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Pour une intelligence théologique de la proposition de la foi

La perspective que je voudrais développer consiste à souligner que la foi chrétienne - et par conséquent son annonce – se tient dans un paradoxe : elle est radicalement non nécessaire pour le salut, et pourtant radicalement précieuse pour la vie, pour la transfiguration qu’elle permet de vivre. Radicalement non nécessaire, radicalement

24 André COMTE-SPONVILLE, L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, Paris, 2009, pp.135-136.

précieuse, tel est, me semble-t-il, le statut de la foi chrétienne comme de son annonce.

C’est ce paradoxe que je voudrais exposer ici. Comprendre ce paradoxe et s’y tenir me semblent particulièrement salutaires pour l’annonce de la foi aujourd’hui dans le monde sécularisé qui est le nôtre.

La grâce de Dieu est débordante, excessive, sans mesure.

Pour entrer dans la réflexion et éclairer le paradoxe que je viens d’énoncer, je commencerai par mettre en relief l’affirmation fondamentale du christianisme sans laquelle il s’effondre : que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou non, que nous le proclamions ou non, la grâce de Dieu est à l’œuvre dans le monde d’une manière qui nous déborde et que nous ne pouvons mesurer. Le christianisme, en effet, tient tout entier dans l’affirmation que Dieu est amour excessif. « L’amour, dit Saint Paul, prend patience, il rend service, il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais » (1 Co 13,4-7). Cet hymne à la charité de Paul ne prononce pas le nom de Dieu, mais il le désigne dans son être même.

Comment pouvons-nous dire, comme chrétiens, que Dieu aime de cette manière, sans condition ni mesure ? C’est en contemplant le visage du Christ qui, au milieu de nous, a aimé jusqu’à l’extrême (Jn 13,1), en figurant ainsi l’amour du Père. Sa vie, Jésus l’a passé à faire le bien (Ac 10,38 ). Il a vécu dans un esprit de service. Il a appelé les êtres humains à plus d’humanité, à sortir de la violence, à se reconnaître frères et sœurs, fils et filles d’un Dieu que l’on peut appeler « Notre Père ». Il a appelé tous ceux et celles qu’il rencontrait à avoir foi en la vie, en soi et en l’autre, et, dans cette foi, à tracer leur propre chemin d’existence : « Va, ta foi t’a sauvée » (Mc 10,52), dit Jésus à Bartimée. Comme le souligne Christophe Théobald dans son ouvrage « Le christianisme comme style 25», l’hospitalité de Jésus était telle que chacune de ses rencontres avec un autre était comme un « événement », un avènement de vie pour l’autre mais aussi pour lui. Mais ce Jésus a été rejeté et tué par les autorités religieuses de son temps. Ceux-ci l’ont accusé de mal parler de Dieu, d’être du côté de Satan. Sur la croix, alors que la violence se déchaîne sur lui, Jésus ne cède pas à la violence et, en ce sens, il la vainc. Il ne répond par la violence mais par une parole de pardon. Saint Paul exprime ce drame de la croix de manière admirable « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Rm 8,20). Tel est le mystère de la croix : excès de mal et excès d’amour plus grand encore. Quant à la résurrection, elle est l’œuvre de Dieu qui se révèle dans ce drame. Par la résurrection, en effet, Dieu rend justice et témoignage à Jésus. Il authentifie ainsi la manière d’être de Jésus, en disant en quelque sorte : « J’étais à côté de cet homme. Si vous voulez savoir qui je suis, écoutez-le. Si vous voulez savoir comment j’aime, regardez-le ». Ainsi, comme chrétiens, c’est en reconnaissant en Jésus le visage du Père, le Fils unique, mort et ressuscité, que nous pouvons dire que Dieu aime, sauve, communique la vie en abondance, de manière inconditionnelle, sans limite, infiniment, démesurément.

25 Chritoph THEOBALD, Le christianisme comme style. Une manière de faire la théologie en postmodernité, Collection « Cogitatio fidei », 2 volumes, 260-261, Le Cerf, Paris, 2007.

Les Ecritures témoignent de multiples façons de l’infini de la grâce de Dieu. Voici quelques citations, à cet égard, bien connues mais que nous pouvons écouter de manière neuve en y repérant l’insistance sur l’excès de la grâce de Dieu.

