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La figure de Méduse. Réécritures ovidiennes entre XVIe et XVIIe siècle

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Academic year: 2021

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Alma Mater Studiorum – Università di Bologna

Alma Mater Studiorum – Università di Bologna

DOTTORATO DI RICERCA IN

Les Littératures de l’Europe Unie

Ciclo XXII L-FIL-LET/14

La figure de Méduse

Réécritures ovidiennes entre XVI

e

et XVII

e

siècle

Presentata da: Elena Raisi

Coordinatore Dottorato

Relatore

prof.ssa Anna Paola Soncini

prof. Andrea Battistini

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I

NTRODUCTION Choix du sujet et structure de l'oeuvre

Puisque le mythe ancien en général est présent en littérature dans plusieurs différentes variantes, et celui de Méduse ne constitue pas une exception à cette règle, le premier problème à résoudre a été le choix de la variante qui plus des autres a contribué à la tradition de ce mythe pendant la Renaissance. Les Métamorphoses d'Ovide, oeuvre qui connaît une remarquable diffusion au niveau européen même au Moyen Âge grâce à ses célèbres moralisations, est objet d'une fervente activité de traduction en langue vulgaire, notamment entre le deuxième moitié du XVIe et le début du XVIIe siècle.

Pour le mythe de Méduse, pendant cette période, il n'existe presque pas une variante d'autorité pareille à celle d'Ovide (qu'on se réfère à la source originale ou à ses réécritures); les auteurs rappellent cette version du mythe comme 'le mythe' tout court, de façon explicite ou implicite. Après et à côté, il y a aussi des citations des auteurs les plus renommées – notamment de l'antiquité tardive – mais la version de référence reste le plus souvent celle ovidienne. Voici pourquoi, lorsqu'on parle de la période entre Renaissance et Baroque, notre référence principale pour le mythe de Méduse est Ovide.

Pour ce qui concerne le choix des siècles XVIe et XVIIe, notre recherche a relevé une concentration des repères à la Gorgone Méduse pendant ces années et – de façon non pas toujours homogène, et toutefois assez constante – au niveau européen. Ce qui a généré la question au départ du travail; il fallait expliquer ce phénomène, surtout parce que le mythe de Méduse n'est pas pacifique. Son noeud coïncide avec les traits du gorgoneion, véhicule des mystères liés à la mort. En outre, bien qu'il montre une puissance symbolique remarquable, ce mythe n'offre pas le secours d'un récit pour l'expliquer comme il faudrait; il survit de façon fragmentaire dans des 'narrations' hôtes, notamment sous la forme d'épiphanies de la figure ou du visage de Méduse, ce qui le rend assez inapte à la prose.

La structure du présent travail veut donc illustrer la réception d'un mythe fortement atypique comme celui de Méduse, au moment d'une sorte de 'redécouverte'; d'abord, on illustre les

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caractéristiques spécifiques de la Gorgone comme elles avaient étés conçues par les sources anciennes en général – et notamment par Ovide – pour les comparer en une seconde phase à celles qui résultent des spéculations des exégètes de la Renaissance. La nouvelle image de Méduse comme elle apparaît en littérature sera l'objet spécifique de notre analyse.

Deux sont les genres littéraires choisis: la poésie et le théâtre; la poésie sera concentrée entre la seconde moitié du XVIe et la première moitié du XVIIe siècle, par contre le théâtre présentera son maximum d'expression tout au long du XVIIe siècle. Il s'agit des genres littéraires où les épiphanies de la Gorgone ont été notamment nombreuses, et donc ils suggèrent mieux une tendance univoque dans le matériel traité, en donnant une série de constantes à suivre.

Pour ce qui concerne la structure du présent travail, on rappelle que l'introduction, après une bref paragraphe à propos du sens du terme mythe, s'articule en trois partie fondamentales:

Qu’est-ce que Méduse; La Méduse d’Ovide; Interpréter Méduse.

La première, Qu’est-ce que Méduse, s'occupe de l'identité de la Gorgone selon les témoignages les plus anciennes, en suivant les principales variantes du récit. La deuxième, La Méduse

d’Ovide, analyse la version ovidienne du mythe dans le contexte de celui de Persée, qui le

contient, et illustre aussi les rapports instaurés entre la Gorgone et les autres forces en action dans l'histoire, c'est à dire les soeurs Gorgones, la figure de Neptune, les antagonistes – notamment Persée et Minerve – et les fils, Chrysaor et Pégase. La dernière partie, Interpréter

Méduse, parcourt brièvement les interprétations qui, dès l'âge ancienne, traversent le Moyen

Âge pour rejoindre la moitié du XVIe siècle, point de départ du travail.

Ensuite, la matière a été subdivisée en trois chapitres: l'exégèse de Méduse, Méduse et le poète,

Méduse et le théâtre.

Le premier chapitre, L' exégèse de Méduse – subdivisé à son tour en deux parties, dédiées respectivement aux idées et aux arts visuels –, propose les plus répandues interprétations du mythe et/ou de la figure de Méduse que les exégètes ont élaboré pendant la période 1550-1680. La première partie du chapitre est donc dédiée aux spéculations – de voyageurs, érudits et philosophes – à propos de l'essence de Méduse; elles visent à illustrer le mythe et la figure de la Gorgone en repérant les sens allégoriques et moraux cachés par le récit. Quant à la deuxième partie du chapitre, elle s'occupe surtout du côté visuel de ce mythe, du point de vue

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des mythographes ainsi que des artistes; ces derniers sont présents avec leurs commentaires et avec leurs oeuvres aussi.

Le deuxième chapitre, Méduse et le poète, introduit la figure de Méduse en littérature, notamment dans le contexte de la production poétique; la période est celle des années 1545-1630 ca. où on remarque un plus remarquable intérêt pour ce type de féminin, impassible et pétrifiant. On clôt le chapitre avec une comparaison de trois variantes du mythe de Méduse en autant de réécritures en poésie des Métamorphoses; le but est celui de montrer différences et persistances du récit ancien dans les vulgarisations de notre source principale.

Le troisième chapitre, Méduse et le théâtre, développe la thématique de la Gorgone dans l'oeuvre théâtrale, notamment au XVIIe siècle, qui voit une réinterprétation chrétienne de cette figure mythique dans le cadre des exigences spécifiques de la pensée de la Contre-Réforme.

Chacun des trois chapitres ci-dessus rappelés est doué d'une brève introduction à la matière, de conclusions partielles et d'une chronologie des oeuvres.

Enfin, les conclusions générales illustrent les traits essentielles du travaux, en rappelant les étapes principales du parcours, qui se clôt sur un possible développement ultérieure de la recherche ici entreprise.

Quelque mot à propos du 'mythe'

Si le mythe est un mot1, c'est à dire un système de communication – un message, en autres

termes – il est donc une forme, qui transforme en sujet mythique ce qu'elle dit, grâce à sa façon particulière de le dire. En tant que message, il peut être également orale, écrit, figuré. Métalangage, le mythe signifie toujours ce qui est au-delà de sa lettre, qu'il utilise comme point de départ pour dire soi-même. La lettre comme l'image constituent un langage-objet, elles sont des signes qui touchent la limite du mythe.

Dans le mythe, la lettre est vidée de sens pour être remplie avec l'être approprié qui renvoie au mythe. Est-il vraiment indispensable de savoir que les protagonistes s'appellent Diane et Actéon, ou il faudra plutôt atteindre le vrai sens du récit qui veut le meurtre de ce dernier, coupable d'avoir vu nue une déesse? Selon Freud, le sens second de la conduite est son 1 Roland Barthes, Miti d'oggi, Torino : Einaudi, 1974.

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sens propre, c'est à dire approprié à une situation profonde, complète. Également, le concept mythique est l'intention même de la conduite.

Pour le même concept mythique il y a donc un nombre remarquable de formes, dont la répétition dévoile l'intention. Cette intention est toutefois bloquée, rendue éternelle par la parole, ce qui fait l'ambiguïté propre de la parole mythique.

Ce qui est du mythe aujourd'hui. Roland Barthes a bien montré que le mot mythe renvoie à un ensemble énorme, qui comprend une très grande variété de sujets. On peut aussi choisir d'autres définitions du mythe, mais le résultat reste toujours le suivant: ce que le mythe est pour nous, maintenant.

Dit Jean-Pierre Vernant:

« […] Il existe une relativité des phénomènes culturels et […] chaque civilisation, localement et temporellement située, comporte des traits spécifiques qui ne permettent pas son assimilation pure et simple à celle dans laquelle nous vivons et qui nous est comme naturelle. C'est pourquoi il [sc. l'anthropologue] se méfie de toute forme d'interprétation symbolique immédiate et universelle.2»

Le mythe ancien, récit ou image où les gestes de dieux et déesses se mélangent parfois à l'histoire et au quotidien des hommes, a montré une vitalité extraordinaire tout au long des siècles.

Toutefois, il a toujours échappé à une définition ponctuelle et définitive. La raison de cela semble reposer sur le sens profonde que ce récit mythique véhicule et qui le transforme en

objet puissant, quasi une formule magique grâce à laquelle les mots deviennent passages pour

accéder à une vérité cachée.

