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Chapitre III. Nord du Mali: sous le règne des

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Chapitre III. Nord du Mali: sous le règne des"djihadistes"

«Intégristes», «extrémistes» et «terroristes», les qualifications n’ont pas manqué dans les grands médias occidentaux (et arabes), mais aussi dans les cercles militants, de l’extrême droite à l’extrême gauche, pour qualifier les divers mouvements se réclamant de l’Islam radical actifs au nord du Mali depuis le début des années 2000. Incontrôlable par le pouvoir de Bamako et partant du principe que la nature a horreur du vide, le nord du Mali est devenu un véritable no man's land. Infiltrés aussi bien par les services de renseignement des pays riverains comme par les centrales d'intelligences internationales, la dynamique des réseaux terroristes s'imbrique avec les calculs géopolitiques des rivalités régionales extrêmement sensibles et complexes. Cette attitude alimente l'instrumentalisation de la sécurité comme enjeu majeur dans les rapports de force tout comme dans la gestion des conflits d'intérêts politiques, économiques, et stratégiques à l'échelle régionale. Face à la complexité de la menace terroriste, la prudence doit guider tout effort de recherche. Au Sahel, le «terrorisme islamiste» semble combiner une part d’authentique et une part de manipulation par des services étatiques et des sources obscures. On ne peut réduire les agissements criminels des groupes armés se réclamant de l’Islam à la simple expression d’une idéologie obscurantiste. Celle-ci existe assurément et peut animer nombre de jeunes en déshérence, qui y trouvent une voie pour exprimer leur révolte ou pour sortir de leur misère, grâce aux soldes distribuées par les chefs de ces groupes. Mais ces derniers sont aussi largement instrumentalisés par divers acteurs étatiques de la région, voire également par les services de puissances étrangères (France, États-Unis, États du golfe Arabo-Persique).

1- Terrorisme au Sahel: définitions et dimensions

Dans les études sur le «terrorisme», la définition ne constituait pas forcément le point de départ de la recherche mais son point d’arrivée. En effet, il faut non seulement de rompre avec les prénotions de la connaissance vulgaire, en utilisant une définition précise de l’objet, mais l’emploi même du mot pose problème au point d’être refusé par certains chercheurs. La connotation du mot a conduit à une importante multiplicité des définitions du phénomène sans que le débat scientifique ne connaisse d’avancée significative. La variabilité des définitions et la diversité historique et géographique des

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organisations désignées par ce terme conduisent à s’interroger sur l’emploi même du mot; alors même que cette instabilité définitionnelle est loin d’être unique. Définir le terrorisme est plus difficile qu’il n’y paraît: l’appellation relève davantage de la rhétorique politique que d’une réalité juridique. Seul le recours à l’histoire permet d’y voir plus clair. La mise en place d’une définition consensuelle du phénomène terroriste ne se heurte pas seulement à des considérations académiques, mais également à des sensibilités politiques. A cet effet, il s’avère indispensable dans cette étude de faire une taxonomie des terrorismes dans l’objectif de dresser un tableau, aussi exhaustif que possible, sur les motivations, l’idéologie et les modes opératoires des groupes terroristes dans la région étudiée. Il faut insister ici sur la spécificité du sujet traité (le terrorisme) et sur la complexité de la situation sur le terrain (sécuritaire), lesquelles rendent l’accès aux «sources de première main» particulièrement difficiles, d’autant le domaine, défense et sécurité, est soumis à toutes les formes de distorsion et de manipulation, du côté terroriste comme gouvernemental. Pour éviter les analyses approximatives et les extrapolations abusives, l’une des méthodes les plus sûres consiste tout de même à recourir prioritairement à des sources de première main, c’est-à-dire à des documents originaux, écrits en langue arabe, et à les soumettre à une analyse critique avant d’aller plus loin dans la construction interprétative.

Le «terrorisme» est un mot qui remonte à la terreur mise en œuvre par Robespierre en 17931. Il fait son entrée dans les dictionnaires à la fin du XVIIIe siècle, pour désigner ce mode de gouvernement édifié sur la terreur. Le terrorisme d’État, ce mode de gouvernement des hommes par l’emploi de la terreur, est donc apparu en premier. Mais

1 Le mot trouve son origine dans le mot «terreur». La terreur annihile la raison et paralyse, à moins

qu’elle n’inspire la panique. En tant que politique, elle fait son apparition pendant la Révolution française. Le contexte est connu: une coalition étrangère menace la France, un climat de tension s’installe à l’intérieur du pays quand survient l’assassinat de Marat, l’«Ami du peuple», par Charlotte Corday, le 13 juillet 1793. Ce crime entraîne les sectionnaires parisiens dans une tornade rhétorique d’où émergent l’idée et le mot de «terreur politique». Le projet gagne la Convention, le 12 août 1793, lorsqu’il est envisagé tant par Danton que par Robespierre, et c’est le conventionnel Royer, lors d’une séance du 30 août au club des Jacobins, qui forge l’expression consacrée: «Qu’on place la Terreur à l’ordre du jour, c’est le seul moyen de donner l’éveil au peuple et de le forcer à se sauver lui-même». La mesure est votée le 5 septembre 1793. La Terreur entre alors dans l’histoire politique ! Elle y entre par la grande porte, celle de l’État et d’une politique légitimée au nom du salut public. En 1798, la cinquième édition du Dictionnaire de l’Académie française fait apparaître le mot «terrorisme», défini comme un régime de terreur (donc un régime politique), et le terroriste comme un agent ou partisan de ce régime. Voir G. Ferragu, Le terrorisme en définitions, "L’Histoire", 09/01/2015 (disponible sur : www.histoire.presse. fr/actualite/infos/terrorisme-definitions-09-01-2015-128346).

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l’emploi du mot se répand fort lentement.2

Il apparaît en 1866, pour fustiger la violence des nationalistes irlandais. Il réapparait en 1883, pour stigmatiser les attentats fomentés par les révolutionnaires en Russie. En France, il ne devient d’usage courant qu’aux environs de 1920, alors que ce pays a connu dès 1892, une série d’attentats dont ceux de Ravachol et l’assassinat du Président Sadi Carnot. Les «Lois scélérates» de 1893-1894 sanctionnent ces violences, mais elles assignent les «menées anarchistes», sans jamais user de la notion de terrorisme3. Pour les historiens, ce phénomène qui est d’abord un fait objectif, une violence exercée envers autrui qui peut aller d’une manifestation symbolique aux horreurs les plus abominables, ne prend sens que dans une longue durée des rapports de violence au sein de l’humanité. Les politologues, pour leur part, consacrent dans leur définition du terrorisme la finalité idéologique même de l’acte de violence. Selon eux, le terrorisme relève exclusivement de l’espace du politique.4

Si la terreur demeure l’emploi par les puissants des instruments de domination et d’intimidation des masses, le terroriste est celui qui use des méthodes de la terreur pour compenser sa faiblesse numérique et logistique et faire accéder ses revendications au plan politique5. Il faut quasiment un siècle pour que «terrorisme» prenne sa signification actuelle. Elle est presque inverse: la violence d’organisations clandestines luttant contre l’État par la terreur. Aujourd’hui, le mot a fini par signifier une forme d’usage de la violence politique dans le cadre d’une stratégie asymétrique, qui amalgame modes de destruction visant à déstabiliser un Etat et modes de médiatisation destinés à frapper les esprits6.

Les attentats de 2001 et leurs suites ont pourtant démontré l’urgence d’une définition qui fasse consensus en droit international.Comme objet d’une réflexion scientifique, le terrorisme pose problème. Le sujet, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001, est pourtant scruté et analysé tant par les juristes que par les sociologues ou les journalistes. Mais tous aboutissent à un même constat: la difficulté, voire l’impossibilité de donner au terrorisme une définition objective qui fasse l’unanimité7

. Le terme est

2 F.-B. Huyghe, Terrorisme: vecteurs et messages I, "Huyghe.fr", 10/09/2007 (disponible sur:

www.huyghe.fr/index.htm).

