orthopédique et fonctionnel
A. Vannineuse, F. Ralaimiaramanana
Les fractures de la patella ont été étudiées par Böhler (1), il y a déjà long- temps. La pertinence de ses observations fait qu’elles peuvent encore servir de base à notre approche.
Il distingue deux types de lésions de l’appareil extenseur :
– par choc direct. L’intégrité du tendon du quadriceps est préservée et, avec lui, l’extension active de la jambe ;
– par contraction musculaire. Le tendon quadricipital rompu entraîne la perte de l’extension active du genou.
Cette perte de l’extension active est, d’ailleurs, un élément sémiologique important (tableau I) qu’il intègre à la description de la rupture de tendon quadricipital ou, plus exactement dans notre conception anatomique actuelle, de l’appareil extenseur du genou. Néanmoins, la patella se caractérise par sa structure anatomique et biomécanique qui conditionne les particularités du traitement. Il est important de se souvenir que 30 % des contraintes néces- saires à l’extension du genou sont assurées par le surtout fibreux prépatellaire et ses extensions latérale et médiale (2). Le problème consiste donc d’abord à cerner les indications d’un traitement conservateur, de définir les différentes options de traitement et enfin, lorsqu’une solution a été choisie, de bien en préciser les modalités. La connaissance des pièges, échecs et complications
Douleur Perte de l’extension active
Préservation de la mobilité passive dans la limite de la douleur Perception du craquement
Épanchement hématique Perception de l’hiatus interfragmentaire
Dépression tégumentaire visible. avant qu’elle ne soit comblée par l’hématome et l’œdème Tableau I – Sémiologie de la rupture de l’appareil extenseur
doivent permettre de modifier la stratégie au moment opportun. Bien conduit, le traitement conservateur offre des perspectives extrêmement satisfaisantes, 98 % de bons résultats chez Boström (3).
Critères de choix
La décision thérapeutique doit s’appuyer sur trois éléments : Le patient, avant tout :
– les contraintes médico-légales qui pèsent sur nous, ne permettent plus d’échapper à l’information loyale du patient. Si, en dépit d’une indication opé- ratoire bien posée, le patient refuse l’intervention, nous n’avons que le trai- tement conservateur dont il faudra adapter les modalités. Dans un tel contexte, la plus grande prudence s’impose. On peut légitiment poser la question d’une information écrite, signée par le patient. Un exemplaire serait conservé au dossier médical, afin qu’à aucun moment, le défaut d’informations ne puisse être opposé au praticien. Le risque est grand, en effet, de voir les résultats du traitement ne pas toujours être à la hauteur des espérances du blessé ;
– la collaboration du patient et sa capacité à comprendre les limites et les impératifs de tout traitement, qu’il soit conservateur ou chirurgical, peuvent conditionner les choix du thérapeute. La non-collaboration fera opter plutôt pour une immobilisation simple, rigide mais plus sûre à un traitement fonc- tionnel actif avec ou sans chirurgie. Ces mêmes raisons peuvent conduire à hospitaliser en centre de rééducation, afin de garder un meilleur contrôle médical de la situation, car de plus en plus, il nous appartiendra d’apporter la preuve que nous avons rempli notre contrat thérapeutique. La collabora- tion du rééducateur devient fondamentale pour conduire au mieux le patient sur les chemins de la guérison. Les choix thérapeutiques sont, dans ce cas, guidés par l’expérience et la perception que le thérapeute a de la situation. Il n’y a pas de règle formelle ;
– les conditions générales et régionales peuvent conduire à privilégier une option plutôt qu’une autre. Ainsi l’existence de fractures associées à proximité est susceptible de modifier la stratégie.
Les éléments de la clinique :
– la perte de la flexion active signe la rupture de l’appareil extenseur.
Lorsque la douleur rend le test difficile, l’examen sera renouvelé après quelques jours, et après une éventuelle ponction évacuatrice ;
– la perception de l’hiatus fracturaire ;
Le traitement orthopédique se nourrit a contrario des fondements de l’in- dication opératoire qui peut être approchée par deux questions (4) :
– existe-t-il une rupture du système extenseur ?
– quelle est la répercussion sur l’articulation fémoro-patellaire ? (fig. 1).
La réponse dépend du bilan radiologique.
