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La question de la population

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(1)

Nouvelle Collection scientifique

Directeur : 'Emile Borel

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(5)

La Question

d e

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L I B R A I R I E F É L I X A L C A N

DU MEME AUTEUR :

Traité t h é o r i q u e et p r a t i q u e d'économie politique. 50 édition, revue et augmentée. 5 vol. in-8 36 fr. T r a i t é de la science des finances. 8» édition, revue, corrigée et

augmentée. s forts vol. in-8 .> 55 fr. Essai s u r la r é p a r t i t i o n des r i c h e s s e s et sur la t e n d a n c e à une m o i n d r e inégalité des conditions. 4» édition, revue et corrigée, 1 vol. in-8 9 fr. De la colonisation chez les p e u p l e s m o d e r n e s . 6» édition, revue

et augmentée. 2 forts vol. in-8 20 fr.

Le collectivisme, examen critique du nouveau socialisme. /,'évo-lution du socialisme depuis 189.i. Le syndicalisme. 50 édition, revue et augmentée. 1 vol. in-8 9 fr. L ' É t a t m o d e r n e - e t ses fonctions. 4" édition, revue et augmentée. 1 vol. in-8 <) fr. L'Algérie et la Tunisie. 2e édition. 1 vol. in-8 . . . 9 fr. Le S a h a r a , le Soudan et les c h e m i n s de f e r t r a n s s a h a r i e n s , 1 vol,

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d e p : T .

La Question

d e

.a Population

P a u l L E R © Y - - B E a U L I E U M e m b r e d e l ' I n s t i t u t , P r o f e s s e u r au C o l l è g e d e F r a n c e . L I B R A I R I E F E L I X A L C A N 1913

'oiis droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réserves pour tous pays.

(8)

Nineteen hundred and thirteen, February. Copyright by F. Alcan and R. Lisbonne,

(9)

P R É F A C E

Le livre que nous offrons au public sur la

Question de la Population, tout en ayant une

sai-sissante actualité, n'est nullement un ouvrage

de circonstance.

Depuis plus de trente ans, nous nous

occu-pons assidûment de ce grand et attristant

sujet.

Dès 1882, nous lui consacrions un de nos

cours au Collège de France et nous y revenions,

dans cette chaire, en 1890, en 1901, en 1910,

constatant, en ce qui concerne la France, à ces

intervalles de huit ou dix années, les incessants

progrès du mal et cherchant, indiquant les

causes, ainsi que les remèdes auxquels on

pourrait, on devrait recourir.

En notre activité de presse, dans le Journal

ies Débats et Y Economiste Français, nous nous

sommes, sans nous lasser, efforcé de gagner

les pouvoirs publics et l'opinion à un

traite-ment méthodique du mal qui menace de

déna-tionaliser la France.

(10)

Nous avons cherché à faire ici une œuvre

scientifique en même temps qu'une œuvre

d'application.

Nous sommes remonté aux origines du

pro-blème de la population. Nous avons étudié, avec

la plus scrupuleuse impartialité, la doctrine de

Malthus, de ses disciples et de ses adeptes.

Nous cherchons et signalons les causes du

suc-cès qu'elle a eu.

Une partie des développements que le lecteur

trouvera plus loin avaient déjà paru dans notre

Traité théorique et pratique d'économie politique1 ;

mais incorporés au milieu de sujets d'autre

nature, dans un ouvrage très étendu, ils ne s'y

trouvaient pas à la portée du grand public.

Nous les avons dégagés, en même temps que

revus, complétés, vivifiés.

Nous nous sommes proposé d'étudier ici la

question de la population sous tous les aspects

qu'elle présente, non seulement en France,

mais dans le monde en Lier, aussi bien, eu tant

que les documents le permettent, parmi les

Asiatiques que parmi les Européens.

Nous examinons aussi la question de

l'émi-gration qui s'y rattache et du peuplement des

(11)

P R É F A C E III

contrées neuves, ce que nous appelons la «

récep-tivité des pays neufs » et « les besoins en

popu-lation du globe ».

Nous décrivons, sur les unions et les

nais-sances, l'influence de la civilisation

démocra-tique, du détachement des anciennes croyances

et traditions, de ce que l'on peut appeler le

néo-paganisme.

Le redoutable problème du vieillissement des

nations s'impose à l'esprit; y a-t-il là un

phé-nomène fatal? peut-on, au contraire, soit en

triompher, soit l'éloigner?

Nous avons confiance que, si les pouvoirs

publics et l'opinion se concertaient pour

appli-quer avec méthode et persévérance un

traite-ment approprié au mal qui consume la France,

il ne serait pas impossible de sauver notre pays

de la dépopulation et de la dénationalisation.

Faute de ce traitement approprié, comprenant

des éléments variés et appliqué pendant une'

longue durée, la dénationalisation de l'a France

serait fatale en quatre ou cinq générations.

Il est étrange qu'à cet angoissant problème,

près duquel toutes les questions qui

passion-nent les pouvoirs publics et l'opinion sont des

vétilles, on ne prête qu'une attention distraite et

intermittente.

En écrivant ce livre, en le soumettant à la

discussion de l'Académie des Sciences morales

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et politiques el en le publiant sous un format

qui ne rebute pas le lecteur, nous avons entendu

faire une œuvre scientifique à la fois et

natio-nale.

Paul

L E R O Y - B E A U U E I . Paris, le 15 février 1913.

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QUESTION 1)E LA POPULATION

I N T R O D U C T I O N

Le m o u v e m e n t de la population a considérablement varié stiivant les temps et les pays. — La multiplication dos habitants des contrées européennes est un p h é n o m è n e récent d a t a n t tout au plus d u dernier q u a r t du XVIII» siècle. — Modicité de l'accrois-sement de la population anglaise au xvn° et m ê m e au xviti' siècle. — Opinion de Voltaire sur la lenteur de l'accrois-sement de la population. — Opinion du maréchal de Saxe sur la dépopulation. — Coup d'œil général sur les causes qui ont provoqué l'énorme développement de la population au xix» siècle et au c o m m e n c e m e n t du xx» siècle.

La question si grave de la population ne s'est, pas toujours présentée aux h o m m e s sous le m ê m e aspect, et le m o u v e m e n t effectif de la population a, suivant les temps et les pays, infiniment varié. L a très grande augmentation de la population des nations européennes est un phénomène propre à la fin du xvmu siècle, au xix° siècle et au siècle pré-sent. Les âges immédiatement antérieurs n ' o n t rien vu de pareil.

On estime que, vers la fin du xvte siècle, l'Angle-terre p r o p r e m e n t dite avec le pays de Galles comptait un peu moins de 5 millions d'habitants, qu'elle en avait 6 millions à la fin du xvnc siècle,

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ayant gagné seulement 1 million ou 20 p. 100 en cent ans. Le xvui" siècle, au contraire, dont la deuxième moitié coïncide avec l'ouverture île l'ère des g r a n d e s inventions et la constitution de la g r a n d e industrie, a u g m e n t a de 2.800 000 âmes la population anglaise, soit de moins de 50 p. 100, ou d'un demi p. 100 par an, et la porta à 8.873.000 Ces calculs sont, sans doute, simplement approxi-matifs, parce que la statistique ou, comme on disait alors, l'arithmétique politique, reposait encore sur des bases incertaines ; mais ils suffi-sent pour le sujet qui nous occupe. Ainsi, au xvi6 siècle, l'augmentation de la population de l'Angleterre fut très faible et elle resta encore très modérée pendant le xvm" siècle, surtout pendant la première partie. Au contraire, dans le couranl du xixc siècle, la population de l'Angleterre pro-prement dite et du pays de Galles a presque qua-druplé, s'élevant, en 1901, à 32.527.343 âmes.

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phé-/ I N T R O D U C T I O N 3

n o m è n e de l'accroissement d e l à population dépend de la combinaison de deux facteurs, la natalité et la mortalité, le jeu de ces deux forces chez le peuple anglais aboutit à un accroissement assez faible de la population au xvn° siècle, à u n accrois-sement modéré au xvni°, et à un accroisaccrois-sement énorme au xixc.

Ces variations sont incontestables ; elles ont des raisons d'être qui ne sont pas clans la race ; ce sont les circonstances économiques et morales, les influences extérieures et les influences psy-chiques qui ont déterminé ces prodigieuses diffé-rences dans l'allure du m o u v e m e n t de Ja population en Angleterre, depuis le c o m m e n c e m e n t des t e m p s m o d e r n e s . Au xvn° siècle et j u s q u e vers 1760, le peuple anglais était surtout un peuple agricole ; il se composait principalement de petits tenan-ciers ; l'industrie qu'il pratiquait était la petite industrie, régie par les guilch ou corporations et leurs statuts restrictifs. 11 n ' y avait pas de g r a n d e s villes en Angleterre, sauf L o n d r e s , qui encore avait à peine la population d'une de nos g r a n d e s villes de province. La ville principale, après L o n d r e s , était Bristol, à qui l'on n'attribuait guère

que 25.000 âmes lors de la Révolution de 1648, Ce peuple de petits tenanciers r u r a u x et de petits artisans, composant une sorte de société cristal-lisée, devait se signaler par des m a r i a g e s prudents, souvent tardifs et m o d é r é m e n t féconds.