* « Frères, Dieu est riche en miséricorde; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a fait revivre avec le Christ : c'est bien par grâce que vous êtes sauvés. Avec lui, il nous a ressuscités ; avec lui, il nous a fait régner aux cieux, dans le Christ Jésus. Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus, il voulait montrer, au long des âges futurs, la richesse infinie de sa grâce. C'est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, (vous n’y êtes pour rien) c'est le don de Dieu (Eph 2, 4-8)

* « Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, comment avec son Fils, ne nous donnerait-il pas tout » (Rm 8,32)

* « Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,8).

* « Oui j’en ai l’assurance, ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles de profondeurs, ni aucune créature, rien ne pourra sous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur »( Rm 8,38-39).

Comme le souligne encore Luc, « Dieu est bon pour les ingrats et pour les méchants » (Luc 6,35). Il invite largement « les bons comme les mauvais » (Mt 22,10) à entrer dans la salle des noces. Il abandonne tout pour se mettre en quête de la brebis perdue. Ainsi donc, la grandeur de l’amour divin manifesté en Jésus-Christ, - sa largeur, sa longueur, sa hauteur, sa profondeur, pour reprendre les termes de Paul - surpasse toute connaissance (Ep 4,129). Rien ne peut éteindre l’amour de Dieu pour nous, pas même notre péché. Le don de Dieu est sans mesure et inconditionnel. La seule condition qui nous est demandée, car Dieu, dans sa bonté, ne pourrait nous donner la vie contre notre gré, c’est d’y consentir, de nous laisser aimer de cet amour fou.

Si la grâce de Dieu est excessive à ce point, la foi chrétienne devient elle-même radicalement non nécessaire pour être engendré à la vie de Dieu.

Si tel est l’amour de Dieu et la communication de sa vie – sans mesure, sans condition – alors nous pouvons tenir une deuxième affirmation : la foi chrétienne (et par conséquent son annonce) est radicalement non nécessaire pour que l’œuvre de Dieu s’accomplisse. Cette affirmation peut paraître abrupte, éventuellement choquante26. Elle

26 Cette affirmation peut être ressentie comme choquante dans des contextes culturels où la foi en Dieu fait partie des évidences culturelles. Elle peut aussi apparaître en contradiction avec des affirmations répétées du Nouveau Testament qui lient le salut à la foi, comme par exemple : «Celui qui croit le Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie» (Jn 3,39). S’agissant du lien entre le salut et la foi, on peut faire les remarques suivantes :

- Il est vrai qu’il n’y a pas de salut sans la foi au sens premier de « confiance » en la vie, en soi , en l’autre. Cette foi est nécessaire à la vie, mais elle ne désigne pas spécifiquement la confession de foi chrétienne.

est pourtant authentiquement traditionnelle et profondément salutaire. Bien sûr, il n’y a pas de vie sans « foi », c’est-à-dire sans confiance en soi, en l’autre, en la vie. Mais le mot « foi » ne désigne pas ici spécifiquement la confession de foi chrétienne. Bien sûr, il n’y pas de salut sans foi au sens eschatologique du terme, c’est-à-dire sans le consentement final de chacun et de chacune à l’amour de Dieu manifesté à la fin des temps. Mais, durant le temps de notre vie, si la foi chrétienne permet d’éprouver le salut, cela ne veut pas dire, pour autant, que les non chrétiens se trouvent exclus de la dynamique du salut. C’est en ce sens que je dis ici que la foi chrétienne, dans l’aujourd’hui de l’histoire, n’est pas nécessaire pour le salut. Dieu, en effet, aujourd’hui comme hier, ne cesse d’engendrer à sa vie et de conduire à son Royaume des hommes et des femmes qui ne le connaissent pas, qui ne croient pas en lui ou ont d’autres croyances. Par rapport à la communication de la vie offerte gracieusement à tous, nous sommes, à cet égard, des serviteurs inutiles. Nous n’y sommes pour rien et la grâce de Dieu suffit.

