vivre hors de son étage optimal. Elle n'indique pas pour autant l'éco- climat moyen de l'étage. D'un autre côté, elle peut ne reflé- ter que des conditions écoclimatiques passées. Ainsi la pré- sence d'une espèce « méditerranéenne » sous climat atlan- tique ou continental risque d'être seulement la trace d'une migration ancienne; dans ce cas, l'espèce n'indique pas tou- jours une variante climatique locale. Au contraire, un type de végétation méditerranéen avec son cortège d'espèces caractéristiques signifie que le milieu est sec en été.
Il est donc recommandé, pour caractériser correctement les étages du point de vue biologique, de prendre en comp- te une distinction fondamentale: la flore (c'est-à-dire les espèces présentes dans une fraction de territoire) est moins sensible aux caractères du milieu que la végétation ( caracté- risée par les espèces dominantes et par les structures visibles dans le paysage). Aussi la typologie qui sera adoptée, quelque soit la nomenclature utilisée, doit-elle être basée sur la considération des groupements végétaux et cela pour les deux motifs suivants:
La végétation est l'effet du milieu, elle constitue le meilleur réactif, en particulier du climat; elle est un fait écologique;
La flore est l'effet de la phylogenèse; elle est un fait his- torique.
Un même milieu produit toujours le même type de végé- tation, laquelle peut être exprimée par des flores différentes, suivant les vicissitudes historiques de la flore considérée.
Les flores étant différentes, le dénominateur commun qui permet de définir rationnellement l'étage de végétation est donc, avant tout, climatique, c'est-à-dire écologique.
1.4- Choix de /'échelle de caractérisation climatique Chaque étage de végétation a une extension spatiale: il a des dimensions caractéristiques qui peuvent du reste varier selon les facteurs locaux du climat. L'analyse de ces der- niers, encore appelés topoclimats, s'avère d'une extrême importance, surtout en montagne: il s'agit essentiellement de variations locales provoquées par la situation topogra- phique du site étudié dans son environnement, comme GEIGER (1965 et 1969) l'avais bien mis en évidence.
Ainsi, les versants d'un massif montagneux ou d'une vallée jouiront d'un climat différent, selon leur exposition par rapport au soleil, le régime des vents humides à chaque saison, et donc aussi aux pluies. Des écarts de plusieurs degrés de températures extrêmes, des différences de plu-
sieurs dizaines de millimètres de pluies, mais aussi des fré- quences d'orages bien distinctes, pourront être observées.
Des différences très importantes existeront aussi entre un fond de vallée et un sommet. De plus il est possible de faire jouer des lois climatologiques classiques (cf. deuxième par- tie) liées à l'altitude, à l'inclinaison des pentes, aux opposi- tions d'expositions à la fois au soleil et au vent humide per- mettant de pallier l'insuffisance des données numériques du climat que l'on rencontre souvent en montagne.
Aussi, le topoclimat semble être l'échelle d'espace la plus appropriée pour rendre compte de l'étagement de la végétation et de la variation du climat comme nous l'avons montré dans une récente étude (RHANEM, 2008b ); sa dimen- sion caractéristique est de l'ordre du kilomètre carré ( CHOISNEL & SEGUIN, 1986; LEBOURGEOIS, 2002; PARCEVAUX
& HUBER, 2007), mais peut descendre à 1 OO mètres (PAUL,
1997), mais peut descendre à quelques centaines de mètres.
Il en découle une véritable mosaïque de topoclimats, qui se différencient les uns des autres par suite de leur altitude, de leur exposition au soleil, de leur orientation au vent porteur d'humidité et de la déclivité de la pente. Ce sont là les prin- cipales causes qui modifient localement la température, les précipitations, l'insolation, l'humidité relative, l'évapora- tion, la nébulosité, la fréquence des brouillards et des ora- ges, et enfin le vent en créant même parfois des mouve- ments d'air locaux (GEIGER, 1965 et 1969; FLOHN, 1969).
2. LES CRITÈRES DE DÉLIMITATION
Les plantes se répartissent naturellement en fonction de leurs exigences et leur sensibilité en matière de gelée, de sécheresse, de photopériodisme etc. de telle sorte chaque espèce végétale se localise entre les altitudes extrêmes qui correspondent aux limites de température compatibles avec sa physiologie. Il ne s'agit évidemment pas de limites linéai- res rigides mais plutôt de bandes. Néanmoins certaines limi- tes climatiques sont franches, par exemple, quand on passe d'un piémont au versant (celle-ci est d'autant plus marquée que la rupture de pente a été grande) ou d'un versant à un autre d'une chaîne de montagne, mais ce sont des cas excep- tionnels.
Sans entrer dans les détails de ces discussions et si l'on s'en tient compte aux résultats, nous avons été amené à ne retenir comme mode de délimitation utilisé habituellement jusqu'à ce jour pour les régions montagneuses méditerra- néennes que deux types majeurs représentés soit par des échelles biologiques combinant végétation, pluviosité et température (critère synthétique), soit par des mesures pure- ment physiques sur la base de paramètres climatiques sim- ples d'efficacité reconnue. Ils expriment, en effet, de façon direct ou indirect deux facteurs limitants fondamentaux: les contraintes hydriques auxquelles sont soumis les plantes, et les contraintes thermiques plus particulièrement celles liées au froid. Ces deux types de contraintes rendent compte en effet de la distribution des plantes et de leur potentiel pro- ductif. Ces indices sont utilisés à diverses échelles de temps, généralement le mois ou l'année.
Cependant, tout en adoptant le même mode de découpa- ge, il s'est avéré utile de prendre en compte d'autres indica- teurs thermiques liés essentiellement à la saison froide (hiver) qui ont montré leur efficacité dans la distribution des
plantes. Les températures hivernales constituent en effet un facteur écologique significatif.
Enfin, nous n'avons pas cru devoir retenir les tempéra- tures estivales comme critère de classification car en mon- tagne, elles ne semblent pas constituer un facteur limitant pour le développement de la végétation spontanée; elles sont partout suffisantes.
