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LES LIEUX ET LES HISTOIRES

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Academic year: 2021

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Projets et poétiques

Dans Pour un paysage italien, essai de 1941 souvent présenté comme un manifeste du néo-réalisme, Giuseppe De Santis, prenant pour exemples les cinémas américain, français ou russe, insistait sur la nécessité de situer l’homme dans son environnement, afin de mieux le décrire, et critiquait la manière

« grossièrement pittoresque » dont le paysage avait été jusque-là utilisé par le cinéma italien. À son avis, seule une fusion de la fiction et du document donnerait « la formule d’un authentique cinéma italien » car une prise en compte du milieu est indispensable pour aborder les drames humains :

Comment pourrait-on entendre et comprendre l’homme, si on l’isolait des éléments dans lesquels il vit chaque jour, à travers lesquels chaque jour il communique, quand les murs de sa maison […], les rues de la ville […] son allure, son devenir forment un tout avec la nature qui l’entoure et l’influence au point de le façonner à son image ?

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On le voit, cet article où De Santis mettait en relief le

rapport homme-paysage, homme-environnement, annonçait,

dix ans à l’avance, le déclin du néoréalisme. Dans la mesure où

elle voulait illustrer l’importance du paysage, la proposition

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était réductrice par les exemples qu’elle proposait et par son projet même, puisqu’elle faisait du paysage un instrument propre à éclairer la psychologie, autrement dit une histoire. Le paysage était mis au service de la narration et de la description, au service de l’idée inspiratrice du film.

Si, repartant de ce texte, nous interrogeons le cinéma italien, nous voyons qu’il est allé au-delà de ce que souhaitait De Santis. Antonioni, Visconti, Rossellini, Fellini, Pasolini et beaucoup d’autres ont su voir dans le paysage bien davantage qu’un miroir. Nous en trouvons l’annonce dans un texte d’Antonioni, Pour un film sur le fleuve Pô (1939), où appa- raissent déjà les signes de cette poétique du mystère à laquelle j’ai fait allusion. « Les gens du Pô – écrit le jeune Antonioni – sentent le Pô. En quoi consiste ce sentir, nous ne le savons pas, mais nous comprenons qu’il est dans l’air, qu’il est accepté comme un subtil sortilège ». Le lien entre le paysage et le personnage n’est pas directement accessible, Antonioni, à la différence de De Santis, le trouve obscur, problématique. La nature n’est pas un outil qui aide à situer l’homme, tous deux sont sur le même plan, leur compréhension est mutuelle, leur relation se joue en termes d’une confrontation toujours vivante.

Les hommes de la basse vallée du Pô « ont lutté, souffert, ils luttent et souffrent encore, mais ils peuvent naturellement faire entrer la souffrance dans l’ordre naturel des choses, y puisant même un encouragement à la lutte

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». Les doutes concernant la forme cinématographique juste, documentaire ou fiction, réapparaîtront chez De Santis ; ils sont importants pour saisir la manière dont Antonioni va au-delà de la différence codifiée entre ces deux types de représentation. Le Pô est ici un lieu mythique, comme les Langhe dont Pavese parlera quelques années plus tard, il est un fleuve, un lieu qui, dans sa singularité, peut devenir symbole du monde.

L’année suivante, dans un texte inspiré par un ouvrage de

Piovene, Terre verde, Antonioni nous parle de sa découverte de

la nature : « la nature est une puissance inconnue et formidable,

dont l’homme a le sentiment mais pas la notion

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. » Ici, deux

formes de connaissance, intuition et raison, semblent être

rapprochées. La beauté de ce récit, d’inspiration manifestement

léopardienne, est extraordinaire. La nature, par un de ses petits

changements insignifiants, une déviation du Gulf Stream,

assèche une partie du Groenland et force les hommes à

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abandonner des villes entières, le vert de l’herbe se transforme rapidement en blanc. Chez Antonioni apparaît clairement une conscience des couleurs, de leur importance dans une histoire comme celle-ci. Pensons à la manière dont il traduit le premier regard par lequel un homme pressent un gel encore lointain :

« L’herbe des pelouses s’est teinte un instant d’une couleur argent, et elle est redevenue comme avant ». L’intérêt du réalisateur pour la couleur, pour son utilisation philosophique, à l’encontre de tous les stéréotypes (à la manière d’Eisenstein, mais indépendamment de lui, puisque, à cette époque, les écrits sur la couleur du réalisateur soviétique n’étaient pas connus), se manifeste très tôt, avec sa critique des cadrages trop statiques et de la composition picturale, comme avec sa défense d’un style nouveau, d’une recherche sur la lumière, qui exprime les « oscil- lations infinies du mouvement »

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.

