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de Venise au XVIIe siècle

3. Les répercussions du renouvellement des effectifs sur l’activité économique

3.3. Des individus incontrôlables

En sortie de formation, les jeunes orfèvres doivent de leur propre chef s’inscrire à la corporation, sous réserve qu’ils possèdent les re-quis demandés. Ils doivent ainsi payer des taxes. S’ils travaillent dans une boutique, le patron a le devoir de s’assurer que ses employés sont en règle, sous peine de recevoir une amende lui aussi. En re-vanche, personne ne veille à l’inscription effective des indépendants, et nombre d’entre eux s’en abstiennent. En 1690, Iseppo Freddi est soumis à une enquête, après avoir tenté de vendre une chaîne à un taux non conforme auprès d’un patron du Rialto. L’enquête établit qu’Iseppo Freddi a effectué une formation en règle auprès de Bastian Doria, mais qu’il ne s’est par la suite jamais inscrit à la corporation. Il exerce pourtant bien la profession, depuis la paroisse de San Piero di Castello, où il réside.53

Iseppo Freddi n’est pas le seul à travailler hors de la corporation.

Les abusifs sont fréquemment fustigés dans les délibérations de la corporation. Entre 1690 et 1693, la Militia del Mar vérifie de façon approfondie les effectifs de la corporation, afin d’améliorer la levée des taxes. Cette campagne s’accompagne de contrôles et d’amendes.

De fait, les nouvelles inscriptions à la corporation sont anormale-ment élevées au cours de ces années.54 Certains nouveaux membres sont d’anciens apprentis, qui s’inscrivent pour la première fois, mais d’autres sont visiblement actifs depuis plusieurs années. Anzolo Brunello s’inscrit en 1693 à l’âge de 33 ans. S’il a, comme les autres, achevé son apprentissage entre 17 et 20 ans, il travaille sans doute depuis plus d’une décennie en abusif, tout comme Piero Moran, du même âge. Les archives paroissiales permettent également de re-trouver des orfèvres abusifs qui travaillent sans être inscrits. Marco Foster s’inscrit à la corporation en 1692 mais l’année précédente, il s’était déjà défini comme orfèvre lors du baptême de son fils. En

ré-53. BMCVe, Mariegola 139, f.° 136v.

54. ASVe, Milizia da Mar, b. 548, oresi, Rollo 1693, « nomi delli lavoranti che sono entrati in scola dell’anno 1690 sin l’anno 1693, quali sono di questi si ritrovace-vano garzon ».

alité, les faits sont probablement plus anciens encore. Fils d’orfèvre, âgé de 38 ans au moment de son inscription, Marco Foster travaille probablement aux côtés de son père au moins depuis sa jeunesse.55

Parmi les inscriptions rétroactives, se trouvent beaucoup d’étran-gers. Daniel Henrico, âgé de 33 ans, Beniamin Ringanuer, âgé de 34 ans, Tobia Gugliemar, âgé de 40 ans s’inscrivent tous les trois en 1693. Nous voyons aussi deux membres d’une même famille régulariser ensemble leur situation, comme Anzolo et Paolo Cortesi, âgés respectivement de 45 et 26 ans, sans doute le père et le fils, qui rejoignent tous les deux la corporation en 1693, probablement le même jour car leurs noms se suivent sur la liste.

Le nombre de ces inscriptions rétroactives et la diversité des fils fournissent une idée des effectifs abusifs, qui exerçaient la pro-fession avant cette date, de façon illégale.

Conclusion : la réforme de l’apprentissage et de la profession A l’issue de cette présentation, le constat le plus frappant est ce-lui de la diversité dans les contrats dits d’apprentissage. Malgré leur apparente homogénéité, ces quelques lignes des Accordi dei Garzoni documentent des situations très variées. Ces actes contiennent des informations fondamentales pour la compréhension de la profession, de la transmission des connaissances et de l’activité économique.