L’état cutané intervient aussi dans la décision : si une fracture ouverte est une urgence opératoire, les lésions plus superficielles, érosions, excoriations, etc. inciteront au minimum à surseoir à l’intervention, voire même à opter d’emblée pour le traitement conservateur.
Les problèmes proviennent des cas limites pour lesquels le choix du trai- tement est difficile :
– lorsque la patella n’est plus maintenue que par les structures latérale et médiale de l’appareil extenseur (fig. 1). Le choix du traitement conservateur impliquerait une information et une surveillance très stricte du risque de rupture totale ;
– le genou arthrosique de la personne âgée chez qui, en général, aucune solution n’est anodine :
– la chirurgie est à risque ;
– l’aggravation de l’arthrose probable, quel que soit le traitement choisi ;
– l’immobilisation plâtrée est difficilement supportée et risque d’en- traîner un confinement au lit préjudiciable à l’autonomie future ;
– le traitement fonctionnel en institution spécialisée est aléatoire ; – la mobilisation à domicile par le kinésithérapeute sous couvert d’une attelle, demande une excellente collaboration de tous les interve- nants.
Fig. 1 – Sur le cliché de face l’hiatus est limite. De profil, l’hiatus en péri- phérie est très large mais la congruence articulaire est par- faite. L’appareil extenseur n’est pré- servé qu’au niveau des expansions laté- rale et médiale.
Les éléments apportés par la radiographie : – la position du trait, vertical ou transversal ;
– la localisation du trait, au pôle, articulaire ou non, ostéochondral ; – le déplacement ;
– le degré de comminution.
Ces informations sont données par les clichés de face et de profil. Nous partageons l’avis de Braun et al. (5) qui recommandent de pratiquer l’inci- dence axiale. Elle dégage souvent bien les altérations de la surface articulaire.
Mais contrairement à leur opinion, l’utilisation de l’arthroscopie pour lever
un doute, conduit à associer le traitement conservateur et l’approche chirur- gicale. Le scanner semble moins invasif et apporte une iconographie fiable.
Risques et avantages du traitement conservateur
Sous l’impulsion du groupe AO (6), la prise en charge des fractures de la patella a été codifiée et leur traitement opératoire a beaucoup progressé. Celui- ci a apporté le bénéfice d’une mobilisation plus rapide avec son incidence sur la fonction. Le risque infectieux qui n’est jamais nul, représente la principale menace qui compromet parfois sévèrement la fonction articulaire. Le traite- ment conservateur, à l’inverse, est dénué de ce risque et de celui de l’anes- thésie.
Les risques propres au traitement conservateur sont la perte de mobilité et la douleur liée à la non-consolidation du trait, la raideur en rapport surtout avec une immobilisation prolongée. Une surface articulaire non restaurée, par l’incongruence des fragments, en est également la cause. Pauwels (cité par Müller (6)), a bien montré le rôle de la capsule et du surtout prépatellaire dont l’intégrité ou la bonne reconstitution chirurgicale permet la mobilisa- tion immédiate. Cette propriété peut être exploitée également dans le traite- ment conservateur.
Choix du traitement
Lorsque l’ensemble des éléments exposés ci-dessus a été réuni et pris en compte, la stratégie thérapeutique doit être arrêtée. Pour ce faire, le rapport risque/bénéfice est certainement le meilleur garant pour le chirurgien et le patient dûment informé.
Les bonnes indications du traitement conservateur sont (tableau II) : – les fractures longitudinales sans incongruence articulaire et avec un écart interfragmentaire inférieur à 1mm ;
– les fractures transverses extra-articulaires (pôle inférieur) ;
– les fractures transverses intra-articulaires dont l’incongruence articulaire et l’écart interfragmentaire sont inférieurs à 1mm (fig. 2).
Toutefois, lorsque l’écart entre les fragments est faible, 2 à 3mm, une infor- mation utile est donnée par la radiographie genou mis en flexion (7) (fig. 3).
Une aggravation de l’écart donnerait l’indication opératoire, dans le cas contraire, le traitement conservateur peut se discuter. La douleur, en urgence,
Extension active du genou conservée
Diastasis interfragmentaire réduit (1 à 3 mm maximum) Parfaite congruence des surfaces articulaires
Tableau II – Les points-clés de la décision d’un traitement conservateur.
peut rendre pénible la réalisation de ce cliché et, dans ce cas, une immobili- sation provisoire de quelques jours et une réévaluation ultérieure peuvent se révéler utiles.