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l'an-•4 LA Q U E S T I O N DE I.A P O P U L A T I O N

née 1760 que l'économiste anglais Marshall l'ail dater, pour son pays, celle prodigieuse révolu-tion (1).

P r e s q u e i m m é d i a t e m e n t se produit une altération d é m o g r a p h i q u e profonde dans la naaltération a n -glaise ; ce peuple de petils tenanciers cl de petits artisans, épars dans les c a m p a g n e s et dans de médiocres bourgs, asservi à des.méthodes tradi-tionnelles et j o u i s s a n t d'une fécondité limitée, de-vient l'exubérante nation manufacturière et com-m e r ç a n t e , prolifique, envahissante, débordante de vitalité, que nous avons connue dans le courant du xix" siècle et qui a fait tant de jaloux. Les vieux règlements des guildes sur le c o m p a g n o n n a g e , sur la maîtrise, le célibat forcé ou les mariages tardifs qu'ils entraînaient pour un grand n o m b r e sont a b a n d o n n é s : des villes nouvelles se fondent et en quelques années éclipsent les villes les plus an-ciennes ; les m a n u f a c t u r e s appellent non seulement les hommes, mais les femmes et les enfants, et donnent à ceux-ci, à partir de cinq ou six ans, une r é m u n é r a t i o n qui peut pourvoir à leur entretien et qui, à dix ou douze ans, laisse un excédent. De ce m o m e n t date la prolifîcité anglaise.

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/ I N T R O D U C T I O N 5

économique et social existant et de la destinée probable de leurs enfants. Le débouché prodigieuse-ment élargi pour l'emploi des hommes, des f e m m e s et des enfants surtout, détermina u n e abondante nuptialité et u n e natalité plus abondante encore. D'autres circonstances y contribuèrent. L'état mental et la conception familiale étaient autres alors qu'aujourd'hui. L a classe ouvrière et une grande partie de la petite classe m o y e n n e elle-m ê elle-m e n'avaient aucune ou presque a u c u n e ins-truction: habituées à vivre dans une société régu-lièrement stratifiée et sans élasticité, elles ne pensaient guère à s'élever d'un échelon social à un autre ; leur horizon était restreint ; elles se con-tentaient des maigres jouissances traditionnelles et se résignaient aux privations habituelles. Le sen-timent de la famille, moins tendre et moins affec-tueux qu'à l'heure présente, ne s'imprégnait pas d ' a m b i t i o n ; on n'avait pas l'espoir, par conséquent guère le désir, pour ses enfants, d'une destinée meilleure et surtout plus brillante que la sienne. Ces dispositions mentales détournaient de la prévoyance et du calcul. On affrontait, sans les m e -surer ni s'en inquiéter, les charges familiales ; celles-ci, on l'a vu, se tournaient m ê m e en béné-fices par l'emploi r é m u n é r é des enfants et des

ado-lescents. /

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p o u r c h a q u e e n f a n t additionnel était si élevée pro-portionnellement à celle des adultes, dit un

écri-vain anglais c o n t e m p o r a i n , que plus un h o m m e avait d ' e n f a n t s , meilleure était sa condition, et ainsi l'on e n c o u r a g e a i t l'accroissement rapide d'une population de p a u v r e s ; l 'allocation p o u r les enfant s

illégitimes dépassait m ê m e celle des e n f a n t s Iégi t i m e s fl). »

T o u t e s les influerices, aussi bien externes qu'in-ternes sollicitaient à la prolilicité. U n e a u t r e cause encore y contribuait et continue d ' a g i r , quoi que à un d e g r é qui s'est b e a u c o u p affaibli depuis v i n g t ans : les facilités o u v e r t e s à l'émigration p a r les p r o g r è s de la n a v i g a t i o n , par les secours a u x é m i g r a n t s qu'allouaient certaines colonies, et le sort r e l a t i v e m e n t h e u r e u x de la p l u p a r t îles colons. Cette cause influa g r a n d e m e n t , p e n d a n t de n o m b r e u s e s a n n é e s , non s e u l e m e n t sur la classe populaire, mais s u r la classe m o y e n n e et c o m m e r -çante. L e débouché offert p a r les Etats-Unis et par-les colonies b r i t a n n i q u e s a u x e n f a n s des familpar-les aisées c o m m e à ceux des familles o u v r i è r e s était plus a m p l e et plus a s s u r é d a n s les trois p r e m i e r s q u a r t s du xix°siècle qu'il n e l'est a u j o u r d ' h u i et sur-tout qu'il ne l'était a u p a r a v a n t . Un i n g é n i e u r , un c o n t r e m a î t r e , u n c o m m e r ç a n t , de m ê m e qu'Un cul-tivateur et un ouvrier, étaient plus sûrs alors de se faire u n e place et une situation d a n s les con-trées lointaines, de climat et de milieu social il peu près analogues à ceux de la mère patrie.

Telles sont les circonstances qui, à partir de 1760 en Angleterre, et d ' u n e date de près d'un

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/ INTRODUCTION 19

demi-siècle plus récente sur le continent, détermi-n è r e détermi-n t chez les détermi-natiodétermi-ns de l'Europe occidedétermi-ntale udétermi-ne prolificité et un accroissement de population comme n'en avaient connu a u c u n âge précédent. Si, vers la fin du xvn'' siècle, un statisticien avait voulu faire fies prévisions sur la population de l'Angleterre deux siècles plus tard, c'est-à-dire vers IDOO, en se fondant sur les résultats des cent der-nières années écoulées, il ne l'eût pas évaluée à plus de 1) ou 10 millions d'habitants au m a x i m u m . Son calcul, établi sur l'expérience antérieure, eût été singulièrement démenti par les faits : c'est qu'il a surgi tout un ensemble de circonstances nou-velles que personne ne pouvait prévoir.

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qu'écrivait de F e r n e y , en novembre 1757, un h o m m e qui, s'il n'était pas particulièrement versé dans les questions économiques, se flattait, cepen dant, de connaître tout ce qui concernait l'état social et représentait admirablement, en tout cas, l'opinion de son t e m p s .

V e r s le m o m e n t où Voltaire, h o m m e de large information, émettait l'idée qu'on vient de voir sur la lenteur, considérée par lui comme normale, de l'accroissement de la population, un homme très célèbre du m ê m e t e m p s , qui sans doute n'était a u c u n e m e n t imbu de l'esprit scientifique, mais qui, par sa fréquentation des hommes d'Etal et de l'élite du pays, peut être regardé comme un h o m m e représentatif, le maréchal de Saxe, se plaignait de la dépopulation. Vers les années 1740 à 1750, il avait composé un ouvrage qui ne parut qu'après sa mort, publié en deux volumes in-quarto, sous le titre : Mes rêveries; c'est sur-tout un recueil d'études militaires, mais suivies de quelques mémoires dont l'un débute par ces mots : « Après avoir traité d'un Art qui nous ins-truit avec méthode à détruire le genre humain, je vais tâcher de faire connaître les moyens auxquels on pourrait avoir recours pour en faciliter la pro-pagation. »

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/ I N T R O D U C T I O N 9

diminution va toujours en a u g m e n t a n t . Il y a soixante ans que M. de V a u b a n fit le d é n o m b r e -ment des habitants qui étaient en F r a n c e ; il s'en trouvait 20 millions. Il s'en faut bien que ce n o m b r e y soit à présent. »

Ainsi, dès 1740, le dépeuplement, réel ou sup-posé de la F r a n c e , inquiétait certains penseurs, no-tamment le maréchal de Saxe. Il faut dire que l'on était alors peu éloigné des misères de la fin du règne de Louis XIV. Nous n'entrerons pas dans l'exposé des propositions en général ou fantaisistes ou chimériques, auxquelles se livrait le maréchal de Saxe, pour développer la population (1) ; il n'entrevoyait à ce développement aucun terme désirable.