La transmission des connaissances n’est pas l’unique moteur des contrats d’apprentissage. La recherche d’une main d’œuvre docile et à bon marché justifie aussi la conclusion d’un grand nombre de contrats. Ce souci double et parfois supplante toute volonté de for-mation.

55. Marco Foster est né en 1655 : ASPVe, San Zuan di Rialto, Battesimi 2, f.° 86 et il est le fils d’un orfèvre, Giacomo Foster, qui était pour sa part légitimement inscrit à la corporation : ASVe, Milizia da Mar, b. 548, oresi, Rollo 1672, lettre G. Les deux fils de Giacomo, Marco et Zuanne, sont orfèvres et se déclarent comme tels dans les archives paroissiales, mais ils ne sont pas pour autant inscrits à la corporation. Voir ré-ciproquement ASPVe, San Zuan di Rialto, Battesimi 2, f.° 77 et Santa Maria Formosa, Matrimoni 8, p. 163. Seul Marco régularise sa situation en 1692, Zuanne reste abusif.

De façon certaine, le choix du maître et la rédaction du contrat fixent déjà considérablement le devenir du futur apprenti. Certains sont presque irrémédiablement orientés vers des activités de service ou de vente pure, à la marge de l’artisanat. D’autres, sans doute très nombreux, orientés vers l’exécution pour constituer les équipes d’employés des décennies à venir. Seuls certains d’entre eux pour-ront effectivement faire des choix conscients concernant leur deve-nir professionnel. A l’heure de leur inscription, les jeunes apprentis, ou leur garant, ne possèdent pas toujours les clefs de compréhension pour faire le bons choix et surtout éviter les différents écueils.

Une fois le contrat rédigé, le futur n’est pas scellé pour autant.

D’autres éléments doivent se dessiner peu à peu au fil de l’appren-tissage. Liés aux compétences de l’élève, au rapport avec son maître, à la relation qui se noue jour après jour derrière le comptoir, ceux-ci nous échappent presque entièrement.

Cette étude pose surtout la question de l’insertion profession-nelle. Généralement décrite comme très basse, celle-ci est fortement tributaire des sources disponibles, qui varient d’une corporation à l’autre. Même si un individu n’est plus jamais mentionné, il peut parfaitement mener une carrière stable et personnellement satisfai-sante, par exemple dans une boutique. Les listes de noms fournies par les corporations, quand elles existent, ne documentent souvent qu’une partie des effectifs réels.

Assurément, les orfèvres, qui peuvent ouvrir boutique et prendre des apprentis sans avoir passé la preuve de l’art constituent une ex-ception dans le paysage corporatif vénitien. Ils ne sont pas néces-sairement les seuls à agir ainsi,56 et cette spécificité, en tous les cas, ne nuit pas à l’applicabilité des résultats. En effet, même quand la

56. Les recherches menées dans le cadre du projet “ Garzoni ” ont recensé par pro-fessions tous les contrats d’apprentissage conclus à Venise au cours des trois derniers siècles de la République. Deux corporations, les orfèvres et les spechier (fabricants de miroirs) en font un usage tout à fait exceptionnel, loin devant les autres professions.

Il serait intéressant de savoir si chez les spechier aussi, les lavoranti pouvaient engager des apprentis. Cela pourrait expliquer une telle abondance d’apprentis.

preuve de l’art est nécessaire pour ouvrir les boutiques, les infrac-tions ne manquent pas, et les mêmes circuits existent probablement dans de nombreuses corporations.