2.1- Quotient pluviothermique d 'Emberger
Dans son travail sur la végétation du Maroc, EMBERGER (1939) adopte la deuxième conception et caractérise l'étage de végétation par une expression synthétique représentée par son quotient pluviothermique portant d'ailleurs son nom. Enfin îl est peut être également utile de signaler qu'EMBERGER (1930, 1936, 1939,1955 et 1964) a individua- lisé au Maroc, puis dans toute la région méditerranéenne, divers types de bioclimats appelés par extension « étages bioclimatiques » encore appelés zones bioclimatiques défi- nis à la fois par des critères écologiques et la structure de la végétation. Cependant cette notion d' « étage bioclimatique» peut prêter à confusion puisqu'elle implique implicitement en son sein la notion de zone. On n'en fera donc pas usage dans cette article. Rappelons que le terme zone désigne purement une portion du globe limitée par des parallèles. Les développements apportés par ces successeurs (SAUVAGE, 1963a et b; DAGET, 1977a et b, 1980; DAGET &
DAVID, 1982) n'ont guère varié leur conception, et il s'agit essentiellement rappelons le, de six bioclimats perhumide, humide, subhumide, semi-aride, aride et saharien. Les éche- lons ou qualificatifs ombriques sont basés sur les principa- les discontinuités qui existent dans les structures de végéta- tion là où l'on trouve un net changement de végétation. Les divers climats y sont donc délimités à l'aide de critères bio- logiques.
2.2- La température moyenne annuelle
Ultérieurement, ÜZENDA (1955) opte plutôt pour la tem- pérature moyenne annuelle prise isolément et que l'on retro- uve dans la plupart des schémas proposés pour la région méditerranéenne septentrionale où le gradient de températu- re moyenne annuelle est considéré comme le facteur déter- minant dans la succession verticale des étages de végétation.
En effet, selon ÜZENDA (1985 et 1990), «la température est le seul facteur écologique qui varie à la fois en fonction de la latitude d'une manière simple, univoque et parallèle ».
Mais ce n'est qu'à partir de 197 5 que sont apparues les pre- mières interprétations de l'étagement de la végétation dans les montagnes méridionales du bassin circumméditerranéen et plus particulièrement des pays du Maghreb (ÜZENDA, 1975; PEYRE, 1975 et 1979; QUEZEL, 1976) sans donner tou- tefois des valeurs précises aux tranches thermiques.
2.3- Les températures minimales
Il n'est pas inutile de s'attarder sur ce critère dont dépend en grande partie la vie et la survie des plantes en montagne.
2.3.1- La plante et le gel
Tout un chacun sait que les basses températures règlent l'activité photosynthétique el la croissance des arbres, et il existe pour chaque essence, un seuil de basse température qui, s'il se maintient un certain temps, entraîne la mort de la plante. Celle est d'autant plus aisément tuée qu'elle est plus jeune et qu'elle se trouve dans une station à risque. Les 187
plantes se développent entre des limites thermiques très variables; certaines espèces tolèrent des températures basses tandis que d'autres y sont très sensibles.
A l'échelle du globe on estime généralement que les plantes se développent lorsque la température moyenne annuelle atteint ou dépasse 5°C; ce qui correspond à des minima moyens de l'ordre de 0°C (LE HouÉROU, 1989).Mais il y a une grande différence entre les espèces quant à la tolérance au froid. Ainsi par exemple en zone méditerranéenne, certaines espèces tels que les xérophytes épineux en coussinets des steppes pulvinées se développent dans des niveaux où le gel sévit pendant plus de 6 mois par an tandis que d'autres espèces, telles les euphorbes cactoï- des, ne peuvent tolérer le moindre gel (LE HoUÉROU, 1989).
A l'échelle du versant l'augmentation avec l'altitude de la durée des périodes de gel (ou du risque de gel à une époque donnée) est donc une autre expression des mêmes conditions. Ces perturbations thermiques accidentelles interviennent comme facteur de répartition dans la mesure où elles sont capables, en dépit d'une action de faible durée, d'influer, en effectuant une sélection, la distribution altitu- dinale de certaines espèces (Pmos, 1959 et 1962).
Cependant, les gelées précoces ne sont dangereuses que pour les essences dont l'activité se prolonge à l'automne;
c'est le cas des jeunes pousses insuffisamment aoûtées.
Alors que la sensibilité des essences aux gelées de prin- temps est proportionnelle à la tardiveté du débourrement (DOLL, 1992): bien des espèces s'accommodent d'une moyenne annuelle médiocre, ou d'un long froid hivernal, mais sont par contre éliminées par les irrégularités ou les sautes de la température printanière (gelées tardives). Les arbres, surtout leurs pousses, sont ainsi, par exemple, très sensibles au gel au début de la période de végétation. D'une manière générale, les dommages causés aux arbres sont plus nocifs lorsque la végétation est en activité, mais cela dépend aussi des degrés de sensibilité des espèces ligneuses.
C'est ce qui se produit par exemple à la limite supérieu- re des arbres, dans la zone de combat, où les gels tardifs pro- voquent leur rabougrissement. En effet, chaque année les pousses sont gelées, les bourgeons adventifs, ou secondaires en forment de nouvelles. Le résultat est une intense ramifi- cation des branches, déjà courtes du fait des conditions dif- ficiles de croissance, et un faciès rabougri (LENZ, 1967).
De la même façon, la destruction de la flèche sous l 'ef- fet du gel est une des explications données à l'observation extrêmement courante d'arbres présentant plusieurs troncs dont le départ se situe assez près du sol ou à la mi-hauteur (MULLENBACH, 1982). C'est ce qui pourrait éventuellement expliquer l'aspect multicaule du tronc du Thurifère (Juniperus thurifera L.) dans quelques stations du Moyen et du Haut Atlas.
Cependant parmi les conséquences le plus couramment rencontré universellement dues à l'augmentation en intensi- té et en durée des froids excessifs avec l'altitude, c'est celle que l'on observe à la lisière supérieure de la forêt; elle se manifeste par la diminution simultanée de la densité du peu- plement arboré et de la taille des arbres. Elle commence par devenir discontinue, forme une mosaïque de parcelles boi- sées et de parcelles asylvatiques (paysage préforestier); un peu plus haut les parties boisées se résolvent en îlots sépa- rés par des parcelles de steppes à xérophytes épineux beau- coup plus grandes (paysage présteppique ). A ce niveau les 188
arbres présentent un aspect chétif ou tourmenté et des adap- tations morphologiques très importantes. La tranche d'alti- tude qui correspond à l'intervalle entre la forêt continue, en bas, et les derniers arbres, en haut, est appelée « zone de combat»: l'arbre y lutte dans la partie inférieure pour l'oc- cupation de l'espace, puis plus haut pour sa simple survie.