Concernant les lésions du pôle inférieur, extra-articulaires, il faut s’assurer de l’intégrité de l’appareil extenseur avant de poser l’indication du traitement orthopédique (extension active).
Modalités thérapeutiques
La ponction du genou : effectué dans des conditions d’asepsie stricte, ce geste apporte souvent un soulagement de la douleur, car il supprime l’hémarthrose sous tension. Le soulagement est quasi immédiat. Ce geste est utile dans tous les cas de traitement conservateur.
Le plâtre circulaire : dans la mesure où l’appui est possible, le plâtre cruro- malléolaire est admis. Certains auteurs préconisent un appui partiel, d’autres, total. Pour notre part, nous permettons l’appui complet s’il n’y a pas d’autres contre-indications. La cheville laissée libre évite son ankylose. La durée de l’im- mobilisation va de quatre (7) à six semaines (8), quatre semaines dans notre pratique, prolongée éventuellement en fonction des données de la radiogra- phie, mais surtout de la persistance de la douleur à la pression et à la mobi- lisation. Le problème au décours de cette immobilisation est celui de la raideur et de l’importante amyotrophie. Pour lutter contre cet aléa, dès que le plâtre est solide, Jones (7) recommande la marche avec un périmètre progressif : un kilomètre dans la première semaine, et un kilomètre de plus par semaine supplémentaire. Chaque jour, le blessé doit élever la jambe plusieurs fois, à
Fig. 2 – De face et de profil, l’hiatus minime et la congruence très satisfaisante sont en faveur d’un traitement conservateur orthopédique.
l’horizontale, pour fortifier les muscles de la cuisse. Il faut encourager cette sollicitation car, en outre, les sollicitations biomécaniques ont un effet favo- rable sur la consolidation osseuse (9).
Quelques points importants doivent être respectés dans la réalisation du plâtre :
– bien protéger la région supramalléolaire et le tendon calcanéen ; – monter le plâtre jusqu’au trochanter ;
– bien mouler le plâtre au-dessus du genou pour l’empêcher de glisser vers le bas.
Le plâtre complet trouvera surtout son indication chez le patient indisci- pliné ou chez qui les conditions ne permettent pas la réalisation facile d’un traitement fonctionnel.
L’attelle plâtrée : c’est une solution d’attente, lorsque l’état cutané doit être surveillé ou en attendant de passer la période douloureuse, avant d’entamer le traitement fonctionnel.
Le traitement fonctionnel : il est contraignant et peut nécessiter l’hospita- lisation (5) en service spécialisé. Il commencera dès que la phase douloureuse est passée et comportera :
– des mobilisations douces de la patella ; – le réveil du quadriceps ;
– des flexions progressives, toujours guidées et limitées par la douleur, la mobilisation se fera à la main ou sur arthromoteur. Neyret (4) recommande de ne pas dépasser 90° jusqu’au 45
ejour ;
– le lever avec appui sous couvert d’une attelle en extension. L’usage de cannes de protection est souhaitable, pour prévenir les chutes et ses contraintes excessives sur le quadriceps ;
Fig. 3 – De profil, le cliché du genou en flexion montre un hiatus et une congruence pré- servés, en faveur d’un traitement conservateur orthopédique. L’attention doit être attirée par des signes d’arthrose déjà avancée dont le patient doit être averti.
– une surveillance radiologique régulière : semaines 1, 2 et 6 pour Braun (5), 2, 4 et 6 pour Neyret (4). Un phénomène douloureux nouveau et inter- current est dans tous les cas une indication au contrôle radiographique. La désunion fracturaire doit conduire à la chirurgie.
Comme on peut le voir, ce traitement, bien conduit peut certainement apporter des résultats encourageants, chez l’adulte jeune et le sportif surtout.
Son coût économique n’est certainement pas anodin.
Chez la personne âgée mais collaborant, une variante peut être apportée par le port d’une attelle amovible d’immobilisation qui permettra au kinési- thérapeute d’assurer, à domicile, une prise en charge partielle de ce traitement fonctionnel, car le plâtre n’est pas toujours supporté surtout à cet âge.
