Tactique opératoire
La tactique opératoire est l’ensemble des moyens employés pour mettre en place une prothèse du genou. L’objectif est de restaurer un axe mécanique à 180
oavec un interligne perpendiculaire à cet axe et sans laxité, ni en exten- sion ni en flexion.
Pour la majorité des auteurs, il faut obtenir un axe à 180
oavec des coupes orthogonales (180
o= 90
o+ 90
o) (fig. 1).
Fig. 1 – Coupe orthogonale ou coupe tibiale à 87
o.
Pour Hungerford (50), il faut obtenir un axe à 180
oavec une coupe tibiale à 3
ode varus et une coupe fémorale à 3
ode valgus (180
o= 93
o+ 87
o) reproduisant ainsi l’obliquité de l’interligne (3
ode varus) et lui permettant d’être parallèle au sol en appui monopodal. Cette option peu reproductible et source d’erreurs (risque de plane oblique dans la coupe tibiale) est peu retenue aujourd’hui.
L’apport de la navigation peut réactualiser cette conception.
La tactique opératoire dépend du cas clinique et du modèle de prothèse utilisé. Certaines grandes déformations complexes (varus ou valgus très mar- qués) ne sont pas les plus fréquentes aujourd’hui, car les malades sont opérés plus précocement avant l’apparition des déformations majeures. L’interven- tion concerne le plus souvent une arthrose du genou et, dans plus de 60 % des cas, il s’agit d’une gonarthrose sur genu varum.
Quel que soit le type de prothèse choisie par l’opérateur, il existe une instrumentation ancillaire qui facilite la mise en place des implants.
L’apparition récente de la navigation assistée par ordinateur doit permettre d’éviter les défauts de coupe. Elle permet de réaliser des coupes parfaitement orthogonales et de s’assurer de la bonne taille de l’implant.
La tactique opératoire concerne les points suivants : – la séquence des gestes opératoires ;
– l’ordre des coupes osseuses ;
– la conservation du ligament croisé postérieur (LCP) ; – le resurfaçage éventuel de la rotule.
La séquence des gestes opératoires
Dans les années 1980, la tendance était de réaliser l’équilibrage ligamentaire avant les coupes osseuses, ce qui n’est pas très satisfaisant, car la correction ligamentaire risque d’être excessive (laxité) et de plus, il est difficile d’imaginer la forme de l’espace fémorotibial en l’absence de résection des extrémités osseuses.
Depuis les années 1990, la tendance s’inverse avec des coupes osseuses premières, permettant d’isoler l’espace prothétique défini par son plafond (la coupe fémorale), son plancher (la coupe tibiale) et son enveloppe capsulo-ligamen- taire médiale et latérale (fig. 2).
Quand l’enveloppe ligamentaire ne comporte ni distension ni rétraction, les coupes osseuses sont faites sans tenir compte de l’équilibre ligamentaire, car elles n’entraînent pas d’asymétrie dans l’espace ainsi créé. Cet équilibre ligamentaire est quasi automatique et l’interligne articulaire est à hauteur normale (fig. 3).
Quand l’enveloppe ligamentaire comporte une rétraction de la concavité
sans distension de la convexité, un relâchement des parties molles rétractées
Fig. 2 – L’espace prothétique.
Fig. 3 – La hauteur de l’interligne varie en fonction du niveau des coupes.
permet l’équilibrage ligamentaire de façon simple. La difficulté consiste à obtenir un espace prothétique identique en extension et en flexion (fig. 4).
Quand l’enveloppe ligamentaire comporte une rétraction de la concavité et une distension de la convexité, il faut allonger le côté rétracté et lutter contre la distension de la convexité soit en augmentant la hauteur de l’espace fémorotibial (dans ce cas le niveau de l’interligne est ascensionné) (fig. 5),
Fig. 4 – Rétraction de la concavité.
Fig. 5 – Rétraction de la concavité et distension de la convexité.
soit en réalisant une plastie-raccourcissement du côté distendu (cf. Traitement des varus et des valgus). Dans ces cas les plus difficiles, le sacrifice des éléments rétractés peut nécessiter le recours à une prothèse plus contrainte.
Ordre des coupes osseuses
La majorité des auteurs et la plupart des ancillaires préconisent la coupe tibiale première.
La coupe tibiale
Fondement de la prothèse, elle doit être impérativement perpendiculaire à l’axe du tibia dans le plan frontal.
Elle enlève une épaisseur ostéocartilagineuse qui retentit de façon égale sur l’espace fémorotibial en extension et en flexion.
Elle donne de la place et favorise la suite des temps opératoires.
Les coupes fémorales
Elles associent une coupe distale, une coupe postérieure et une coupe antérieure.
La coupe distale doit être impérativement perpendiculaire à l’axe mécanique du fémur dans le plan frontal ; elle est déterminante pour obtenir un axe correct du membre inférieur en extension. Elle forme le plafond de l’espace prothétique en extension et régit l’équilibrage ligamentaire en extension. Cet espace n’est pas influencé par la rotation fémorale.