Ainsi donc, au regard de l’amour débordant de Dieu, la reconnaissance explicite du Dieu de Jésus-Christ durant cette vie n’est en rien une condition obligée pour être conduit à la vie en abondance. Dieu crée et recrée, engendre à sa vie et sauve d’une manière que nous ne pouvons mesurer, indépendamment de l’Eglise, de son témoignage et de ses sacrements. Bien sûr, comme chrétiens, nous pouvons dire que la grâce de Dieu pour le monde se manifeste et est agissante dans l’Eglise et par ses sacrements, mais il nous faut aussi tenir cette autre affirmation de Gaudium et Spes, reprise dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique27 qui dit ceci : « Puisque le Christ est mort pour tous, et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé(s) au mystère pascal »28. Il y a là l’affirmation de la puissance créatrice et salvifique de Dieu qui anime tout homme, qui prend tout l’univers, d’une manière qui déborde les réalités ecclésiales. Celles-ci témoigne de la grâce de Dieu, mais sans pouvoir la limiter. Comme Pierre à l’assemblée de Jérusalem, concernant le salut offert aux païens, nous pourrions dire : « Qui sommes-nous pour pouvoir empêcher Dieu d’agir » (Ac 11,17). La grâce de Dieu est signifiée et passe par les sacrements, mais cette grâce opérante de Dieu n’est pas liée aux sacrements29. Elle les déborde. En ce sens, dans l’hypothèse même où la foi chrétienne viendrait à disparaître de la terre, Dieu

- Qu’il n’y ait pas de salut sans la foi , peut être entendu aussi au sens eschatologique. L’affirmation concerne alors l’attitude de confiance en l’amour de Dieu que tout être humain sera invité à adopter à la fin des temps. Dieu ne veut, en effet, engendrer à sa vie sans notre consentement ; c’est ce consentement à l’amour de Dieu à la fin des temps qui est désigné alors par le mot « foi ». Cela ne veut donc pas dire que ceux et celles qui ne professent pas la foi chrétienne durant le temps de la vie ici-bas sont exclus du salut.

- Que le salut soit lié à la foi peut encore être entendu d’une troisième manière au sens où la foi permet effectivement d’éprouver dès maintenant d’éprouver le salut. Mais cette affirmation que l’on peut effectivement tenir ne signifie pas pour autant que ceux et celles qui ne professent pas la foi sont écartés de la dynamique du salut. La reconnaissance explicite du salut n’est pas une condition pour sa mise en œuvre. C’est en ce sens qui nous disons ici que la foi n’est pas nécessaire au salut.

27 Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1992, §1260.

28 GS 22 ; voir aussi LG 16 ; AG 7

29 « Dieu a lié le salut au sacrement du Baptême, mais il n’est pas lui-même lié à ses sacrements » in Catéchisme de l’Eglise Catholique, §1257.

n’en continuerait pas moins, par la grâce du Christ, de garder à l’égard du monde sa sollicitude créatrice et recréatrice.

Si la grâce de Dieu est excessive et si la foi chrétienne est radicalement non nécessaire pour être engendré à la vie de Dieu, la foi chrétienne est néanmoins radicalement précieuse pour la vie. Elle la transfigure et permet de vivre de manière radicalement neuve.

Si la foi chrétienne n’est pas nécessaire pour mener une vie sensée, joyeuse et généreuse, si elle n’est pas la condition obligée pour être aimé de Dieu et être engendré à sa vie, il est cependant radicalement précieux de connaître et de reconnaître, avec une joie redoublée, la grâce de Dieu qui est donnée, l’espérance qu’elle autorise au-delà de ce que nous pouvions imaginer. Cette reconnaissance, vécue fraternellement en Eglise, célébrée dans les sacrements, non seulement éclaire la vie d’un jour nouveau, mais la reconfigure et la transfigure radicalement. Prenons deux comparaisons pédagogiques pour faire comprendre ce paradoxe de la non nécessité de la foi et de son caractère radicalement précieux. Imaginons deux personnes qui s’aiment mais sans se l’avouer, sans le savoir. Elles peuvent vivre ainsi, mais la déclaration d’amour, bien qu’elle ne crée pas l’amour puisqu’il est déjà là, change tout. Elle transfigure la vie et l’amour lui-même dès lors que celui-ci est déclaré, reconnu et éprouvé. Autre comparaison : on peut vivre, de manière sensée, joyeuse, généreuse sous les nuages sans se rendre compte qu’il y a un soleil derrière qui donne de sa lumière. Mais, si à un moment donné, les nuages se déchirent et que les rayons du soleil inondent la terre, alors celle-ci s’en trouve toute transformée. Elle apparaît sous une lumière nouvelle qui transfigure et embellit toute chose. Ainsi en va-t-il de la foi ; non nécessaire pour bénéficier de la grâce de Dieu, elle transfigure néanmoins toute chose. Elle est comme la perle rare de l’Evangile. On peut vivre sans elle, mais, une fois trouvée, elle devient le bien le plus précieux30, « plus précieux que l’or périssable »(1P 1,7)