Cette tranche altitudinale est ordinairement de l'ordre de 150 m à 200 m dans les montagnes du Moyen et du Haut Atlas. De plus elle est irrégulière et peut osciller entre 2400 et 2700 m, les mésoexpositions est-ouest, la forme topogra- phique et les variations édaphiques créent des contrastes intenses qui se traduisent par des limites en dents de scie.
Mais l'altitude n'est pas toujours le facteur mis en cause, la topographie joue un rôle non négligeable; il existe en effet des formes plus sujettes aux fortes gelées que d'autres comme des cuvettes menacées en permanence. Ces « trous à gel » correspondent à des dépressions d'inversion ther- mique qui peuvent même être à l'origine de l'asylvatisme des bas-fonds.
2.3.2-Le froid et le degré de rigueur de l'hiver
Partant de ces principes, ACHHAL & al. (1980) utilisent la même approche écoclimatique que celle décrite plus haut mais adoptent, non sans quelques réserves, cet indicateur thermique hivernal en affectant cette fois à chaque étage des seuils chiffrés aux fourchettes thermiques retenues, il s'agit de la moyenne des minima quotidiens du mois le plus froid sensu Emerger(« m »).Ce dernier constitue un élément cli- matique majeur en montagne. En effet cet indicateur, utilisé par Emberger et son école, se révèle beaucoup plus sensible et précis que la température moyenne annuelle. Il arrive, par exemple, que des moyennes identiques peuvent recouvrir des réalités bien différentes pour la végétation naturelle. Il a, en outre, l'avantage d'exprimer « le degré et la durée de la période critique de gelée » (EMBERGER, 1971) ou son inver- se, la longueur potentielle de la saison de croissance.
Autrement dit il rend compte des conditions thermiques limites et, classiquement, les auteurs parmi lesquels Le HoUÉROU (1989 et 1990), LE HOUÉROU et al. (1977) et RlvAs-MARTINEZ (1982) établissent une corrélation entre
« m »et le nombre de jours de gelée par an en adoptant dif- férents seuils dont Daget ( 1977 b) en donne un aperçu géné- ral et qui ne traduisent d'autre que le gradient de rigueur ou de douceur hivernal, selon qu'on s'élève ou on descend en altitude. Notons en passant que l'isotherme m=7°C cor- respond, en Afrique du Nord, à l'absence de gel sous abri et qu'à partir de l'isotherme m=3°C on note l'apparition d'espèces liées au froid (Le Houérou 1990).
2. 4-Autres paramètres climatiques
Le « m » n'est cependant pas toujours un critère suffi- sant de discrimination pour rendre compte des faits biolo- giques et biogéographiques; il n'est, par exemple, détermi- nant sous certains écoclimats (PEYRE, 1978). Ceux-ci peu- vent aussi dépendre d'autres paramètres climatiques hiver- naux, parmi lesquels on peut citer:
La moyenne des maxima quotidiens du mois le plus froid et les maxima absolus mensuels sont étroitement corrélés à l' évapotranspiration et à l'aptitude des plantes à se développer lorsque les journées sont chaudes et ensoleillées, même lorsque les nuits sont froides. Leur action peut s'expliquer de façon suivante: La végétation
supporte d'autant mieux des basses températures que celles-ci agissent pendant un temps plus court. Ainsi entre deux stations ayant les mêmes minima nocturnes, la station la plus clémente sera celle où le réchauffement diurne sera le plus important. Autrement dit ces deux indicateurs thermiques rendent compte du déficit de cha- leur.
Les minima absolus: si la moyenne des minima quoti- diens du mois le plus froid est alors une indication pré- cieuse, il sera utile de lui ajouter l'observation du mini- ma absolu. Ce dernier critère rend compte beaucoup plus du déficit de chaleur. En effet la cause de l'absence d'une quelconque plante spontanée peut être due aux très basses températures mais aussi à leur fréquence.
Certaines espèces peuvent en effet germer, croître et pro- spérer en un lieu donné pendant un certain nombre d'an- nées, puis des conditions climatiques exceptionnelles peuvent provoquer leur destruction. Aussi, les valeurs moyennes des facteurs du climat ne doivent pas seules être prises en considération pour l'établissement des limites: dans certaines conjonctures, ces dernières doi- vent être corrigées en tenant compte des minima et maxima absolus hivernaux.
L'amplitude thermique moyenne du mois le plus froid:
l'amplitude thermique est un critère climatique souvent sous-estimé; il revêt cependant un importance considé- rable dont voici quelques faits. Elle peut en effet donner des indications sur certains éléments qui n'ont même pas
été mesurés, ce qui constitue un apport de plus qui peut contribuer à la caractérisation des étages de végétation.
Ainsi un écart important entre les maxima et les minima signifie que le ciel a été clair et la rayonnement intense.
On en déduira que les températures réellement atteintes par les végétaux durant la nuit ont été, par suite au rayonnement infrarouge, de deux ou trois degrés infé- rieurs à la température minimale de l'air. C'est égale- ment à ce type de temps peu nuageux que correspondent, la nuit et selon la situation topographique, des écarts de température importants. La forte amplitude thermique signifiera aussi que l'humidité relative s'est notablement abaissée durant le jour et que le pouvoir évaporant de l'air a été élevé. Au contraire les faibles amplitudes de température traduiront un faible ensoleillement le jour, un refroidissement nocturne atténué du fait de la nébulo- sité, une humidité relative constamment élevée et une évapotranspiration faible.
La moyenne des températures du mois le plus froid: cet indicateur est également représentatif du bilan calori- fique de la station; il a en outre l'avantage d'intégrer à la fois les minima et les maxima du mois le plus froid.