Telle la force et l’adaptabilité du mythe ancien que chaque époque a chargé le récit puissant de véhiculer sa vérité. Le résultat a été une stratification de significations toujours plus profonde dont chaque noyau se renvient l’un l’autre dans un réseau presque infini.

Ce mythe donc, comme on le conçoit aujourd’hui, a un épaisseur et une variété de

2Jean-Pierre Vernant, Dialogue avec Pierre Kahn, dans La mort dans les yeux. Figure de l’Autre en Grèce ancienne,

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significations tel que nous ne pouvons pas le penser sans activer tout un substrat de connaissances lié a nos pensées les plus profondes. Mais son départ a pu être beaucoup plus simple ; l’exigence d’atteindre le sens véritable d’une représentation visuelle tellement complexe et ancienne que son sens entier risque d’échapper à l’observateur, demande la création d’une narration. D’abord, le temps et les incessants passages d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, ont enrichi de façon extraordinaire son espace de signification.

Tel, peut-être, le cas du masque de Gôrgo, dont les premières représentation figurées datent VIIe siècle av. J-C.

Qu’est-ce que Méduse

Méduse ou Gôrgo. Le masque et la symbolique

Le mythe, en tant que tel, on le connaît du moment où il devient logos, c’est-à-dire récit.

Mais la particularité distinctive de cette figure mythique est celle d’être, à l’origine, un masque épouvantable dont le sens ultime plonge dans le passé le plus loin. Avant d’être le personnage d’un récit complexe, elle est un motif ornemental - symbolique dont les traits distinctifs sont les yeux grands, ronds, qui regardent en face le spectateur et une grande bouche ouverte sur les dents grinçants et la langue exorbitée ; elle manque de la troisième dimension, propre au monde de vivants, car elle ne possède ni profil ni volume non plus.

Certainement le syncrétisme symbolique qui caractérise cette représentation est à l'origine du mélange de sens qui apparaissent plus tard, soit dans la littérature que dans l'iconographie et qu'encore aujourd'hui n'ont pas trouvé des solutions univoques.

À partir de ses noms, Gôrgo et Méduse, touts les deux anciens, cette figure se dédouble en terreur et pensée, couple indissoluble; toutefois on peut penser que le choix de l'un ou de l'autre nom n'est pas neutre car, si on trouve Gôrgo, le contexte souligne surtout le caractère effrayant du masque, si on trouve Méduse, au contraire, on se réfère le plus souvent à la

Gorgoneion. Musée hittite des civilités anatoliennes,

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version complexe du mythe où, à côté du masque, il y a un personnage.

Remarquable le fait que les sens de gorgós (cruel, féroce, horrible/ véhément) et le verbe

gorgóomai (s’emballer), non seulement jaillissent comme Pégase de la Gorgone, mais ils sont

partie aussi du lexique spécifique relatif au cheval, animal sacré à Poséidon et justement, fils de Gôrgo. Encore, gorgopós signifie cruel ou horrible quant aux yeux et gorgopòs ítus3 c'est le

bouclier rond avec le visage de Gôrgo.

Quant au nom Méduse, il existe dans la forme medéousa, féminin de medéon, avec le sens de gardien, protecteur, seigneur, et attribut d'Aphrodite et Mnémosyne, et aussi, toujours lié au radical -med, dont le verbe médo ou médomai, avec le sens régner et penser à/ s'occuper de quelqu'un ou encore, projeter, concevoir quelque chose envers quelqu'un.

Quant au mythe, on suppose qu'originairement le cinquante Néréides étaient prêtresses de la Lune4 et que les Gorgones, qui représentaient la triple déesse, portaient des masques

prophylactiques aux yeux flamboyants et langue exorbitante parmi des longs dents, afin de protéger le culte de la déesse des regards des hommes5. Les noms des Gorgones – Sténo

(force), Euryale (ample-errante), Méduse (astucieuse) – sont aussi appellatifs de la déesse Lune, et les Orphiques appelaient la face de la Lune « tête de Méduse » .

En outre, l'un parmi les plus anciens symboles sacrés, le serpent, place Méduse en une sorte d'identification et filiation de ce symbole, qui signifie le pouvoir de mort, mais aussi celui de remède prodigieux, avec un énorme réseau de renvois, à commencer par les aspects de la magie et l’abondante tradition de célèbres sorcières, littéraires et sujets d'œuvres d'art.

Mais ce n’est pas tout, car la symbolique du Soleil6, en tant que puissance inabordable et 3Henry George Liddell and Robert Scott, A Greek-English lexicon, Oxford : Clarendon press, 1968.

4 La figure mythique de Diane présente des caractéristiques parfois semblables à celles de la femme médusante

tout au long de la Renaissance, spécialement pour ce qui concerne la résistance à l'amour et la cruauté envers les amants refusés. Voir Robert Graves, Greek myths, London : Penguin Books, 1981, pour ce qui concerne les sources anciennes et Frédéric Cousinié, Beautés fuyantes et passagères, Monfort : Paris, 2005, pour une interprétation du mythe à la Renaissance.

5Pierre Brunel, L'inquiétante étrangeté du féminin, en Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco : Rocher, 1988.

6 Le mythe de Icare, aveuglé par le Soleil, est bien présent aux poètes de la Renaissance et à Philippe Desportes

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terrifiante7, et source du désir jamais satisfait car il est trop pour les forces humaines, est si

présente dans les traits du gorgoneion, et surtout dans les conséquences du trop vouloir qui pousse l'imprudent à regarder sa 'lumière', qu'il suffit rappeler l'aveuglement et la chute dans les ténèbres, prix d'être dépourvu des instruments nécessaires même à concevoir l'entreprise. Et quoi ajouter à propos de la diffusion de ce visage sur toute une série des objets quotidiens, tel les voûtes des fours, afin de décourager les impatients à soustraire le pain en train de cuire, ou sur le fond du bol, qui ne devait jamais être vidé, prix la perte de conscience pour avoir trop bu; et encore, l'usage militaire, où elle est un décor très diffus sur boucliers et armures.

Selon Françoise Frontisi-Ducroux8, le visage de Méduse peut passer pour le prototype du

masque grec9, étant donné son ancienneté et sa fréquence. Et, si la frontalité des

représentations de ce visage empêche de se soustraire à son regard, avec les conséquences que tout le monde connaît, on est étonné de n’avoir pas même aucune description écrite de l’aspect de ce monstre effrayant.

Méduse dans le mythe. Les premières témoignages

Iliade, Odyssée et Théogonie introduisent le premier noyau narratif d’un récit sur Gôrgo, ce

masque qui manque d’épaisseur mais qu’il faut nécessairement expliquer, car le passage du

mythos a u logos signifie aussi la rationalisation d’un monde des totems, les premiers

témoignages d’une religiosité primitive, qui devaient être difficile à comprendre pour Homère et Hésiode eux-mêmes.

En ce qui concerne l'Iliade, le visage de Méduse n'est qu'un symbole. D'abord, elle est rappelée dans la scène de la préparation à la bataille d'Athéna; l'exaltation de la vertu guerrière de la déesse est souligné par l'énumération des détails de sa cuirasse, dont fait partie l'effrayant

la femme-Méduse. Voir Philippe Desportes, Les amours d'Hippolyte, spécialement le sonnet I (pour le sens d'Icare), les sonnets XV et XLI et l'élégie Ie delibere en vain d’une chose advenue. Édition critique, suivie du commentaire de Malherbe, publiée par Victor E. Graham, Genève : Droz ; Paris : Minard, 1960.

7 Pierre Brunel, O Méduse, ô soleil, en Dictionnaire des mythes littéraires, cit.

8 Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris : Flammarion,

1995.

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monstre Gôrgo: ajμφὶ d∆ a[ρ∆ w[μοισιν βάλεt∆ αἰγίδα θυσσανόεσσαν 738 δεινήν, ἣν pερὶ μὲν pάντῃ Φόβος ἐστεφάνωται, ἐν δ ' ∆ [E ρις, ἐν δ ' ∆ Ἀλκή , ἐν δὲ κρυόεσσα Ἰωκή, ἐν δέ τε Γοργείη κεφαλh; δεινοῖο pελώρου.10

Après, c'est le tour d'Héctor, qui va encharner la Gorgone dans sa fureur de guerrier à la bataille:

Ἕκτωρ δ'∆ ἀμφιpεριστρώφα καλλίτριχας ἵppους, 348

Γοργοῦς o[μμαt∆ e[χων ἠδe; βροτολοιγοῦ [Aρηος.11

On trouve dans ce passage déjà trois aspects 'gorgonéens' : les chevaux 'aux belles crinières', qui rappellent l'aspect impétueux du jeune guerrier12, les yeux de Gôrgo, qui pétrifient, et le

sanguinaire Arès, dieu de la guerre. Ce dernier déplace la figure de la gorgone à son identité masculine, en ayant « ses yeux ». Dans ce passage, selon J.P. Vernant, la Gorgone incarne l'effroi

à l'état pur, la Terreur comme dimension du surnaturel13.