À partir de ces thèses, Antonioni réalise ses premiers documentaires. Il commence à faire de l’incertitude un choix aussi bien stylistique que poétique et fait de l’anthropologie culturelle presque sans le savoir, notamment dans Gens du Po, N.U., Superstition, Le Mensonge amoureux. On peut définir ses premiers films comme des enquêtes sans film, où la caméra regarde, étudie, interroge les lieux d’innombrables histoires possibles sans jamais s’attarder sur aucune, mais suffisamment longtemps pour que l’une d’elles prenne corps. Ainsi, le discours se fait incertain, volontairement étranger à toute fixation de sens. Dès que les figures commencent à se détacher du fond, à acquérir une épaisseur, la caméra les abandonne pour passer à autre chose par une série de détours, glissements, panoramiques, découpages, nouvelles attractions, qui mani- festent d’un côté la douloureuse certitude de l’impénétrabilité du monde réel, de l’autre un profond respect pour l’intimité précieuse de ces vies, de ces secrets, qui n’acquièrent un sens qu’à condition de rester tels. La caméra se borne à fournir, de façon sémiotique, une série de signes « indiciels » d’un monde qui demeure hors du film, sans que ces signes se transforment en discours. C’est surtout dans Superstition qu’apparaît la grande richesse du discours antonionien. La singularité de ce tout petit poème anthropologique ne réside pas dans son sujet, pourtant nouveau pour le cinéma, mais dans la façon dont il est abordé.

Pour un thème comme celui de la superstition, sur lequel il était

facile de verser dans l’ironie, Antonioni choisit justement de ne

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pas choisir, il ne se place ni du côté de l’observateur détaché et cultivé qui regarde de loin les rites du Basilicate, ni du côté de ceux qui pratiquent ces rites avec conviction. Il leur est néanmoins étrangement proche, grâce à l’utilisation d’une caméra semi-subjective et à la médiation d’une voix off qui parle à l’impératif, tutoyant le spectateur, avec des mots que le sorcier ou la sorcière pourraient utiliser, bien qu’ils soient ici muets :

« tu feras ainsi,… jette de la poudre,… mélange… ». La superstition n’est plus alors un résidu primitif à analyser et à dépasser, mais quelque chose d’intérieur, un voisin étrange qu’il faut considérer, un mythe qu’il faut traverser et reconduire vers la clarté. Il s’agit d’une anthropologie qui raccourcit la distance entre observateur et observé et que l’on pourrait qualifier de

« poétique » non pas parce qu’elle est vague mais parce qu’elle s’implique et joint la participation à l’observation, consciente qu’elle est de la survivance de ces traditions chez l’observateur lui-même

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.

Plus tard, en revanche, nous verrons souvent la caméra d’Antonioni observer d’un regard anthropologique, mais cette fois moqueur, des comportements typiques de l’homme occidental et industriel. Ce sera le cas avec le concierge de Chronique d’un amour, fier de son habileté à tailler les crayons, avec l’homme du snack-bar qui, dans Femmes entre elles, proteste contre l’horrible plat qu’on lui a servi puis, glacé par le regard du barman, retourne à sa place pour manger en silence, avec Aldo qui, dans Le Cri, va droit chez sa mère pour se plaindre du départ de sa femme, avec le petit chien savant de la dame chic dans L’Éclipse, avec bien d’autres encore.

Les perspectives ouvertes par le travail de la caméra dans les premiers documentaires auront un prolongement : on verra l’appareil mettre en évidence le rapport complexe de l’homme aux lieux qu’il habite et l’ampleur des changements culturels dans une quête permanente d’autres formes de représentation.

Mais il faudra quelques années pour que le paysage devienne,

avec Femmes entre elles, tiré d’un ouvrage de Pavese, ce lieu

mystérieux où l’angoisse conduit les personnages à ressentir

inconsciemment leur propre vacuité. Il en faudra d’autres

encore pour que le paysage devienne un véritable protagoniste

avec Le Cri (cela, De Santis n’aurait probablement jamais pu

l’imaginer) ou pour que la représentation d’un lieu, la pinède de

Ravenne, explose dans une véritable multiplication des points de

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vue. Il faudra des années également pour qu’Antonioni avoue, dans Techniquement douce, le sentiment d’échec que provoqua en lui la forêt amazonienne, cette nature impossible à photographier parce que privée de centre et sans espace. Mais, pour l’instant, bornons-nous à le suivre dans ses premières découvertes, sur les traces du mystère, de la jungle qui se cache derrière les apparences tranquilles de sa ville, Ferrare…