En fait, la population de la F r a n c e jusqu'au dé-but du xixe siècle ne s'était, graduellement accrue que d'une façon modérée et lente, justifiant, non pas littéralement, mais presque, le mot de Voltaire cité plus haut. L a population de la F r a n c e était évaluée par l'Assemblée Nationale en 1789 à 26.360.000 â m e s ; Necker, qui est un calculateur attentif, ne l'estimait qu'à 24.802.000 âmes (2). Ce serait un accroissement d'environ 5 millions

(1) Voir, dans l'c Journal des Débats d u l°r août 1912, l'article intitulé : Maurice de Saxe et la Repopulation.

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d'Ames ou de 25 p. 100 depuis le temps de Yauban, soit en un siècle environ. Rien ne ressemble là à la multiplication de la population de certains pays au xix° siècle et l'accroissement est m ê m e beaucoup moindre que celui île la France dans ce même xixe siècle où la population s'est accrue de 50 p. 100. passant de 27.400.001) à 38.000.000 en 1001. On verra plus loin que certains révolutionnaires trou vaient la population de la F r a n c e , à la lin du \ i v siècle, exubérante, et que cette idée assez répandue p a r m i les Jacobins a pu contribuer aux massacres de l'époque de la T e r r e u r (voir plus loin, p. 33).

Tout témoigne q u ' a v a n t le xix" siècle, l'accrois-sement de population chez les peuples européens était fort lent.

L'application des découvertes scientifiques à la production, la r u p t u r e îles vieux liens îles corpora-tions et de n o m b r e d'autres règlements restrictifs, la constitution de la grande industrie, ouvrirent, vers le troisième quartier du XVIII" siècle en

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L I V R E P R E M I E R

POSITION DU P R O B L È M E DE LA P O P U L A T I O N P A R M A L T H U S

C H A P I T R E P R E M I E R -LES FACES DIVERSES DD PROBLÈME

DE LA POPULATION

Les deux points de vue principaux auxquels on peut considérer le problème de la population : point de vue du bonheur de l'humanité tout entière, point de vue de la situation particu-culière d'un peuple déterminé. — Le point de vue de l'hu-manité dans son ensemble. — Le point de vue national d'un peuple particulier. — Aux deux éventualités en général envi-sagées : l'accroissement notable de la population, d'une part, sa stagnation, d'aulre part, se joint une autre éventualité, peut-être prochaine pour certains peuples, celle d'une décrois-sance constante de la population : cette dernière éventualité pourrait se présenter même, et plutôt surtout, chez un peuple riche et instruit.

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consé-•12 LA Q U E S T I O N DE I.A P O P U L A T I O N

quence naturelle d'un penchant inné à l'homme ; ils r e n d e n t ce p e n c h a n t responsable de toutes les misères et de presque tous les fléaux, guerres, pestes, famines, n o m b r e u s e s catégories de crimes, dont ont souffert et souffrent encore les généra-tions h u m a i n e s . L a lutte contre les excès de ce penchant leur paraît l'œuvre sociale par excellence Si cette lutte n'est pas engagée et poursuivie avec fermeté et avec méthode, si les individus n'y apportent pas à la société leur concours, l'avenir du m o n d e et de notre espèce se révèle à eux sous les plus noires couleurs.

D'autres envisagent, au contraire, l'énigme avec plus de sérénité ; le pullulement de la race humaine ne les alarme pas ; ils s'en applaudissent comme d'un nouveau m o y e n de développer davantage, relativement à chaque unité h u m a i n e vivante, la force productive. L e u r s inquiétudes sont, dans le sens o p p o s é ; ils craignent que la modification de la n a t u r e , soit physique, soit surtout morale, de l'homme, par l'action des causes diverses qui com-posent le phénomène complexe de la civilisation, n'arrive à diminuer la prolificité et à réduire le n o m b r e des h o m m e s civilisés. Cette dernière con-ception, postérieure à la précédente, a pris, vers la fin du xix° siècle, une grande force ; n o m b r e de p h é n o m è n e s sociaux récents, d'un caractère suffi-s a m m e n t général, viennent à suffi-son a p p u i ; nousuffi-s la formulions dès le lendemain de la guerre de 1871) 71, en ce qui concerne la France. Nous reprenions ce thème dans un de nos premiers cours au Collège de F r a n c e en 1882-83 (1), dans notre Essai sur la

(25)

P O S I T I O N DU P R O B L È M E DE LA P O P U L A T I O N 1 3

Répartition cles Richesses (1881), ainsi que dans

notre Traité théorique et pratique d'Economie

poli-tique, dès la première édition de cetouvr>age (1896).

Nous avons toujours été, depuis quarante ans, inquiet de la tendance au déclin de la natalité et de la population en F r a n c e et nous n'avons cessé, au cours de notre carrière, d'indiquer les prochaines étapes de cet angoissant déclin.

Dans tous les temps, aussi bien dans l'antiquité et au moyen âge qu'à l'heure présente, les opinions ont beaucoup varié sur les bienfaits ou les méfaits de l'accroissement de la population et sur l'avenir de la race h u m a i n e ; elles varient encore a u j o u r d ' h u i non seulement d'un homme à un autre, mais chez le même h o m m e à deux m o m e n t s différents, ou suivant qu'il considère 1a. question sous tel ou tel aspect.

Cette question en a beaucoup : on peut d'abord

poser le problème de la population au point de vue scientifique et social général : le genre humain va-t-il constituer une fourmilière ou bien, quand les pays neufs, les régions vacantes, seront

convena-blement peuplés et exploités, s'arrêtera-t-il à un nombre réglé d'habitants ? Le plus grand bonheur de l'humanité, la plus haute somme de moralité,

(26)

LA Q U E S T I O N DE I.A P O P U L A T I O N

de paix sociale, de satisfactions intellectuelles et matérielles, concordent-ils avec le premier résultat ou avec le second?

C'est un problème mixte, en partie physiologique et naturel, en partie économique.

Un second point de vue, au lieu d'elle celui de

l'humanité considérée dans son ensemble et dans toute son évolution, est celui de l'intérêt national

pour un peuple déterminé dans le temps présent et les temps prochains. L'accroissement sensible de

la population n'est-il pas une force et un bien pour la prépondérance politique qui dépend en partie du nombre des m e m b r e s d'une nation ; pour la garan-tie de tous les intérêts qui sont compris dans l'idée de p a t r i e ; pour l'extension de la race sur les terri-toires encore vacants et la colonisation; pour toutes ces conséquences indirectes que la prépondérance politique produit, m ê m e dans l'ordre des échanges et des relations diverses d'un peuple avec les a u t r e s ; au point de vue relatif, l'état stationnaire de la population d'un peuple, q u a n d celle des autres s'ac croît, n'enlraîne-t-il pas des m a u x et des inconvé-nients nombreux"? Même en ce qui concerne l'acti-vité économique, l'ardeur de l'esprit d'entreprise, l'impulsion progressive, le ralentissement ou la cessation de l'accroissement de la population n'exerce-t-il pas une influence d é p r i m a n t e ? Au

point de vue dynamique, c'est-à-dire de la société considérée dans sa marche, le défaut d'accroissement de la population d'un peuple pourrait avoir ainsi des effets bien plus fâcheux qu'au point de vue statique.

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aller-P O S I T I O N DU aller-P R O B L È M E DE LA aller-P O aller-P U L A T I O N l a

native : ou l'accroissement plus ou moins notable et plus ou moins rapide de la population, ou la stagnation de celle-ci. On est bien obligé, depuis un certain n o m b r e d'années, d'envisager un autre p h é n o m è n e que l'accroissement et la stagnation de la population, à savoir celui du déclin de celle-ci, d ' u n déclin plus ou moins accentué, mais qui pourrait être notable et constant, m ê m e chez un peuple instruit et riche. L e déclin constant de la population dans de semblables conditions doit être envisagé et étudié comme u n e éventualité possible prochaine.

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C H A P I T R E II

EXPSOÉ DE LA DOCTRINE DE MALTHUS Circonstances où s'est produito, à la fin du xvni» siècle, la

doc-trine de Maltlius. — Ce que Malthus entend par principe de population. — T e n d a n c e de la population à doubler suivant une progression géométrique tous les vingt a n s ou tous les vingt-cinq a n s : l'accroissement des m o y e n s de subsistance, dans les conditions les plus favorables, ne pourrait s'effectuer que selon une progression arithmétique. — J u g e m e n t s contradic-toires sur le caractère et la portée de l'oeuvre de Maltlius.

A la lin du xvm° siècle, sous l'inlluence, d'une part, des écrits de Rousseau, et, d'autre part, de ceux des encyclopédistes, l'opinion générale parmi les esprits cultivés était (pie la perfecti-bilité de l'homme et celle des institutions so-ciales n'avaient pas de limites, que les mauvais gouvernements seuls et les superstitions étaient responsables de tous les vices et de loutes les misères.

