Le télétravail va-t-il tuer le salariat ?
Publié le 21 décembre 2020
Le salariat s’est généralisé au cours de la deuxième moitié du siècle dernier dans les économies développées, pour couvrir plus de 80% de la population active. Cette généralisation s’est traduite par une triple unité pour le travail. Suivant les règles du théâtre classique, le travail se déroulait désormais dans une unité de temps, de lieu et d’action. Des horaires fixes et déterminés à l’avance unifiaient le temps de travail. Le regroupement des ouvriers dans des usines sur des chaînes de montage puis des employés dans des bureaux a créé l’unité de lieu. Auparavant dispersés, travaillant souvent de chez eux, les travailleurs du XXème siècle ont dû s’habituer à venir à l’usine ou au bureau pour effectuer leur journée de labeur. Enfin, l’unité d’action se caractérisait par la standardisation du type de contrat utilisé pour formaliser la relation de travail : le fameux contrat à durée indéterminé (CDI) !
Aujourd’hui se pose la question de savoir si l’essor du télétravail ne va pas achever de mettre fin à cette triple unité, si caractéristique du salariat moderne. Il faut dire que les coups de butoir avaient commencé depuis plusieurs décennies. A partir des années 1980, la diversification des contrats de travail (CDD, intérim,
apprentissage etc.) avait commencé à saper l’unité d’action. Si le CDI reste majoritaire, sa part dans la population active est passée en dessous de la barre des 60% en Europe. Et en flux, plus de 80% des embauches sont
désormais réalisées sous forme de CDD, avant d’être éventuellement transformées dans un second temps en CDI. Parallèlement, l’unité de temps s’est distendue avec le besoin de flexibiliser les horaires de travail pour adapter la production aux fluctuations croissantes de l’économie. Crise économique, volatilité croissante, ont entraîné pour les entreprises la nécessité de pouvoir adapter le temps de travail en fonction des carnets de commande. Mais l’unité de temps a également été remise en question par les individus eux-mêmes, souhaitant travailler à temps partiel, en horaires décalés, le soir ou le week-end pour certains. Cette déstandardisation des horaires a fait éclater la belle unité de temps.
Dernier bastion de l’unité à avoir le mieux résisté jusqu’à présent, l’unité de lieu est aujourd’hui attaquée de toute part. Ce que la digitalisation avait commencé, la crise du Covid l’a accéléré à la vitesse de la lumière ! Avant le premier confinement, environ 7% de la population active effectuait régulièrement du télétravail. Ce chiffre a explosé au cours du premier confinement pour atteindre près de 35% ! Alors que face au télétravail les plus frileux La nouvelle réalité du travail
DENIS PENNEL
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A propos Denis Pennel
Directeur Général de la confédération mondiale de l’emploi (World Employment Confederation), Denis Pennel est un spécialiste reconnu du marché du travail. Conférencier, influenceur, auteur de plusieurs livres et de nombreux articles sur le marché du travail, il fait partie du classement des 100 professionnels des ressources humaines les plus influents au niveau mondial (classement du magazine Staffing Industry Analysts).
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étaient les employeurs, ceux-ci se sont convertis – de gré ou de force – au cours des derniers mois. Finies les réticences face à la peur de perte de productivité, de contrôle ou de motivation de leurs collaborateurs. Depuis mars dernier, les salariés ont démontré que travailler à la maison ne signifiait pas se lever à 10h, travailler en pyjama jusque midi puis faire la sieste après le déjeuner. Au contraire, les télétravailleurs ont démontré leur résilience face à la crise, leur engagement au travail, et le fait qu’on pouvait leur faire confiance à distance. Certaines études ont même démontré que la productivité a augmenté, les travailleurs étant débarrassés de bureaux open-space bruyants et contre-productifs, de petits chefs voulant tout contrôler en permanence et/ou de perte de temps dans les trajets domicile bureau !
Un cadre de travail devenu plus épanouissant, où le salarié a retrouvé de la liberté dans la façon d’organiser son travail et la maîtrise de son emploi du temps. Le Covid a parachevé la quasi-disparition du salariat traditionnel, ce fameux CDI fordiste, à horaires fixes, réalisé sur un lieu déterminé, du lundi au vendredi de 9h à 17h !
Mais au-delà de la triple unité de temps, de lieu et d’action, le télétravail remet en cause une autre caractéristique – juridique cette fois – du salariat : le lien de subordination. Définie en droit comme l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Mais comment continuer à appliquer ce principe quand votre collaborateur se trouve à plusieurs dizaines de kilomètre de son bureau ? Au lien de subordination doit se substituer une relation de confiance, où le présentéisme n’a plus aucun sens et où seuls comptent les résultats. Une dernière évolution qui risque de mettre à mal définitivement la relation salariale dans sa compréhension actuelle.
Cet article fait partie d’une série dont les thèmes sont issus de mon nouveau livre, paru le 18 décembre dernier. Plus d’infos ici
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