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« Le philosophe et le narrateur. L’image du philosophe dans la nouvelle italienne du Moyen-Age »

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(1)

L. Badini Confalonieri (éd), Perspective Franco–Italiennes/Prospettive Italo-Francesi, 109 Séminaires du CEFI 2000–2002, Roma, Aracne, 2005, pp. 109-122.

L

A REPRESENTATION DU PHILOSOPHE DANS LA NOUVELLE ITALIENNE DU

M

OYEN

A

GE*

.

Luca Badini Confalonieri

L’inutile, cet élément vital …

VOLTAIRE

Introduction

Ni la pensée philosophique dans sa construction théorique, ni les allégories de la Philosophie ne feront l’objet de notre travail. Il sera consacré à la représentation du philosophe. L’intérêt pour le philosophe plutôt que pour la philosophie comme théorie en soi s’attache aux conséquences qu’elle entraîne dans la vie, à ses retombées sur l’existence du philosophe. En effet, c’est la scolarisation de l’enseignement philosophique qui semble avoir porté, à partir des universités médiévales, à le considérer surtout comme une théorie. Les travaux de A. M. Malingrey, A.–J. Voelke, P. Hadot, J. Domaski ont insisté sur l’importance du caractère psychagogique et thérapeutique de la philosophie antique, sur sa finalité pratique et morale, sur le fait qu’elle est non seulement une théorie mais avant tout un mode de vie1.

*

Je reproduis ici l’introduction et le premier chapitre d’un cours consacré à la représentation du philosophe dans la nouvelle italienne du Moyen Age à la Renaissance.

1

Cf. sur ce thème: E. R. CURTIUS, “Zur Geschichte des Wortes Philosophie im Mittelalter”, in Romanische Forschungen, 57 (1943), p. 290–309. L’étude a été reprise dans le chapitre XI (Poésie et philosophie) de La littérature européenne et le Moyen Âge latin (2e éd. allemande, 1953), trad. de l’allemand par J. Bréjoux, Paris, P.U.F., 1956 (cf. particulièrement les paragraphes 2 à 4, p. 333–341); A.–M. MALINGREY, Philosophia. Étude d’un groupe de

mots dans la littérature grecque, des Présocratiques au IVème siècle après J.–C., Paris,

Klincksieck,1961; P. COURCELLE, La consolation de la philosophie dans la tradition

littéraire. Antécédents et postérité de Boèce, Paris, Études Augustiniennes, 1967; ID.,

Connais–toi même de Socrate à Saint Bernard, Paris, Études Augustiniennes, 1975; P.

HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, 3e édition revue et augmentée, Paris, Études Augustiniennes, 1993; ID., Qu’est–ce que la philosophie antique?, Paris, Gallimard, coll. Folio–Essais, 1995; ID., Éloge de la philosophie antique, Paris, Allia, 1998 (réédition, avec des mises à jour, de la leçon inaugurale au Collège de France du 18 février 1983, déjà reprise dans l’éd. citée de Exercices spirituels et philosophie antique); A.–J. VOELKE, La

philosophie comme thérapie de l’âme. Études de philosophie hellénistique, préface de P.

(2)

Une anecdote, destinée à un grand succès, est attribuée par Socrate, dans le Théétète de Platon, à Thalès de Milet2:

à Thalès qui, occupé à mesurer le cours des astres, […] et regardant en l’air, était tombé dans un puits, une servante thrace fit cette plaisanterie, parfaitement dans la note et bien tournée: que dans son ardeur à savoir ce qu’il y a dans le ciel, il ignorait ce qu’il y avait devant lui, même à ses pieds.3

Un épisode semblable avait déjà été raconté par Esope (VIème siècle)4:

mais le personnage savant (un astronome) n’avait pas un nom précis. Dans la page de Platon, avec l’attribution du fait à Thalès, le premier philosophe dont le nom soit connu, l’anecdote se charge d’un sens plus fort et même paradigmatique. Remarquable, surtout si l’on pense à la longue réception de l’anecdote, est aussi le fait que la part du “bon sens”, le sentiment du concret soit représenté par une femme, la servante thrace5 (alors que dans la fable

d’Esope il s’agissait seulement de “quelqu’un qui passait par là”).

