d’un traumatisme de la main
avec perte de substance (pluri)tissulaire
M. Genestet
Le bilan lésionnel initial est capital pour établir la stratégie thérapeutique ; il doit être fait dès les urgences (voire en situation préhospitalière), mais il sera plus précis au bloc opératoire après détersion.
La perte de substance est souvent pluritissulaire : cutanée, tendineuse, vas- culaire, nerveuse, et/ou osseuse. Par ailleurs, elle peut toucher un ou plusieurs rayons de la main.
L’objectif sera de restaurer une pince pollicidigitale la plus fine, stable, puis- sante, sensible et mobile possible.
En situation préhospitalière
Quelle que soit l’équipe prenant en charge le patient (sapeurs-pompiers, médecin du SAMU), elle doit s’attacher à prévenir la structure d’accueil et à aller vite (SAMU, hélicoptère), le délai d’ischémie chaude en cas de dévas- cularisation étant court (six heures), pour optimiser le pourcentage de réus- site d’une éventuelle replantation.
Les premiers soins consistent en :
– une première détersion au sérum physiologique et une désinfection avec réalisation d’un pansement bétadiné ;
– la mise en place d’une voie veineuse périphérique avec perfusion d’an- talgiques et antibioprophylaxie IV ;
– selon les habitudes de chacun, une anesthésie locorégionale sera au mieux réalisée ;
– la récupération et le conditionnement des fragments dévascularisés sur les lieux de l’accident (compresse humide, double sachet plastique, puis glace).
En milieu hospitalier
Le projet thérapeutique doit être établi dès les urgences, selon le bilan lésionnel effectué par le chirurgien lui-même. Dès lors, plusieurs questions se posent :
– réimplantation ou non ?
– amputation d’attente ou définitive ?
– reconstruction en urgence ou différée ? – chirurgie en un ou plusieurs temps ?
Le patient sera informé avec psychologie de la nature des lésions et de la planification des différents temps chirurgicaux de reconstruction qui peuvent en découler, ce qui n’est pas toujours aisé, ni réalisé dans les meilleures condi- tions dans le cadre de l’urgence.
La prise en charge en urgence est globale, selon le principe de hiérarchie thérapeutique et du « Tout en un temps avec mobilisation précoce » décrit par Michon et Foucher (1). Elle comprend :
– le parage ;
– la stabilisation osseuse ; – la revascularisation ;
– les sutures nerveuses et tendineuses ;
– enfin, et seulement enfin, la couverture cutanée.
Parage
L’évaluation de la vitalité du revêtement cutané est délicate (décollement cutané, ecchymoses sont des facteurs de mauvais pronostic). Le parage doit être « carcinologique » et parfois renouvelé, lors d’un deuxième temps chi- rurgical à quarante-huit heures, si la vitalité des tissus (peau, muscles, etc.) est douteuse initialement. La détersion mécanique par lavage abondant est effectuée au sérum bétadiné et/ou à l’eau oxygénée. Le parage est réalisé sans garrot pour apprécier au mieux la vitalité des tissus lésés, sauf en cas de sai- gnement important gênant le bilan lésionnel.
Stabilisation osseuse
L’ostéosynthèse doit être suffisamment stable pour permettre une mobilisa- tion précoce et rapide, car elle ne constitue que la première étape d’une inter- vention souvent longue. De la stabilité dépend la qualité de l’acte chirurgical (réparations vasculaires, nerveuses, etc.) et la simplicité des suites opératoires.
L’embrochage multiple divergent (broches de Kirchner diamètre 6 à 10/10
emm) est souvent utilisé en raison de sa simplicité et de l’absence d’abord dévascularisant, mais l’usage de vis ou de plaques n’est pas contre-indiqué (2).
En cas de perte de substance osseuse, une greffe osseuse intercalée (greffon corticospongieux à partir d’un doigt banque ou de la crête iliaque, ou greffon radial aux dépens du tubercule dorsal de Lister) est réalisable si la couverture cutanée est satisfaisante ; cette greffe rétablit la longueur du doigt lésé.
En cas de perte de substance distale, la greffe osseuse devra être vascula- risée pour être viable et n’être pas résorbée.