L' évapotranspiration potentielle
On peut obtenir une approximation de l' évapotranspira- tion potentielle en intégrant l'effet de quatre paramètres:
température, humidité relative, durée d'insolation et vitesse du vent. On dispose pour cela de plusieurs for-
Tableau 1 - Nomenclature des étages de végétation méditerranéens et équivalences entre étages thermiques au sens d'Ozenda (1975) et de Quezel (1976 et 1979), et variantes thermiques d'Emberger (Akman et Daget, 1971) modifiées par Peyre (1979).
1 d d . 1 1 f "d
m est a moyenne es rrumma u m01s e p us roi .
Dénomination de l'étage de végétation sensu Quezel et seuils Limites thermiques Nomenclature
thermiques correspondants modifiées sensu Emberger
Culmina] m<-15°C Glacial
Oro méditerranéen Supérieur -15<m<-12°C
-20<m<-6°C Moyen -12<m<-9°C Extrêmement froid
Inférieur -9<m<-6°C
Montagnard méditerranéen -6<m<-3°C Très froid
-6<m<-3°C
Méditerranéen supérieur et supra-méditerranéen -3<m<0°C Froid
-3<m<0°C
Mésoméditerranéen 0<m<3°C Frais
0<m<3°C
Thermoméditerranéen Supérieur 3<m<7°C Tempéré
m>3°C Moyen 7<m<l0°C Chaud
Inférieur m>lO Très chaud
Tableau 2 - Nomenclature des étages et successions altitudinales de végétation correspondantes sous bioclimats humide et subhurnide dans le Haut Atlas marocain (d'après Achhal et al., 1980). Les altitudes indiquées sont naturellement approximatives et peuvent varier suivant les massifs et les interprétation des limites.
T est a temperature moyenne annue 1 ' 1
Altitude (mètres) Etage de végétation Espèces dominantes (ou types biologiques)- T (OC) groupements phytosociologiques
2600 Oroméditerranéen inférieur Genévriers arborescents- xérophytes <4
épineux (Erinacetalia)
1800 Montagnard méditerranéen Conifères montagnards (Cèdre, pin noir, 4<T<8 Sapin du Maroc, etc.)-Querco-cedretalia et Quercetea ilisis
1200 Méditerranéen supérieur et Supra- Forêts sclérophylles et forêts caducifoliées 8<T<12
méditerranéen (Quercetea pubescentis)
600 Mésoméditerranéen Chênes sclérophylles (Quercetalia ilisis) 12<T<16
0 Thermoméditerranéen Caroubier, Olivier, Lentisque, Conifères >16
médi teiranéens (Pi staci o-Rhamnetalia)
189
mules dont N.G. DASTANE (1977) en a fait une énuméra- tion complète.
3. TERMINOLOGIE, SEUILS ET VALEURS DISCRIMINATOIRES L'étage est ainsi repéré par référence à l'échelle soit de la température moyenne annuelle, soit à celle de la moyen- ne des minima du mois le plus froid et non plus par rapport à l'altitude (tableaux 1 et 2). Chaque étage a ainsi été déli- mité par un intervalle de température dont les valeurs de l' é- chelle thermique ont été obtenues par une analyse à poste- riori des faits, c'est-à-dire en essayant de les justifier par la diversité que l'on observe dans la nature. En outre chaque étage de végétation représente non seulement des intervalles thermiques mais encore un certain nombre de groupements végétaux échelonnés verticalement. Les tableaux 2 et 3 résument les divisions retenues et les princpaux types végé- taux qui leur appartiennet. La séquence adoptée dans les pays d'Afrique du Nord, et plus particulièrement au Maroc où cette échelle de référence est la plus complète, compte cinq étages altitudinaux dans une montagne suffisamment élevée. Parfois certains auteurs tel que BENABID (1982) y ajoutent un sixième étage connu sous l'appellation d'étage inframéditerranéen, que l'on considère généralement comme une subdivision de l'étage thermoméditerranéen. A l'intérieur de chaque étage, les groupements végétaux s'or- donnent en différents écosystèmes, fonction de facteurs de second rang, les uns d'ordre climatique comme les pluies et les neiges, les autres édaphiques.
Pour ce qui est de la dénomination des étages de végéta- tion méditerranéens, ÜZENDA (1975) a proposé une nomen- clature propre aux étages d'une montagne méditerranéenne que QuEZEL ( 197 6) a en grande partie adoptée et qu'il a ensuite adapté au bassin méditerranéen occidental (QUEZEL 1979 et 1980), nous la reprendrons presque exactement en tenant compte des légères modifications apportées par Achhal et al. pour les pays du Maghreb. Les limites retenues sont d'une part celles de la température moyenne annuelle, et d'autre part celles des variantes thermiques définies par Emberger à propos des« étages bioclimatiques» (voir infra) complétées par AKMAN & DAGET (1971). La comparaison des divisions, la séquence des qualificatifs et des seuils cor- respondants se présente alors, en commençant par les altitu- des les plus élevées, sous la forme ci-après (tableau 1).
Il convient de rappeler que l'amplitude moyenne d'un étage varie entre 600 et 800 mètres (l'amplitude moyenne d'un étage étant, elle, de 700 mètres en moyenne) et que dans chaque étage de végétation on peut reconnaître géné- ralement trois niveaux, nommé supérieur, moyen et infé- rieur, et qui en représentent les sous-étages chaud, moyen et froid. La fourchette de température dans laquelle chacun se développe est de l'ordre de 4 °C pour la températures moyenne annuelle; et lorsqu'un étage est bien caractérisé
par une espèce climacique dominante, on peut donc en pre- mière approximation penser que cette espèce a elle-même une amplitude écologique de± 2°C par rapport à son opti- mum. Il est à signaler que cette fourchette n'est plus que de 3°C pour le« m ».
Gardons en mémoire que les seuils altitudinaux repré- sentent des limites moyennes d'étages, étant entendu que ces différentes valeurs discriminatoires varient notablement en fonction de la latitude, mais aussi des critères topogra- phiques, de l'exposition au rayonnement solaire et de l'o- rientation par rapport au vent humide.