Comme l’on peut facilement l’imaginer, il s’agit d’une anecdote que l’on peut traiter dans deux directions: l’apologie du philosophe ou l’apologie de la petite servante, la critique d’un savoir métaphysique de la part d’un laudateur d’un savoir concret ou à l’inverse la critique de l’étroitesse et de la mesquinerie des “hommes pratiques” de la part d’un défenseur de la pensée. En réalité, même en acceptant que le philosophe soit le personnage qui mérite les critiques, ces dernières peuvent être très différentes voire opposées. Un penseur empiriste ou matérialiste peut se servir de l’histoire pour représenter la stupidité d’une pensée métaphysique, tandis qu’un penseur soucieux de l’orthodoxie religieuse peut y voir représentée la présomption d’une raison qui dépasse ses limites légitimes pour poser des questions interdites. Mais l’accident survenu à Thalès peut être lu également comme la preuve de la stupidité d’un intérêt seulement naturel et physique,

philosophie, théorie ou manière de vivre? Les controverses de l’Antiquité à la Renaissance,

avec une préface de P. Hadot, Fribourg (Suisse), Editions Universitaires – Paris, Cerf, 1996.

2

Thalès (fin VIIème siècle – début VIème siècle av. J. C.) était compté parmi les Sept Sages de la Grèce. Milet (Milètos) est un ville commerciale située face à Athène, sur la côte orientale de la mer Egée, dans l’actuelle Turquie. Là sont nés non seulement la première école philosophique de la Grèce mais également l’auteur du premier recueil de fables, Aristide (IIIème siècle – IIème siècle av. J. C.).

3

PLATON (427–347 a. C.), Théétète, 174a, traduit par M. Narcy, Paris, Flammarion, 1994, p. 206. D’autres traductions de ce texte appliquent les qualifications positives (jolie, plaisante) non à la plaisanterie, comme M. Narcy, mais à la servante thrace. L’édition préparée par Narcy est à recommander également pour l’importante introduction et le riche apparat de commentaires.

4

Cf. ESOPE, Fables, texte établi et traduit par E. Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1927, n. 66, “L’Astronome”. Voir également J. de LAFONTAINE, Fables, II, 13.

5

(3)

d’une application exclusive aux choses extérieures et lointaines en oubliant ce qui vraiment est important, la connaissance de soi–même, l’âme, le salut. Dans ce sens l’on peut se rappeler un passage de l’Éthique à Nicomaque6,

dans lequel Aristote, en faisant allusion à Thalès (même s’il ne se réfère pas explicitement à cette anecdote7), distingue la volonté d’être savants (sophoi),

typique des philosophes de la nature comme justement Thalès, de la volonté d’être sages (phronimoi). La sophia des premiers serait une connaissance de choses “inutiles” pour l’homme, tandis que la deuxième forme de connais-sance, la phronesis, serait relative aux choses humaines sur lesquelles il est possible de délibérer.

Au succès de cette petite histoire, le philosophe allemand Hans Blumenberg8 a consacré en 1987 un livre, qui a été traduit en italien, mais

non en français9. Il étudie sa présence dans toute la tradition de la pensée

occidentale, de Platon à Aristote et à Tertullien, de Copernic à Bacon et à Bayle, de Kant à Feuerbach et à Heidegger. H. Blumenberg ne considère guère cependant (exception faite pour un texte de Chaucer, qu’il n’interprète

6

VI, 7, 1141 b.