3 L. Boukra, Le terrorisme, définition, histoire, idéologie et passage à l’acte, Alger, Ed. CHIHAB, 2006,

p. 165.

4 Ibidem.

5 R. Baudouï, Les défis du terrorisme , Paris, Ed. ELLIPSES, 2007, p. 48. 6 L. Boukra, op.cit., p. 165.

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connoté et ses contours demeurent flous, à l’image de cette «guerre contre le terrorisme» prônée par l’administration de George W. Bush en 2001, dont les impasses (à la fois juridiques et stratégiques) sont désormais manifestes. Cette difficulté à définir un phénomène devenu omniprésent dans les médias et la culture tient à la multiplicité de ses formes (du vandalisme «politique» à la terreur de masse, en passant par l’assassinat ciblé), à la multiplicité de ses acteurs (de l’individu à l’État) et surtout des points de vue. La réflexion sur le terrorisme est rendue plus complexe encore par la charge émotionnelle de ce terme: le terroriste d’hier peut être le libérateur de demain et, du reste, rares sont les terroristes à revendiquer cette appellation. Celle-ci relève donc plus de la rhétorique politique que d’une réalité juridique. Défini comme une violence politique a priori illégitime, le terrorisme nous renvoie aux formules du juriste allemand Carl Schmitt pour qui le rôle de la politique est de distinguer l’ami de l’ennemi, et non le bien du mal ou le juste de l’injuste8

.

Si, depuis les attentats terroristes du 11 septembre perpétrés aux États Unis par un réseau d’activistes islamistes, un amalgame peut s’effectuer entre l’Islam et le terrorisme9 c’est parce qu’un certain nom de préjugés, d’a priori, de fausses évidences, existent encore aujourd’hui à l’endroit de la religion musulmane. Ces préjugés s’avèrent le fruit d’une méconnaissance de la pensée et de la théologie islamiques, et le résultat d’une médiatisation trop grande de l’islam radical. Pourtant, ces phénomènes restent le fait de groupes minoritaires tant dans le monde musulman qu’en Europe occidentale, et n’ont pas abouti à la construction d’États islamistes radicaux, à l’exception du régime taliban en Afghanistan instauré en 1996, alors que l’Islam dit modéré, c’est-à-dire tolérant et pacifique, quotidien et piétiste concerne l’immense majorité des musulmans, tant dans les pays musulmans que dans les pays d’immigration. Le «terrorisme islamiste» (parfois appelé terrorisme islamique) fait référence aux attentats, et aux autres actions de terrorisme, commis par certains mouvements qui se disent islamistes. Ils sont le fait principalement de groupes «salafistes-djihadistes»10.

8 Ibidem.

9 Autrement dit, si les populations occidentales, de culture judéo-chrétienne, risquent de considérer

l’islam comme une religion violente, voire terroriste.

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Étymologiquement, «salafisme» (en arabe: as-salafiyya) provient du mot salaf, «prédécesseur» ou «ancêtre», qui désigne les compagnons du prophète de l'Islam. Le salafisme contemporain est un mouvement composite, constitué de plusieurs mouvances. En particulier, on peut distinguer un courant "quiétiste", quantitativement le plus important, centré sur la prédication et un courant « révolutionnaire » qui prône le djihad armé. Chacun de ces courants prétend incarner le vrai salafisme et critique les autres

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Au XXIe siècle, le «terrorisme islamiste» est souvent considéré comme un mouvement mondialisé, en raison d'un discours similaire, et de la mise en avant que quelques grandes «causes» qui le justifierait: injustices subies par des musulmans en Palestine, en Bosnie ou au Cachemire. Il se manifeste dans les pays occidentaux, et principalement dans les pays de tradition musulmane, notamment en Afrique et au proche et Moyen-Orient. Cette mouvance du «salafisme» se refuse à limiter l'action religieuse à la prédication et fait du djihad armé le cœur de son activité. Les «salafistes» de cette tendance sont ainsi favorables au combat, afin de libérer les pays musulmans de toute occupation étrangère mais également de renverser les régimes des pays musulmans qu'ils jugent impies pour instaurer un État authentiquement islamique. Cette tendance salafiste est née, dans les années 1980, en Afghanistan, à l'occasion de la guerre contre l'occupation soviétique. Cette tendance poursuit donc une stratégie révolutionnaire violente qui vise à renverser les États des pays musulmans pour instaurer un État islamique par la force. Cela les conduit également à entreprendre des actions violentes à l'encontre des pays occidentaux perçus comme les soutiens de ces États. Le groupe terroriste parle toujours au nom d’un sujet historique qui le dépasse: la Nation, les opprimés, les vrais croyants, l’Ummat islamiyya (la Nation islamique). C’est là la source de ce qu’il considère comme sa légitimité. Elle lui permet de ne pas respecter la légalité de l’État qu’il combat.

Ainsi, c’est dans ce monde nouveau, éclaté, turbulent et agité, aussi mouvant qu’instable, qu’a pris progressivement racine un terrorisme massif, irrationnel, mutant, fluide et criminalisé: la menace islamiste radicale, illustrée notamment par la nébuleuse Al-Qaida (en arabe: Tanzim Al-Qaida). Abdullah Azzam11 était le principal fondateur d’Al-Qaida. Après la mort d’Azzam, Oussama Ben Laden est devenu leader de la transnationale qu’est Al-Qaida. L’Afghanistan est la terre féconde sur laquelle Al-Qaida prendra son essor. Ben Laden exigeait une multiplication immédiate des attaques des

courants de manière virulente. Voir S. Amghar, Le salafisme en Europe: la mouvance polymorphe d’une

radicalisation, "Politique Étrangère", 2006 (disponible sur:

http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-65.htm).

11Abdullah Azzam est né dans le nord de la Palestine en 1941. Diplômé de l’université égyptienne Al_Azhar en 1973, il participe au djihad en Afghanistan. A Peshawar au Pakistan, où il s’installe en 1984,

il crée une structure chargée du financement, du recrutement et de la formation des moudjahidin pour combattre l’invasion soviétique en Afghanistan. Cette structure s’appelle Maktab al_Khadamat (Bureau des services). Il était le chef. Oussama Ben Laden était son adjoint, le vice-émir. Azzam est mort dans un attentat le 24 novembre 1989 à Peshawar. Voir S. Daniel, AQMI. L'industrie de l'enlèvement, Paris, Fayard, 2012, p. 115.

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moudjahidin contre les «ennemis de l’Islam», alors qu’Azzam souhaitait concentrer dans un premier temps les forces sur l’Afghanistan. La gesticulation stratégique américaine de l’Afghanistan à l’Irak en passant la Corne de l’Afrique au Yémen va plutôt réveiller les mouvements islamiques armés plutôt que de les éteindre. Après la débâcle d’Al-Qaida en Arabie Saoudite, le Yémen est devenu la base de repli de ses affidés; qui ont évolué sous les couleurs d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA). On retrouve le prolongement de la nébuleuse dans le «pays aux deux fleuves»; l’Irak. En Asie du Sud-Est, Al-Qaida avait noué des liens éphémères avec la Jamaa

Islamiya, rapidement décapitée. Dans la bande de Gaza, où certains pensaient que

Hamas ouvrirait ses portes à Al-Qaida pour l’aider à combattre Israël, ce ne fut pas le cas: le Hamas lui-même a organisé un assaut sanglant en 2009 contre une mosquée réputée être le refuge d’Al-Qaida12

.