(29)

point-E X P Ô S É D point-E I.A D O C T R I N point-E D point-E M A I / H I T S 17

laiton, li rompait avec les opinions reçiiës. 11

sou-tenait que les causes auxquelles on attribuait la détresse des classes inférieures et la misèi'e des sociétés humaines n'avaient qu'une action super-ficielle et étaient fort loin de suffire à explique^ ces calamités. Le mal était ailleurs; il résidait dans le principe de population. Qlièl était Ce priti-cipe '!

Ce que l'autellr d é s i s t a i t pnr cette formulé : le principe de population, c'éhtit la tendance qu'avait, suivant lui, chaque groupe humain Î1 nuiltlplier d'une manière plus rapide qtie les subsistances. Dans leur multiplication les peuples ou les h o m m e s n'étaient retenus que par divers obstacles Ott freins : le vice, la misère et d'autres fléaux cjui font cortège à ces dëiix premiers. C'ëSt à ëè « principe de popu-lation » qu'en tout pays on peut faire r e m o n t e r le malheur des classes laborieuses et l'iiiutilité des efforts faits par les classes supérieures pour sou-lager leurs souffrances. L'auteur s'attaquait à la charité légale et critiquait vivement lés poor làtbs (lois des pauvres).

La netteté crue et brutale parfois des affirma-tions devait donner à cet ouvrage un très grand retentissement. Certains passages, supprimés dans les éditions postérieures, étaieht ëmpreints d'Une énergie et d'une éltitjueftce presque sauvages : « Un homme qui naît dafls un monde déjà occupé, si Sa famille ne peut pas le nourrit-, ou si la société ne peut utiliser son travail, n'a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de n o u r r i t u r e , et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n'y a pas de couvert mis pour lui. L a nature lui c o m m a n d e de s'en aller, eL

(30)

•18 LA Q U E S T I O N DE I.A P O P U L A T I O N

elle no larde pas à mettre elle-même cet ordre à exécution (1) ».

L a précision des formules frappait, d'autre part, profondément l'esprit : « 1° la population, y était-il dit, est nécessairement limitée par les moyens de subsistance ; 2° la population croît invariable-m e n t partout où croissent les invariable-moyens de sub-sistance, à moins que des obstacles puissants el manifestes ne l'arrêtent ; 3° les obstacles particuliers et tous ceux qui, arrêtant le pouvoir prépondérant, forcent la population à se réduire au niveau des m o y e n s de subsistance, peuvent tous se rapporter à ces trois chefs, la contrainte morale, le vice el le malheur (2). »

Des calculs statistiques venaient à l'appui de ces théories. E t u d i a n t la population des Etats-Unis, qui offre, en effet, le meilleur exemple de l'évo-lution naturelle d'un groupe social dans les ditions les plus favorables, l'auteur du livre con-cluait : « Nous pouvons tenir pour certain que,

lorsque la population n'est arrêtée par aucun obs-tacle, elle va doublant tous les vingt-cinq ans et croît de période en période suivant une progression géométrique. Il est moins aisé de déterminer la

m e s u r e de l'accroissement des productions de la terre. Mais du moins nous s o m m e s sûrs que cette m e s u r e est tout à fait différente de celle qui est applicable à l'accroissement de la population. Un n o m b r e de mille millions d ' h o m m e s doit doubler (1) Voir l'Essai sur le principe de population, par Malthus. édition Guillaumin 1845, p. xv de l'introduction, note. D'après cette note, il d e m e u r e incertain si ce passage p a r u t dans la 1 " édition de 1798, ou seulement dans celle de 1803; mais il fut s u p p r i m é dans les postérieures.

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E X P O S É D E LA D O C T R I N E D E J 1 A L T H U S 1 9 en vingt ans (1) par le seul principe de population, tout comme un n o m b r e de mille hommes. Mais on n'obtiendra pas avec la m ê m e facilité la nourri-ture nécessaire pour alimenter l'accroissement du plus grand n o m b r e . . . Nous sommes en état de prouver, en partant de l'état actuel de la terre habitée, que les moyens de subsistance, dans les

circonstances les plus favorables à Vindustrie, ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression arithmétique (2). »

Ces propositions si catégoriques étaient de nature à fortement impressionner les lecteurs : les deux termes progression géométrique pour l'ac-croissement de la population et progression

arith-métique pour l'accroissement des subsistances

lirent fortune : ils constituèrent ce que l'on a appelé LA LOI M A L T H U S I E N N E D U D O U B L E M E N T . Ce

n'était pas là, d'ailleurs, des évaluations approxi-matives, l'auteur y joignait des calculs : « P o r t o n s à mille millions le n o m b r e des habitants actuels de la Terre : la race humaine croîtrait c o m m e les nombres 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 2 5 6 ; tandis que les subsistances croîtraient comme ceux-ci : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9. Au bout de deux siècles, la population serait aux moyens de subsistance comme 256 est à 9 ; au bout de trois siècles,

(1) On r e m a r q u e r a que, à sept ou huit lignes de distance, Mal-t h u s parle d'un doublemenMal-t en vingMal-t-cinq ans, puis d'un double-m e n t en vingt ans ; cela pourrait passer pour une négligence, p e u compatible avec des habitudes rigoureuses d'esprit; mais il ressort de divers endroits de son ouvrage que Malihus a hésité entre la période de vingt ans et celle de vingt-cinq pour repré-senter l'effet — tous obstacles écartés — du « principe de popu-lation ».

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•20

c o m m e 4.09(5 est à 13, et après deux mille ans la différence serait immense et comme incalculable. On voit que dans nos suppositions, nous n'avons assigné a u c u n e limite aux produits de la lerre. Nous les avons conçus comme susceptibles d'une augmentation indéfinie, comme pouvant surpasser toute g r a n d e u r qu'on pourrait assigner. Dans celle supposition même, le principe de population, de période en période, l'emporte tellement sur le, prin-cipe productif des subsistances que, pour maintenir le niveau, pour (pie la population existante trouve des aliments qui lui soient proportionnés, il faut qu'à cliaqUe instant une loi Supérieure fasse nbs t a d e à ses p r o g r è s ; que la dure nécessité la sou-mette à son empire, que celui, en un mot, de ces deux principes contraires, dont l'action est si p r é p o n d é r a n t e , soit contenu dans certaines limites (1). » Suivait la description des freins g é n é r a u x qui s'opposent à l'accroissement de la population, à savoir le frein préventif et le frein r é p r e s s i f ; le premier qui agit en empêchant l'ac-croissement, le second qui se manifeste par la des-truction soit graduelle, soit immédiate, des êtres h u m a i n s en trop. De ces freins, le premier était prôné par l'auteur, quoiqu'il n'ignorât pas que les h o m m e s en général avaient beaucoup de répu-gnance à s'y plier et que presque tous le rejetaient;

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E X P O S É DE LA D O C T R I N E DE J 1 A L T H U S 2 1

les freins (le la seconde catégorie étaient dépeints par lui comme les plus actifs en l'état du m o n d e et c o m m e constituant les diverses formes du mal-heur (misery) : les guerres, les maladies, les pri-vations. Le frein préventif, à savoir la contrainte morale, devrait se substituer aux freins répres-sifs ; c'était la seule solution du problème de lq, misère.

Cette théorie que la population a u n e tendance organique et virtuelle à s'accroître plus rapide-ment que les moyens d'existence se présentait ainsi en un enchaînement de propositions rigou-r e u s e s .

Cet ouvrage, qui tranchait avec la banalité de toutes les publications soi-disant philosophiques et philanthropiques du temps, fit u n bruit extraordi-naire : il fut reçu par les applaudissements des uns et les accusations de scandale des autres.

(34)

côtés, qu'est dû le prodigieux succès de l'Essai,

sur le principe de population.

Ce succès fut immédiat et éclatant. Les partis politiques s ' e m p a r è r e n t de la tlfese de Malthus ; les conservateurs et m ê m e les libéraux, les anli-socialistes ou antiréformistes se l'approprièrent. Désormais, la cause de la misère était trouvée ; les lois étaient impuissantes à rien faire contre (die; c'était la brutale passion sexuelle à laquelle s'aban-donnait le peuple qui était seule responsable des soulïrances de la classe inférieure. Il n ' y a v a i t qu'à prêcher la contrainte morale, le moral restraint.

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E X P O S É DE LA D O C T R I N E DE J 1 A L T H U S 2 3

scientifique à ceux dont ils n'adoptent pas les doc-trines. L'adhésion ardente que donnèrent à la doctrine de Malthus des démocrates aussi sincères que Stuart Mill disculpe celle-ci de toute inspi-ration réactionnaire. On v e r r a en outre, plus loin (p. 41) que le célèbre socialiste Owen s'est rallié aux idées de Malthus.