7

Pour J. TAMINIAUX (La fille de Thrace et le penseur professionnel. Arendt et Heidegger, Paris, Payot, 1992, p. 11) Aristote fait là une “allusion à la fille de Thrace”. H. Blumenberg, dans le livre dont on parlera plus loin (Il riso della donna di Tracia, p. 28–30), ne donne pas pour sûre la connaissance, par Aristote, de l’anecdote du Théétète (et même de la fable d’Esope).

8

Né à Lubeck en 1920, il a enseigné la philosophie aux universités de Kiel, Hambourg, Giessen, Bochum et Münster. Il est mort le 28 mars 1996. Parmi ses ouvrages: Paradigmen zu

einer Metaphorologie, Bonn, 1960 (trad. it. Bologne, 1969); Die Legimität der Neuzeit,

Frankfurt a. M., 1966 et 1988 (trad. it. Genova, 1992); Wirklichkeiten in denen wir leben, Stuttgart, 1981 (trad. it. Milano, 1987); Arbeit am Mythos, Frankfurt a. M., 1979 (trad. it. Bologne, 1991); Die Lesbarkeit der Welt, ibid., 1981 (trad. it. Bologne, 1984); Naufragio con

spettatore, Bologne, 1985; L’ansia si specchia sul fondo, ibid., 1989; Matthäuspassion,

Frankfurt a. M., 1988 (trad. it. Bologne, 1992); Höhlenausgänge, ibid., 1989. Posthumes: Die

Vollzähligkeit der Sterne, Frankfurt a. M., 1997; Begriffe in Geschichten, ibid., 1998; Lebensthemen, Stuttgart, 1998.

9

H. BLUMENBERG, Das Lachen der Thrakerin. Eine Urgeschichte der Theorie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1987: Il riso della donna di Tracia: Una preistoria della teoria, trad. it. par B. Argenton, Bologna, Il Mulino, 1988. Mais cf. déjà ID., “Der Sturz des Protophilosophen”, in Poetik und Hermeneutik, vol. VII: Das Komische, herausg. W. Preisendanz und R. Warning, München, Fink, 1976: La caduta del protofilosofo o la comicità

della teoria pura (Storia di una ricezione), trad. it. de P. Pavanini revue par S. Bortoli, Parma,

Pratiche, 1983. On relèvera, pourtant, la lourdeur constante et souvent l’obscurité de ces deux traductions. Quant au fait que l’«opposant» du philosophe soit une femme, Blumenberg affirme qu’il s’agit là d’un caractère non essentiel, en indiquant que, dans des variantes plus tardives, il peut même être un homme. A. CAVARERO est d’un avis différent (“La servetta di Tracia”, in Nonostante Platone. Figure femminili nella filosofia antica, Roma, Editori Riuniti, 1990, p. 33–58). Il me semble que l’analyse de la tradition des contes, ignorée par H. Blumenberg comme par A. Cavarero, confirme, comme on va le voir, le caractère non fortuit de cette opposition.

(4)

pas de façon correcte10) le rôle de cette anecdote dans le patrimoine narratif

de l’Occident et notamment dans la riche tradition de la nouvelle italienne. C’est à l’étude de la représentation du philosophe dans cette tradition, du Moyen Âge à la Renaissance, que cette recherche est consacrée.

Naturellement, même chez les philosophes, il s’agit là en premier lieu de l’évocation d’une histoire (et Blumenberg est un philosophe particulièrement attentif à la valeur irréductible des mythes, des histoires). Mais pour ceux–ci, normalement, elle est évoquée sous une forme très synthétique et souvent figée. Ce qui compte pour eux c’est la méditation, la morale qu’ils peuvent en tirer. Le monde de la narration est par contre le lieu où — quoique d’abord très timidement — l’auteur ajoute des annotations particulières, la vie naît, renaît dans toute sa richesse… Notre attitude de critiques littéraires se voudra donc, dans ce parcours, la plus souple possible et ouverte à la richesse de ces multiples rencontres.