Et quoi dire de l'ekphrasis du bouclier d’Agamemnon? La description, où on trouve la gorgone affreuse et aussi la préparation à la bataille du roi guerrier, rappelle bien le passage qu'on a vu à propos d'Athéna, dans la même situation:

ἐν δέ οἱ ὀμφαλοὶ ἦσαν ἐείκοσι κασσιτέροιο 34

λευκοί, ἐν δὲ μέσοισιν e[ην μέλανος κυάνοιο. τῇ δ'∆ ἐpὶ μὲν Γοργὼ βλοσυρῶpις ἐστεφάνωτο δεινὸν δερκομένη, pερὶ δὲ Δεῖμός τε Φόβος τε.14

10Iliade V. 738-741. Référence pour le texte grec : Omero, Iliade, éd. Rosa Calzecchi Onesti, Torino : Einaudi,

1990. [Traduction française par Leconte de Lisle: «Elle plaça autour de ses épaules l'Aigide aux longues franges, horrible, et que la fuite environnait. Et là, se tenaient la discorde, la force et l'effrayante poursuite, et la tête affreuse, horrible et divine du monstre Gorgô».]

11Iliade VIII. 348-349. Traduction : «Et Hektôr poussait de tous côtés ses chevaux aux belles crinières, ayant les

yeux de Gorgô et du sanguinaire Arès».

12 Pour d'autres détails à ce propos, voir J.P. Vernant, La mort dans les yeux, Paris : Hachette, 1998 et aussi J.P.

Vernant, P. Vidal Naquet, Mito e tragedia due.

13 J.P. Vernant, Une face de terreur, en La mort dans les yeux, op. cit. p. 40.

14Iliade XI. 34-37. Traduction: «Il s'abrita tout entier sous un beau bouclier aux dix cercles d'airain et aux vingt

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La description de l'égide d'Athéna coïncide, au moins pour ce qui concerne la position et les fi-gures qui se trouvent autour de Gôrgo, à celle du bouclier d'Agamemnon et c’est n’est même pas la seule ekphrasis d’un bouclier où le centre dramatique est Gôrgo. En effet, le bref et plus tardif poème du Pseudo-Hésiode, le Bouclier, raconte des extraordinaires décors du bouclier d'Héraclès, dont la cinquième bande est occupé par la représentation des Gorgones qui es-sayent de rejoindre Persée, en train de s’enfuir avec la tête de Gôrgo:

∆Eν δ∆ ἦν ἠυκόμου Δανάης τέκος, ἱppότα Περσεύς, 216 οu[τ᾽ a[ρ᾽ ἐpιψαύων σάκεος pοσὶν οu[θ᾽ ἑκὰς αὐτοῦ, θαῦμα μέγα φράσσασθ᾽, ἐpεὶ οὐδαμῇ ἐστήρικτο. τὼς γάρ μιν pαλάμαις τεῦξεν κλυτὸς Ἀμφιγυήεις, χρύσεον: ἀμφὶ δὲ pοσσὶν e[χεν pτερόεντα pέδιλα: 220 w{μοισιν δέ μιν ἀμφὶ μελάνδετον ἆορ e[κειτο χαλκέου ἐκ τελαμῶνος: ὃ δ᾽ ὥς τε νόημ᾽ ἐpοτᾶτο: pᾶν δὲ μετάφρενον εἶχε κάρη δεινοῖο pελώρου, Γοργοῦς: ἀμφὶ δέ μιν κίβισις θέε, θαῦμα ἰδέσθαι, ἀργυρέη: θύσανοι δὲ κατῃωρεῦντο φαεινοὶ 225 χρύσειοι: δεινὴ δὲ pερὶ κροτάφοισι a[νακτος κεῖτ᾽ [Aιδος κυνέη νυκτὸς ζόφον αἰνὸν e[χουσα. αὐτὸς δὲ σpεύδοντι καὶ ἐρρίγοντι ἐοικὼς Περσεὺς Δαναΐδης ἐτιταίνετο: ταὶ δὲ μετ᾽ αὐτὸν Γοργόνες a[pλητοί τε καὶ οὐ φαταὶ ἐρρώοντο 230 ἱέμεναι μαpέειν: ἐpὶ δὲ χλωροῦ ἀδάμαντος βαινουσέων ἰάχεσκε σάκος μεγάλῳ ὀρυμαγδῷ ὀξέα καὶ λιγέως: ἐpὶ δὲ ζώνῃσι δράκοντε δοιὼ ἀpῃωρεῦντ᾽ ἐpικυρτώοντε κάρηνα: λίχμαζον δ᾽ a[ρα τώ γε, μένει δ᾽ ἐχάρασσον ojdovntaı 235 a[γρια δερκομένω: ἐpὶ δὲ δεινοῖσι καρήνοις Γοργείοις ἐδονεῖτο μέγας fόβος.15

aux regards horribles. Auprès étaient la Crainte et la Terreur».

15Hésiode, Bouclier, 216-237. Référence pour le texte grec: Esiodo, Opere, éd. Graziano Arrighetti, Milano : Mon-dadori, 2007. [Traduction française par M.A. Bignan: «Plus loin, le fils de Danaé à la belle chevelure, Persée, ce dompteur de chevaux, ne touchait pas le bouclier de ses pieds rapides et n'en était pas très loin ; par un in-croyable prodige, il n'y tenait d'aucun côté. Ciselé en or par les mains de l'illustre Vulcain, il portait des brode-quins ailés, et le glaive d'airain à la noire poignée, suspendu au baudrier, brillait sur ses épaules ; il volait comme la pensée. Tout son dos était couvert par la tête de la cruelle Gorgone : autour de cette tête voltigeait, ô merveille ! un sac d'argent d'où tombaient des franges d'or au loin étincelantes. Sur le front du héros s'agitait le formidable casque de Pluton, enveloppé des épaisses ténèbres de la nuit. Le fils de Danaé lui-même s'allongeait en courant, semblable à un homme qui précipite sa fuite tout frissonnant de terreur ; sur ses pas s'élançaient les monstres in-saisissables et funestes à nommer, les Gorgones, impatientes de l'atteindre. Dans leur élan impétueux, l'acier pâle du bouclier retentissait d'un bruit aigu et perçant. Á leurs ceintures pendaient deux dragons qui courbaient leurs

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Mais, parmi les textes les plus anciennes, c’est la Théogonie d’Hésiode qui s’occupe plus préci-sément du mythe de Méduse, sans s’arrêter au seul gorgoneion, car le poète raconte des pa-rents de Méduse, de ses sœurs et de son amant, Poséidon, et aussi de Persée, son tueur, et des fils qui jaillissent de son sang:

Φόρκυi δ᾽ αὖ Κητὼ Γραίας τέκε καλλιp αρῄους 270 ἐκ γενετῆς pολιάς, τὰς δὴ Γραίας καλέουσιν ἀθάνατοί τε θεοὶ χαμαὶ ἐρχόμενοί τ᾽ a[νθρωpοι, Πεμφρηδώ τ᾽ ἐύpεpλον Ἐνυώ τε κροκόpεpλον, Γοργούς θ᾽, αἳ ναίουσι pέρην κλυτοῦ Ὠκεανοῖο ἐσχατιῇ pρὸς nυκτός, ἵn᾽ Ἑσpερίδες λιγύφωνοι, 275 Σθεννώ τ᾽ Εὐρυάλη τε Μέδουσά τε λυγρὰ p αθοῦσα: hJ μὲν e[ην θνητή, αiJ δ᾽ ἀθάνατοι καὶ ἀγήρῳ, αἱ δύο: τῇ δὲ μιῇ pαρελέξατο Κυανοχαίτης ἐν μαλακῷ λειμῶνι καὶ a[νθεσιν εἰαρινοῖσι. tῆς ὅτε δὴ Περσεὺς κεφαλὴν ἀpεδειροτόμησεν, 280 ejxevθορε Χρυσαvωρ τε μέγας καὶ Πήγασος ἵppος: tῷ μὲν ἐpώνυμον ἦν, ὅτ᾽ a[r∆ Ὠκεανοῦ paρa; pηγὰς γένθ᾽, oJ δ᾽ a[ορ χρύσειον e[χων μετὰ χερσὶ φίλῃσι. cὠ μὲν ἀpοpτάμενος, pρολιpὼν χθόνα μητέρα μήλων, ἵκετ᾽ ἐς ἀθανάτους: Ζηνὸς δ᾽ἐν δώμασι ναίει 285 βροντήν τε στεροpήν τε φέρων Διὶ μητιόεντι: Χρυσάωρ δ᾽ e[τεκε τρικέφαλον Γηρυονῆα μιχθεὶς Καλλιρόῃ κούρῃ κλυτοῦ Ὠκεανοῖο: tὸν μὲν a[ρ᾽ ἐξενάριξε βίη Ἡρακληείη βουσὶ pαρ᾽ εἰλιpόδεσσι pεριrrύτῳ εἰν Ἐρυθείῃ 290 h[ματι τῷ, ὅτε pερ βοῦς h[λασεν εὐρυμετώpους Τίρυνθ᾽ εἰς ἱερhvν, διαβὰς pόρον Ὠκεανοῖο, [Oρθοvν τε κτείνας καὶ βουκόλον Εὐρυτίωνα σταθμῷ ἐν ἠερόεντι pέρην κλυτοῦ Ὠκεανοῖο.16

têtes, dardaient leurs langues, entre-choquaient leurs dents avec fureur et lançaient de farouches regards. Sur les épouvantables têtes de ces Gorgones planait une grande terreur». ]