La dissociation entre lieux de production et lieux de vente constitue un autre thème très intéressant. Cette organisation est favorisée d’une part par l’urbanisme vénitien, où les espaces directement en contact avec les flux de circulation sont très prisés, tandis que des lieux se-condaires doivent être valorisés d’une autre manière  ; d’autre part par l’évolution économique et sociale. La disparition des lois somp-tuaires, qui ne sont plus mentionnées après l’épidémie de peste de 1630, permet à l’ensemble de la population vénitienne d’accéder dé-sormais aux bijoux et aux petits objets de la vie quotidienne en métal précieux, qui se multiplient. Face aux grandes créations d’orfèvrerie, elles nécessitent un savoir-faire bien moindre et de fait, possèdent une valeur ajoutée bien inférieure. Les orfèvres voient donc leur marge diminuer inexorablement, leur niveau de vie en souffrir. La figure du maître, patron de boutique, dirigeant son équipe et réalisant ses produits, se fait plus rare, tandis que se diffuse celle de l’ouvrier en orfèvrerie. En outre, ces objets échappent beaucoup plus facilement aux lois. A cette époque, la corporation tente – encore et toujours – de se défendre contre la présence de Juifs dans la profession, mais alors même que la production se dissocie de la vente et se déroule dé-sormais dans des lieux banalisés, cela devient de plus en plus difficile.

A la fin du siècle, entre en jeu un autre protagoniste, la Monnaie, qui depuis le Moyen Âge, veille à la conformité des objets produits par les orfèvres. La multiplication des professionnels, la dissocia-tion des lieux de producdissocia-tion et de vente, compliquent l’applicadissocia-tion des lois. Quelques fraudes spectaculaires, associées à des répressions violentes, durcissent le dialogue entre l’Etat et les orfèvres, déjà fra-gilisés par l’évolution de leurs pratiques professionnelles. Dès lors, la Monnaie demande et obtient du Sénat une réforme générale de l’orfèvrerie. Celle-ci, à la fin du siècle, modifie définitivement le fonctionnement de la corporation.

En 1686, selon une décision de la Giustizia Vecchia, tout orfèvre, qu’il soit maître ou lavorante, ne peut plus former qu’un apprenti à la fois. Cette décision, déjà imposée à d’autres corporations véni-tiennes, a bien sûr pour conséquence de limiter le nombre d’orfèvres qui arrivent sur le marché tous les ans.57 Vu l’ampleur des effectifs et la multiplicité des lieux de production et de vente, seule, cette réforme ne peut suffire. En 1687, le Conseil des Dix interdit donc le travail en chambre. Il s’assure ainsi une limitation des lieux de pro-duction et surtout, une visibilité, toutes les boutiques étant néces-sairement ouvertes sur l’espace public.58 L’application de cette déci-sion, en rupture totale avec l’évolution en cours, n’a certainement pas été aisée, ni d’ailleurs complète. L’année suivante, en 1688, la Giustiza Vecchia limite la tenue des boutiques aux maîtres, titulaires de la preuve de l’art.59 Là encore, cette réforme reprend l’organisa-tion de nombreuses corporal’organisa-tions vénitiennes. De cette manière, la magistrature limite le nombre de boutiques qui peuvent potentiel-lement s’ouvrir et surtout, contient la croissance de la profession.

La succession rapide de réformes montre bien la vigueur de la crise que traverse alors l’orfèvrerie. Cette période se termine lors d’une dernière réforme, en 1690, qui interdit enfin aux lavoranti d’embaucher des apprentis.60 Ceux-ci ne peuvent donc plus les utili-ser comme des employés pratiquement gratuits et doivent en référer, pour leurs besoins en sous-traitance, à leurs collègues indépendants comme eux, comme le règlement le précise littéralement. L’appren-tissage retrouve donc sa fonction première, celle de transmettre les connaissances et de former les professionnels des générations à ve-nir. Du moins en est-il ainsi sur le papier, car dans la réalité, nul doute que l’application de ces réformes n’a pas dû être aisé.

57. ASVe, Miscellanea stampe magistrati veneti antichi, b. 112. Malgré son impor-tance, cet acte n’a pas été recopié dans le registre de délibérations de la corporation.

58. BMCVe, Mariegola 139, f.° 131.

59. Ivi, f.° 132.

60. Ivi, f.° 133.

Apprenticeship of Painters in the Guild Regulations