Telle est donc notre condition humaine. Dieu nous a faits tels que la vie, sans la foi chrétienne ni l’Eglise, peut être conduite à son accomplissement. Point n’est besoin de foi chrétienne pour vivre une vie joyeuse, sensée, généreuse, engagée, pleine de valeurs. Point n’est besoin de foi chrétienne ni d’Eglise pour vivre une vie selon l’Esprit de Dieu et être associé au mystère pascal. Point n’est besoin de foi chrétienne pour qu’une vie menée en vérité puisse être reconnue comme œuvre de Dieu. Dès lors, en effet, que l’amour est présent, que l’hospitalité est vécue entre les humains, qu’ils se détournent de la violence, l’Esprit de Dieu lui-même est présent, donne à chacun de naître à lui-même et d’écrire sa propre histoire. « Tout homme qui marche dans la vérité vient à la lumière de telle sorte que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de

30 Mais ceci n’empêche pas que d’autres puissent éprouver que leur manière de penser et de vivre soit plus précieuse pour eux que ce que la foi chrétienne invite à vivre. Ainsi, aujourd’hui, pour nombre de nos contemporains, vivre sans Dieu peut apparaître comme une conquête humaine extrêmement précieuse. On est ici dans l’ordre des convictions au sein d’un dialogue entre personnes raisonnables qui se respectent et s’écoutent pour marcher en vérité.

Dieu » (Jn 3,21). « Tout homme est un histoire sacrée31; l’homme est à l’image de Dieu », dit un chant liturgique bien connu.

Par rapport à cette grâce de Dieu déjà à l’œuvre dans la genèse du monde, la foi chrétienne n’ajoute rien sinon précisément la reconnaissance explicite de cette grâce. Et cette reconnaissance, avec tout ce qu’elle permet de vivre en Eglise, en renouvelant le regard sur toutes choses, apporte des motifs supplémentaires de joie, de sens, de gratitude, d’engagement qui viennent s’ajouter, par grâce, à la grâce de l’existence. La foi, de ce point de vue, est de l’ordre du « combien plus », du « à plus forte raison », de l’ « a fortiori ». S’il y a du sens et de la joie dans le monde, s’il y a des motifs de lutter pour un monde meilleur, « combien plus », « à plus forte raison », « a fortiori » si on est chrétien, si l’on sait que nous sommes des fils et des filles de Dieu, des frères et des sœurs promis à une vie qui ne finira pas. Quant aux tâches communes d’humanisation qui mobilisent les hommes, la foi chrétienne, comme le dit Gaudium et Spes (§43), nous en fait « un devoir plus pressant ». Si c’est un devoir, en effet, pour les êtres humains d’être solidaires entre eux, « à bien plus forte raison » si nous nous reconnaissons fils et filles de Dieu, frères et sœurs en Jésus-Christ, appelés à la vie éternelle.

La foi de ce point de vue apparaît comme un redoublement de sens, de joie et de communion qui vient non point seulement se greffer sur la vie, mais, bien davantage, la reconfigurer, la transfigurer à la racine comme dans une nouvelle création, pour une nouvelle naissance. « En Christ, vous êtes une créature nouvelle» (2Co 5,17), dit Saint Paul. C’est la vie toute entière qui se trouve ainsi reconfigurée, transformée. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les chrétiens aient des motifs de se faire prévaloir par rapport aux autres. Il ne s’agit pas, en effet, d’être ou de se prétendre meilleur; il s’agit bien plutôt de s’ajuster à la révélation d’une grâce qui est offerte à tous, qui transforme la vie et que l’on s’empresse de vouloir mettre en partage.

Avant de passer à la troisième partie de mon exposé, je résume le propos. En vertu de la nature excessive de la grâce de Dieu, la foi chrétienne est radicalement non nécessaire pour être engendré à la vie de Dieu, mais elle est radicalement précieuse pour la transfiguration de la vie qu’elle opère. Elle s’offre comme une grâce supplémentaire qui vient s’ajouter à la grâce de l’existence

Pour un ajustement spirituel de la proposition de la foi: annoncer

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