Au moindre doute sur le parage ou la couverture, le squelette est stabilisé
par brochage et/ou fixateur externe et la reconstruction osseuse reportée secon-
dairement.
Par ailleurs, l’étendue des lésions ostéocartilagineuses (> 50 % de la surface articulaire) nécessite parfois une arthroplastie digitale en urgence, si l’intégrité de l’appareil capsuloligamentaire le permet (implant en Silastic
®le plus souvent), voire une arthrodèse interphalangienne (IPD en position de fonc- tion à 10-20° de flexion ; IPP selon la cascade suivante : D2 à 25°, D3 à 30°, D4 à 35° et D5 à 40° de flexion), mais le sauvetage articulaire des IPP doit toujours être tenté, notamment au niveau des doigts ulnaires, plus mobiles lors des prises de force.
Revascularisation
Les sutures vasculaires microchirurgicales sous microscope se font au fil non résorbable 10/0 (ou 11/0 distalement et/ou chez l’enfant) : au mieux une artère et deux veines après dissection des deux extrémités, parage et adventicectomie circonférentielle.
Lorsqu’il existe une perte de substance artérielle ou une contusion étendue (souvent sous-estimée), interdisant toute suture terminoterminale sans tension, la revascularisation peut se faire par :
– suture croisée d’une artère digitale palmaire propre (collatérale) déroutée sur l’autre, quand la section siège à deux niveaux différents sur les deux axes, évitant ainsi les aléas d’un pontage. Cet artifice est cependant contre-indiqué si un geste complémentaire palmaire est envisagé (ténolyse, greffe ner- veuse, etc.) ;
– pontage veineux (greffon inversé, prélevé à la face palmaire du poignet le plus souvent). Au niveau du pouce, le pontage sera branché proximalement sur l’une des branches de l’artère radiale, pour faciliter l’abord et l’accessibi- lité des sutures (dans la tabatière anatomique ou plus bas dans le sommet de l’espace M1-M2).
Reconstruction nerveuse
La réparation primaire a montré sa supériorité par rapport à toutes les tech- niques de reconstruction secondaire (orientation globale du nerf, revasculari- sation).
Les nerfs digitaux palmaires propres (collatéraux) sont réparés par suture
directe épi-périneurale au fil de nylon non résorbable 9/0 ou 10/0. En cas de
perte de substance nerveuse liée au mécanisme lésionnel ou à la résection ner-
veuse après recoupe en zone saine (la contusion nerveuse est difficile à évaluer,
se basant sur la présence d’un hématome sous l’épinèvre et la palpation du
nerf s’il est en continuité), un manchonnage veineux ou une greffe nerveuse
courte (nerf interosseux postérieur ou branche du nerf cutané latéral de l’avant-
bras) évitent toute suture sous tension. L’enrobement nerveux par plaque de
silicone (3), comme chambre de repousse nerveuse, peut également être utilisé
(alternative aux greffes courtes) pour des pertes de substance du nerf médian
ou du nerf ulnaire à l’avant-bras (zones de moindre mobilité) (fig. 1).
Si la perte de substance est trop importante ou si l’environnement est défa- vorable, un deuxième temps de greffe nerveuse (à partir d’un site opératoire à distance notamment sural) est envisagé. On s’attachera au moins en urgence à rétablir l’orientation globale du nerf (en s’aidant de la vascularisation épi- neurale), à en repérer et à en fixer les deux extrémités au fil non résorbable, pour éviter toute rétraction nerveuse et préserver au maximum la longueur, facilitant ainsi la réparation secondaire.
Reconstruction tendineuse
L’appareil extenseur et les tendons fléchisseurs sont suturés, selon Tsuge au PDS boucle 4/0 ou en cadre selon Kessler modifié pour les fléchisseurs, et les lésions proximales des tendons extenseurs ; surjet de 4/0 ou 5/0 pour les lésions digitales des extenseurs.