Cette nouvelle génération de fanatiques sans frontières qui désormais essaime d’un bout à l’autre de la planète utilise et retourne les armes et les moyens technologiques de l’Occident contre lui. Al-Qaida, par son adaptation au monde moderne déstructuré et déterritorialisé, fit preuve ainsi de sa capacité de résilience. Mais Al-Qaida, malgré quelques attentats spectaculaires, échoue sur ces points durs. A partir des années 2003, on a assisté à une fragmentation du réseau qui cherche à consolider des positions locales. Les erreurs stratégiques américaines et les zones grises ouvertes par la faillite de certains Etats leur en donnent l’opportunité. C’est l’Irak qui devient le «terrain de jeu», mais également le Yémen et la Somalie. C’est pour cette raison également que les Algériens vont s’ouvrir à l’espace maghrébo-sahélien en utilisant les espaces libres du Sahara, les mouvements irrédentistes locaux (Touaregs et autres) et la faiblesse des États de la région également incapables de s’organiser collectivement en raison de dissensions anciennes comme celle du Sahara occidental. Issu d’une scission au sein du Groupe Islamique Armé (GIA), le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat change officiellement de nom en 2007 et devient Al-Qaida au Maghreb Islamique. Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) pourrait bien devenir Al-Qaida au Sahel islamique, tant cette région apparaît comme son nouveau sanctuaire. Dans une bande aux limites floues, qui ondule du Sénégal au Soudan, des groupes islamistes menacent l’équilibre d’une grande partie de l’Afrique. Le phénomène est, en effet, très largement

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répandu en Afrique. Il y est pratiqué par certains mouvements rebelles et certaines forces gouvernementales. Les uns comme les autres recourent largement aux moyens de la terreur et de l’effroi13

. Pour comprendre le développement du terrorisme au Sahel, il s’avère utile de procéder par une double approche, l’une s’attachant à sa dimension internationale actuelle et l’autre au recours à la terreur comme une stratégie délibérée dans la plupart des conflits intérieurs qui affectent le continent africain.

2- Sahelistan*: du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) à Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI)

Contrairement à une idée reçue, les liens entre les islamistes algériens et Al-Qaida ne sont pas nouveaux. L’AQMI n’est pas né spontanément. Il est le fruit de recompositions successives de l’islamisme radical dans cette zone géographique et de l’évolution géostratégique mondiale. En Algérie, la fin des années 1990 se caractérise par une atomisation de la nébuleuse islamiste armée et la prolifération des logiques de violence terroriste. Les Groupes Islamiques Armés (GIA), la plus radicale et la plus violente des organisations algériennes se réclamant de l’islamisme intégriste, ont vu le jour quelques mois avant les élections législatives algériennes de décembre 1991. Ces groupes recrutent surtout parmi les anciens volontaires algériens formés à la guerilla dans les maquis d’Afghanistan (voir Afghans), d’autres qui ont combattu en Bosnie, ainsi que parmi les jeunes des classes sociales les plus défavorisées.

Le premier mouvement armé important à émerger, fut le Mouvement islamique armé (MIA), juste après le coup d’État, suivi en février 1992 par le Mouvement pour un état islamique (MEI); ces deux mouvements armés restaient plus ou moins fidèles au Front islamique du salut (FIS) clandestin représentant leur façade politique. Cette allégeance au FIS provoque en janvier 1993 une scission au sein du MIA et donne naissance au Groupe islamique armé (GIA)14. Il est alors dirigé par un émir Abou Abd Ahmed (ou Sid Ahmed Mourad, surnommé «Djafaar al-Afghani») (1993-1994) et est basé autour

13 J. Cilliers, L’Afrique et le terrorisme, "Afrique contemporaine", Printemps 2004, p. 84 (disponible sur:

https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=AFCO_209_0081).

*Les termes «Sahélistan» ou «narco-jihad» ont fréquemment été employés depuis deux ans pour décrire la situation au Nord Mali et dans la bande saharo-sahélienne. Voir par exemple S. Laurent, Sahelistan, Paris, Seuil, 2013.

14 Voir J. Baud, Groupe Islamique Armé (GIA), "Global Terrorist Watch", 07/06/2012 (disponible sur :

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d’Alger. Il se caractérise par son intransigeance exprimée par sa devise «Pas de dialogue, pas de réconciliation, pas de trêve»15.

Le GIA, dirigé par Djamel Zitouni, était secoué par une crise interne profonde. Dès son «couronnement» à la tête du GIA, Zitouni s’est investie dans une gigantesque entreprise de purge16. Il a procédé à l’élimination d’un nombre important d’«Afghans» (algériens vétérans de la guerre d’Afghanistan) dont il se méfiait. Saïd Makhloufi, émir du Mouvement pour l’Etat islamique (MEI) n’échappera pas à la vindicte de Zitouni qui, isolé et traqué, sera attiré, par ses proches fidèles, Hassan Hattab et Abderezzak le Para, dit Abou Loubaba, dans la région de Médéa, fief du dissident Belhadjar, où il sera exterminé avec vingt autres terroristes qui l’accompagnaient, le 6 juillet 199617. Après quelques remous au sein du GIA, Antar Zouabri est désigné émir national18. Pour redorer le blason terni de son organisation et juguler son isolement croissant, tant en Algérie qu’à l’étranger, au sein de la mouvance salafiste djihadiste internationale, Zouabri va se lancer dans des actions spectaculaires et sanglantes, notamment les massacres collectifs, principalement dans les hameaux et villages habités par des sympathisants de l’Armée islamique du salut (AIS), par des familles de dissidents et/ou de résistants, afin de dissuader par la terreur toute velléité de sécession ou d’opposition. Au début de l’année 1997, le GIA n’est déjà plus que l’ombre de lui-même. Miné par une série de dissidences, il pèse de moins en moins lourd devant les nouveaux groupes islamistes armés, notamment devant le groupe de sa zone II (Boumerdès – Tizi Ouzou – Bouira – Bejaia – Bordj Bou Arreridj – Msila) de Hassan Hattab, qui ne tardera pas à devenir le nouveau cadre fédérateur de l’islamisme armé en Algérie: le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, en arabe: Al-Jama’a es-Salafiyya li Da’wa wa

‘l-Qital) créé le 24 avril 1998 par Hacène Hattab (alias Abou Hamza) et Zerabib

Ahmed (alias Cheikh Ahmed Abou al--Bara) comme une dissidence du GIA, en réaction à sa politique d’attentats indiscriminés19. Le GSPC est donc le produit d’une crise de la mouvance islamiste armée: une crise idéologico-politique doublée d’une

15 Ibidem.

16 L. Boukra, Du groupe salafiste pour le combat (GSPC) à la Qaida au Maghreb Islamique (AQMI),

"Editorial de la revue African Journal, Centre africain pour l’étude et la recherche sur le terrorisme CAERT", Alger, 06/2010, p. 39 (disponible sur: http://caert.org.dz/Publications/Journal/journal.pdf).

17 Ivi, p. 40. 18 Ibidem. 19

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impasse sur le plan militaire, qui a sonné le glas de la «Salafiya takfiriya»20. En septembre 1998, paraît le 1er communiqué officiel du GSPC. Il est titré «Communiqué de l’Unification»21

. L’exorde dudit communiqué insiste sur la nécessité de coaliser les rangs de tous ceux qui se réclament du salafisme algérien. La suite du communiqué est un compte-rendu des décisions prises lors de cette réunion: unification de la zone II et de la zone V du GIA (Batna, Biskra, Oum el Bouaghi, Kenchela, une partie du constantinois), adoption d’un nouveau sigle (GSPC), ralliement au GSPC de la Katibat

El Fath, nomination de Hassan Hattab comme émir provisoire de l’organisation. Les

membres fondateurs agréent une Charte, qui stipule dans son article 1er: «Le GSPC est un groupe ayant une doctrine salafiste et une conduite conforme aux salafs, qui vise l’instauration de la charia et le combat du régime renégat en Algérie»22

. Le groupe est apparu sous l’inspiration de l’internationale djihadiste afin de revivifier l’esprit du «djihâd» dont la légitimé a été fortement corrompue par les dérives takfiristes du GIA. Aussi, dès sa survenue, le GSPC prend-il le soin de désavouer explicitement du GIA, qu’il qualifie d’organisation de takfiristes, qui doivent être combattus et doivent répondre des crimes, qu’ils ont perpétrés contre le peuple algérien. En présence d’Hassan Hattab, émir provisoire depuis septembre 1998, un nouveau chef est plébiscité: Abou Moussab Abd Al-Madjid, ancien responsable du comité juridique du GIA. Son règne sera de courte durée. Il sera abattu deux mois plus tard (le 1 juin 1999) au cours d’une opération de ratissage menée par l’Armée algérienne dans la région de Taghda, entre Batna et Biskra. C’est ainsi, que l’ex-émir provisoire recouvrera incontinent son poste, avant d’être confirmé dans ses fonctions d’émir du GSPC, quelques sois plus tard.

