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Regagner l’appel au coeur même du christianisme 57

Le mot le plus important dans les Ecritures

Il y a une histoire juive dans laquelle des rabbins discutent du mot qui dans les saintes Ecritures doit être considéré le plus important. Je vous épargne le comment ils y arrivent, mais le mot paraît se trouver au milieu de la Torah, dans le Lévitique, chapitre 1, premier verset, où ils lisent : ‘Le Seigneur appela Moïse’ - le premier mot en hébreu étant wajiqqra - ‘(et) appela’58. Le mot le plus important de toute la tradition juive est donc que Dieu nous appelle. Et notez bien : ici, il ne s’agit pas encore de ce à quoi Dieu nous appelle. Nous pouvons distinguer ces deux points de vues comme l’appel et la vocation (le contenu de l’appel) - et cela d’ailleurs en plusieurs langues : appello - vocazione, call - vocation, Anruf - Berufung… Mais le mot le plus important n’est pas ce que Dieu dit quand il nous appelle, mais d’abord le fait qu’Il nous appelle et entre en ce sens en relation avec l’humain. L’appel doit d’abord être compris presque comme un appel téléphonique : « Il y a un appel pour vous, monsieur. - There is a call for you, sir.»

Et ce n’est pas une coïncidence si ‘appeler’ signifie aussi ‘donner un nom’, et par cela une fois de plus, entrer dans une relation personnelle : « Appelez-moi Stijn svp. - Please call me Stijn. »

Voilà comment le judaïsme comprend le mot le plus important dans l’Ecriture sainte : comme l’auto-révélation de Dieu, Dieu nous appelle. Le Tout Autre, Dieu n’appartient pas à notre monde visible, mais il entre en relation avec nous en parlant, dans sa parole : de Genèse 1 (Dieu dit … et il en fut ainsi) en passant par l’incarnation ou ‘le Logos/Verbe qui s’est fait chair’ (Jean 1, 14), jusqu’à l’Eglise comme communauté des appelés (ek-klèsia de ek-kalein), Dieu est Celui qui nous appelle. Voilà le sens fondamental de « Le Seigneur appela Moïse ». Le Seigneur nous appela tous aussi, vous et moi. Notre vie est alors prendre l’appel, répondre à l’appel de Dieu. Le chrétien essaye d’orienter sa liberté selon ce à quoi Dieu l’appelle, selon une obéissance donc, Ge-hor-samkeit, au service de Dieu. (Et ceci parfois à la différence de ladite

‘nouvelle religiosité’ dans laquelle on se demande où est l’appel, et dans laquelle Dieu semble alors pris au service de l’homme.)

Le mot le plus difficile dans notre culture ?

Mais si l’appel est le mot le plus important de l’Ecriture, il est peut-être le mot le plus difficile dans la culture européenne… L’appel ‘fait la différence’ culturelle. On peut vouloir nuancer cela immédiatement. Un appel entendu comme une vocation concrète, un engagement que je prends et au- quel je sens que je veux me dévouer, un défi sur mon chemin, une vocation que je rencontre pour ainsi dire ‘en aval’ de moi-même comme sujet qui donne sens, cet appel-là il est reconnu plus ou moins par nos contemporains. Un philosophe athée de ma ville de Gand dit : « Je dois trouver ce que je trouve », cela n’est donc pas un subjectivisme cru. Mais l’appel au sens d’être appelé par quelqu’un d’autre, un appel antérieur à moi, en amont de moi-même et donc où je ne

57 Cf. K. Vellguth, concernant l’importance de l’expérience religieuse qu’aucune réflexion plus objective ne peut égaler.

58 Sans référence dans E.VANDEN BERGHE, God - geen persoon? Een probleemstelling, dans Collationes 26/2 (1996), 115.

suis plus le sujet cartésien qui est soi-même à l’origine de tout sens : cela est extrêmement difficile à saisir pour nous sujets modernes, et même entre chrétiens modernes… Est-ce que cela peut vraiment être le cas, que Dieu nous parle et nous invite comme tout Premier ? Est-ce que tout ne démarre pas avec notre quête de sens, à laquelle nous trouvons peut-être quelques réponses intéressantes aussi dans la religion - j’y trouve ce que je trouve? La différence entre ‘ma’ vocation (dont ‘je’ décide) et Dieu qui m’appelle et me donne sa vocation pour moi, la différence entre ces deux perspectives tient dans la question : qui tient les rênes ultimement ? Si je me donne une vocation, la limite arrive où je trouve que je ne trouve plus cela. Si Dieu m’appelle, tout dépend de ce qu’Il en trouve (j’avoue : cela n’est pas toujours clair non plus …). Le ‘je’

(ego) est mis hors centre radicalement, comme s’il était grammaticalement décliné. Je

‘me’ reçois en même temps que ma vocation, avec l’appel de Dieu.‘Je’ deviens plutôt un ‘moi’, un ‘à moi’, un ‘par moi’, et je ne peux plus dès lors me placer comme antérieur à ma vocation, comme un ‘je’ au nominatif du sujet.59

Or, si ce vrai appel de l’Autre qui me décline est le mot clef de toute la tradition judéo-chrétienne (wajiqqra), alors cette tradition ne va pas tout à fait ensemble (non pas : ne va pas du tout ensemble) avec notre culture. Et le dialogue entre christianisme et modernité consistera alors en partie aussi en ceci que le christianisme offre dans un geste contre-culturel une alternative sur certains aspects du mode de vie moderne, donc en corrigeant cette culture. Une conférence au Vatican en 1997 sur le problème des vocations en Europe parlait un peu sévèrement dans ce sens de l’Europe comme une culture ‘antivocationelle’ et de ‘l’homme sans vocation’.60