I. De l’anecdote à la narration.

Le seul exemple italien présent dans le livre de H. Blumenberg, tiré des Ore di ricreazione de Lodovico Guicciardini (Florence, 1523 – Anvers, 1589), n’est qu’un témoignage tardif d’une large diffusion de l’anecdote de Thalès dans la culture italienne, même à un niveau bas et “populaire”.

En effet les Ore, publiées à Anvers en 1583 (dernière édition préparée par L. Guicciardini lui–même: différentes dans leur composition les éditions Venise 1565 et Anvers 1568), ne sont pas proprement un texte narratif “d’auteur” mais un recueil, qui ne vise pas à l’originalité, d’«apoftegmati, apologi, parabole, facezie, conti, esempli, proverbi e motti leggiadri e sentenziosi, tendenti a moral piacevolezza, condita d’utilità»11. L’ouvrage eut

quelques soixante–dix impressions avant la fin du XVIIème siècle, pour être ensuite presque oubliée.

Voici le texte en question:

10

Cf., ci–dessous, la partie consacrée à l’interprétation du conte de Chaucer. Blumenberg fait également référence, comme on va le voir, aux Ore di ricreazione (qu’il attribue à “Francesco” Guicciardini, tandis qu’elles sont l’ouvrage de son neveu Lodovico), à Gaspar Schober (texte latin: Venise, 1520) et aux traductions des Vitae de Diogène Laërce.

11

Cf. L. GUICCIARDINI, L’ore di ricreazione, a cura di Anne–Marie van Passen, Roma– Leuven, Bulzoni–Leuven University Press (“Europa delle corti”. Centro studi sulle società di antico regime. Biblioteca del Cinquecento, 49), 1990, p. 30 (Avviso al lettore). Sur cette éd. cf. M. POZZI, “Rassegna di studi rinascimentali. II”, in Giornale storico della Letteratura

(5)

I professori del futuro ignorar quasi sempre il presente.

Un astrologo contemplando e squadrando il cielo, cadde in una fossa. Il che veduto la moglie disse: “Egli ti sta molto bene, poiché tu vuoi vedere e sapere quel che è in cielo e non vedi e non sai quel che tu hai innanzi a’ piedi”.12

Se passant du nom du philosophe, pourtant présent dans les occurrences de l’anecdote dans d’autres recueils des Facetie comme celles de Lodovico Domenichi (Plaisance, 1515 – Pise, 1564)13 ou de Lodovico Carbone

(Ferrare, 1435 – c. 1482)14 et, naturellement, dans les Vitae de Diogène

Laërce (I, 33), ce texte semble se relier à la tradition ésopienne, mais l’opposant du protagoniste est pourtant désigné comme une femme, et même, plus précisément, sa femme (“la moglie”).

Ce n’est pas cependant sur une répétition inerte (ou presque) de la petite anecdote, que nous voulons arrêter notre attention mais plutôt sur la tradition plus proprement narrative, même si son développement est, surtout aux origines, étroitement lié aux recueils figés d’anecdotes.

Dans un ordre chronologique, le premier recueil qui retient notre attention est Fiori e vita di filosafi e d’altri savi e d’imperatori15, un texte

d’auteur inconnu écrit entre 1271 et 1275, qui est un abrégé en langue vulgaire des Flores historiarum d’Adam de Clermont (Adamus Claro-montensis)16, qui sont, à leur tour, un abrégé, intégré avec excerpta d’autres

auteurs, du Speculum historiale de Vincent de Beauvais (Vincentius Bellovacensis)17. Si l’on pense, en plus, qu’il nous serait possible de

12

Ibid., p. 56. H. Blumenberg cite de l’éd. Venise 1566 (Detti et fatti piacevoli et gravi di diversi principi, filosofi et cortigiani, p. 27).

13

Cf. L. DOMENICHI, Facetie et motti arguti, Venise, 1548, c. [62] r (“Talete contemplando…”).