16 Hésiode, Théogonie, 270-288. Référence pour le texte grec: Esiodo, Opere, éd. Graziano Arrighetti, Milano :

Mondadori, 2007. Traduction française par Leconte de Lisle: «Et Céto donna à Phorcys les Grées aux belles joues, blanches dès leur naissance. […]et les Gorgones qui habitent au delà de l'illustre Océan, aux dernières extrémités, vers la nuit, où sont les Hespérides aux voix sonores ; les Gorgones Sthéno et Euryale, et Méduse accablée de maux. Et celle-ci était mortelle, mais les autres étaient immortelles et exemptes de vieillesse toutes deux. Et Poséidon aux cheveux noirs s'unit à Méduse dans une molle prairie, sur des fleurs

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L’auteur suit non seulement le destin de Méduse depuis sa naissance, on peut dire, mais aussi les gestes des fils, l’un desquels, Chrysaor, en n’ayant pas la renommée de son frère, sera par-fois oublié par les sources moins anciennes. En outre, en étant une généalogie des dieux, le texte réduit l’importance du mythe-cadre de Persée, jusqu’à ne pas motiver ni l’aspect de la gorgone, ni la cause de sa décollation et, en effet, Athéna elle-même est absente du récit.

Mais, si le mythe de Méduse se nourrit plutôt des épiphanies du gorgoneion que d’une histoire en effet assez pauvre, on peut très facilement constater l’extraordinaire renommée du seul épisode de l’Odyssée où on parle d’elle, qui n’y apparait même pas :

αὐτὰρ ἐγὼν αὐτοῦ μένον e[μpεδον, εi[ τις e[t∆ e[λθοι 628 ἀνδρῶν ἡρώων, οἳ δὴ τὸ pρόσθεν o[λοντο.

καί νύ k je[τι pροτέρους i[δον ἀνέρας, οὓς e[θελόν pερ, ἀλλa; pρὶν ἐpὶ e[θνe∆ ἀγείρετο μυρία νεκρῶν ἠχῇ θεσpεσίῃ: ἐμe; δe; χλωρὸν δέος ᾕρει, μή μοι Γοργείην κεφαλὴν δεινοῖο pελώρου ἐξ [Aϊδος pέμψειεν ἀγαυὴ Περσεφόνεια. 635 aὐτίk j e[peit jἐpὶ νῆα κιὼν ἐκέλευον ἑταίρους αὐτούς t jἀμβαίνειν ἀνά τε pρυμνήσια λῦσαι: 17

Tout au coup les morts s’inquiètent, s’écrient ; la seule possibilité que la reine des Enfers lui envoie le gorgoneion, pousse Ulysse à s’enfuir sans hésiter, en dépit de sa proverbiale soif de

connaissance.

Et celui-ci fut ainsi nommé parce que ce fut près des sources Océaniennes qu'il naquit et celui-là parce qu'il tenait une épée d'or dans ses mains. Et Pégase, s'envolant loin de la terre féconde en troupeaux, parvint jusqu'aux Dieux. Et il habite dans les demeures de Zeus, et il porte le tonnerre et la foudre du sage Zeus. Et Chrysaor engendra Géryon aux trois têtes, s'étant uni à Callirhoé, fille de l'illustre Océan».

17 Homère, Odyssée, XI. 628-637. Référence pour le texte grec: Omero, Odissea, éd. G. Aurelio Privitera,

Milano : Mondadori, 1991. Traduction française par Anne Bignan:

Moi je reste là pour voir s'il

viendrait encore quelques-uns des vaillants héros morts autrefois. J'aurais peut-être aperçu Thésée, Pirithoüs, et quelques guerriers de la noble race des dieux ; mais tout à coup la foule des morts se rassembla en poussant des cris bruyants, la peur s'empara de moi, et je craignis que Proserpine ne m'envoyât la tête de l'horrible Gorgone ! — Soudain je retourne à mon vaisseau, j'ordonne à mes

(13)

Variations sur le mythe de Méduse

Depuis ses premières épiphanies, le sujet de la femme au visage de mort connaît une diffusion remarquable dans la littérature comme dans les arts, malgré (ou, peut-être, grâce à) ses anomalies, responsables toutefois de l'absence d'œuvres entièrement dédiées à elle.

Les traits de Méduse sont parfois présents dans le visage du guerrier possédé par la fureur de la bataille, comment on a vu auparavant, ou bouleversé par la folie, comme dans le cas de La

folie d'Héraclès d'Euripide:

h]n ijdouv: kai; dh; tinavssei kra'ta Balbivdwn a[po kai; diastrovfouı eJlivssei si'ga gorgwpou;ı kovraı. ajmpnoa;ı d∆ouj swfronivzei, tau'roı w]ı ejı ejmbolh;n Êdeinovı: muka'taiÊ de; Kh'raı ajnakalw'n ta;ı Tartavrou. tavca s∆ ejgw; ma'llon coreuvsw kai; kataulhvsw fovbw/.18

Le visage de mort prenne corps dans une narration qui réfléchit sur ses implications les plus profondes: la transformation d'Héraclès en Gôrgo, sous l'effet de Lyssa, met en scène un pouvoir obscur jaillissant de la profondeur de la personnalité, et toutefois il semblerait hasardé y entrevoir une réflexion sur l'âme humaine; plutôt, avec son caractère gratuit et sa manifestation subite, cette métamorphose révèle à son origine une force mystérieuse, vraiment divine. C'est une peur première19 celle qui envahisse les témoins de la métamorphose

d'Héraclès, qui est totalement hors de soi.

En effet, ce qui est absente dans ce récit, est la cause humaine: bien différemment des héros modernes, Héraclès est un homme que la fiction nous montre en paix, après ses fatigues. Il n'y a donc aucune raison qui puisse justifier une telle tragédie, sinon le renversement de fortune, et le héros est appelé à l'acceptation des conséquences, quelconque elles soient.

Mais ce n’est pas la seule tragédie d’Euripide où le mythe de la Gorgone fait son 18 Euripide, La folie d'Héraclès, 867-871. Référence pour le texte grec: Euripide, Eracle, in Le tragedie, vol. III,

Milano : Mondadori, 2007. Traduction française par Henri Berguin: « Regarde. Voici que déjà il secoue la tête; il franchit les barrières de l'arène et roule des yeux hagards; il se tait, prunelles exorbitées; il ne modère plus sa respiration haletante; comme un taureau qui va se ruer, il pousse des mugissements terribles, en invoquant les Kères du Tartare. Bientôt je te ferai danser mieux encore aux accents de la flûte de l'épouvante».

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apparition, car le Ion montre un autre aspect de cette figure, qu’on a déjà évoqué à propos du symbolique du serpent. Le contexte s’occupe spécifiquement de Méduse en tant qu’objet

magique : son sang, conservé par Creuse dans deux flacons différents, a le double pouvoir de

tuer et de guérir, selon la légende où Asclépios avait reçoit d’Athéna elle-même les flacons avec le sang précieux.20 Ici Creuse a la fonction de sorcière et le flacon du poison lui servirait pour

tuer son beau-fils:21

Pr. o}n prw'ton uJmw'n provgonon ejxanh'ke gh'… 1000 Kr. touvtw/ divdwsi Palla;ı o[nti neogovnw/...

Pr. tiv crh'ma… mevllon gavr ti prosfevreiı e[poı. Kr. dissou;ı stalagmou;ı ai{matoı Gorgou'ı a[po. Pr. ijscu;n e[contaı tivna pro;ı ajnθrwvpou fuvsin…

Kr. to;n me;n θanavsimon, to;n d'∆ ajkesfovron novswn. 1005 Pr. ejn tw/' kaθavyas∆ ajmfi; paidi; swvmatoı…

Kr. crusoi'si desmoi'ı: oJ de; divdws∆ ejmw/' patriv. […]

Pr. tiv tw'/de crh'sθai… duvnasin ejkfevrei tivna 1012 Kr. novsouı ajpeivrgei kai; trofa;ı e[cei bivou.

Pr. oJ deuvteroı d∆ ajriθmo;ı w\n levgeiı tiv dra/'…

Kr. kteivnei, drakovntwn ijoı w]n tw'n Gorgovnoı. 1015

20 Asclépios reçut en cadeau d'Athéna deux fioles du sang de Méduse; avec le sang extrait du côté gauche de la

Gorgone, il pouvait ressusciter les morts, avec celui extrait du côté droit il pouvait donner une mort instantanée. [Diodore de Sicile, V 74 6; Apollodore, III 10 3]

21Euripide, Ion. Référence pour le texte grec: Euripide, Ione, in Le Tragedie, vol. I, Milano : Mondadori, 2007.