Il découle de ce qui précède que c'est donc l'écologie qui fait et qui définit l'étage, toutes disciplines confondues;
c'est elle qui est une constante d'un même étage d'une mon- tagne à l'autre, ce n'est pas l'altitude (ÜZENDA, 1975 et 1989). Ce qui fait qu'en fin de compte, les étages de végé- tation ne sont que des ensembles structurés de groupements végétaux précis réunis par une affinité écologique ( essen- tiellement thermique) dans une même tranche d'altitude.
Ainsi définie, la notion d'étage cesse d'être un simple concept physionomique ou géomorphologique lié à une tranche altitudinale donnée a priori, et acquiert au contraire un contenu biologique précis se présentant comme un com- plexe d'écosystèmes lié à des conditions mésologiques déterminées (ÜZENDA 1978 et 1985).
Il convient encore de souligner qu'à l'origine, la termi- nologie des étages a été établie initialement dans les Alpes suisses (de bas en haut Collinéen, Montagnard, Subalpin, Alpin, Nival) que l'on a ensuite étendue à l'ensemble des montagnes européennes. Il est à signaler cependant que MAIRE (1924) et HUMBERT (1924) ont utilisé au Maroc une succession identique dans leurs travaux phytogéographiques sur le Haut Atlas. Dans ce cas, la notion d'étage est prise ici uniquement dans un sens topographique ou hypsométrique.
Il est bien évident que dans ce travail, nous retiendrons les critères qui ont été le plus généralement utilisés; ainsi nous réserverons l'expression « étage de végétation » à l' é- chelonnement vertical sur les volumes montagneux d'unités de végétation répondant à une variation thermique du m;
cette entité climatique ayant ses caractères propres indépen- damment de l'altitude, et celui de« bioclimat »à la succes- sion aussi bien altitudina1e que latitudinale des hauteurs plu- viométriques dont les valeurs critiques (ou seuils) de P per- mettant les subdivisions à l'intérieur de chaque étage ont été choisies en fonction de critères climatiques, phytogéogra- phiques et agronomiques, et c'est surtout en fonction de la concordance de ces considérations que cette classification prend une valeur réellement bioclimatique et écoclimatique . En effet on a souvent utilisé la valeur de P (moyenne des précipitations) à la place du coefficient Q2 d'Emberger suivant en cela l'idée de simplification préconi- sée initialement par STEWART (1975). Il doit rester entendu que les tranches de pluviosité correspondent à des classes du
Tableau 3 - Dénomination des étages et successions altitudinales de végétation correspondantes sous bioclimat semi-aride (D'après Quezel, 1976; Barbero et Quezel, 1981et1984)
Etage de végétation Essences dominantes
Oro méditerranéen Juniperus thurifera pur (Ephedro-iuniperetalia)
Montagnard méditerranéen présteppique Juniperus thurifera - Quercus ilex
Méditerranéen supérieur présteppique Juniperus phoenicea - Juniperus oxycedrus Quercus ilex Mésoméditerranéen présteppique Juniverus phoenicea - Juniperus oxycedrus - Evhedra Thermoméditerranéen présteppique supérieur Tetraclinaies des Pistacio-Rhamnetalia à Juniperus oxycedrus 190
Tableau 4 - Correspondance entre le Q2 et les classes de pluviosité La fiabilité des intervalles pour ces indices peut être établie avec plus ou moins 50 mm annuels pour Pet plus ou moins 1°C pour m (Rivas-Martinez, 1981).
Bioclimat Coefficient d'Emberger (Q2) Précipitations (Pen mm)
Saharien Q2<15
Aride 15<Q2<25
Semi-aride 25<Q2<50
Sub-humide 50<Q2<90
Humide Q2>90
coefficient pluviothermique d'Emberger sur la base de la proportionnalité établie par Le Houérou (1971) modifiée par
DONADIEU (1977) et PEYRE (1979) (voir Tableau 4). Aussi quoi de plus normal d'utiliser le terme ombroclimat à la place de bioclimat.
Ce sont donc les péjorations par abaissement ou par aug- mentation de température qui eng~ndrent les successions altitudinales et c'est l'augmentation de la xéricité (ou sa diminution) qui déterminent les variations observées au sein d'un même étage. Il doit rester entendu que des « enclaves » liées généralement aux conditions édaphiques, existent régulièrement à l'intérieur de chaque étage de végétation.
4-LES VARIATIONS DANS L'ESPACE DES LIMITES DES ÉTAGES
Les limites des étages ne sont pas rigoureusement iden- tiques sur tous les versants. Elles varient à l'intérieur d'une certaine marge altitudinale. Ce décalage s'explique surtout par les différences du gradient thermique des versants au vent et ceux situés sous le vent, mais aussi par l'exposition au soleil et la déclinaison de la pente.
4.1- Influence de l'altitude
En montagne, la variation de l'altitude entraîne des modifications importantes des principaux éléments clima- tiques (température, précipitations, humidité relative, inso- lation, vent). Ceux-ci, à un niveau semblable, dépendent aussi de l'exposition au soleil ou aux vents dominants, de la forme topographique (cuvette fermée, sommet montagneux, col), de l'emplacement aux reliefs avoisinants, et de la situa- tion par rapport à l'ensemble montagneux. Ces diverses actions s'interpénètrent et multiplient l'originalité écoclima- tique de l'étagement altitudinal de la végétation de monta- gne.
Pour des raisons de commodité, on étudiera cette influence successivement sur chacun des facteurs clima- tiques, bien qu'ils existent des interactions entre eux.
Cependant le critère thermique occupera une place impor- tante.
4.1.1-Décroissance de la température en fonction de /'alti- tude: effet du gradient thermique
La faible densité de l'air, le bilan d'énergie de la surface du sol expliquent la diminution des températures avec l'al- titude. On appelle gradient thermique le quotient de diffé- rence des températures entre deux points par leur différence d'altitude (PÉGUY, 1969) ou plus simplement c'est la varia- tion de la température de l'air pour une dénivellation don- née. On l'exprime en général en degrés Celsius par 100 mèt- res de dénivelée (°C/100 m.). Le gradient moyen pour le
P<150 150<P<300 300<P<600 600<P<1000
P>lOOO
globe, résultant de milliers d'observations, est de 0,5°C à 0,6°C pour 100 m d'élévation. Cette valeur est presque une constante universelle. Néanmoins ce gradient est variable suivant les lieux, les saisons, l'exposition aux vents humides et à l'orientation par rapport au rayonnement solaire.