Les principales zones d’implantation et d’activité du GSPC, dans la première moitié des années 2000 sont Boumerdès, Ain Defla et Biskra23. Après la confirmation de H. Hattab au grade d’émir national, les zones II, IV et VI tiennent une réunion, en mars 1999, pour

20 Les takfiris (du mot arabe يري ف ك ت) sont des extrémistes islamistes adeptes d'une idéologie violente.

Le terme takfiri signifie littéralement «excommunication». Les takfiris considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats, donc des cibles légitimes pour leurs attaques. L. Boukra, Du groupe salafiste pour le combat …, cit. p. 41.

21 Ibidem. 22

Ivi, p. 42.

23 Dans les années 2000-2006, le GSPC regroupe environ un millier d’hommes armés, répartis en sept

zones à travers le territoire algérien. Les Zones II, V, VI et VII sont les plus importantes: la zone II (la wilaya de Boumerdès et la wilaya de Tizi-Ouzou) ; la zone V (la wilaya de Batna) ; la zone VI (la wilaya de Jidjel) ; la zone VII (la wilaya de Skikda, la wilaya d’Annaba et la wilaya de Biskra). Ivi, pp. 44-46.

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stigmatiser les combattants qui ont déposé les armes dans le cadre de la «Concorde civile» initiée par le Président Bouteflika24. Le communiqué final se termine par un appel à l’unité des groupes salafistes opérant en Algérie. C’est dans ce communiqué, qu’apparaît, pour la première fois, le slogan: «Ni dialogue, ni trêve, ni armistice avec les renégats»25. En réalité, de 1998 à Septembre 2001, le GSPC est fortement ébranlé par des disputes internes et par de nombreuses désertions. Ses combattants vivotent péniblement dans les maquis, isolés et pourchassés par l’armée et les forces de sécurité. Par ailleurs, il est énormément affaibli par la politique de la «Concorde civile», mise en œuvre depuis 1999, qui a encouragé la reddition de plus de 1 000 combattants26

. Tous les experts s’accordent pour dire, que le GSPC était en phase d’extinction. Les attentats du 11/09 vont permettre de GSPC de se redéployer, en s’engageant dans une nouvelle dynamique de réanimation de l’esprit du «djihad» et d’un dessein d’unification des groupes salafistes armés sous une seule bannière. Encouragés par les attentats du 11/09, les émirs du GSPC multiplient les attentats contre les convois de l’armée et les patriotes. Dès 2002, le lien fut établi entre le GSPC et la maison mère, Al-Qaida, qui a dépêché dans le maquis algérien un certain Abou Mohamed al-Yemini, de nationalité yéménite, de son vrai nom Imad Abdel Wahid Ahmed Alouane27. Il était envoyé sur le terrain pour remonter le moral des troupes et voir comment elles étaient structurées. Les longs mois qu’il passe dans le Sahel le conduisent au Niger, au Mali, au Tchad, et en Mauritanie. Mais, en 2002, les forces de sécurité algérienne annoncent sa mort28. Avec l'invasion de l'Irak en 2003, le GSPC connaît une période d’ascension et de stabilité. Les divisions apparues à la suite des attentats du 11/09 affleurent de nouveau à la surface: d’un côté, il y a le bloc des panislamistes, qui accordent la priorité à la solidarité envers les «frères de l’islam» et prônent un soutien actif aux Irakiens ; d’un autre côté, le camp du «national salafisme», celui des partisans de lutte pour la fondation d’un Etat islamique en Algérie (ce groupe est conduit par Hassan Hattab, qui soutiendra, même après l’invasion de l’Irak, en mars 2003, l’option d’un «soutien passif» aux frères Irakiens ; ils

24 Voir H. Zerrouky, L’Algérie après la Charte pour la Paix et la Réconciliation Nationale, "Recherches

internationales", 2006, n. 75, pp. 25-40 (disponible sur: http://www.recherches-internationales.fr/RI75/ RI75-hassaneZerrouky.pdf).

25 Ivi, p. 47. 26 Ivi, p. 48.

27 S. Daniel, AQMI…, cit. p. 117. 28

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s’opposent à l’envoi de djihadistes algériens en Irak)29

. Hattab est mis en minorité au sein du Conseil du GSPC. Six mois après l’invasion de l’Irak par les troupes américaines, début août 2003, le Conseil du GSPC vote le principe d’un «soutien actif aux frères irakiens»; Hassan Hattab est définitivement désavoué, y compris par ses adjoint30. Le 18 juin 2003, le Conseil se réunit de nouveau, pour débattre des conséquences à donner à la démission de Hassan Hattab31.

Nabil Sahraoui (Abou Ibrahim Mustapha) succède ainsi à Hattab en août 2003. C’est un chef militaire qui a fait ses preuves comme émir de la zone V. Il sera chargé de mettre en application le principe de soutien actif aux frères Irakiens adopté par le Conseil du GSPC. Ainsi, en septembre 2003, à l’occasion du deuxième anniversaire de l’attentat du 11/09, il tente un rapprochement avec Al-Qaida, en diffusant un Communiqué de soutien (Communiqué n° 2/24), le 11 septembre 200332. C’est le premier signal fort et officiel que le GSPC dépêche, pour exprimer sa volonté de faire allégeance à Al-Qaida. L’Irak ne revient dans la littérature du GSPC, qu’un an après l’exorde de l’occupation américaine. Le premier communiqué du GSPC commentant les évènements en Irak est publié le 07 février 200433. Ce communiqué fait le bilan exhaustif des opérations conduites par le GSPC en hommage aux «frères irakiens». Après ce bilan, il convie expressément à s’attaquer à tous ceux qui supportent la guerre en Irak, c’est-à-dire, aux entreprises étrangères des mécréants parmi les Américains, les Britanniques et d’autres encore. Ledit communiqué témoigne d’une disposition nouvelle au sein du GSPC, qui va mener le nouvel émir, Abd Al Malek Droudkel, à placer le GSPC sous le parapluie d’Al-Qaida. Après un an passé à la tête du GSPC, Nabil Sahraoui est tué lors un affrontement avec l’Armée. Dès sa prise de fonction en 2004, Droudkel va s’atteler à renforcer le GSPC. En réalité, le GSPC est fort ébranlé par une nouvelle crise interne. Les contrecoups composés de l’action de l’armée et des forces de sécurité, de l’assèchement de son vivier de recrutement et des effets de la «Charte pour la paix et la réconciliation»34, ont mis à mal le GSPC. Le leadership de Droudkel est également contesté par certains émirs. Ce dernier cherchera une issue à la crise en déconnectant le

29 L. Boukra, Du groupe salafiste pour le combat …, cit. p. 49. 30 Ibidem. 31 Ibidem. 32 Ivi, p. 50. 33 Ibidem. 34

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GSPC du socle stato-national et, en conséquence, en accélérant le processus de sa «qaidisation».

Jusqu’en 2003 le GSPC s’était confiné à l’Algérie, bien que des groupes en relevant soient venus deux années auparavant prospecter le Sahara et le Sahel, qui devaient leur servir de base de repli et de recrutement. C’est à la mi-2003 que le GSPC s’est manifesté au Sahara et au Sahel avec l’affaire de otages occidentaux kidnappés dans le sud de l’Algérie près d’Illizi, dont une partie a été libérée dans le nord du Mali, dans la région de Gao, en aout 200335. La présence de groupes armés dirigés par des Algériens, comme Abdel Hamid Abou Zeid, Mokhtar Belmokhtar, était signalée à la mi-2001 par diverses sources dans les zones désertiques, sortes de no man’s land situés à la fois en Algérie (Illizi Tinzouaten), au Mali et au Niger (Adrar des Iforas), en Mauritanie (Taoudenni) et au Tchad (Tibesti), qu’écumaient des rebelles antigouvernementaux, des contrebandiers et des hors-la-loi, et où la notion d’Etat était réduite à sa plus insignifiante expression. Ces groupes armés se présentant comme «salafistes» étaient venus s’incruster dans une zone peu habitée pour constituer une base arrière à la lutte armée menée par leurs compagnons en Algérie par des enlèvements, le contrôle et l’organisation des trafics et des recrutements. L’implantation du GSPC dans la zone avait justifié le lancement de l’initiative américaine Pan Sahel (2002), visant à préparer les armées de la sous-région à la menace (voir notre prochain chapitre).