Traduction française par M. Artaud: v. 1000-1007

VIEILLARD. Le premier de tes ancêtres, sorti du sein de la Terre? CRÉUSE. A l'instant de sa naissance, il reçut de Pallas

VIEILLARD. Quel don ? tu me fais bien attendre ce mot. CRÉUSE. Deux gouttes du sang de la Gorgone.

VIEILLARD. Quelle en est la vertu sur l'homme ?

CRÉUSE. L'une est un poison mortel, et l'autre un remède souverain. VIEILLARD. Par quel moyen le jeune Érichthonius peut-il les garder ?

CRÉUSE. Dans un cercle d'or que la déesse attacha à son corps, et mon aïeul les transmit à mon père. v. 1012-1017

VIEILLARD. Quel en est l'usage? quelle est sa vertu? CRÉUSE. Chasse les maladies et entretient la vie. VIEILLARD. Et l'autre, quel est son effet ?

CRÉUSE. Elle donne la mort ; c'est le venin des serpents de la Gorgone. VIEILLARD. Les portes-tu ensemble, ou séparées?

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Pr. ejı e}n de; kraθevnt∆ aujto;n h] cwri;ı forei'ı… Kr. cwrivı: kakw/' ga;r ejsθlo;n ouj summeivgnutai.

Quant à l'Énéide, pour citer seulement les textes capitaux de la littérature ancienne, on y trouve presque la même solution de l'Iliade, et la Gorgone cruelle se réduit à un élément qui souligne l'attitude guerrière et irascible de Minerve;22 à souligner aussi la description de

l'égide de la déesse où les yeux du monstre sont animés et roulent, en suivant la tradition picturale la plus ancienne du gorgoneion archaïque23.

Mais une attitude plus critique ou rationalisant envers le mythe, par exemple dans un contexte historique, peut-elle changer la perception de Méduse en tant que force irrationnelle?

Si Hérodote place déjà le royaume de Méduse en Libye et Diodore de Sicile en fait la reine des amazones, en suivant presque les même coordonnées géographiques, il faut rappeler mieux la version de Lucain24 du mythe sur l'origine des serpents de Libye25, nés du sang de la Gorgone.

22 Virgile, Énéide, II. 615-616: «Iam summas arces Tritonia, respice, Pallas /insedit, nimbo effulgens et

Gorgone saeua». Traduction française par Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet: «Et maintenant, vois, en haut de la citadelle, Pallas la Tritonienne qui siège, toute nimbée de lumière et arborant la cruelle Gorgone».

23 Virgile, Énéide, VIII. 435-438: «aegidaque horriferam, turbatae Palladis arma,/certatim squamis serpentum

auroque polibant /conexosque anguis ipsamque in pectore diuae /Gorgona, desecto uertentem lumina collo». Traduction: «Ils travaillaient aussi à l'égide effrayante, l'arme de Pallas en colère,/ l'ornant d'écailles de serpents en or, d'entrelacs de reptiles/ et, sur la poitrine de la déesse, de la Gorgone en personne,/ dont les yeux roulaient encore, en dépit de son cou tranché».

24 Lucain, Pharsale, IX. v. 685 et suivants.

25 Voir à ce propos Dante, Commedia, Inf. XXIV, 82-90 [texte: Dante Alighieri, La divina Commedia, a cura di U.

Bosco e G. Reggio, Firenze : Le Monnier, 1992]: e vidivi entro terribile stipa

di serpenti, e di sì diversa mena

che la memoria il sangue ancor mi scipa. 84 Più non si vanti Libia con sua rena;

ché se chelidri, iaculi e faree

produce, e cencri con anfisibena, 87 né tante pestilenzie né sì ree

mostrò già mai con tutta l’Etïopia

né con ciò che di sopra al Mar Rosso èe. 90

Traduction par Lucienne Portier [La divine Comédie, Éditions du Cerf, 1987]: et je vis au-dedans un terrible amas 82

de serpents, et d'espèces si monstrueuses que le souvenir encore me glace le sang.

Qu'on ne vante plus la Libye et ses sables 85 car si chélydres, javelots et pharées,

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Le récit se déroule en 85 vers, et propose une vision vraiment particulière de Méduse: on a la sensation que, pour la première fois, on observe de plus près ce monstre.

Bien que l'auteur choisit une position 'rationnelle', c'est-à-dire contraire à la croyance superstitieuse du mythe, son portrait de Méduse est détaillé, surtout en ce qui concerne la description de son pouvoir de mort: […] hoc potuit caelo pelagoque minari/ torporem

insolitum mundoque obducere terram26. Mais la chose la plus surprenante est que la

description comportementale porte plutôt sur les serpents de sa chevelure que sur elle, au point qu'ils paraissent des créatures presque autonomes par rapport au monstre dont ils sont partie: Nullum animal visus patiens, ipsique retrorsum / effusi faciem vitabant Gorgonos

angues.27

Par contre, Méduse, triste en tant que mortelle et seule dans le désert à cause de la terreur qu'elle suscite même en ses parents et en ses soeurs, est tuée par un Persée manifestement troublé, au point que Pallas doit conduire elle-même le héros, proie de la terreur: Ipsa regit

trepidum Pallas, dextraque trementem / Perseos aversi Cyllenida derigit harpen / lata colubriferi rumpens confinia colli28.

Encore une fois et nonobstant l'abondance des nouveaux détails, l'aspect du visage de la Gorgone reste mystérieux. Les sources, même les plus tardives, s’arrêtent aux serpents de la chevelure gorgonéenne, qui marquent la limite d’un périmètre interdit à la vue29, sauf s’il s’agit

non du visage réel de Méduse mais de sa représentation, et dans ce cas aussi c’est plutôt la manque de détails que le contraire que les auteurs nous offrent. La conscience de l'indicible reste, quoi qu'ils soient les convictions des auteurs.

elle produit et chencres et amphisbènes,

onc tant de pestilences et si atroces 88 ne montra, avec toute l'Ethiopie,

et tout ce qui est autour de mer Rouge.

26 Lucain, Pharsale, IX. 647-649: «Elle menaça le ciel et la mer d'un engourdissement soudain, et put

envelopper le ciel et la terre».

27 Lucain, Pharsale, IX. 652-653: «Nul être animé ne soutient son regard. Les serpents de Gorgone se rejettent

en arrière pour éviter sa face».

28 Lucain, Pharsale, IX. 675-677: «Pallas dirige elle-même le bras tremblant de son frère ; celui-ci tourne le

dos, et sa faux tranche la tête hérissée de serpents».

(17)

Regarder le péril en face

La frontalité est donc la marque de l'exceptionnel dans cette figure, presque réduite au seul visage : elle interpelle toujours celui qui la voit30 aussi bien que le Sphinx des trois énigmes qui

Œdipe doit affronter, car devant la Sphinge, il faut savoir répondre ou mourir31. Dans la

littérature comme dans la peinture et la sculpture, ses yeux écarquillés, effrayantes parce que surdimensionnés et aux prunelles absurdement rondes, attire le regard et suscite la terreur. Par contre, Persée est toujours représenté avec la tête détournée, qui regarde en arrière32,

attitude qui le différencie de Bellérophon, l’autre chevalier de Pégase, dont le regard est toujours en avant. L’attitude sage de Persée, figure assez bien superposable à celle de Bellérophon33, le distingue de ce dernier aussi pour la réussite de l’entreprise, car il obtient un

royaume et la paix, à suivre la plupart des sources ; Bellérophon, au contraire, révèle une certaine superbe, car il prétend à rejoindre l’Olympe sur le dos de Pégase, mais seulement celui-ci est digne d’un tel honneur. Le résultat est que Pégase rejoint l’Hélicon, mais Bellérophon précipite dans une tige épineuse (ou dans la mer). La ressemblance entre les récits et le fait qu’ils partagent quelques-uns des personnages principaux a causé un mélange au niveau iconographique surtout qui fait de Persée lui aussi un chevalier de Pégase ; tel syncrétisme reste très actif dans la littérature et dans l’art des siècles suivants, mais la présence de Méduse identifie sans doute l’un par rapport à l’autre.

Et encore, le coeur de la dynamique du regard, qui est typique du mythe de Persée, est fondamental au point que chez Jean d’Antioche34 c’est justement le manque de respect de

l’ordre de ne pas regarder qui coute la vie à Persée35, car il arrive à douter de l’efficacité du

30 Ibidem, p. 69.

31Pascal Quignard, Le nom sur le bout de la langue, Paris : Gallimard, 1993, p. 92.

32 Pour ce qui concerne la spécificité de la posture des deux héros, voir l'analyse sur des ustensiles en terre cuite

de Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, op. cit.

33 Pour ce qui concerne la figure de Bellérophon dans l'œuvre du Tasse, voir Bruno Basile, Poëta melancholicus. Tradizione classica e follia nell'ultimo Tasso, Pisa : Pacini, 1984, p. 37 et suivantes.