Les pertes de substance tendineuse de l’appareil extenseur doivent être répa- rées en urgence dans la mesure où leur couverture est assurée, sans oublier de réparer les lésions de la sangle métacarpophalangienne :
– reconstruction par adossement tendineux (effet ténodèse) en urgence, surtout pour les extenseurs en zone 6 et 7 ;
– plasties de Snow ou de Burkhalter et Aiache pour reconstruire la ban- delette centrale en zone 3 (multiplicité des plasties décrites dans la littérature au niveau des pertes de substance digitale) ;
– plastie de retournement de Foucher pour les grandes pertes de substance en zones 3-4-5 ;
– pour les grandes pertes de substance plus proximales :
• greffes tendineuses en un temps : greffon prélevé sur un doigt banque (4), hémi-fléchisseur radial du carpe, ou long palmaire entiers ou dédoublés en deux bandelettes pour reconstruire deux extenseurs adjacents, notamment dans les mains de portière ;
Fig. 1 – Principe d’enrobement nerveux (veineux ou chambre de repousse).
• ou greffes tendineuses en deux temps si l’atteinte du squelette risque d’en- traîner des adhérences périostées (avec mise en place en urgence de confor- mateurs de Hunter en silicone) ;
– Transfert de l’extenseur propre de l’index pour réanimer une grande perte de substance du long extenseur du pouce.
En cas de perte de substance des fléchisseurs ou de contusion étagée impo- sant une résection :
– si le revêtement cutané est satisfaisant ou qu’une couverture par lambeau est réalisée dans le même temps en urgence, le premier temps de reconstruc- tion s’effectue au mieux : réparation des poulies A2 et A4 et mise en place d’un conformateur en silicone (deuxième temps de greffe tendineuse selon Hunter programmé le plus souvent à trois mois du traumatisme et au minimum huit semaines après celui-ci) ;
– sinon, les deux temps de reconstruction tendineuse sont effectués à dis- tance, ce qui péjore le résultat (risque important d’adhérences).
Il est également important de restaurer les poulies fondamentales du canal digital, A2 et A4.
Couverture cutanée
Le type de couverture, détaillé dans les autres chapitres du livre, est fonction de multiples facteurs :
– facteurs intrinsèques : bases vasculaires et anatomie, siège et profondeur des lésions (un péritendon intact indique une greffe de peau ; une atteinte tendineuse et/ou ostéoarticulaire indique des lambeaux locaux, régionaux, pédiculés ou libres, ou le repositionnement de la peau restante si la vitalité le permet), patient et « tares » associées, notamment tabagisme actif, méca- nisme, etc. ;
– facteurs extrinsèques : lésions associées, notamment patient polytrauma- tisé, habitudes du chirurgien, etc.
Ces facteurs conduisent à poser l’indication d’une simple cicatrisation dirigée (rare, mais qui ne doit pas être considérée comme un abandon thé- rapeutique) jusqu’à la couverture par lambeau libre à l’autre extrême de l’ar- senal thérapeutique (fig. 2).
Conclusion
La prise en charge des traumatismes de la main avec perte de substance plu- ritissulaire s’effectue au mieux en urgence stricte ou légèrement différée avant
« l’orage cicatriciel » et selon le principe du « tout en un temps » décrit par
Foucher, dans le but de faciliter la rééducation et ainsi de minimiser les
séquelles, notamment en termes de raideur articulaire.
Références
1. Michon J, Foucher G, Merle M (1977) Traumatismes complexes de la main, Traitement tout en un temps avec mobilisation précoce. Chirurgie 103: 956-64
2. Le Nen D, Hu W, Genestet M et al. (2004) Ostéosynthèse stable dans le traitement des mains complexes par le « brochage multiple ». Chir Main 23: 100-8
3. Lundborg G, Dahlin LB, Danielsen N et al. (1982) Nerve regeneration in silicone cham- bers: influence of gap length and of distal stump components. Exp Neurol 76: 361-75 4. Foucher G, Braun F, Merle M et al. (1970) Le « doigt banque » en traumatologie de la
main. Ann Chir 34: 693-8
Fig. 2a-d – Homme de 40 ans, droitier, victime d’une « main de portière » gauche, lors d’un accident de voiture. Il présente une perte de substance cutanée étendue de la face dorsale de la main, une perte de substance des tendons extenseurs et une exposition ostéoarticulaire (a).
Le traitement proposé comporte une réinsertion capsuloligamentaire des MCP exposées, la réanimation des extenseurs par suture après dédoublement tendineux (b), la couverture par lambeau inguinal type McGregor à pédicule temporaire (c, d).
b a
c d