La coupe condylienne postérieure forme le plafond de l’espace prothétique en flexion. Cet espace est influencé par la rotation fémorale et participe à l’équi- librage ligamentaire en flexion.
La coupe antérieure participe à la création du volume prothétique de profil (125).
Elle influence aussi le fonctionnement de l’articulation fémoropatellaire. Pour certaines prothèses, il faut aussi réaliser des chanfreins antérieurs et postérieurs qui sont habituellement les coupes ultimes (fig. 6).
Interdépendance des coupes : les coupes fémorales sont dites indépen- dantes quand, après la coupe tibiale et les coupes fémorales distale et posté- rieure, l’encombrement prothétique en extension et en flexion est équilibré par un spacer ou des pièces d’essai.
La coupe postérieure est dite dépendante de la coupe distale quand on
reporte en flexion à l’aide d’un tenseur l’espace réséqué en extension.
Fig. 6 – Les différentes coupes osseuses.
L’ordre des coupes fémorales dépend du choix de l’opérateur, de l’impor- tance de la déformation à corriger, mais aussi du modèle de prothèse choisie et de son ancillaire.
Certains commencent par la coupe distale, réalisent l’équilibrage ligamen- taire en extension, puis font la coupe postérieure en flexion.
D’autres commencent par la coupe fémorale postérieure, puis réalisent la coupe distale en extension.
La coupe rotulienne
Elle est nécessaire quand l’opérateur décide de mettre en place une prothèse rotulienne. Habituellement réalisée après la coupe tibiale et les coupes fémo- rales (cf. chapitre Les coupes osseuses), elle peut aussi être faite en début d’inter- vention, ce qui facilite la voie d’abord.
La conservation du LCP
Dans les indications de prothèse du genou, le ligament croisé postérieur est
présent dans plus de 90 % des cas (114).
Partisans et adversaires de la conservation du LCP s’affrontent et déve- loppent leurs arguments (5, 96, 106, 119). Aujourd’hui de nombreuses publi- cations confirment l’équivalence des résultats à long terme (4, 121, 102, 108, 116). Si les partisans de la résection du LCP apparaissent numériquement plus nombreux (il y a plus de prothèses postéro-stabilisées posées), un certain nombre d’auteurs (113, 117) préfèrent conserver le LCP.
Il existe habituellement une version postéro-stabilisée et une version pos- téro-conservée pour chaque modèle de prothèse.
La conservation du LCP est possible chaque fois que l’espace ne comporte pas de distension ligamentaire. C’est le cas de la majorité des arthroses sans déformation axiale majeure (inférieure à 8
o), des nécroses et des maladies inflammatoires peu déformées.
Lorsqu’il existe une distension de la convexité, plus fréquente dans les valgus, il est préférable de proposer une prothèse postéro-stabilisée. Il en est de même dans les déformations importantes associant varus et flexum chro- nique où le sacrifice du LCP est indispensable, car sa rétraction est un obstacle à la libération de la concavité rétractée (76). La résection du LCP ouvre l’espace en flexion de 5 mm en moyenne ce qui peut obliger à l’utilisation d’un plateau polyéthylène plus épais.
Le resurfaçage éventuel de la rotule
Le choix de resurfacer la rotule est un choix personnel en fonction des convictions du chirurgien et des données de la littérature (14, 17, 43, 94).
Certains réalisent un resurfaçage rotulien systématique quel que soit l’état de la rotule.
D’autres ne posent jamais de prothèse rotulienne, se contentant d’un remodelage de la rotule, réséquant les ostéophytes et avivant les zones scléreuses.
D’autres enfin font le choix d’un resurfaçage prothétique en fonction de l’état de la rotule.
Si la rotule, bien centrée en préopératoire, dispose d’un cartilage correct et épais, il est possible de ne pas mettre d’implant rotulien. C’est le cas de certaines arthroses sur genu varum.
À l’inverse, une rotule avec des lésions ostéocartilagineuses justifie un
implant rotulien. C’est le cas habituel dans les genu valgum.
Préparation de l’arthroplastie
La voie d’abord ayant été préalablement choisie, l’articulation est abordée après une hémostase rigoureuse.
L’hydarthrose éventuelle est évacuée et l’extrémité supérieure du tibia est dégagée, en médial réalisant un équivalent de « release » plus ou moins impor- tant, et en latéral en dépériostant a minima le tendon rotulien pour exposer le plateau tibial externe.
La rotule est alors retournée. Si elle doit être conservée sans être « pro- thésée », il est alors nécessaire de réséquer les irrégularités et les ostéophytes éventuels (fig. 1). Si elle doit être prothésée, suivant sa dégradation, après la résection des principaux ostéophytes, la coupe osseuse est pratiquée dans le plan des tendons (quadricipital et rotulien) ; ce temps opératoire facilite le retournement de la rotule et l’exposition de l’articulation.
Fig. 1 – Les ostéophytes condyliens.