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édition, la dernière qu'il ajf, revue et ([i|i parut en 1820, il définissait ainsi le concept du moral

res-traint, contrainte ou pUitptrestrictipn morale « une

restriction du mariage par des motifs de prudence avec u ne «enduite strictement morale pendant la période de la restriction; a restvainl front

rnar-riage, fro/n prudential motives, nrilh a condttcl slriçtly moral during the period of restreint. »

J a m a i s , il n'a entendu qu'au cours du mariage il dût y avoir des pratiques anli-eopceplionne|les (1). Traduit en allepiand, en français, dans toutes les g r a n d e s langues, Malthus eut, et il a encore des a d m i r a t e u r s enthousiastes et des contradicteurs passionnés.

D ' a p r è s les uns> VEssai. sur la principe de la

population est un bienfait pour le monde, une

gloire nouvelle de l'esprit humain ; il constitue, suivant le mot du traducteur allemand llegewisch, « unp révélation des lois de l'ordre moral compa-rable à la découverte des lois de l'ordre physique de

l'univers par Newton (2) ».

Selon d'autres, la plupart, écrivains superficiels,-Malthus serait presque un monstre ou, du moins, un écrivain, sinon immoral, du moins amoral. Cette idée a été légèrpmpnt acceptée par des pubjicisl.es, parfois célèbres, mais peu informés. M Jules Simon, dans le j o u r n a l Le Temps, en 1890, à propos d'une affaire criminelle retentissante, commençait ainsi

(1) Malthus s ' e x p r i m e ainsi à ce sujet : « Le libertinage, la-passions contraires au v œ u de la n a t u r e , la violation du lit nup-tial, en y j o i g n a n t tous les artifices employés pour- cacher les suites des liaisons criminelles ou irrégulières, sont des obstacles préventifs qui a p p a r t i e n n e n t m a n i f e s t e m e n t à la classe des viers. » Essai sur le principe de population, édition Guillaumin, p. i'.i.

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E X P O S É DE LA D O C T R I N E DE J 1 A L T H U S 37

un article : « On parle d'avortement ; parlons de Malthus (1). » Il est à supposer que Jules Simon n'avait pas lu une ligne du penseur anglais. Il eût su autrement que, avec la plus inflexible rigi-dité morale, Malthus condamnait les pratiques pré-ventives usitées quelquefois dans le mariage pour restreindre la prolilicité (2), tandis qu'un certain nombre de ses prétendus disciples, n o t a m m e n t en Angleterre et en Allemagne, pour ne pas parler de la France, les r e c o m m a n d e n t avec cynisme.

Cet enthousiasme et ces malédictions, en ce qui concerne Malthus lui-même, sont également exa-gérées. Quant aux déductions tirées de la doctrine de Malthus, sous le nom de néo-maltluisianisme, et que nous examinerons plus loin, elles sont odieuses, méprisables et, au plus haut degré, nuisibles.

(1) A propos de l'affaire d'avortement, à Toulon, où étaient compromis et où lurent condamnés une f e m m e du m o n d e et l'ancien officier de marine maire de Toulon, Fouroux.

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C H A P I T R E J11

LES PRÉDÉCESSEURS DE MALTHUS . PARTISANS ET ADVERSAIRES ; PLACE OCCUPÉE PAR L'ÉCOLE

DANS LA SCIENCE

Les prédécesseurs de Malthus dans l'antiquité, au moyen lige et au c o m m e n c e m e n t des t e m p s modernes. — Opinion dos éco-nomistes anglais du xix' siècle : les deux Mill, Marshall. — L'opinion en France : Montesquieu ; l'Ecole française au xix« siècle, Bastiat.

C o m m e il arrive toujours à loule grande systé-matisation d'idées, bien des aperceptions approxi-matives, des intuitions incomplètes et imparfaites, chez nombre d'écrivains antérieurs, l'avaient pré-cédée et y avaient conduit.

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con-I.ES PRÉDÉCESSEURS DE MALTHUS 2 7 seillaient des moyens violents pour obvier à la prolificité. Au XVIII" siècle, Montesquieu, F r a n k l i n ,

Arthur Young, d'autres encore émirent, sans trop s'y arrêter, des idées assez analogues à celles de Malthus.

L'érudition allemande lui a trouvé bien d'autres précurseurs, si l'on peut appeler de ce nom ceux qui r a m a s s e n t au hasard une idée, en font luire un instant une des faces et l ' a b a n d o n n e n t sans penser à en extraire tout le contenu et sans se douter de son importance. Machiavel, Giovanni Botero, se trouvent parmi les plus sérieux de ces pré-malthu-siens : d'après ce dernier, la vente des esclaves en Guinée, le cannibalisme des sauvages, les vols et les brigandages des Arabes, à plus forte raison les migrations des peuples et m ê m e la généralité des crimes n'ont pas d'autre cause que l'encombre-m e n t de l'espèce h u l'encombre-m a i n e sur le globe ou sur cer-tains points de celui-ci.

Un des premiers explorateurs et colonisateurs modernes, W a l t e r Raleigh, disait que, sans les famines, les guerres, les crimes, les pestes, la terre regorgerait bientôt d'habitants.

Il y avait loin de ces aperçus fugitifs à la doc-trine magistrale et cohérente de Malthus.

Elle trouva en Angleterre u n terrain admirable-m e n t p r é p a r é ; elle s'y é p a n o u i t ; presque tous les économistes anglais de la première partie du xixe siècle s'y r a n g è r e n t . Elle constitua, avec la théorie de la Rente de la terre, de Ricardo, (1) qui n'était pas sans analogie avec elle, u n e sorte de foi économique nouvelle qui eut pour g r a n d s prêtres

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LA Q U E S T I O N DlC LA P O P U L A T I O N

les deux Mill : J a m e s fylill (1), du vivant mènie de Malthus et sou lils, qui |e continua, mais l'éclipsa en célébrité, John Stuart Mill. Ce dernier en est imbu j u s q u ' a u x moelles. Tous nos progrès lui paraissent illusoires ; ils ne tendent qu'à enrichir démesuré-ment un petit nombre d'hommes et à permettre à un n o m b r e chaque jour plus grand de vivre d'une vie m i s é r a b l e ; l'accroissement de la population est la cause de celte déplorable condition île l'huma-nité; à moins que l'on np trouve le. moyen de le contrecarrer par (les peines sévères, par l'inter-vention des lois pénétrant j u s q u e dans l'intimité de la vie privée, u n e amélioration durable du sort de l'espèce humaine n'est pas possible.

Les économistes anglais plus récents se sont, en partie du moins, soustraits à ce caqchemar. La plupart, notamment, Thorpld Rogers, Sidgwiek, Marshall, considérant comme excessives les géné-ralisations de Ricardo, n'ont pu avoir up sentinipnt complètement différent à l'égard de celles (h; Mal-t h u s : n é a n m o i n s , ils ne lajsspnMal-t pas que d'en êMal-tre, toujours très impressionnés. Après avoir décrit les trois points principaux de Ja théorie malthusienne, M Marshall, dans son ouvrage élémentaire, s'ex-prime ainsi : f< Nous avons déjà constaté que les économistes anglais de la première partie de ce siècle exagèrent la tendance de l'accroissement de la population à empiéter sur les moyens de subsis-tance. Ce n'était, ceptes, pas leur faute s'ils ne pouvaient prévoir les développements récents des transports à vapeur sur terre et sur eau, qui ont permis aux Anglais de la génération présente

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I.ES P R É D É C E S S E U R S D E M A L T H U S 2 9

tenir les produits des plus riches terres du m o n d e , à Un prix généralement bas. Mais le fait que Mal-thus n'avait pas prévu ces c h a n g e m e n t s r e n d le second et le troisième terme de son a r g u m e n t a t i o n s u r a n n é s dans la forme, quoiqu'ils soient encore, dans une large mesure, valables au fond ;

cinii-cjuated in ftirm, though they are still, in a rjreat measure, valid in substance (1) ». Ce n'est pas là,

on le voit, ii s'en faut m ê m e , un abandon de la doctrine de Malthus, mais simplement une atténua-tion et une modificaatténua-tion. A un autre endroit du m ê m e ouvrage, M. Marshall reconnaît que, par suite dé circonstances diverses qu'il explique, le rapport des mariages à la population est tombé, en Angleterre, de 8,8 pour 1,000 en 1873, à 7,1 pour •1.0011 en 1886, et que le r e c e n s e m e n t de 1891

cons-tate un ralentissement considérable dans le taux d'accroissement de la population en Angleterre :

a grecit falling o f f i n the rate of increase of the popu-lation in England{2) ». Ces dernières observations

sont, ainsi que nous le m o n t r e r o n s plus loin, avec le concours de bien d ' a u t r e s p r e u v e s , beaucoup plus destructives de la doctrine de Malthus, considérée Comme un système scientifique et par consé-quent universel, que ne le sont les résultats des décdUVertes ou des applications industrielles du Commencement et du milieu du xixe siècle, les-quelles auraient pu no procurer à l'humanité qu'un simple répit. C'est, toutefois, une faiblesse pour un penseur que de n'avoir pas prévu la possibilité de très g r a n d s changements prochains, surtout quand

(1) Marshall, Economies of lndustry, p . 124.