34 FHG IV, 544-545; VIe siècle.

35De la même façon, dans le mythe d'Orphée la désobéissance à l'interdiction de regarder empêche

définitivement le retour d'Eurydice des Enfers: Ovide, Metamorfoses, X. 55-71 :

(18)

monstre lorsque Céphée, son beau-père, ne meurt pas en regardant la Gorgone ; cela arrive parce qu’il est vieux et aveugle mais Persée ne le sait pas.

Il faut souligner toutefois que regarder sans permission c’est un tabou au centre de plusieurs d’autres récits, où la violation de l’ordre coûte la vie au transgresseur de l’interdit. La spécificité de la figure de Méduse est le fait d’être elle-même l’objectivation de cet interdit, en étant sa représentation la plus efficace.

Donc le seul qui regarde la Gorgone – sauf les dieux du récit figuré – c’est le spectateur, pour

qui elle est contemplable36 mais seulement en tant que eikon. Ensuite, montrer le visage

impossible grâce au reflet du bouclier – dans les versions le plus tardives le bouclier est substitué par un miroir – sert à justifier a posteriori la paradoxale profusion des représentations de la face de Gôrgo. Elle doit être maitrisée de quelque façon, et les artistes grecs exorcisent la peur de la mort en travaillant à la figuration de l’image interdite et proposent au public ce contre-visage37. Tel est l’escamotage qui comble le vide d’une absence,

nec procul afuerunt telluris margine summae: 55 hic, ne deficeret, metuens avidusque videndi

flexit amans oculos, et protinus illa relapsa est, bracchiaque intendens prendique et prendere certans nil nisi cedentes infelix arripit auras.

iamque iterum moriens non est de coniuge quicquam questa suo (quid enim nisi se quereretur amatam?) supremumque 'vale,' quod iam vix auribus ille acciperet, dixit revolutaque rursus eodem est. 63 Non aliter stupuit gemina nece coniugis Orpheus, 64 quam tria qui timidus, medio portante catenas, colla canis vidit, quem non pavor ante reliquit, quam natura prior saxo per corpus oborto, quique in se crimen traxit voluitque videri Olenos esse nocens, tuque, o confisa figurae, infelix Lethaea, tuae, iunctissima quondam

pectora, nunc lapides, quos umida sustinet Ide. 71

Traduction de Louis Puget, Th. Guiard, Chevriau et Fouquier (1876) modifiée sur un certain nombre de points par Agnès Vinas (2005): «Ils n'étaient pas éloignés du but ; ils touchaient à la surface de la terre, lorsque, tremblant qu'elle n'échappe, inquiet, impatient de voir, Orphée tourne la tête. Soudain elle est rentraînée dans l'abîme. Il lui tend les bras, il cherche son étreinte, il veut la saisir ; elle s'évanouit, et l'infortuné n'embrasse que son ombre. C'en est fait ! elle meurt pour la seconde fois : mais elle ne se plaint pas de son époux. Et de quoi se plaindrait-elle ? Il l'aimait. Adieu ! ce fut le dernier adieu, et à peine parvint-il aux oreilles d'Orphée : déjà l'Enfer a reconquis sa proie. Orphée demeure glacé. Perdre deux fois sa compagne ! Il est là, comme ce berger

pusillanime à la vue des trois têtes de Cerbère enchaîné. La terreur n'abandonne l'infortuné qu'avec la vie. Son corps se transforme en pierre».

36 Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, op. cit., p. 70. 37 Ibidem, p. 72.

(19)

caractéristique spécifique de l’image.

Le gorgoneion, image par excellence, stupéfie et laisse muet le spectateur, troublé par la merveille et, peut être, pour l’inquiétude aussi. Mais le visage vu de façon frontale est aussi celui de l’endormi38 et surtout du mourant ou du mort, comme il est très bien montré par

Frontisi-Ducroux, qui analyse des images tirées par des outils céramiques où le seul personnage qui montre cette particularité appartient à une de ces catégories.

S’il s’agit de décrire l’inexprimable, là il y a une épiphanie de la Gorgone. Cet effet se produit également lorsque le masque horrifiant d’une créature infernal demi femme et demi homme se transforme dans le visage d’une beauté mélancolique couronné par des boucles en forme de serpents maitrisés en une élégante coiffure, car la beauté extrême est inexprimable comme la pire laideur39.

La Méduse d’Ovide

Lui renvoyant son image, elle s'effraya. Elle dit:

« Tu ne m'a pas vue. Tu as joué de ruses et néanmoins je te dis merci. Morte, non seulement ma face conservera son pouvoir mais tu l'auras renforcé en me tuant. Ma face étant la mort pour ceux qui la voient, tu vas ajouter ma propre mort à mon visage. Je crains que tu n'aies le regret de ta conduite. Réfléchis encore. Je suis le visage des femmes et tu ne le connaitras pas. Regarde-moi! ».

Persée, la tête toujours retournée vers l'arrière, dit à Méduse:

«Il ne me semble pas que je songerais jamais à regarder la mort.»

PASCAL QUIGNARD, Le nom sur le bout de la langue40

Pour ce qui est du mythe en tant que 'narration de faits', le contexte reste de préférence celui des Métamorphoses, souvent dans le cadre du mythe de Persée.

38Ainsi, le sommeil et la mort se mêlent sur le visage d’Endymion endormi : «Calycé et Aethlios eurent Endymion,

qui conduisit les Étoliens hors de Thessalie, et fonda Élis (certains soutiennent cependant qu'il fut le fils de Zeus). Sa beauté était prodigieuse, et Séléné tomba amoureuse de lui. Zeus lui accorda de choisir ce qu'il voulait, et Endymion choisit de dormir toujours, en restant immortel et éternellement jeune». Apollodore, Bibliothèque, I. 7, 5. [Traduction par Ugo Bratelli].

39 Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, op. cit., p. 9.

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En effet, l'histoire de Méduse est incluse dans ce mythe presque dès ses origines et si le texte moderne est en prose, on y trouve avant tout le mythe cadre, préféré soit pour ses caractéristiques aventureuses soit parce qu’il s’agit d’une vraie narration. Le sujet est bien plus apte à la réécriture qu'une sélection de scènes ponctuelles et d'intense pathos, comme celles du viol et de la décollation qui sont les plus célèbres en ce qui concerne le mythe de la Gorgone.

Cela qui caractérise en particulier Persée comme héros, est la décollation de Méduse, entreprise « impossible » centrée sur le binôme voir – être vu, avec tout ce que cela signifie à propos de la vérité. Depuis la décollation, possible seulement grâce à l’aide de Minerve qui rende visible le reflet de la gorgone sur le bouclier, le pouvoir du monstre devient ‘actif’ dans le monde des vivants.

En effet, dès le déplacement de sa tête, les victimes de la Gorgone se multiplient sur les traces de Persée, qui se sert d’elle comme d'une arme définitive en plusieurs situations de grave danger. Toutefois, après avoir rétabli la paix et l’ordre, le héros renonce à cette arme formidable, en donnant le fétiche à Athéna, qui le place sur son égide. Mais qui était Méduse avant de rencontrer son meurtrier? Persée n’aimerait pas parler de cela, mais il reconnaît l’importance du sujet et donc il accepte de parler. Il s’agit toutefois d’un bien étrange récit, très bref, où on apprend tout simplement que la Gorgone était belle et aimée par Neptune, qui l’a violé dans le temple de Minerve. La déesse, offensée pour avoir vu le viol et par le manque de respect pour l’espace sacré du temple, a transformé la chevelure de la fille en serpents. La narration, qui a du vaincre le mur du tabou, laisse beaucoup de non-dit.

Ovide, Métamorphoses, IV-V. Mythes de croyance et de connaissance

Le livre IV des Métamorphoses voit l'opposition entre Bacchus et Minerve. Est-il un dieu digne de révérence ce Bacchus, avec ses fêtes luxurieuses et désordonnées? Telle la question qui se posent les filles de Minyas, dévotes à Minerve, assises au métier à tisser pendant les jours sacrés au dieu. Le thème est déjà celui, centrale aussi pour le mythe de Méduse, de la croyance en un demi-dieu – fils de Jupiter – avec la confirmation du pouvoir du père des dieux et de sa lignée.

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Alcithoé, l'impie, dénie résolument la paternité divine de Bacchus, ce qui persuade ses sœurs à continuer le travail; une d'elles propose aussi d'égayer la journée avec la narration de récits. Ecoutés les premiers trois narrations, les filles conviennent de la toute-puissance des vrais dieux, dont Bacchus ne fait pas partie. Mais la réaction de ce dernier ne se fait pas attendre: achevée la dernière narration, au crépuscule, le dieu transforme les soeurs en créatures nocturnes. Cela accroit si énormément la renommé de Bacchus que sa tante Ino ne cesse pas de vanter la puissance du nouveau dieu mais, étant donné qu'elle avait déjà trop de fortune, elle attire la jalousie de Junon qui décide de se venger en déchainant les Furies.