14

Cf. L. CARBONE, Facezie, a cura di A. Salza, Livorno, 1900 (“facezia” n. XXIX, sur “Talete da Milete”). Cf. également G. GAST, Convivialium sermonum liber …, Q 1v–Q 2r (sur “Thales philosophus”).

15

Le titre, qui corrige légèrement celui donné à l’ouvrage par H. Varnhagen (qui se termine savii ed imperadori), est celui qui lui a été attribué dans l’édition critique préparée par A. D’Agostino (Florence, La Nuova Italia, 1979), à laquelle nous renvoyons.

16

Inédits dans leur intégralité, les Flores historiarum, qui parlent de l’histoire universelle des origines jusqu’à 1268, furent terminés en 1270 et envoyés au pape Grégoire X fin 1271.

17

Le Speculum historiale constitue la troisième partie d’un ouvrage monumental, le

Speculum maius, les deux autres étant le Speculum naturale et le Speculum doctrinale.

L’ouvrage était probablement accompli avant 1253. L’on dispose d’une réédition anastatique (Graz, Akademische Druck–u. Verlagsanstalt, 1965) de l’édition plus récente, celle des bénédictins de Douai, de 1624 (mais il faut se méfier de ses citations des classiques, souvent corrigées par les bénédictins sur la base des éditions d’usage et donc non utilisables pour l’étude de la tradition médiévale). L’editio princeps a paru à Strasbourg, chez Johannes Mentellin, en 1473–1476.

(6)

continuer (le Speculum étant un recueil encyclopédique qui reprend d’autres textes, d’auteurs anciens et modernes: l’Historiale reprend par exemple, bien que, contrairement à ses habitudes, sans l’indiquer explicitement, le Liber philosophorum moralium antiquorum, qui reprend à son tour les Bocados de oro, qui ne sont qu’une traduction castillane du XIIIème siècle d’un recueil arabe, le Mokhtâr el–Hikam de Abu’l Wefa, écrit en 1053, qui utilise l’Adab al–Falasifa de Honain, du IXème siècle …18) on comprend que, là aussi, ce

n’est pas la “fonction auteur” comme elle a été définie bien plus tard qui est en jeu. Il faut cependant se rappeler que dans la culture du Moyen Age le traducteur, quand il a affaire aux textes narratifs, se sent très libre, et réécrit à son goût, ajoute des détails etc19. Même les copistes de ce type d’écriture

— V. Branca l’a démontré pour le Decameron dans une étude célèbre20

ont souvent une attitude “créative”.

Le recueil en question est constitué par une juxtaposition presque constante entre une partie de brève présentation ou bien d’anecdote sur le personnage (Vita) et une partie de pensées choisies (fiori). Les personnages sont des philosophes (Pythagore21, Démocrite, Empédocle, Socrate, Platon,

Diogène, Aristote, Epicure, Théophraste, Caton, Cicéron, Salluste, Varron, Sénèque, Quintilien, Secundus), des sages (Valerius, Torquatus, Hippocrate, Papirius, Scipion l’Africain, Plaute, Stace, Origène) et des empereurs (César, Auguste, Trajan, Adrien).

Lisons la première partie, celle consacrée à la Vita, du texte relatif au septième personnage, Socrate:

Socrate fue grandissimo filosafo in quel temporale. E fue molto laido uomo a vedere, ch’elli era piccolo malamente, el volto piloso, le nari ampie e rincazzate, la testa calva e cavata, piloso il collo e li omeri, le gambe sottili e ravolte. E avea due mogli in un tempo, le quali contendevano e garriano molto spesso perché ‘l marito mostrava amore oggi più all’una e domane più all’altra. E questi, quando le trovava garrire, sì le innizzava per farle venire a’ capelli e faceasine beffe, veggendo ch’elle contendeano per così sozzissimo uomo. Sì che un giorno, faccendo questi beffe di loro, che si traeano i capelli, quelle in concordia si lasciaro e vengorli indosso e méttolosi sotto e pélallo,

18

Cf. E. FRANCESCHINI, “Il ‘Liber philosophorum moralium antiquorum’ ” (1930), maintenant dans ID., Scritti di filologia latina medievale, Padue, Antenore, 1976, 2 volumes, vol. I, p. 109–165.