(42)

les causes de ces changements, la découverte de la vapeur et l'inauguration de l'industrie méca-nique, étaient déjà connues et en travail de son temps. Si l'on peut arguer, de ce côté, des circons-tances atténuantes en faveur do Malthus, il est absolument impossible de. les accorder à John Stuart Mill, qui écrivait en plein essor de forces dont il n'a nullement su évaluer l ' a v e n i r ; c'est une des preuves que Stuart Mill, pur logicien, était dénué, à u n très rare degré, de l'esprit d'observa-tion personnelle et que les phénomènes concrets du m o n d e vivant échappaient à son regard (1).

En Allemagne, la doctrine de Malthus trouva un accueil chaleureux comme en témoigne la phrase que nous avons citée (page 24). Les économistes allemands actuels discutent avec indépendance d'esprit la théorie malthusienne (2).

En F r a n c e , les idées de Malthus ont rencontré une adhésion beaucoup moins générale qu'en Angleterre ou en A l l e m a g n e ; dans ces deux der-niers pays très prolifiques, l'opinion était prédis-posée à les accueillir ; dans la F r a n c e du xix° siècle, dont la population a toujours été peu ascendante et a m ê m e fini par reculer, du moins pendant quelques années consécutives, il était naturel qu'on se m o n t r â t moins inquiet d'un mal dont, à tout le moins, la nation paraissait préservée. Il

(1) Nous avons établi, dans notre Traité théorique et pratique d'économie politique 15» édition, t. 1er), en parlant du rôlo de la n a t u r e , que le peu d'attention prêté par les économistes anglais d u c o m m e n c e m e n t du xix" siècle à l'étude de la nature a été p o u r beaucoup d a n s leurs erreurs et d a n s la sombre conception qu'ils se sont faite de l'avenir économique du genre h u m a i n .

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I.ES P R É D É C E S S E U R S DE M A L T H U S 3 1

s'csl trouvé, môme chez nous, cependant, quelques enthousiastes disciples de Malthus, Joseph Gar-nier par exemple.

Montesquieu avait eu, moins les alarmes, une approximation vers les idées de Malthus : partout où une famille peut vivre à l'aise, il se forme un mariage, disait-il ; mais il ne voyait clans ce phénomène aucun motif d'inquiétude. De même J e a n -Baptiste Say écrivait : « P a r t o u t où l'on produit un pain, naît un h o m m e . » Malthus va, certes, plus loin, puisqu'il soutient que les h o m m e s ten-dent à se multiplier plus que les pains. Un écri-vain qui a merveilleusement reflété les idées d'au-trui, sans en avoir jamais aucune en propre, Rossi, d o n n a i t à Malthus u n e demi-adhésion en ces termes : « Plutôt 2 millions de Suisses prospères que 8 mil-lions d'Irlandais. » Un des r a r e s fanatiques de la

théorie malthusienne en F r a n c e , Joseph Garnier, dans une correspondance avec Léonce de L a v e r g n e , lequel s'alarmait, vers 1876 et 1877, du ralentis-sement m a r q u é de l'accroisralentis-sement de la population en F r a n c e , le g o u r m a n d a i t ainsi : « 11 n'y a aucune nécessité à ce que les F r a n ç a i s s'accroissent da-vantage... Tout e n c o u r a g e m e n t à la population est a b s u r d e , d a n g e r e u x , inhumain et contraire à l'in-térêt de la société et du pauvre en particulier ».

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idées et de là polémique Je Carey, donl il a été l'éloquent interprète, était peu disposé à sacrifier les Harmonies Économiques générales aux alarmes de Malthus. Avant lui, Blanqtii, juge fort super-ficiel, il est vrai, mais assez fiflèlé représenlaul de la mentalité française habituelle, se. pronon-çait ainsi sur l'auteur du Principe tir pripit/aJ idit :

« Son f a m e u x théorème île l'arcroisseinenl de la population en proportion géomélrique, tandis que les subsistances s'accroissent fcn proportion arith-métique, commence à recevoir de nombreux dé-mentis. Evereth, Godvln et Ërisor l'ont forteineîd ébranlé et cette doctrine perd chaque jour de sOn crédit (1). » Blartqui montre ici, sans doute, sa légèreté coutumière : J a m a i s MallIiUs n'a parlé de « l'accroissement de la pbpulatiô'ri en proportion géométrique, tandis que les subsistances s'accrois-sent eh proportion arithmétique », proposition qui serait d'une manifeste absurdité. Il a dénoncé la

tendance à l'accroissement, ce qui est tout, dilféreht.

Néanmoins, quoique conçu en très mauvais termes, le témoignage de Blanqui vaut au point de vue de l'opinion française générale. Dans ces derniers temps, presqùe toute l'école économique française est antimallhusienne.

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C H A P I T R E IV

LE P R É - M A L T H U S I A N I S M E SOUS LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Idée r é p a n d u e chez les J a c o b i n s , p l u s i e u r s a n n é e s a v a n t la publi-cation d u livre de M a l t h u s , q u e la F r a n c e est b e a u c o u p t r o p p e u p l é e . — Cette idée a u n e p a r t d a n s la Terreur et les m a s -s a c r e -s qu'elle a u t o r i -s e . — Le « -s y -s t è m e de d é p o p u l a t i o n » de Babeuf.

Un point curieux à constater, qui nous vient d'un historien philosophe et non d'un économiste, c'est que les révolutionnaires français à la fin du

XVIII6 siècle, Collot d'Herbois n o t a m m e n t , quelques

années avant l'apparition du livre de Malthus, avaient émis en système que la F r a n c e était trop peuplée et qu'il fallait, pour obtenir l'universel bonheur, réduire dans des proportions énormes le n o m b r e de ses habitants. « Baudot et Jean Bon Saint-André, C a r r i e r , Antonelle et Guffroy, dit Taine, avaient évalué à plusieurs millions le nombre des vies qu'il fallait trancher, et, selon Collot d'Herbois qui avait parfois l'imagination pittoresque : la transpiration politique devrait être assez abondante pour ne s'arrêter qu'après la destruction de 12 à 15 millions de Français. » Cela eût réduit la population française à (i ou 8 mil-lions d'habitants e n v i r o n ; plusieurs ne s'en épou-vantaient pas. Guffroy écrivait dans son journal :

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« Que lu guillotine soit en p e r m a n e n c e dans toute la République, la F r a n c e aura assez de 5 millions d'habitants (!) ». Ce n'est pas seulement là une hallucination m e u r t r i è r e ; rapprochée de la décla-ration de Collot d'Herbois, cette formule témoigne d'une certaine conception économique relativement à la population et au bien-être, quatre ans avant la publication de l'ouvrage de Malthus.

Un témoignage plus décisif de cette idée répan-due parmi les révolutionnaires français, plusieurs a n n é e s avant la publication du livre de Malthus, que la F r a n c e souffrait d'un excès de population, c'est l'opuscule m ê m e de Babeuf intitulé : « Du

sys-tème de dépopulation ou la vie et les crimes de Carrier. P a r i s , an III. » Cet opuscule date de 18'.K'>,

soit trois ans avant l'apparition de la première, édition du livre de Malthus. Babeuf s'en prend, dans ce mémoire é t e n d u , directement à Robos-pierre ; suivant l'expression d'un de ses biographes et panégyristes, M. Albert T h o m a s , aujourd'hui député socialiste, Babeuf « exposait (dans cette brochure) le projet attribué à Robespierre d'im-moler par la T e r r e u r une partie de la population de la F r a n c e ; les gros possesseurs et une partie m ê m e des pauvres, pour opérer une nouvelle dis-tribution des richesses. »

11 est intéressant de reproduire, sur ce point d'histoire trop négligé, les paroles même do Babeuf:

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36 LA Q U E S T I O N DlC LA P O P U L A T I O N

m a l p r é s e n t , et des d i s p o s i t i o n s p o l i t i q u e s , qui ne blessent en r i e n les lois n a t u r e l l e s , p o u r p r é v e n i r de s e m b l a b l e s d a n -g e r s f u t u r s . C e l t e m a t i è r e q u e , s a n s d o u t e m a l h e u s e u s e m e n l . le g é n i e de R o b e s p i e r r e a I r o p pesée et m a l m û r i e , est cepen-d a n t cepen-d i g n e cepen-de t o u t e l ' a t t e n t i o n cepen-des m e m b r e s cepen-d u S é n a t , el qui n e s o n g e r a p a s i la r é f l é c h i r n ' e s t p o i n t l é g i s l a t e u r1. »

Il apparaît bien, dans ce passage que, si Babeuf était opposé au Système de dépopulation, beaucoup de jacobins en étaient pénétrés : les crimes de la

Terreur trouvèrent dans celle idée, peut-être même

dans cette obsession, non pas certes une excuse, mais un stimulant. Gela se passait de cinq à trois ans avant la publication du livre de Malthus.