En conséquence de qui précède, l'étage de végétation doit s'élever ou au contraire descendre lorsqu'on considère des versants opposés pour se situer toujours sensiblement autour de la même température.
4.1.1.1- Gradient thermique adiabatique de l'air humide Un gradient set dit adiabatique lorsque la variation de température de la masse d'air ne donne lieu à aucun échan- ge avec le milieu extérieur.
Lorsque les masses d'air humide abordent un massif montagneux, elles sont contraintes de s'élever le long du versant frontal, exposé à ces flux humides (ascendance). Le refroidissement qui s'en suit provoque la condensation en dégageant de la chaleur (chaleur latente de condensation) et réchauffe le milieu (pouvoir tampon de l'eau), ce qui limite le refroidissement. Aussi la décroissance de la température se situe-t-elle généralement au voisinage de 0,5°C pour une montée en altitude de 100 m (0,5°C/100 m): c'est le gradient adiabatique de l'air humide.
4.1.1.2- Gradient thermique adiabatique de l'air sec Une fois le sommet franchit, la masse d'air commence à descendre le long du versant sous le vent (subsidence). La pression qui augmente au fur et à mesure de la descente comprime la masse d'air et s'échauffe. La chaleur ainsi fournie sert à évaporer l'eau (chaleur latente de vaporisa- tion) et à rendre la masse d'air plus sèche. Cette perte de chaleur (qui a servi à l'évaporation) entraîne une augmenta- tion plus rapide de la température vers le bas de l'ordre de 1°C pour un dénivelé de 100 m (1°C/100 m): C'est le gra- dient adiabatique de l'air sec. A cela s'ajoute l'influence de phénomène comme le foehn (cf. infra) qui engendre un sur- plus de réchauffement sur les versants sous le vent.
4.1.1.3-Variation saisonnière
En hiver, le gradient thermique est faible de l'ordre de 0,4°C/100 m. Ceci s'explique par le fait que, d'une part, les rayons solaires frappent les parois avec le plus fort angle d'incidence et, d'autre part, l'air froid stagne dans les fonds des dépressions d'où une insolation faible. Au Printemps la neige a fondu ou presque, les vallées se réchauffent, alors que les hauts de versants, au contraire, restent très froids. On note cependant une augmentation substantielle du gradient thermique qui devient 0,55°C/100 m. Sa plus forte valeur (0,7°C/100 m) se place en été: dans les vallées l'air est réchauffé par le fond et les versants, alors qu'au sommet, le 191
volume montagneux est moindre et son action plus faible ajouté au fait que le vent, plus fort, accroît le brassage de l'air et freine son réchauffement.
4.1.1. 4- Inversion thermique
Le phénomène d'inversion de température, c'est-à-dire le fait que la température de l'air augmente avec l'altitude dans une certaine couche d'atmosphère, s'observe assez fré- quemment en hiver et parfois au printemps dans diverses configurations topographiques montagneuses: piémonts, vallée étroite, cratère volcanique, doline, poljé, couloirs et cols. Dans le fond de ces différentes dépressions plus ou moins fermées règne alors des températures souvent très inférieures à celles des pentes plus élevées. Cela se produit lorsque parties hautes et parties basses ne baignent pas dans la même masse d'air. Cette inversion thermique est due à la fois au fait que le soleil n'atteint pas le fond des dépressions pendant l'hiver et surtout à l'accumulation et à la stagnation de l'air froid, plus lourd, surmonté par de l'air chaud, plus léger. Un tel phénomène est rendu visible par la formation de brouillard dans le fond, lié à la condensation de la vapeur d'eau due au refroidissement des températures, alors qu'il n'y a rien sur les versants. Son effet se marque aussi par une inversion dans la succession altitudinale des étages de végé- tation.
Cette inversion du gradient altitudinal de température peut atteindre momentanément des valeurs exceptionnelles:
jusqu'à 5°C de réchauffement par 100 m. d'élévation. En effet Pums (1966) a relevé, pour les températures minima- les plus de 10°C d'écart chaque jour, pendant plus d'une semaine, sur une dénivellation de moins de 200 m. entre le sommet et le bas-fond du cratère de Michlifen aux environs de la ville d'Ifrane dans le Moyen Atlas marocain.
4.1.1. 5- Ceinture thermique
Mise en évidence, pour la première fois, par GEIGER (1965), il s'agit d'une bande altitudinale dans laquelle la température est plus élevée que sur les niveaux situés au dessus et au dessous. Le phénomène de ceinture thermique appelé encore ceinture chaude (expression la plus appro- priée) est engendré par les vents de pente. En effet, l' écou- lement de l'air froid le long des pentes conduit à avoir le long des versants une bande altitudinale dans laquelle la température est plus élevée que les niveaux supérieurs ou inférieurs. C'est ainsi que l'air froid s'accumule au fond des vallées (ou cuvettes) avec l'établissement d'un profil ther- mique d'inversion. Mais au dessus de cette inversion, la température décroît normalement avec l'altitude le long des versants. On conçoit donc qu'il puisse exîster une frange altitudinale qui se trouve à la limite supérieure du topocli- mat de fond de vallée et la limite inférieure de celui de ver- sant, dans laquelle les températures sont les plus élevées:
juste au dessus du fond de vallée, il fait moim; froid la nuit que plus haut sur le versant à cause de la diminution linéai- re de la température avec l'altitude. C'est donc bien la bande altitudinale la plus favorisée sur le plan thermique qui cumule un double avantage, toujours plus chaude que les creux au dessous et les pentes plus haut, au dessus.
Des mesures effectuées au Maroc dans le Moyen Atlas d 'Azrou ont permis ainsi de mettre en évidence l'existence d'une ceinture chaude (DELANNOY & LECOMPTE, 1975): en hiver, par journées de temps calme et dégagé, le jeu des bri- ses alternées entre le jour et le nuit a pour effet d'atténuer de 192
plusieurs degrés l'amplitude thermique quotidienne sur l'ensemble de l'escarpement d' Azrou. Les gradients altitu- dinaux de température se trouvent décalés en conséquence de 4°C en moyenne vers le chaud pour les minima, de 2°C vers le froid pour les maxima.