Pièges et complications
La fracture de fatigue (10), elle est rare, mais connue chez les sportifs. Lorsque la fracture est totale et déplacée, le diagnostic est évident et le traitement le plus souvent chirurgical s’impose. Parfois, on se situe dans un contexte dont l’anamnèse est caractéristique : une activité physique intense, inhabituelle qui déclenche la douleur. Celle-ci cède au repos. Le traitement fonctionnel simple y trouvera une bonne indication.
La patella bipartita : elle peut être une source de méprise au cours de l’examen d’un genou traumatisé. Sa situation supéro-latérale, généralement indolore, doit attirer l’attention car, en pratique (7), il n’y a jamais de frac- ture de la patella à ce niveau. De plus, l’hémarthrose est absente.
La non-consolidation : c’est une des complications du traitement conserva- teur, bien qu’elle existe aussi dans les traitements chirurgicaux. Elle semble plus fréquente dans les fractures longitudinales de la marge latérale (fig. 4),
Fig. 4 – Fracture longitudinale latérale typique.
En dépit d’un potentiel de consolidation moins bon, le pronostic reste favorable.
mais répond bien à un nouveau traitement conservateur (11). Il faut y voir, à notre sens, l’action du rétinaculum patellaire latéral qui sollicite le fragment en traction.
La phlébite : possible sous plâtre, elle se rencontre aussi lors du traitement fonctionnel (5). La surveillance et la prévention de phlébite doivent être assurées.
La fracture itérative : elle est possible, mais elle peut aussi résulter d’un nouveau traumatisme significatif.
L’arthrose : c’est une éventualité qui est toujours possible, quelle que soit la nature de la fracture initiale et du traitement. La contusion du cartilage peut conduire à la dégénérescence articulaire (12) et à l’arthrose, d’autant plus que l’articulation était déjà initialement pathologique. Cela peut conduire à traiter parfois rapidement des conflits fémoro-patellaires décompensés voire même à l’arthroplastie totale sur un genou qui décompense totalement et très rapidement, en dépit d’une fracture sans incongruence articulaire.
Conclusion
Le traitement conservateur offre des possibilités valables. Il doit certainement être retenu en première intention dans les fractures non déplacées. Ses moda- lités doivent être appréciées en fonction du rapport risque/bénéfice/coût. Les options de traitement seront analysées non seulement en fonction des attentes du patient, mais aussi de la collaboration que l’on peut espérer. L’état initial du genou, la force du traumatisme doivent être analysés pour cerner le pronostic et la surveillance doit rester attentive. Une évolution péjorative dont le patient n’aura pas été prévenu est toujours mal vécue, qu’elle se produise à court ou à long terme. L’évolution arthrosique doit toujours rester présente à l’esprit.
Références
1. Böhler L (1951) Die Technik der Knochenbruch Behandlung. Wien, Bdl Maudrich 2. Kaufer H (1979) Patellar biomechanics - Clin. Orthop 144: 51-4
3. Boström A (1974) Longitudinal fractures of the patella. Reconstr Surg Traumatol 14: 136-46 4. Neyret P (1998) Les fractures de la patella, in SOFCOT / Pathologie du genou de l’adulte
/2 L’Expansion Scientifique Publications, Paris, 51-63
5. Braun W et al. (1993) Indications and results of nonoperative treatment of patellar frac- tures. Clin Orthop 289: 197-201
6. Müller ME et al. (1991) Manual of internal fixation - 3d Edition. Springer-Verlag, Berlin 7. Watson Jones R, Wilson JN (1982) Watson-Jones Fractures and joint injuries. Churchill
Livingstone, Edinburg
8. Freuler F, Wiedmer U, Bianchibni D (1979) Cast manual for adults and children. Springer- Verlag, Berlin, 248 p
9. Carter DR et al. (1998) Mechanobilology of skeletal regeneration. Clin Orthop 355S: S41- S55
10. Bernard J (1988) Pathologie d’adaptation de l’os à l’effort : douleurs osseuses d’effort et fractures de fatigue. Encycl Méd Chir. Appareil locomoteur, Paris, 15904 A10, 8 p 11. Klassen JF, Trousdale RT (1997) Treatment of delayed and nonunion of the patella.
J Orthop Trauma, 11(3): 188-94
12. Ficat P, Arlet J (1977) Étiopathogénie de l’arthrose. Rev Rhum 44(11): 627-31