Chronique d’un amour, les lieux du mythe sans mythe

« En ce temps-là, Ferrare avait un charme secret qui résidait dans sa manière insouciante et aristocratique de s’offrir à ses habitants, et à eux seulement

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. » Antonioni présente ainsi dans un de ses récits, Chronique d’un amour qui n’exista jamais, sa ville au milieu des années trente. Et Ferrare est aussi, et pour cause, la ville où se déroula le mystérieux passé des deux amants de Chronique d’un amour (1951). De Ferrare et de son mystère, Antonioni avait déjà parlé dans quelques articles du Corriere padano où il s’intéressait principalement, voire exclusivement, au vide. Dans Rues à Ferrare, il parle d’un petit chemin qui peut être parcouru en trois minutes, que personne ne veut regarder pour ne pas perdre de temps, un chemin sans histoire, sans rêves ni aspirations, où une journée de gros soleil est l’événement le plus bouleversant. Dans un autre article, qui prend comme point de départ Ossessione, il se tourne vers l’espace romanesque des rues de Ferrare, ville cruelle comme toutes les villes de province, dans sa sensualité paresseuse, dans l’oisiveté et la solitude de ses habitants

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. Ferrare apparaît mystérieuse également dans le film, à travers les rares plans où le détective fait son enquête, avec son grand boulevard Ercole I d’Este, ou sa rue Savonarole, artères à peu près désertes parcourues par de rares figures qui surgissent du brouillard ou de la lumière rasante du soleil couchant, ombres qui passent furtivement sans voir, comme si elles savaient déjà tout, femmes qui regardent par la fenêtre, professeurs de lycée qui se rappellent les belles filles qui ont jadis été leurs élèves, pions oisifs, grands jardins déserts dans la brume.

Le film se construit sur le rapport entre présent et passé.

Une enquête renoue, entre deux adultes, Paola (Lucia Bosé) et

Guido (Massimo Girotti), une histoire d’amour inachevée ; mais

la comparaison entre deux époques cache un autre parallèle,

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entre temps historique et temps mythique, ou peut-être entre l’avant et l’après guerre, entre la jeunesse et l’age adulte du cinéma – et, comme je l’ai suggéré, entre le temps des mythes et le temps de la réflexion. Dans Chronique d’un amour, un Massimo Girotti vieilli, triste, fatigué souligne le rapport avec Ossessione. En se rappelant Visconti, sa grande force mythopoïétique, ses personnages errant à travers ruelles et grands chemins, tels des animaux encagés poursuivis par le soleil d’août et par la force de leur passion, on a l’impression que s’est écoulée une éternité – une éternité de peu d’années. La Ferrare d’Antonioni, avec ses fantomatiques rues brumeuses, semble l’inverse de celle d’Ossessione, ou mieux sa façade, réaliste, quotidienne, apparemment banale, dont la Ferrare de Visconti était au contraire l’aspect mythique et tragique. Peu de choses relient ces lieux et ces époques, pourtant ils sont identiques, nos yeux nous le montrent. Ce sont les deux faces d’une monnaie brisée qui ne parviennent pas à se recoller. On est dans l’espace du mythe privé de mythes, des héros sans héros, l’espace dégradé en un lieu précis et privé d’histoire. Dix ans plus tard le Gino de Visconti, toujours pauvre, mais dépouillé de sa gloire, se retrouve mort dans le personnage de Guido comme Giovanna revient morte dans celui de Paola, beauté glacée et vaine. À la place du Bragana qu’ils avaient assassiné, les deux amants trouvent un mari qui se tue tout seul. Cette moquerie du destin les prive donc de leur crime. Il n’y a plus rien à faire.

Ferrare est une ville où le récit n’est pas mis en scène mais seulement cherché, où la caméra, en lents panoramiques paresseux, erre au travers des rues, à la poursuite d’un

« secret enchanteur ». C’est une ville qui ne devient pas décor, qui ne devient pas l’espace d’une histoire, mais reste juste le lieu d’une recherche, parsemée de traces lointaines, incompréhen- sibles pour le détective qui, désolé de n’avoir pu suivre son match, les suit sans conviction.

Mais le panorama de la ville est encore plus complexe. Si

la Ferrare d’aujourd’hui, vidée, s’oppose à la Ferrare du mythe,

elle affronte aussi la ville du temps réel, historique, Milan. Dans

Chronique d’un amour, deux villes et deux espaces sont déjà

présents : l’un, celui du mythe sans mythe, Ferrare ; l’autre,

industriel, moderne, celui où le monde s’agite mais où il ne se

passe rien, Milan avec ses rues bruyantes, ses embouteillages, ses

maisons de mode, ses parcs, son planétarium, ses salles de bal,

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