Au mois de septembre 2004, la relation avec l’organisation «Qaidat al-Djihad fi Bilad

al-Rafidayne» en Irak a été renforcée par l’intermédiaire du ressortissant algérien Adil

Saker Abou Yasser, qui était basé à Damas avant son arrestation et son extradition en Algérie, ce qui a valu au GSPC d’être désormais considéré comme un prolongement de la branche irakienne d’Al-Qaida dans la région du Maghreb et au Sahel. En mai 2005, un communiqué a été diffusé par le GSPC sous la plume de Khalid Abou Raabane au nom d’Abdelmalek Droukdel, lequel sollicitait le soutien de la branche irakienne d’Al-Qaïda pour insuffler une nouvelle dynamique au GSPC à l’intérieur de l’Algérie36. Le second semestre 2005 était un instant décisif dans la «qaidisation » du GSPC. Le 14 mai 2006, le GSPC a diffusé sur Internet un «Appel à l’Umma pour le djihad et la

35 S. Daniel, AQMI…, cit. p. 119. 36

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résistance»37. Ce communiqué invite les groupes salafistes djihadistes proches du GSPC en Afrique du Nord et dans les pays du Sahel (Mali, Niger et Tchad) à multiplier les attaques terroriste contre ces pays. Cet appel témoignait de l’orientation désormais officielle du GSPC vers une stratégie de prise en main de l’activisme terroriste au Maghreb et au Sahel sous l’impulsion de l’organisation Al-Qaida. Le 11 septembre 2006, dans un message vidéo, Aymane al-Zawahiri, a annoncé que le groupe avait officiellement rallié l’organisation Al-Qaida, ralliement confirmé le 13 septembre par le GSPC sur son site Internet dans une vidéo intitulée l’«enfer des apostats »38. Il rappelle ses troupes à «devenir une épine dans la gorge des croisés américains, français et de leurs alliés»39. L’Algérie a été sérieusement secouée par une série d’actes terroristes sans précédent au cours de l’année 2007. Cette compagne terroriste fut symboliquement marquée le 26 janvier 2007 par la proclamation de l’allégeance du Groupe salafiste pour la prédication et le combat à l’organisation Al-Qaida sous le nom de «Tanzim Al-Qaida

Bibilad al-Maghreb al-Islami»40. L’ex-GSPC, dont l’appellation générique est devenue AQMI, devient alors le principal moteur de cette violence terroriste. La nouvelle stature régionale de l’ex-GSPC l’a poussé à s’afficher comme pionnier et fédérateur de l’ensemble des tendances islamistes régionales se réclamant de l’idéologie d’Al-Qaida. Un tel effort de régionalisation s’est également accompagné du renforcement de l’implantation d’AQMI dans la zone sahélo-saharienne, qui s’est concrétisé par une augmentation significative de ses opérations de recrutement dans cette zone.

Cette reconversion va se traduire par une série de ruptures inaugurales de mutations aux plans doctrinal, opérationnel et stratégique. Sur le plan doctrinal, l’AQMI s’inscrit toujours dans la matrice du salafisme-djihadiste avec cependant un glissement dans la

37 Ivi, p. 122. 38 Ivi, p. 123.

39 Le 13 septembre 2006, deux jours après la vidéo de Zawahiri annonçant le ralliement du GSPC à

Al-Qaida, le groupe algérien publiait un communiqué confirmant «l’allégeance du GSPC au cheikh Oussama Ben Laden». Dans ce communiqué, Droukdel (connu aussi sous les noms d'Abou Mosabb Abdel Woudoud ou Abou Moussab) rappelle le devoir du «djihad» et de l’unité qui s’impose à tout Musulman, et explique les péripéties du ralliement de son groupe à Al-Qaida: «Grâce à la seule bénédiction d’Allah et après des tractations et des discussions intenses qui ont duré près d’un an, nous sommes heureux d’annoncer à la nation musulmane et à nos frère musulmans à l’est et à l’ouest, la grande nouvelle que les Moudjahidines ont tant attendue (…) c’est la nouvelle du ralliement du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat à l’Organisation d’Al-Qaida pour le djihad. Nous avons tous prêté allégeance, aussi bien les chefs que les soldats, au cheikh Moudjahid et à l’homme pieux, Abou Abdallah Oussama Ben Laden, qu’Allah le protège». Pour le texte original de ce communiqué voir les archives du site arabe de l’organisation (www.qmaghreb.org). Voir aussi Terrorisme: le GSPC devient Al Qaida au Maghreb, "L’Expression", 27/01/2007 (disponible sur: http://www.algerie-dz.com/article7973.html).

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détermination de l’adversaire: on passe d’un djihâd braqué contre l’«ennemi intérieur ou proche» à un djihâd dirigé désormais contre l’«ennemi extérieur ou lointain» (les pays occidentaux en général)41. Dès lors, le GSPC n’est plus un entrepreneur politique national, mais un acteur géopolitique, qui fédère tous les groupes salafistes armés du Maghreb (Tunisie, Maroc, Mauritanie, Libye). Désormais le GSPC/AQMI s’inspirant du modèle irakien recourt aux attentats suicides simultanés: des attentats à l’explosif à l’aide de véhicules (voitures piégés, camions bourrés d’explosifs) conduits par des candidats au martyre (volontaires kamikazes). L’objectif stratégique n’est plus l’instauration d’un État islamique en Algérie. Désormais, cet objectif est étendu à l’ensemble du Maghreb comme première halte dans l’établissement un «Califat islamique» mondial. Le changement de dénomination est suivi d’un changement de méthode, avec à la clé attentats-suicide et véhicules piégés en Algérie, ainsi qu’une expansion vers les pays de la sous-région: attaques, meurtres, attentats et enlèvements en Mauritanie (2007, 2008, 2009, 2011), enlèvements en Tunisie, au Niger et au Mali (2008, 2009, 2010, 2011)42. Sur les plans médiatique et propagandiste, l’ex-GSPC a sensiblement amélioré ses moyens de communication et son engagement dans la mouvance d’Al-Qaida, comme l’illustre la sophistication de son site Web, qui reprend la même mise en page que celui d’Al-Qaida. Le GSPC a entamé une politique d’internationalisation affirmée qui transparaît d’abord dans ses déclarations officielles. Les communiqués de revendication d’attaques locales et les déclarations concernant la politique nationale cèdent progressivement la place à des communiqués axés sur la politique internationale et sur les événements qui agitent le Maghreb ou le Moyen-Orient. On constate ainsi un glissement très net des préoccupations nationales vers des problématiques régionales ou internationales. En Algérie même, la longue série d’attentats contre les intérêts étrangers atteste bien de cette nouvelle stratégie d’internationalisation.

Sur les raisons de cette alliance, il faut noter qu’au-delà de la volonté du GSPC d’inscrire son «combat» sur l’échiquier international, l’organisation Al-Qaida tente de mettre en œuvre deux axes de sa stratégie: d’une part, se développer au Maghreb grâce à

41

En date du 3 janvier 2007, le comité d’information du GSPC a diffusé sur son site un enregistrement d’Abdelmalek Droukdel, qui, après avoir réitéré son allégeance à Oussama Ben Laden et formulé son attente des directives du leader d’Al-Qaïda, a appelé le peuple algérien à s’en prendre aux étrangers qualifiés d’agents des «croisés américains et français ». Voir ivi, p. 125.