La ceinture chaude disparaît par temps perturbé ou sim- plement couvert, les stations de l'escarpement reprenant alors sur les gradients généraux la position correspondant à leur altitude (LECOMPTE, 1986); mais étant donné la prédo- minance des situations anticycloniques, les effets associés retentissent nettement sur le climat thermique moyen, modi- fiant en conséquence les limites d'étages.
4.1.2- Gradient altitudinal des précipitations 4.1. 2.1-Gradient pluviométrique
Le rapprochement du point de saturation consécutif à l'a- baissement de la température avec l'altitude et surtout l'im- portance des phénomènes d'ascendance forcée et d'ascen- dance liée aux brises ont pour effet d'augmenter la fréquen- ce et l'intensité des pluies avec l'altitude, si bien qu'il est possible de calculer un gradient pluviométrique entre les piémonts et les sommets, c'est-à-dire la quantité d'eau tom- bée pour une élévation de 1 OO m. Ce gradient est beaucoup moins régulier que le gradient thermique; dans les monta- gnes eurppéennes sa valeur se situe autour de 1 OO mm par 1 OO m de dénivellation., Par cotre, au Maroc, dans le Haut Atlas d'Azilal par exemple, il n'est plus que de 20 mm par 1 OO m de dénivelé (RHANEM, 1985).
De plus il varie également selon l'exposition au flux humide, les effets d'abri différencient les versants au vent et les versants sous le vent. Sur ce dernier il est plus faible puisque la masse d'air humide s'est déchargée d'une grande partie de son eau sur les versants au vent (cf. infra) 4.1.2.2- Gradient d'enneigement
La neige est un phénomène climatique important pour les hauteurs de chute et la durée dans les montagnes du Moyen et du Haut Atlas. L'altitude croissante, l'augmentation des précipitations et la diminution de la température agissent dans le même sens et concourent à accroître la hauteur des chutes de neige et la longueur de la période de couverture nivale, restreignant par conséquent celle de période végéta- tive.Celle-ci diminue d'une semaine environ par 100 m d'é- lévation (ÜZENDA, 1994). Mais, à affitude égale, la durée d'enneigement est plus longue sur les ubacs que sur les adrets; cette dissymétrie climatique se répercute sur la répartition de la végétation comme on peut s'en rendre compte dans la doline de Tafenfent pour ne citer que cet exemple (Fig. 3). De plus, ces formes topographiques parti- culièrement favorables à l'accumulation et à la persistante de la neige tout au long de l'année, sont d'un intérêt bio- géographique majeur. Elles forment en effet en certains points perchés du Haut Atlas calcaire à des altitudes s' éta- lant entre 31 OO et 3400 m des biotopes refuges pour diver- ses espèces eurasiatiques (QUEZEL, 1951 ).
Par ailleurs, la neige sert d'écran thermique protégent les plantes contre les froids excessifs (PAHAUT, 1963). Elle atté- nue en outre les minima à la surface du sol. Enfin, la pré- sence d'une couche neigeuse modifie le bilan d'énergie de surface. En effet au printemps particulièrement la phase de fusion réduit la fluctuation possible de la température maxi-
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., Peloose sèche à Festuca sp. _ Fond c;le doline c~lmntée par la terra. rossa
*
La dissymétrie climatique entre les deux pentes de la doline est due pour l'essentiel à une dissymétrie d'enneigement: sur l'ubac, la neige sert d'écran thermique protégeant les bordes rocheux des froids excessifs et, par conséquent de l'effritement par le gel ; un tel phénomène permet la conservation d'une paroi abrupte (front de crêt). Au contraire, sur l'adret, la fonte de la neige se fait plus rapidement.Demeurant ainsi à découvert, la roche en place subit l'influence du cycle gel-dégel, ce que confirme la présence d'une mince couverture de gélifracts qui a pour effet d'accentuer encore plus la régularisation de ce versant structural.
Fig. 3 - Doline mi-baquet, mi-cuvette du revers interne du synclinal perché de Tafenfent.
Doline dissymétrique : dissymétrie des groupements végétaux-dissymétrie climatique-dissymétrie structurale.
male de la surface de la neige qui reste très proche de °C malgré l'apport énergétique positif.
4.2-Le rôle de l'exposition au soleil
A l'échelle topoclimatique et à altitude égale, les diffé- rences d'exposition au rayonnement solaire introduisent de grands contrastes entre les versants d'un massif montagneux ou d'une vallée, d'où la notion classique d'opposition de versants avec habituellement un versant exposé au soleil appelé adret (ou soulane ou encore avers) et un versant à l'ombre appelé ubac (ou ombrée ou encore envers).
Cette opposition résulte des contrastes dans la durée de l'ensoleillement et dans l'intensité de l'insolation, c'est-à- dire dans l'apport énergétique. La différence tient à l'angle que font les rayons solaires en tombant sur les versants; sur l'adret, l'angle est plus élevé que sur l'ubac, la même sec- tion de rayonnement réchauffe une surface plus faible et la chaleur emmagasinée par mètre carré est donc supérieure;
aussi l'adret reçoit-il plus d'énergie que l'ubac. De plus la position latitudinale du Maroc, et plus généralement de la région méditerranéenne interdit la verticalité des rayons (il faudrait en effet la verticalité pour que la dissymétrie dispa- raisse); leur inclinaison croissante, du solstice d'été à celui d'hiver, explique que pendant la mauvaise saison tout ubac ne reçoive le soleil que pendant peu de temps ou même reste dans l'ombre si sa pente possède un angle supérieur à celui du rayonnement. Toutes ces raisons expliquent l'existence de maxima sur les versants exposés au nord inférieurs à ceux des adrets, surtout l'hiver au cours duquel l'air ne se
réchauffe, en grande partie, que par advection et n'atteint pas la température des pentes recevant le plus longtemps l'effet du soleil. C'est surtout en hiver, que les maxima de température sont les plus élevées sur les adrets, car les rayons de soleil frappent les versants à la perpendiculaire:
l'écart entre le rayonnement direct du soleil reçu par une pente perpendiculaire au rayon à midi et une surface hori- zontale est très grand en hiver et faible en été.