L'atmosphère de la narration plonge de plus en plus dans l'obscurité, la descente aux Enfers de Junon et les gestes de Tisiphon, Furie magicienne qui agresse Ino et Athamas avec ses serpents venimeux, ouvrent la séquence 'méduséenne' du livre IV. La pétrification des Sidoniennes et la transformation des parents d'Ino en dragons, présences fragmentaires de la Gorgone, soulignent le mauvais destin réservé aux impies, dont le dernier est Acrisius; coupable non seulement d'impiété envers Bacchus, mais aussi envers son petit-fils Persée, fils de Jupiter lui aussi, Acrisius bientôt connaitra la force de la vérité:

Mox tamen Acrisium (tanta est praesentia veri) / tam violasse deum quam non agnosse nepotem / paenitet41

Le mythe de Persée. Ovide, Métamorphoses, IV. 607 - V. 250. 1. Punition de l''impie' Atlas (IV, 631-662)

Donc Acrisius, l'impie, ouvre l'histoire de son petit-fils, qui Ovide nous montre en vol sur la Libye avec son précieux fétiche; le gorgoneion, en coulant gouttes de sang sur la sable du désert, engendre toutes les espèces de serpents venimeux dont ce territoire est riche. Le redoublement de la symbolique gorgonéenne, en absence, accrut la présence du mystère occulté dans la sacoche magique, dont on voit maintenant seulement les effets et prépare la punition du prochain impie, Atlas. Remarquable aussi la ressemblance de ce dernier personnage à la race des 'géantes', rebelle pour définition:

41Ovide, Métamorphoses, IV. 612-614: «Mais bientôt Acrise (telle est la puissance de la vérité) n'éprouve pas moins de regrets d'avoir offensé le dieu que d'avoir méconnu son petit-fils». [Traduction par Louis Puget, Th. Guiard, Chevriau et Fouquier (1876)]

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Hic hominum cunctis ingenti corpore praestans / Iapetionides Atlas fuit42

Hostile à Persée à cause d'une ancienne prophétie selon laquelle un fils de Jupiter aurait venu pour soustraire l'or des arbres des ses jardins, Atlas accuse Persée de fausseté, en mépris de Jupiter lui même:

« Vade procul, ne longe gloria rerum, / quam mentiris », ait « longe tibi Iuppiter absit »43

Le cadeau pour le manque d'hospitalité est voir le visage de Méduse, extrait par Persée, qui fait le geste de se tourner à gauche:

laevaque a parte Medusae / ipse retro versus squalentia protulit ora.44

2. Andromède et le monstre. Naissance du corail (IV, 668-752)

Changé Atlas en montagne, Persée entrevoit pendant son vol une femme à l'aspect d'une statue. Le corps pétrifié par les chaines et par la terreur, la belle Andromède se montre aux yeux de Persée d'abord comme une seule chose avec le rocher où elle a été attachée.

Le thème de la pierre n'a pas perdu son intensité lorsque le héros s'aperçoit que l'œuvre d'art est vivante; la pétrifiée pourra retourner à la vie seulement si le dragon dont elle devrait être sacrifiée sera vaincu. Non différemment de la Gorgone, le nouveau serpent est tué par l'épée du héros, mais le gorgoneion, déposé sur des tiges moelleux, ne cesse pourtant pas de 'pétrifier': les nymphes de la mer, en voyant des rameaux et des feuillages s'endurcir au contact avec le sang du fétiche, veulent répéter le prodige avec des autres rameaux.

Voici donc la naissance du corail qui, en cristallisant en soi la pétrification de la fluidité marine, s’oppose au pouvoir de Neptune et de son royaume fluide, dont le mouvement incessant est nié et bloqué dans la forme immuable de la pierre.

Sacrifice aux dieux (IV, 753-756)

42Ovide, Métamorphoses, IV. 631-632 : «C'est là que règne le fils de Japet, Atlas, qui surpasse tous les mortels par l'énormité de sa taille».

43Ovide, Métamorphoses, IV. 649-650 : «Eloigne-toi, répondit-il ; la gloire de tes prétendus exploits, et Jupiter

lui-même ne pourraient te sauver».

(23)

Le dénouement heureux des entreprises si dangereuses doit être couronné par le sacrifice aux dieux qui avaient été d'aide au héros. Mercure, Minerve et Jupiter reçoivent respectivement en sacrifice un veau, une génisse et un taureau. Mercure avait doué d'ailes les sandales de Persée, Minerve lui avait donné les armes, Jupiter est le véritable père du héros.

3. Récit de Persée: le mythe de Méduse (IV, 768-802)

Andromède sauvée, Persée l'obtient en mariage. C'est le moment le plus heureux pour le héros après tant d'effort et pendant le banquet, comme tradition, on demande à l'époux le récit de son entreprise la plus incroyable, le meurtre de Méduse:

(a) Qui simul endocuit « Nunc, o fortissime », dixit, / «fare, precor, Perseu, quanta virtute quibusque / artibus abstuleris crinita draconibus ora ».45

Persée raconte d'un lieu rocheux où habitent les sœurs à un seul oeil, elles aussi filles de Phorcys, de l'astuce de leur voler cet œil, du passage caché parsemé par les statues des mortels qui avaient rencontré Méduse et enfin de l'égorgement du monstre grâce à la vision de son reflet sur le bouclier:

se tamen horrendae clipei, quod laeva gerebat, / aere repercusso formam adspexisse Medusae, / dumque gravis somnus colubrasque ipsamque tenebat, /eripuisse caput collo,46

À démonstration d'une 'vitalité' qui ne cesse pas après la mort, Méduse engendre deux fils par le cou tranché: Pégase, le cheval ailé, et son frère jumeau. Selon la tradition, ce frère est le géant Chrysaor, né avec une épée d'or, mais Ovide ne le rappelle pas:

pennisque fugacem / Pegason et fratrem matris de sanguine natos.47

Ensuite, Ovide résume en trois vers seulement le récit des autres péripéties du héros, de façon plutôt générique. Les hôtes, toutefois, semblent ne pas comprendre le silence subit qui tombe sur le récit, et un d'eux, encore une fois, doit demander la continuation de l'histoire:

(b) Ante exspectatum tacuit tamen; excipit unus / ex numero procerum quaerens, cur sola

45Ovide, Métamorphoses, IV. 769-771 : «Après l'avoir satisfait, il ajoute : «Maintenant, intrépide Persée, dis-nous,

je t'en conjure, par quel effort de courage et par quel stratagème ton bras a pu trancher cette tête hérissée de ser-pents».

46Ovide, Métamorphoses, IV. 782-785 : «Son visage hideux s'offrit aussi à mes regards, mais réfléchi sur l'airain du bouclier que portait ma main gauche, et tandis qu'un lourd sommeil engourdissait le monstre et ses cou-leuvres, je séparai sa tête de son cou».

47Ovide, Métamorphoses, IV. 785-786 : «Soudain Pégase, qui vole sur des ailes rapides, et son frère naquirent du sang de la mère».

(24)

sororum gesserit alternos inmixtos crinibus angues.48

Qui est-donc Méduse? Pourquoi elle seule avait les cheveux entremêlés aux serpents? Question intéressante, et bizarre, si l'on veut; en effet, l'aspect des Gorgones eux aussi n'était pas si certain, et il y avait qui disait que les cheveux serpents n'étaient pas caractéristique de Méduse seulement. Toutefois, pour cette version du mythe, l'aspect 'unique' de la gorgone Méduse est indispensable. Donc Persée raconte, parce que l'objet de la question est digne de

narration:

(c) Hospes ait: «Quoniam scitaris digna relatu, /accipe quaesiti causam. 49

Punition de Méduse (IV, 793-802)

Clarissima forma

multorumque fuit spes invidiosa procorum illa, nec in tota conspectior ulla capillis pars fuit: inveni, qui se vidisse referret. Hanc pelagi rector templo vitiasse Minervae

dicitur: aversa est et castos aegide vultus

nata Iovis texit, neve hoc inpune fuisset, Gorgoneum crinem turpes mutavit in hydros. Nunc quoque, ut attonitos formidine terreat hostes, pectore in adverso, quos fecit, sustinet angues. »50

Divine beauté, surtout en ce qui concerne les cheveux, Persée dit d'avoir trouvé un témoin 'oculaire' (ou, du moins, celui-ci disait de l'avoir vu) de l'aspect originaire de la Gorgone (v. 796); après, on dit /on raconte que le roi de la mer ait violée (v. 797) Méduse dans le temple de Minerve. La déesse se détourne, couvre de son égide son visage, et pour ne pas laisser impuni ce qui s'est passé, elle change les cheveux de Méduse en serpents.

Les derniers deux vers anticipent une phase postérieure, car Persée n'a pas encore rendu le fétiche à la déesse, toutefois le récit montre Méduse et son ennemie déjà comme un ensemble, car une partie de la Gorgone, les serpents, deviennent source d'effroi sur la poitrine de

48Ovide, Métamorphoses, IV. 790-792 : «Il se tait cependant plus tôt qu'on ne le désire. Un des convives lui de-mande pourquoi seule, parmi ses sœurs, elle avait les cheveux entremêlés de serpents».

49Ovide, Métamorphoses, IV. 793-794 : «L'hôte de Céphée répond : «Ce que vous me demandez mérite d'être

ra-conté ; apprenez-en la cause».