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une de ses branches officielles et fédérer sous sa bannière, dans sa logique d’unification, les pôles régionaux ; d’autre part, mieux s’implanter sur le terrain européen en s’appuyant sur les relais du GSPC dans plusieurs pays européens: l’Espagne, la Grande Bretagne, l’Allemagne et la France43. Al-Qaida au Maghreb cherche à diffuser l’image des Occidentaux en général comme des «Croisés». Depuis la création d’Al-Qaida au Maghreb, la France est devenue le pays d’Europe le plus directement menacé. Elle est menacée par Al-Qaida au Maghreb pour deux raisons principales. D’une part, parce que les chefs de l’organisation partent du principe qu’elle soutient les régimes «dictatoriaux» au Maghreb uniquement pour protéger ses propres intérêts économiques et politiques et sans se soucier des conditions de vie des populations locales. D’autre part, parce que Al-Qaida considère toute forme de coopération avec la France comme une «ingérence» dans les affaires intérieures des pays du Maghreb, tout investissement étranger comme un «pillage» des ressources locales. La France est souvent présentée comme la puissance coloniale qui a occupé, par la force, une grande partie des terres musulmanes à partir du XIXe siècle.

Il ne faut pas oublier que Ben Laden a toujours été hostile à l’idée d’une «guerre civile», y compris en Irak. Pour le chef historique d’Al-Qaida, la cible prioritaire du «djihad» est «l’ennemi lointain», c’est-à-dire les forces étrangères qui occupent l’Irak et l’Afghanistan en l’occurrence. Or, pour les chefs du GSPC, même si les Algériens dans leur ensemble ne sont pas considérés comme des «mécréants» -comme au temps du GIA- il n’en reste pas moins que le pouvoir algérien est perçu comme «renégat» ou «apostat», tout comme l’armée et les forces de sécurité qui le protègent. L’essentiel des «tractations» dont il est fait mention dans le communiqué d’allégeance du GSPC porte sur cette question centrale pour Al-Qaida, qui ne veut pas être accusée de donner son aval à des «tueries de Musulmans», en donnant carte blanche à sa future branche maghrébine. C’est pourquoi le commandement d’Al-Qaida va d’abord orienter les forces du GSPC vers les opérations extérieures en dehors des frontières algériennes et, parallèlement, contre les intérêts étrangers en Afrique du Nord et dans la région du Sahel (tourisme, rallyes, multinationales). Ainsi, le groupe s’inscrit dans la stratégie «internationaliste» d’Al-Qaida, sans toutefois renoncer à son «algérianité», comme se plaisent à le répéter les chefs du GSPC.

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La mise du GSPC sous la houlette d’Al-Qaida est la résultante d’un échec signalé par la réduction drastique de ses capacités de nuisance militaire, le tarissement de ses sources de recrutement, la perte de la légitimité religieuse et l’isolement politique. Étouffant également de plus en plus en Algérie, cherchant à se procurer des armes plus facilement et voulant étendre son influence, AQMI s’est peu avant l’année 2009 déployée de plus en plus dans le Sud. La répression s’abattait sur les groupes islamistes de plus en plus efficacement, et AQMI n’arrivait toujours pas à s’imposer à Alger, par exemple. Il fallait donc trouver rapidement une autre assise. La zone désertique du Sahel se révéla être l’endroit idéal. Depuis la naissance d’AQMI, le risque que l’espace sahélo-saharien se transforme en zone refuge des djihadistes du monde entier était bien réel. Appelé «Sahel occidental», ou encore «zone grise», cet espace est compris entre l’Atlantique et le lac Tchad, entre le Sahara et les fleuves Sénégal et Niger. Dans cette vaste zone, l’épicentre des activités médiatisées d’AQMI se situe notamment en Mauritanie, au Mali, au Niger et au Tchad. De fait, pour des raisons multiples, le nord du Mali est devenu la principale base des combattants de l’AQMI dont l’objectif est de créer une zone grise où ils peuvent opérer sans risques majeurs pour leur sécurité. Ces combattants y mènent une politique d’incrustation territoriale très efficace, notamment au nord de Tombouctou.

L’Encyclopédie du djihad afghan demeure le manuel de formation, la Bible de tous les combattants d’Al-Qaida dans le monde. En plusieurs volumes, elle totalise 7 000 pages44. La structure de la maison mère d’Al-Qaida est composée ainsi: au sommet, l’émir général. Suit le Majlis choura, le conseil consultatif. Viennent ensuite quatre comités. Le comité militaire s’occupe du recrutement, de la formation, de la logistique, des opérations sur le terrain. Les trois autres comités ont en charge les finances, les fatwas et les études islamiques, et les médias et la communication. Dans cette structure pyramidale, chaque comité a à sa tête un émir et son adjoint45. S’inspirant de ce modèle, AQMI a, dans un premier temps, fonctionné comme suit : un émir général, Abdelmalek Droukdel, basé en Algérie, des émirs dans les neuf premières zones, qui se sont regroupées plus tard en cinq zones: Nord, Centre, Est, Ouest et Sud46. Dans le Sud, au sein d’Al-Qaida au Sahel, il y a des Katibat (brigades combattantes). Chaque Katibat a

44 Ivi, p. 147. 45 Ivi, p. 148. 46

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un chef. Tous les chefs dépendent de l’émir général. Mais cette organisation est cependant assez fluide, car toutes les Katibat du Sahel prennent des initiatives et en informent tout simplement l’émir général. Au sein de la Katibat, le chef ne décide jamais seul. Quelle que soit la décision à prendre, il y a débat. Un débat, mais pas de vote: on privilégie le consensus, la persuasion47. Les responsables des Katibat sont presque tous issus du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ou du Groupe islamiste armé (GIA).

Dans le Sahel, les combattants d’AQMI bougent beaucoup: lorsqu’on les croit au Mali, ils sont déjà en Mauritanie, et lorsqu’on les localise dans ce pays, ils ont filé au Niger. Mais les experts s’accordent pour dire qu’ils disposent d’une base dans les confins du désert malien, dans une zone qui est adossée à l’Algérie. Une ceinture de montagnes située dans le nord-est du Mali. Depuis juin 2010, les combattants d’AQMI occupent cette zone: la zone située entre l’Algérie et le Mali du côté du nord-est est devenue ipso

facto le principal repaire des combattants d’Al-Qaida48. Au Mali, dans la bande frontalière algéro-malienne, les Katibat ont aménagé une véritable zone refuge où ils composent aisément avec la population locale. La partie nord de Tombouctou vers la frontière avec la Mauritanie et la Tamasna vers la frontière avec le Niger constituent é également leur espace de prédilection. Ils sillonnent ces vastes régions désertiques à bord de 4x4 équipés de téléphones satellitaires, entretiennent des petits commerces, apportent une assistance médicale et alimentaire aux populations (médicaments, jus de fruit, lait pour les enfants, etc.). Ils exercent une fascination croissante sur la jeunesse de Tombouctou et de Gao. Lors du recrutement, les islamistes font généralement croire aux jeunes qu’ils iront combattre en Irak. Comme pour les autres branches d’Al-Qaida, les jeunes de la zone sahélienne sont aussi recrutés grâce aux films de propagande d’Al-Qaida visibles sur Internet. Le terreau favorable aux recrutements est évidemment la pauvreté.