On voit que celui-ci ne pourrait réclamer pour sa théorie un absolu brevet d'invention; elle devait recevoir un accueil d ' a u t a n t plus empressé que beaucoup d'esprits déjà inclinaient à une conception analogue, plus excessive même.

La population de la F r a n c e avait été estimée par l'Assemblée Nationale de 1789 à 26.363.000 âmes, et par Necker seulement à 24.800.000 (2) ; on n'était pas fixé à 1 ou 2 millions près. Le chiffre de Necker paraît le plus proche de la vérité; c'était, toute compensation faite des territoires perdus et gagnés depuis lors, à peine 1rs deux tiers de la population actuelle.

(1) Ce passage est tiré : Du système de. dépopulation par Babeuf, p. 31. Nous l'ompruntons nous-mfirne à la publication de M. Albert T h o m a s s.ur Babeuf: la doctrine des Egaux, extraits des œ u v r e s complètes (p. 47 à 49) faisant partie de la lliblio-Ihèque Socialiste, Paris, 1906.

(49)

C H A P I T R E V

LE PRINCIPE DE POPULATION ET LES SOCIALISTES CONTEMPORAINS DE MALTHUS

Opinion originale et relativement assez juste de Fourier. — Le « petit complet » et le « g r a n d complet » du m o n d e , suivant lui. — La loi naturelle de redressement ou de limitation du principe de population. — Robert Owen se m o n t r e très favo-rable à la théorie de Malthus.

Non moins que les Jacobins, les socialistes, m ê m e les plus doux, ont eu peu de faveur pour u n notable accroissement de la population : ainsi F o u r i e r , par-lant de sa société future, d é n o m m é e Y Harmonie, écrit : « Quel que fût ce bien-être, le peuple retom-berait bientôt dans le d é n u e m e n t , s'il multipliait sans bornes, comme la populace de civilisation, ces fourmilières d'Angleterre, F r a n c e , Italie, Chine, Bengale, etc. Il faudra donc découvrir un moyen de garantie contre l'accroissement indéfini de popu-lation (1). » Classer la F r a n c e , parmi les fourmi-lières, au même r a n g que l'Angleterre, l'Italie, la Chine et le Bengale, c'était, certes, même au coin-cement du xix° siècle, faire d'étranges confusions.

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inconséquences et les étourderies de la politique m o d e r n e , écrit-il, il n'en est pas de plus choquante que l'oubli de statuer sur l'équilibre de population, sur la proportion du n o m b r e de c o n s o m m a t e u r s avec les forces productives. En vain découv rirait-on des moyens d'atteindre au quadruple et môme au centuple produit, si le genre humain était con-d a m n é à pulluler comme aujourcon-d'hui, amonceler toujours une masse de peuple triple et quadruple du n o m b r e auquel on doit se fixer pour maintenir l'aisance graduée parmi les diverses classes... J'ai cité S t e w a r t , W a l l a c e (1) et Malthus, seuls écri-vains dignes d'attention sur ce sujet, parce qu'ils confessent l'impéritie de la science. Leurs sages opinions sur le cercle vicieux de la population sont étouffées par les jongleurs économistes, qui écar-tent ce problème c o m m e tant d'autres. Stewart, plus loyal, l'a très bien traité dans son hypothèse d'une île qui, bien cultivée, pourrait n o u r r i r dans 1 aisance 1.000 habitants inégaux en fortune; mais, dit-il, si cette population s'élève à 3 et 4.000, à 10 et 20.000 c o m m e n t la n o u r r i r ? (2) » Fourier croit ([ue, en civilisation, l'encombrement du monde cl la misère générale sont des faits inéluctables ; mais il considère que, dans le régime qu il prône, c'est-à-dire dans l'État sociétaire, en Harmonie, le règle-(1) Stewart et Wallace, ilcux écrivains oubliés aujourd'hui, sont les a u t e u r s de livres qui eurent beaucoup de retentissement d a n s la seconde moitié du XVIH" siècle, cl ils peuvent passer p o u r des précurseurs de Mattlius : Stewart a écrit un livre, tra-duit en 178!) en français, sous le titre : Recherches sur les Prin-cipes de lÉconomie politique, ou Essai sur In science de la police intérieure des métiers libres : Wallace a publié un ouvrage qui a été traduit en français en 1760 : Dissertation historique et poli-tique sur la population des anciens temps, comparée à celle du notre.

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LES S O C I A L I S T E S C O N T E M P O R A I N S 0 E M A L T H U S 3lJ ment de la population s'effectuera automatique-ment, et sans restrictions légales ; à ce dernier point de vue et quoique son « État sociétaire » et son « Harmonie » ne doivent j a m a i s se réaliser, il donne des preuves de cette rare pénétration dont on retrouve des m a r q u e s au milieu de toutes ses folies : « Il faut, écrit-il, que la théorie de ce nouvel ordre (l'Etat sociétaire) fournisse des moyens très efficaces de prévenir l'excès de population, réduire le n o m b r e des habitants du globe à la j u s t e

propor-tion des m o y e n s et des besoins, à la quantité de 5 milliards environ, sans risque de voir la popula-tion s'élever à 6, 7, 8, 10, 12 milliards,-exubérance qui serait inévitable dans le cas où le globe entier organiserait le régime civilisé (1). »

L'originalité de Fourier est dans la loi naturelle

de redressement ou de limitation du principe de la population, loi qui découle de Vaccroissement du bien-être, il la décrit, suivant son usage, en t e r m e s

assez amphigouriques : « L a n a t u r e dans l'état sociétaire (cette expression désigne toujours le système social de ses rêves) oppose quatre digues à l'excès de population; ce sont : 1° la vigueur des f e m m e s ; 2° le régime gastrosophique ; 3° les m œ u r s p h a n é r o g a m e s ; 4° l'exercice intégral (2) ». Nous ne nous arrêterons pas à exposer ce qu'il entend par ces quatre freins, ou ces quatre conditions restrictives de l'accroissement de la population, n o t a m -ment le troisième, qui pourrait être considéré comme une inclination de Fourier aux méthodes du néo-malthusianisme (voir plus loin, p. 295 à 338).

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Fourier n'admet qu'une population de l.îiOO âmes par lieuecarrée de 20 au degré, soit environ ;j(l habi-tants par kilomètre carré, au lieu de environ que la F r a n c e compte aujourd'hui. Aussi déclare-t-il que, « dans le début, la F r a n c e , faute de ter rain, sera obligée de verser au dehors 4 millions d'habitants superflus (1) ». 11 fixé la population du globe au petit complet de 2 milliards et quart et au

grand complet de 5 milliards quand certains

pro-grès se seront accomplis.

Où éclate la perspicacité de Fourier, c'est quand il entrevoit que le développement du bien-être pour-rait avoir pour elfet d ' a m e n e r une décroissance de la population et de retourner dans le sens tout à fait opposé les alarmes de Malthus et de ses disci-ples : cette vérité, c o m m e toujours, esL entourée, chez cette sorte de voyant, de tout un galimatias qui 1 obscurci t. «Lorsqu'on saura employer combiné ment (ce mot est de Fourier) les quatre movens exposés ci-dessus (la vigueur des femmes, le régime gastroso-phique, les m œ u r s p h a n é r o g a m e s , l'exercice inté-gral) les chances de fécondité et stérilité tourneronl à contresens du mode actuel, c'est-à-dire qu'au lieu d'excès en population, l'on n ' a u r a à redouter que

le déficit; et on prendra des mesures pour exciter

cette fécondité, que tout homme prudent redoute aujourd'hui (2). » Ce passage est r e m a r q u a b l e ; ce que Fourier avait prévu se réalise, ainsi qu'on le verra plus loin ; les nations dites civilisées sont actuellement dans un état de crise où l'excès de fécondité tend à faire place à une croissante stérilité.