L’attitude à l’égard de la synoviale est habituellement conservatrice, mais il faut au moins dégager la synoviale sur la face antérieure sus-trochléenne du fémur pour mettre l’os à nu sur 3 à 4 cm environ et faciliter le contact de l’os avec l’ancillaire et l’implant définitif. Si la synoviale est pathologique (polyarthrite rhumatoïde, synovite villo-nodulaire...), une synovectomie plus ou moins large peut être souhaitable.
Les ménisques sont ensuite intégralement réséqués ; ce geste est parfois
difficile en arrière de l’articulation plus ou moins serrée. Du côté interne,
l’ablation de la corne postérieure du ménisque interne permet de subluxer
le tibia en avant, ce qui favorise l’abord. Parfois, le complément de
résection méniscale est réalisé après la coupe osseuse tibiale, ce qui ouvre l’arrière de l’articulation. Cela permet également d’ouvrir et d’évacuer un éventuel kyste poplité et de réséquer parfois une synoviale pathologique postérieure.
L’attitude à l’égard du pivot central dépend du choix prothétique préalable : – dans les cas assez rares où les deux ligaments fonctionnels peuvent être respectés et où l’on a décidé d’une prothèse à conservation des croisés, ils sont isolés et conservés ;
– le plus souvent, le ligament croisé antérieur (LCA) est absent ou non fonctionnel et seul persiste le ligament croisé postérieur (LCP). Quand le choix est celui d’une prothèse postéro-conservée, il faut bien repérer le LCP, en particulier au niveau de son insertion inférieure sur le tibia qui doit être protégée lors de la coupe tibiale ;
– si le choix est celui d’une prothèse postéro-stabilisée, il faut réséquer les deux croisés et bien dégager l’échancrure intercondylienne en coupant le ligament croisé postérieur sur son insertion fémorale supérieure au niveau de la face interne de l’échancrure intercondylienne.
Les ostéophytes sont ensuite largement réséqués au niveau fémoral et tibial.
Ce geste facilite la libération des éléments capsulo-ligamentaires rétractés.
Les ligaments latéraux doivent être respectés ainsi que le poplité dans le compartiment externe. Dans les varus, un release complémentaire en interne est parfois nécessaire en ruginant l’extrémité supérieure du tibia latéralement et en arrière pour désinsérer les plans du ligament latéral interne à son inser- tion tibiale. Ce release est réalisé progressivement jusqu’à correction de la rétraction du ligament interne.
Certains corps étrangers ostéocartilagineux plus ou moins libres en arrière de l’articulation doivent être retirés en ouvrant l’espace postérieur en varus et en valgus (en cas d’ostéochondromatose, par exemple) pour éviter un blocage ultérieur de l’articulation prothétique.
Cette préparation soigneuse préalable facilite les coupes osseuses et la
recherche d’un bon équilibre ligamentaire.
Les coupes osseuses
Les coupes osseuses sont déterminées par le bilan radiologique et la planifi- cation préopératoires. Elles doivent être réalisées en tenant compte des axes osseux et des rotations, de la gestion des espaces osseux entre le fémur et le tibia en flexion et en extension, ainsi que de l’équilibre ligamentaire.
Pour obtenir une parfaite adaptation des coupes osseuses à la géométrie de la prothèse, il est nécessaire de bénéficier d’un ancillaire adapté et spéci- fique avec une lame de scie neuve pour chaque intervention.
Quelle que soit la prothèse choisie, il existe une instrumentation ancillaire spécifique. L’instrumentation est une aide à la réalisation technique de l’inter- vention qui doit rester sous le contrôle de l’opérateur.
Ordre des coupes
Le plus souvent on fait la coupe tibiale première, mais il est possible de réaliser la coupe fémorale en premier.
Si la rotule doit être prothésée, la coupe rotulienne peut être réalisée préalablement pour faciliter l’abord chirurgical.
La coupe tibiale
Elle doit être orthogonale dans le plan frontal. Dans le plan sagittal, la pente postérieure est fonction de la prothèse choisie, suivant que l’on utilise un plateau fixe (une pente postérieure de 3
oest habituellement intégrée dans le polyéthylène) ou un plateau mobile (une pente de 7
oest classique). Il faut absolument éviter de réaliser une coupe à pente inversée (fig. 1).
Fig. 1 – Coupe à pente tibiale inversée.
Les guides de visée
Ils peuvent être intra- et/ou extramédullaires (19, 57, 120).
La visée intramédullaire est constituée d’une tige métallique introduite dans le canal médullaire à partir d’un point d’entrée prédéterminé habituellement dans la surface préspinale (fig. 2). Elle donne l’axe anatomique du tibia (fig. 3).
Isolée, la visée intramédullaire présente des inconvénients :
– la tige-guide peut s’engager en varus ou en valgus dans le tibia et donner un axe frontal erroné (fig. 4) ;
Fig. 2 – Point d’entrée de la tige tibiale intramédullaire.
Fig. 3 – La tige intra- médullaire définit l’axe mécanique du tibia.
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