47 Ivi, p. 150. 48

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Figure 5. Zone d’action d’AQMI dans la région Saharo-sahélienne

Source: http://www.geopolitique.net/es/actualites/ouvrages-et-publications/ressources-geopolitiques-a-propos-de-la-guerre-au-mali

Dans ces zones du Sahel et du Sahara, l’absence de perspectives est patente. Les candidats à l’immigration clandestine vers l’Europe intègrent aussi parfois les rangs d’Al-Qaida au Sahel, souvent parce qu’ils n’en peuvent plus et que le besoin de survivre coûte que coûte les tenaille. Al-Qaida au Sahel regroupe au sein des Katibat des ressortissants de plusieurs nationalités, représentant presque tous les pays du Maghreb et

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de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)49. La moyenne d’âge des combattants des Katibat d’Al-Qaida au Sahel est de 16 ans50

. En dépit de la volonté d’unité exprimée par Droukdel, Aqmi compte plusieurs camps de combattants (Katibat) au Sahel. Le premier est dirigé par Mokhtar Belmokhtar. Deux autres Algériens, Abou Zeid (tué en mars 2013 lors des opérations menées par l’armée française et l’armée tchadienne dans l’Adrar de Tigharghar, au nord du Mali) et Yahia Abou El-Hamman, dirigent deux autres camps. La dernière katibat est sous le contrôle d’Abdelkrim el-Targui, un Touareg malien.51

Entretemps, Abdelrazak le Para, l’un des lieutenants d’AQMI réalise des enlèvements de touristes occidentaux et des attaques dans le Sud algérien suivies de fuite vers le Nord-Mali où Belmokhtar dispose de solides liens au sein de la population. Parlant hassanya, marié à une femme du clan des Arabes Berabiche de l’Azawad qui assure l’impunité du régime de Bamako, Belmokhtar contrôle plusieurs trafics (armes, contrebande, migrants, etc.) qui lui rapportent des fonds réinjectés dans l’économie locale afin d’étendre ses allégeances.52

AQMI profite depuis 2003 de la faiblesse de l’infrastructure de sécurité du Mali pour s’implanter dans la partie septentrionale du pays. Cela créa une transformation du développement économique dans laquelle des éléments tribaux (en particulier les tribus arabes et, à un moindre degré, les Touaregs) n’ont d’autre solution que de collaborer avec l’organisation ou d’y adhérer, car elle dispose de fonds considérables (provenant de rançons obtenues en échange de la libération des otages qu’elle enlève de la Mauritanie au Niger en passant par le Mali). Au fil des ans, la population arabe-touareg locale apprit lentement à tolérer sa présence, en partie à cause de la capacité de l’organisation de développer l’économie locale et d’assurer les services de base dans une région appauvrie qui s’est sentie abandonnée par le gouvernement central. Les dirigeants

49 Ivi, p. 146. 50 Ivi, p. 145. 51

A. Boukari-Yabara, op.cit. p. 74.

52 L’importance de Mokhtar Belmokhtar dans l’histoire du «djihad» peut se mesurer au nombre de fois où

il a été annoncé mort. La mort de Belmokhtar a été annoncée plusieurs fois par le passé. On a notamment cru qu'il avait été tué au Mali en 2013. L’influence de Mokhtar Belmokhtar, né en juin 1972 à Ghardaïa aux portes du Sahara, peut également se calculer à l’aune de ses nombreux surnoms, et du storytelling autour de sa geste djihadiste. Outre «Le Borgne» («Laouar» en arabe), sobriquet dont il a hérité après qu’un éclat d’obus lui a arraché un œil en Afghanistan, l’Algérien a été surnommé «Mister Marlboro», en raison de sa supposée propension à se livrer à toutes sortes de trafics, drogue, alcool, et cigarettes, au Sahel. Mokhtar Belmokhtar aurait été tué lors d'un raid aérien des États-Unis en Libye, a annoncé le 14 juin, le gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale. Voir I. Hanne, Mokhtar

Belmokhtar: dernière cartouche pour «Mister Marlboro»?, "Libération", 15/06/2015(disponible sur:

http://www.liberation.fr/monde/2015/06/15/mokhtar-belmokhtar-une-derniere-cartouche-pour-mr-marlboro_1329938).

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locaux établirent avec AQMI des relations d’affaires avantageuses pour les deux parties. Ces relations furent consolidées par des mariages avec des femmes de la région. Un exemple de cette situation est «Ben Laden du Sahara», Mokhtar Belmokhtar.

Le contrôle d’AQMI sur la zone chevauchant l’est de la Mauritanie, le sud de l’Algérie et le nord du Mali entraîne des dissidences personnelles et organisationnelles. En 2011, le Mauritanien Hamada Ould Khairou crée le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) pour donner une représentativité aux intérêts maures dans le Sahel. En janvier 2012, à la veille de l’attaque du MNLA, Iyad Ag Ghaly revient dans le jeu. Cet ancien rebelle touareg, reconverti en conseiller spécial pour le Nord auprès du président ATT, également cousin de l’émir el-Targui (AQMI), proclame la naissance du groupe Ansar Eddine («les défenseurs de la foi»)53. En pleine guerre du Mali, envahi par de nombreux groupes djihadistes, Mokhtar Belmokhtar a créé fin 2012 sa propre unité combattante, «les Signataires par le sang», qui deviendra en août 2013

Al-Mourabitoune, après sa fusion avec le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique

de l’Ouest (MUJAO), un des groupes djihadistes ayant contrôlé le nord du Mali jusqu’au lancement de l’opération française Serval en janvier 2013, et dont Belmokhtar devient un des chefs principaux.

Le Sahel est donc devenu le nouveau front des combattants islamistes tant pour des raisons stratégiques (choix des États-Unis comme nouveau champ de bataille) que tactiques, facilité d’action. L’océan de sable et de pierres qu’est le Sahara est un espace vide qui facilite les manœuvres tactiques et l’action opérationnelle des groupes de guérilla. L’absence d’État, les sursauts récurrents de rébellions mineures, le jeu des intérêts des acteurs locaux firent des régions sahariennes du Sahel ce qu’on appela vite des «zones grises», qui permirent d’une part l’accroissement des trafics en tout genre, tout particulièrement ceux de drogues dures, et d’autre part l’installation de mouvements islamistes armés en provenance d’Algérie. Ce fut ainsi dans la première décennie du XXIe siècle que la situation touarègue perdit définitivement son caractère local pour s’intégrer dans les soubresauts du monde, au point qu’on l’intégra à «l’arc de crise», allant du Sahel à l’Afghanistan, en passant par l’Irak et poussant ses ramifications en Amérique du Sud. Ce ne fut qu’à ce moment qu’on commença à prendre la situation au sérieux et que de nouveaux acteurs entrèrent en jeu.

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3- L'entreprise AQMI: prises d'otages et trafic de drogue, un business à désert ouvert

Depuis la médiatisation des prises d’otages de salariés étrangers en Afrique, en particulier dans la région du Sahel durant cette dernière décennie, ce phénomène s’est transformé en un business très lucratif. Un business qui en effet, rapporte gros à tous ceux qui y participent, des intermédiaires des groupes terroristes à l’origine de ces enlèvements aux médiateurs pour obtenir la libération des otages. Ainsi, il a clairement été établi que le rapt d’Occidentaux est devenu la principale source de profits des mouvements terroristes comme Al-Qaida au Maghreb islamiste. Les otages sont considérés comme des prisonniers de guerre que le droit islamique autorise à échanger contre d’autres prisonniers ou une rançon.

Dans toutes les affaires de libération d’otage, on parle toujours de rançon ; d’argent, donc. Kamel Rezzag-Bara est conseiller à la sécurité du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Au début de septembre 2010, il est à New York, où il participe dans le cadre de l’Organisation des Nations unies à un débat contre le terrorisme. AQMI, selon lui, a récolté ces dernières années plus de 50 millions d’euros venant des rançons des Occidentaux enlevés dans la région du Sahel54. Toujours selon ce conseiller, il faut ajouter, en se fondant sur les recoupements de déclarations de terroristes arrêtés, un montant de 100 millions d’euros sous diverses formes55. Il pique une colère contre les pays qui paient les rançons. Après ces déclarations, aucun commentaire émanant des pays concernés n’a été rendu public. Selon Vicki Huddleston, ex-ambassadrice américaine au Mali, les Européens ont versé plus de 70 millions d’euros de 2004 à 201156. Finalement, ces rançons payées pour libérer quelques personnes pourraient permettre d’acheter des armes, de fabriquer des explosifs, destinés cette fois à tuer des milliers de personnes: est un cycle infernal. Les négociations pour la libération des trois humanitaires espagnols enlevés en Mauritanie avancent. Après moult tractations, le gouvernement espagnol n’a pas hésité à mettre la main à la poche. En tenant compte de la logistique, au total, entre huit et dix millions d’euros ont été déboursés pour libérer, d’abord, la femme, et ensuite les deux hommes57