50Ovide, Métamorphoses, IV. 793-802 : «Célèbre par sa beauté, Méduse fut l'objet des vœux de mille prétendants,

et la cause de leur rivalité jalouse ; parmi tous ses attraits, ce qui charmait surtout les regards, c'était sa chevelure ; j'ai connu des personnes qui m'ont assuré l'avoir vue. Le souverain des mers profana, dit-on, s beauté dans un temple de Minerve. La fille de Jupiter détourna les yeux, couvrit de l'égide son chaste visage, et, pour ne pas laisser cet attentat impuni, elle changea les cheveux de la Gorgone en d'horribles serpents ; maintenant même, afin de frap-per ses ennemis d'épouvante et d'horreur, elle porte sur l'égide qui couvre son sein les serpents qu'elle fit naître».

(25)

Minerve.

4. L''impie' Phinée (V, 1-12)

Les clameurs qui annoncent les fureurs de combat interrompent à nouveau le récit; il s'agit de Phinée, frère de Céphée et promis époux d'Andromède avant la tragédie, et ses copains, armés pour soustraire la fille à Persée. Encore une fois, le héros doit faire face à celui qui doute de sa paternité divine et par surcroit il s'agit d'un traitre, qui prétend une épouse sur laquelle il n'a plus aucun droit:

Primus in his Phineus, belli temerarius auctor fraxineam quatiens aeratae cuspidis hastam, «En» ait «en adsum praereptae coniugis ultor, nec mihi te pennae nec falsum versus in aurum

Iuppiter eripiet» 51

Tels mots inconsidérés et la menace traitre de son frère poussent Céphée, père d'Andromède, à réprimander avec force l'impie Phinée, qui toutefois ne renonce pas à jeter son javelot contre Persée; le tire ne rejoint pas le héros qui, fâché, le rend à Phinée. Le traitre échappe au javelot en se cachant derrière un autel, cependant le coup ne va pas à vide, car l'arme tue Rhoetus; il s'agit de l'ouverture des hostilités, pendant lesquelles les impies, en défiant imprudemment la force de Persée et de son arme magique, devraient se soumettre à la loi divine.

Encore une fois l'aide de Minerve ne manque pas : « Bellica Pallas adest et protegit aegide fratrem/ datque animos »52; mais bientôt le nombre des traitres affaiblit les forces du héros

qui, malgré lui, doit recourir à l'arme définitive:

Verum ubi virtutem turbae succumbere vidit, «Auxilium» Perseus «quoniam sic cogitis ipsi», dixit «ab hoste petam. Vultus avertite vestros, siquis amicus adest». Et Gorgonis extulit ora.53

51Ovide, Métamorphoses, V. 8-12 : «A la tête des turbulents, le téméraire auteur de cette guerre, Phinée, brandit un javelot de frêne, armé d'une pointe d'airain : «Me voici, dit-il, me voici, prêt à venger le rapt de mon épouse : ni

tes ailes, ni Jupiter que tu prétends s'être changé en or pour te donner le jour, ne pourront te dérober à ma fureur».

52Ovide, Métamorphoses, V. 46-47 : «La guerrière Pallas vole au secours de son frère ; elle le couvre de son égide et soutient son courage».

53 Ovide, Métamorphoses, V. 178-181: «Voyant enfin que son courage allait succomber sous le nombre, il

s'écrie : «C'est vous-même qui m'y forcez ; eh bien ! j'emprunterai le secours d'un ennemi vaincu : détournez vos

(26)

Le visage de Méduse est l'ennemi: bien loin d'être vaincu cet ennemi garde un pouvoir si extraordinaire que même celui qui l'a tué ne peut pas dire de l'avoir maitrisé. Comme il ne peut pas se sauver sans faire appel au visage interdit, toutefois Persée avertisse ceux qui les veulent écouter, qu'ils détournent le regard. L'honnêteté du héros s'affronte avec la superbe arrogance des mécréants, d'abord Thescélus qui lui répond : «quaere alium, tua quem moveant miracula»54; celui-ci reste pourtant pétrifié sur le champ: utque manu iaculum fatale

parabat / mittere, in hoc haesit signum de marmore gestu55. Le même destin rejoint Ampyx, qui

est à coté de Thescélus.

Ensuite, Nilée, un autre ennemi qui se vantait faussement d'être issu du Nil, se transforme en pierre juste après avoir vantée une fois de trop sa race présumée (v. 188-195). Mais toutes ces pétrifications ne convainquent pas Éryx, qui accuse de lâcheté ses compagnons:

Increpat hos «Vitio» que «animi, non viribus» inquit «Gorgoneis torpetis» Eryx, «incurrite mecum

et prosternite humi iuvenem magica arma moventem!».56

Persée, le jeune qui ne saurait pas se battre qu'avec des armes magiques, a effrayé les ennemis avec des vaines menaces; telle est la pensée d'Éryx, et pourtant son élan ne va pas plus loin de ses paroles hâtées, car il suive bientôt le destin des autres guerriers qui ont bien mérité la punition. Mais Méduse reste elle aussi un ennemi, son regard est sans contrôle, et en effet Acontée, un soldat de Persée, regarde par erreur le visage interdit: tout de suite il devient une statue de marbre, et Astyage, croyant qu'il vit encore, le frappe de son épée; l'étonnement est la dernière expression que celui-ci garde après avoir vu lui aussi la Gorgone:

quem ratus Astyages etiamnum vivere, longo ense ferit: sonuit tinnitibus ensis acutis;

dum stupet Astyages, naturam traxit eandem,

marmoreoque manet vultus mirantis in ore.57

54 Ovide, Métamorphoses, V. 182: «Cherche ailleurs quelqu'un qui se laisse effrayer par tes prestiges».

55 Ovide, Métamorphoses, V. 183-184: «et, levant sa main pour lancer un trait fatal, il est changé en statue de

marbre, et demeure immobile dans cette attitude».

56 Ovide, Métamorphoses, V. 195-197: «C'est votre lâcheté, et non la tête de la Gorgone, qui vous glace, leur crie Eryx en fureur : accourez avec moi, et faites mordre la poussière à ce jeune audacieux, qui n'a pour armes que des enchantements».

57 Ovide, Métamorphoses, V. 204-207: «mais un des soldats de Persée, Acontée, en combattant pour lui, regarde la Gorgone, et soudain il se transforme en rocher. Astyage le croit encore vivant et le frappe de sa longue épée, qui rend des sons aigus. Tandis qu'il s'étonne, il subit la même métamorphose».

(27)

Et, dernier entre ses copains pétrifiés, Phinée, qui n'ose pas encore croire à l'affreux prodige, ne peut que supplier Persée d'avoir pitié de lui:

«Vincis» ait «Perseu! Remove tua monstra tuaeque

saxificos vultus, quaecumque ea, tolle Medusae: tolle, precor.»58

Le mystère qui encore reste, cette Méduse, que Phinée ne saurait pas expliquer, c'est le seul souci du vaincu; il est si effrayé que il n'ose néanmoins regarder Persée pendant qu'il lui parle. Le prix de la trahison de Phinée sera devenir statue dans la maison de son frère, afin qu'Andromède se console avec l'image de son prétendant:

quin etiam mansura dabo monimenta per aevum, inque domo soceri semper spectabere nostri,

ut mea se sponsi soletur imagine coniunx».59

Cela établi, Persée place la tête de Méduse sous les yeux du traitre, qui dévient l'image du lâche, avec le visage peureux et l'attitude humble:

dixit et in partem Phorcynida transtulit illam, ad quam se trepido Phineus obverterat ore. Tum quoque conanti sua vertere lumina cervix deriguit, saxoque oculorum induruit umor;

sed tamen os timidum vultusque in marmore supplex submissaeque manus faciesque obnoxia mansit.60

5. Fin des entreprises de Persée (V. 237-250)

Il s'agit, encore un fois, de la question du mérite et de la justice. Puisque le Leitmotiv du mythe de Persée semble être celui de l'incroyance et de sa punition, c’est pas surprenant que le récit s’achève avec la distribution des punitions, fonctionnelles au rétablissement de l'équilibre troublé.

D'abord, Persée venge son grand-père Acrisius, qui pourtant ne le mérite pas (v 238: 58 Ovide, Métamorphoses, V. 217-219: «Tu triomphes, dit-il, ô Persée ! éloigne ce monstre terrible ; écarte cette

tête de Méduse qui enfante des rochers ; écarte-la, je t'en conjure ».

59 Ovide, Métamorphoses, V. 228-230: «Je ferai plus : tu seras un monument éternel de ma clémence. On te verra toujours dans le palais de mon beau-père, et l'image de celui qui lui fut destiné sera pour mon épouse une consolation».

60 Ovide, Métamorphoses, V. 231-236: «A ces mots, il présente la tête de la fille de Phorcus, du côté vers lequel Phinée détournait ses regards effrayés. C'est en vain que ses yeux veulent encore l'éviter, sa tête se roidit ; ses yeux sont du marbre, ses larmes du cristal. Son visage respire la crainte ; sous la pierre, son air est humble, sa main suppliante, et son front marqué du sceau des remords».

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