Ressourcement de l’Eglise en reprenant conscience de l’appel et de la vocation Une des conclusions de ladite conférence était qu’il est peu sensé de travailler pour des vocations ecclésiastiques si la conscience n’est pas regagnée dans l’Eglise qu’elle est une communauté d’hommes et de femmes appelés, de personnes qui trouvent la vie dans l’appel que Dieu leur adresse. N’a-t-on pas oublié un peu l’appel aussi dans notre Eglise… ? Je cite plus longuement ici Mgr De Kesel, l’évêque auxiliaire du Cardinal Danneels pour la ville postmoderne de Bruxelles, dans une allocution lors d’une journée de réflexion sur la crise des vocations :

« Je veux mettre l’attention sur le phénomène ou la mentalité suivante dans l’Eglise : le crépuscule de ‘vocation’ dans l’expérience religieuse. Dans un contexte multireligieux le christianisme est vu presque spontanément comme l’une des conceptions de vie ou convictions religieuses possibles. En soi, il n’y a rien contre cela : vu de l’extérieur le christianisme est cela. Mais cela devient différent quand les chrétiens regardent et vivent le christianisme de telle façon. Nous avons intériorisé cette approche de l’extérieur. Alors, la foi perd son unicité : elle devient conception de vie entre les autres. [SVdB : où les chrétiens trouvent ce qu’ils trouvent] (…) Plus concrètement : les notions de révélation et d’élection perdent leur sens. L’Eglise n’est plus la communauté qui a reçu une vocation tout à fait particulière de Dieu. Et donc non

59 Je réfère généralement à la pensée d’Emmanuel Levinas et surtout Jean-Luc Marion.

60 Texte anglais du document de synthèse In Verbo tuo sur

http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccatheduc/documents/rc_con_ccatheduc_doc_1302199 8_new-vocations_en.html

plus une ‘réalité de la foi’ [SVdB : il ne reste que l’herméneutique d’une tradition de sagesse]. Elle est une institution religieuse et la question des ‘vocations’ une affaire fonctionnelle de distribution des tâches. Cela me semble la crise de l’Eglise et des vocations : que la conscience biblique d’‘élection’ (au vrai sens biblique) ait été perdue.

(…) Je pense que là réside notre impuissance aujourd’hui (…) : de voir que Dieu m’appelle, personnellement, parce qu’il s’intéresse à moi, et veut partager avec moi vie et lot, et qu’à travers moi, Il cherche un signe pour annoncer sa présence et son amour aux gens. De même, qu’il y a un éclipse et un estompage de Dieu, il y a un éclipse et estompage de vocations. La crise des vocations est la crise de l’Eglise elle-même : ne plus se savoir ‘appelé et élu’ ».

Cette citation me semble une description adéquate de ce que le théologien de la pastorale Paul Zulehner (Autriche) a décrit comme l’athéisme ecclésial : on continue de faire ce que fait l’Eglise depuis toujours, mais sans que Dieu y soit vécu comme réellement présent. Il ne s’agit donc pas de croire ou ne plus croire en Dieu seulement. Il s’agit de reconnaître Dieu comme notre compagnon de route, il s’agit de vivre la relation à Lui. Il s’agit donc de spiritualité, plutôt que de croyance. Et le théologien allemand Christian Hennecke parle dans le même sens d’une pastorale déiste61 : peut-être Dieu a-t-il tout déclenché, mais une fois nommé en paroisse, c’est mon affaire d’avancer, c’est ma responsabilité et mon projet. A cela Hennecke oppose une pastorale de la présence réelle du Christ, où la paroisse n’appartient pas au pasteur mais au Christ, une pastorale de discernement continu de la vision de Dieu, qui rejoint cette Eglise comme réalité de foi dont parle Mgr De Kesel.

Je termine ce point. Au fur et à mesure que la chrétienté culturelle s’efface, nous redécouvrons le christianisme de l’appel: ‘on ne nait pas chrétien, on le devient’ (dit Tertullien). A une société individualisée répond une foi personnalisée. Je cite les évêques de Belgique dans leur déclaration ‘Devenir adulte dans la foi’ : « Parce que la socialisation religieuse allant de soi s'est rétrécie, l'accent doit être mis sur une foi qui soit le fruit d’un choix personnel et fondé. L'avenir de l'Eglise dépend des personnes qui ont découvert Dieu présent dans leur vie, qui ont rencontré le Christ et pour lesquelles l'Evangile est devenu Parole de Vie. » (n°36). Cela apparaît très clairement chez certains catéchumènes.

Et à nous qui sommes tout de même des chrétiens de tradition, les évêques de Belgique lancent l’appel comme un rappel : « Bien sûr, la plupart d'entre nous n'ont pas connu pareille expérience de conversion. Ce n'est pas ainsi que nous sommes parvenus à la foi. Nous sommes croyants ‘par tradition’, au sens littéral et positif de ce terme : cela nous a été ‘transmis’, appris. Mais cet état de fait ne nous empêche pas d'expérimenter quelque chose de ce qui a été dit ci-dessus. Quelque chose d'une pareille rencontre personnelle avec Dieu ou d'une semblable expérience de vie avec le Christ doit nous être arrivé. Sans cela, sans ce noyau mystique du christianisme, nous restons finalement étrangers à ce qu'il vise de plus profond. » (n° 21)

61 C. HENNECKE, Kirche, die über den Jordan geht. Expeditionen ins Land der Verheißung, Münster, 2008³, 239 pp., passim.

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