. L’Italie a déboursé entre 3 et 3,5

54 S. Daniel, AQMI…, cit. p. 110. 55 Ibidem.

56 M. Cuttier, op.cit. p. 5. 57

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millions d’euros pour obtenir la libération de deux de ses ressortissants. Un négociateur a reçu un demi-million d’euros pour la même affaire58. Pour le couple d’Autrichiens, au moins 2 millions d’euros ont été déboursé par Vienne59

. Dans le cas des deux diplomates canadiens, d’une ressortissante allemande et d’une Suissesse, il y a également eu versement d’une belle rançon et la libération de quatre combattants islamistes. Le Canada a également déboursé entre 3 et 5 millions d’euros pour la libération de ses ressortissants. La Suisse a quant à elle versé entre 2,5 et 3 millions d’euro, et cette somme a été remise au groupe d’Abou Zeid60

. La prise d’otage est donc devenue la principale activité de l’AQMI et les rançons représentent désormais sa principale source de financement. Les victimes sont kidnappées au Niger, en Tunisie et/ou en Mauritanie, puis transférées vers le Mali. L’argent en provenance d’Europe transite par des banques burkinabés pour être ensuite convoyés vers le Mali où il est remis aux intermédiaires des ravisseurs61.

La prise d’otage est une activité qui fait courir beaucoup de «négociateurs» et d’«in- termédiaires» à cause des retombées financières substantielles qu’elle génère. C’est le cas du Mali, qui s’est spécialisé dans la négociation avec les ravisseurs. C’est aussi le cas de Burkina Faso, plaque tournante et passage obligé de tous les trafics de cocaïne, de diamants, d’armes, de munitions, d’explosifs, etc., Belmokhtar a possédé de tout temps des commerces au Burkina Faso: Kidal est plus proche d’Ouagadougou que de Bamako. De plus la porosité des frontières est telle qu’elles ne constituent pas un obstacle pour les terroristes et les trafiquants. La connexion entre les acteurs du crime organisé et les terroristes de l’AQMI est un fait avéré.62Outre la prise d'otage, AQMI survivrait du trafic de drogue. Les «terroristes salafistes» sont en réalité opposés au trafic de drogue étant donné qu’il est considéré comme un péché. Néanmoins, ceci n’empêche pas les nouveaux émirs qui prônent l’application scrupuleuse de la doctrine islamique, de convaincre leurs fidèles d’imposer un impôt religieux aux trafiquants pour se faire des revenus de survie.

Le lien entre terroristes et trafiquants de drogues aide à chaque partie à persister dans leurs activités criminelles. Il faut tenir compte du fait que les trafiquants de drogues évalue les pertes par le nombre de saisies et non par le coût du transport. L'essentiel,

58

Ibidem.

59 Ibidem. 60 Ivi, p. 109.

61 L. Boukra, Du groupe salafiste pour le combat …, cit. p. 55. 62

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pour eux est transporter à bon port sa marchandise avec un minimum de saisies par les services de sécurité, quel que soit le coût de la traversée. À cet égard, l'association avec des terroristes et des insurgés bien équipés permet aux trafiquants de drogues réduire considérablement les pertes dues à des saisies effectuées sur les liaisons anciennes. Une progressive implication des organisations terroristes et d'insurgés dans le trafic de drogues augmente son potentiel déstabilisateur dans et hors de l'Afrique subsaharienne. Le Sahel se situe presqu’aux portes de l’UE, premier marché mondial de la consommation de drogue63. Le haschisch provient principalement du Maroc et d’Afghanistan. La cocaïne provient d’Amérique du sud. À la fin du 20e

siècle, les cartels mexicains ont supplanté les colombiens sur le marché d’Amérique du nord, saturé et d’une faible rentabilité. Dès lors, ces derniers se sont tournés vers le marché européen. La drogue quitte la Colombie et traverse l’océan Atlantique à hauteur du 10e

parallèle car la Highway Ten est moins risquée que la voie la plus directe64. Parvenue par avion en Afrique de l’ouest à partir de l’archipel des Bissagos, au large de la Guinée-Bissau, petit État au sud du Sénégal, elle est acheminée à travers le Sahara, par air ou par voie terrestre, selon deux routes65. L’une, au nord, traverse le Mali, le Niger, la Libye et aboutit dans les Balkans ; l’autre, à l’est, après le Mali et le Niger traverse le Tchad et le Soudan en direction du Proche-Orient.

L'intégration du Sahel au marché mondial de la drogue a été causé par réalités et événements divers, certains d'entre eux exogènes et autres endogènes. Entre les aspects exogènes ou extérieurs au continent africain soulignent la combinaison entre augmentation croissante de la demande de drogues en Amérique du Nord et en Europe et la pression que les autorités exercent sur les activités de trafic de drogues, qui oblige les trafiquants à explorer de nouvelles routes de transit, y compris celles qui traversent l’Afrique sub-saharienne. Les facteurs endogènes qui ont contribué à promouvoir les activités de trafic de drogues en l’Afrique sub-saharienne sont variés et correspondent à des problèmes et les déficiences de type politique, économique et social lesquelles ont affectée traditionnellement cette région. Plus précisément, les principaux problèmes sont la fragilité des institutions gouvernementales et la pénurie de ressources disponibles pour réprimer les activités criminelle: la corruption endémique, le sous-développement de la plupart des pays sub-sahariennes et la porosité des frontières.Les

63 Cuttier, op.cit., p. 4. 64 Ibidem.

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raisons de cette faiblesse sont multiples: ressources publiques limitées, corruption, manque d'organisation et de conception, attitudes et comportement des élites dirigeantes. Chacun de ces problèmes favorise et encourage l'activité des trafiquants de drogue, et ceci, à plusieurs niveaux. Les ressources limitées ne permettent pas aux États de faire face à leurs fonctions élémentaires, en cela compris la surveillance et le contrôle douanier (qui exige des équipements techniques aussi sophistiqués qu'onéreux), la réglementation des activités commerciales, l'application de la loi, les opérations de police et le maintien du monopole national de la violence à des niveaux élevés dans de nombreux territoires relevant de la juridiction de certains États africains. Cette faiblesse des ressources disponibles pour l'État se traduit également par des salaires très bas, ce qui peut inciter les fonctionnaires et les agents chargés de la loi à accepter les pots-de-vin et toute autre forme de compensation. En contrepartie, les trafiquants continuent leurs activités illicites et achètent ainsi leur impunité. Dans les plus hautes sphères de l'État, la corruption est encouragée par une conception patrimoniale de l'État, très largement réservée aux élites dirigeantes, habituées depuis des générations à gérer les ressources de l'État et les ressources naturelles du pays, comme s'il s'agissait des leurs. Une tendance qui est également accrue par la profonde politisation de la fonction judiciaire et des forces de police. Ces effets dévastateurs ont été mis en exergue dans les pays où les hautes sphères politiciennes et militaires ont autorisé, voire soutenu, les trafics illicites, en allant même parfois jusqu'à exercer le leadership sur ces activités. L'Afrique subsaharienne et la région du Sahel en particulier, sont un point de convergence des trafiquants et des organisations criminelles transnationales et locales et des collaborateurs -essentiellement institutionnels- qui facilitent leur participation aux activités du trafic de drogue. Un espace géographique qui rime avec conflits ethnico-religieux, épidémies, pauvreté endémique, grand banditisme, etc. et récemment avec terrorisme international, notamment dans la bande sahélo-saharienne où la fragilité des Etats et les caractéristiques géopolitiques, sans être exhaustif, constituent les éléments essentiels d’attractivité au terrorisme et à toute forme de criminalité. Les dérives mafieuses d’AQMI, depuis la compagne de kidnapping de touristes étrangers, font l’objet d’un constat d’échec dans leur quête de financement, d’adhésion et de fascination de la communauté musulmane. En outre, certains pays subsahariens recensent de grandes zones lointaines, inhospitalières et faiblement habitées, que des frontières très poreuses séparent les unes des autres. Des facteurs qui garantissent aux organisations criminelles une grande marge de manœuvre, une grande mobilité et la

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