Par conséquent, c'est surtout en hiver que les maxima de température sont les plus élevés sur les adrets d'autant plus que les rayons de soleil frappent les dits versants à la per- pendiculaire. Ces différences seront d'autant plus grandes que la nébulosité est faible; ces contrastes étant en effet les plus marqués par ciel clair. Le rayonnement net plus élevé d'un versant sud par rapport à un versant nord se traduira par une plus grande énergie disponible sous une forme de chaleur sensible ou de chaleur latente (évaporation). Ainsi retrouve-t-on aisément la cause du contraste entre l'adret plus chaud et plus sec et l'ubac plus froid et plus humide.
En outre, l'influence de l'exposition s'accroît avec l'al- titude. C'est ainsi qu'au fur et à mesure qu'on s'élève, la dif- férence de température entre le sol et l'atmosphère libre augmente au profit du premier sur les adrets. En effet l'at- mosphère en haute altitude étant moins dense, n'absorbe que peu d'énergie, la majeure partie est absorbée par le sol.
Par conséquent le contraste adret-ubac s'accentue, opposant en haute montagne (principalement au niveau des étages montagnard et oroméditerranéen) des faces nord presque privées de soleil pendant une bonne partie de l'année et 193
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Vers Meknès
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/ .. d-e : ensellement occupé par une zénaie où la
neige a tendance à rester plus longtemps que sur les secteurs environnants .
.,_ _ _ _ I 7,..VI
g
IBas de versant occupé par une chênaie
Cuvette d' Azrou
Fig. 4-Coupe schématique de l'escarpement d'Azrou (Moyen-Atlas) et de ses retombées montrant la diversité de l'incidence des rayons solaires en fonction de la pente et de l'exposition au rayonnement solaire.
La confrontation de ces deux paramètres en plus de l'altitude permet l'individualisation de pas moins de 6 topoclimats (I, II, III, IV, V, VI) occupés par autant de types de végétation différents. Alors que la partie comprise entre d-e est totalement dans l'ombre et n'est atteinte que par un rayonnement diffus, le réchauffement se fait donc surtout de façon indirect ; l'énergie reçue au sol sous forme de rayons directs est maximum en b-c, moyenne en a-b et f-g, et minimum en c-d (haut de versant) et e-f (bas de versant) où les rayons solaires sont rasants. En effet, la même somme de chaleur étant distribuée par le soleil entre deux rayons équidistants (SS) est répartie sur une surface bien plus grande sur une surface plate à pente nulle ou peu inclinée (a-b et f-g) que sur une pente moyenne (b-c) faisant face au soleil. D'ailleurs c'est à ce niveau que le sol absorbe le maximum de chaleur, puisque cette dernière n'intéresse qu'une petite surface. En effet les rayons solaires arrivent perpendiculairement à la surface du soleil. Mais sur le versant opposé (ubac), une pente égale à l'inclinaison des rayons solaires (c-d et e-f) provoque une diminution notable de la chaleur reçue et la réduit au minimum; une
comme figées dans le gel à des faces sud, constamment sou- mises à des alternances de gel et dégel.
Enfin, selon l'orientation de la ligne de crête, par rapport au soleil, qui change d'ailleurs en cours d'année suivant le moment apparent de l'astre, les deux versants sont touchés ensemble ou successivement. En revanche, pendant la nuit, les deux expositions se trouvent dans une situation identique.
Dans la cuvette d 'Azrou, pour ne prendre que cet exem- ple (Fig. 4), l'adret reçoit de plein fouet les rayons solaires et a, par conséquent, une insolation plus forte, bénéficiant davantage de chaleur que l'ubac moins exposé au soleil. Ce dernier est presque à l'ombre ou n'est éclairé seulement que par les rayons solaires proches de l'horizontale, le matin ou la fin de l'après-midi; l'énergie reçue est, par conséquent, bien différente. Ces contrastes d'exposition radiatifs se répercutent évidemment sur les températures: l'ubac est ainsi plus frais et plus humide, l'évaporation y est moins intense; en outre le manteau neigeux s'y dégradant moins qu'à l'adret, y persiste plus longtemps.
Les limites altitudinales des étages ne sont pas les mêmes à ces deux expositions principales (Fig. 5). Chacun commence et se termine plus bas à l'ubac qu'à l'adret, ce qui est également vrai pour toutes les espèces présentes aux deux expositions. L'observation de la répartition des princi- pales essences arborescentes esquissée sur le bloc-diagram- me de la figure 5 rend compte de ces décalages altitudinaux qui sont à mettre en relation avec le caractère indiscutable- 194
ment froid et relativement sec causé par l'effet d'abri pluvial combiné au gel de l'hiver, et avec la topographie et l' expo- sition d'une par au soleil et d'autre part au vent humide.
Schématiquement, à partir du pied des chaînes atlasiques, chacun commence à une altitude donnée sur les versants tournés vers le nord face à des pentes encore occupées par les forêts de l'étage inférieur. Plus haut, il couvre tout le paysage, jusqu'au moment où abandonnant l'ubac à l'étage supérieur, il reste cantonné sur l'adret. )
Chaque étage présente ainsi un décalage altitudinal entre l'adret et l'ubac qui se calque sur celui des températures. A une même altitude, deux versants opposés d'une même val- lée, en adret et en ubac, peuvent être occupés par deux étages de végétation différents si les températures y diffè- rent de plusieurs degrés; mais c'est relativement exception- nel, et en général la différence d'exposition ne se traduit que par une variation de 1 OO à 200 mètres des limites d'étages (qui correspond au grand maximum à une variation de tem- pérature de 1 degré Celsius).
D'une manière générale, le gradient thermique est sem- blable sur les adrets et les ubacs pour les minima. Mais l'a- dret reste toujours un peu plus chaud. Pour les maxima de température, la décroissance avec l'altitude est plus forte sur l'ubac (peu ou pas d'insolation) que sur l'autre versant: 0,55 par 1 OO mètres au lieu de 0,40.
Cependant lorsque deux espèces ou plus sont en concur- rence dans un même étage de végétation, d'autres facteurs