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L E S S O C I A L I S T E S C O N T E M P O R A I N S DE M A L T H U S 4 1

L a France, l'Est des États-Unis, les provinces wal-lonnes de la Belgique, la Suisse fournissent les exemples frappants de ce changement : l'Angleterre, l'Allemagne, et diverses autres contrées paraissent s'acheminer plus lentement vers une situation ana-logue ; en tout cas leur fécondité diminue sensible-ment.

On a discuté davantage sur le point de savoir quelle était l'attitude de l'autre principal chef d'École socialiste du temps, Robert Owen, relati-vement au « principe de population ». Tandis que certains de ses biographes le considèrent c o m m e sceptique au sujet de l'application de ce « principe », il semble bien qu'il l'ait adopté, sinon au début, du moins au bout de peu de temps. On l'a m ê m e sus-pecté d'avoir pris part à la publication de certains écrits a n o n y m e s de propagande néo-malthusienne et d'avoir plus ou moins r e c o m m a n d é ou favo-risé des pratiques de ce genre dans sa colonie modèle de N e w - L a m a r c k . Malthus lui-même, dans la 5° édition de son Essai, sur la population, parue en 1817, parle d'Owen c o m m e ayant été « très impressionné p a r l e s difficultés,/«//y sensible of the

diffaillies, que le principe de population oppose

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LA Q U E S T I O N DlC LA P O P U L A T I O N

Malthus, on fait r e m a r q u e r que le lils d'Oweri publia un livre important dans la littérature néo-malthusienne et ([lie ce livre fut annoncé dans le j o u r n a l The Crisis (la crise), qui avait pour

direc-teurs conjoints Ovven père et Owen (ils.

Nous reviendrons sur ce sujet quand nous trai-terons des origines du néo-malthusianisme (voir plus loin, p. 295).

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C H A P I T R E Y I

L E S S T I M U L A N T S A R T I F I C I E L S A L'ACCROISSEMENT , DE LA POPULATION A LA F I N DU XVIII» ET AU DÉBUT

DU XIX» SIECLE

L ' E S S O R S U B I T D E LA G R A N D E I N D U S T R I E LE T R A V A I L R É M U N É R A T E U R D E TOUT J E U N E S E N F A N T S

M a l t h u s a v é c u et écrit a u milieu de l ' a p p a r i t i o n et de la consti-t u consti-t i o n d é s o r d o n n é e de la g r a n d e i n d u s consti-t r i e . — La p é r i o d e des a p p l i c a t i o n s i n d u s t r i e l l e s m o d e r n e s r e m o n t e , d ' a p r è s l'écono-miste a n g l a i s M a r s h a l l , à 1760.

Période chaotique de la grande industrie : d é r a c i n e m e n t de la p o p u l a t i o n . — l i n o r m e s t i m u l a n t à la n a t a l i t é du chef d u t r a v a i l r é m u n é r a t e u r de t o u t j e u n e s e n f a n t s : e x e m p l e s t y p i q u e s à ce s u j e t .

Circonstances a n a l o g u e s et a u t r e s a y a n t , d a n s la p r e m i è r e m o i t i é d u xix» siècle, des c o n s é q u e n c e s s e m b l a b l e s en F r a n c e .

On n ' a pas assez pris garde que, au temps où écrivait Malthus, c'est-à-dire dans les toutes der-nières a n n é e s du XVIII0 siècle et les toutes premières

du xixe siècle, il y avait dans les sociétés de l'Occident de l'Europe de puissants stimulants artificiels à la procréation d'êtres humains, des primes indirectes en quelque sorte à la natalité. L'économiste anglais Marshall fixe à 1760 l'époque de l'apparition de la g r a n d e industrie dans la Grande-Bretagne :

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-LA Q U E S T I O N DlC -LA P O P U L A T I O N

i,ures e n c o r e plus r a p i d e m e n t q u e d a n s [ l ' a g r i c u l t u r e ; citons d u r a n t cette p é r i o d e : les c a n a u x de l i r i n d l e v qui r e n d i r e n t m o i n s c o û t e u x le t r a n s p o r t des m a r c h a n d i s e s e n c o m b r a n t e s : la p r o d u c t i o n de la f o r c e p a r la m a c h i n e à v a p e u r de W a l l e t celle d u f e r p a r les p r o c é d é s de C o r t p o u r le ptiddlage el le l a m i n a g e (rolling) e t p a r la m é t h o d e de Roebuck p o u r le f o n d r e a v e c de la h o u i l l e a u lieu de c h a r b o n de bois d e v e n u t r è s r a r e ; H e a r g r e a v e s , C r o m p t o n , A r k w r i g h t , C a r l w r i g h t e l d ' a u t r e s q u i i n v e n t è r e n t ou d u m o i n s r e n d i r e n t p l u s é c o n o m i q u e l a spinning Jenny, la mule Jomiy et la m a c h i n e à c a r d e r W e d g v o o d , q u i d o n n a u n e g r a n d e i m p u l s i o n il l'ind u s t r i e l'indes p o t e r i e s , l a q u e l l e l'ind é j à se l'ind é v e l o p p a i t r a p i -d e m e n t ; -d i v e r s e s i m p o r t a n t e s i n v e n t i o n s p o u r l ' i m p r e s s i o n s u r étoffes a u m o y e n de c y l i n d r e s : le b l a n c h i m e n l a v e c des a g e n t s c h i m i q u e s e l a u t r e s p e r f e c t i o n n e m e n t s . Une filat u r e de c o filat o n f u filat , p o u r la p r e m i è r e fois, m u e p a r la m a -c h i n e à v a p e u r e n 1785, la d e r n i è r e a n n é e de -c e l l e p é r i o d e . Le c o m m e n c e m e n t d u xix° siècle vit les b a t e a u x à v a p e u r et les presses à v a p e u r p o u r l ' i m p r i m e r i e , et l'usage du gaz p o u r l ' é c l a i r a g e des villes. Les t r a n s p o r t s p a r c h e m i n s de fer, la t é l é g r a p h i e , la p h o t o g r a p h i e v i n r e n t u n peu p l u s t a r d . N o t r e p r o p r e â g e a eu des a m é l i o r a t i o n s i n n o m b r a b l e s et do nou-velles é c o n o m i e s d a n s la p r o d u c t i o n . . . Mais la base (ground-work) de t o u s ces c h a n g e m e n t s qui se s o n t effectués d e p u i s 178S> d o i t ê t r e c h e r c h é e p r i n c i p a l e m e n t d a n s les i n v e n t i o n s e t d é c o u v e r t e s de la p é r i o d e de 1700 à 1785 (1). »

Ainsi la grande industrie lit soudain irruption dans la Grande-Bretagne à partir de 1760 et put être considérée dans ce pays c o m m e partout cons-tituée ou du moins en voie de constitution rapide en 1785, treize ans avant l'apparition de la pre-mière édition, toute rudimentaire, de l'Essai de Malthus sur le principe de population. Les manufactures et les mines qui se créaient ou s'ouvraient de tous côtés firent un très grand appel à la m a i n - d ' œ u v r e . Ce fut, pendant quasi

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S T I M U L A N T S A LA N A T A L I T É AU D É B U T DU X I Xe S . 4 b un demi-siècle, l'époque de ce que nous avons appelé la période chaotique de la grande

indus-trie. Les filatures et les tissages particulièrement,

m ê m e aussi les blanchisseries, les impressions sur étofles, également les mines, non seulement pour les travaux de surface, mais aussi pour ceux du fond, eurent besoin d'un n o m b r e toujours crois-sant de femmes et d'enfants et leur offrirent des salaires qui constituaient, relativement à l'état de choses antérieur, des aubaines imprévues.

L ' h o m m e du peuple ne courait, en général, aucun risque à se mettre en m é n a g e et à faire des enfants sans c o m p t e r ; lui, sa femme, bientôt aussi ses lils et filles, trouvaient à s'employer, dans des j o u r n é e s harassantes, il est vrai, par leur prolongation, mais qui leur enlevaient le souci du lendemain. Dans leurs rares heures de loisir, ils pouvaient se livrer à ce que l'on a appelé parfois le plaisir du pauvre, sans en a p p r é h e n d e r les suites. Celles-ci étaient, comme on le v e r r a tout à l'heure, bienfaisantes pour leur m é n a g e et pour leur bourse.

L a plupart de ces ouvriers et ouvrières de fabrique accouraient, laissant leurs parents et leur domicile d'origine : c'étaient ce que l'on n o m m e a u j o u r d ' h u i des déracinés, qui, sortis de leur milieu traditionnel, n'étaient retenus, pour la plupart, par aucune considération d'amour-propre, de tenue et de respectabilité ; ils vivaient, en général, d'une vie quasi simplement physique et remplissaient sans appréhension ni vergogne, leur fonction de prolétaires au sens primitif, c'est-à-dire de géni-teurs.

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