19

Cf. Volgarizzamenti del Due e Trecento, a cura di C. Segre, Turin, Utet, 1953, p. 63.

20

Cf. V. BRANCA, “Copisti per passione, tradizione caratterizzante, tradizione di memoria”, in Studi e problemi di critica testuale, Convegno di studi di filologia italiana nel centenario della Commissione per i testi di lingua, Bologna, Commissione per i testi di lingua, 1961.

21

(7)

sì che di pochi capelluzzi ch’egli avea no li ne rimase uno in capo. E quelli lievasi e viene fuggendo e quelle co li bastoni battendolo tante li diedero che per morto il lasciaro. Sì che allora si partìo con aliquanti discepoli e andonne in uno luogo campestro e remoto da le genti per potere meglio studiare.22

Par rapport aux sources latines (le Speculum historiale et les Flores historiarum ici coïncident23

), l’auteur des Fiori ajoute des traits caricaturaux, soulignant la laideur du philosophe. Voici le texte du Speculum: “Socrates … duas habebat uxores, quae cum crebro inter se jurgarentur et ille eas solitus esset irridere quod propter se, fedissimum hominem, simis naribus, recalva fronte, pilosis humeris, repandis cruribus disceptarent, novissime verterunt in eum impetum et male mulctatum, fugientemque diu persecute sunt.”.

L’on peut s’arrêter sur trois aspects.

Tout d’abord, justement, la laideur. Elle est traditionnellement une source privilégiée de ridicule. Les réflexions d’Aristote relatives à l’a«isco~ (Poétique, 1449a) et celles de Cicéron et de Quintilien sur la «turpitudo» et la “deformitas” (De oratore, II, 236; Institutio oratoria, VI, 3, 8), souvent reprises dans les traités de la Renaissance, seront à la base de la représentation satirique du “pédante” dans la comédie du XVIème siècle24. Le ridicule est sans

doute présent également dans notre texte. D’ailleurs le Speculum historiale, dans l’édition que j’ai sous les yeux, écrit à côté du passage sur Socrate et ses deux femmes: “Plato etiam in Dialogis iudicat Socratem fuisse ridicula specie corporis”. Mais le sens de ce ridicule n’est pas la dérision négative des comédies qu’on a évoquée. Déjà dans le Théétète — l’on reviendra sur le contexte du passage relatif à Thalès — le philosophe est considéré comme ridicule par qui vit d’une façon tout à fait différente de lui. Mais c’est surtout dans le Banquet que Platon nous donne la clé de ce ridicule. Alcibiade y décrit l’atopia de Socrate, son “extra–vagance”, pour le comparer enfin, comme on le sait, à une statuette de Silène, laide et grossière de l’extérieur, mais dorée et d’une beauté inexprimable à l’intérieur. En fait, Socrate est en relation

22

Ed. D’Agostino cit., p. 116–119.

23

Entre eux comme, à peu près, avec la traduction latine de Diogène Laërce par W. BURLEY (Gualterus Burlaeus) (1275–1345), Liber de vita et moribus philosophorum, éd. H. Knust, Tübingen, 1886 (rist. Frankfurt a. M., 1964), p. 116. Comme l’a indiqué D’Agostino (ibid., p. 51–53), le texte de quelques manuscrits anciens des Vite dei filosofi (la traduction italienne du texte de Burley) est influencé, dans le récit relatif à Socrate, par les adjonctions des Fiori.

24

Cf. A. STÄUBLE, “Parlar per lettera”. Il pedante nella commedia del Cinquecento e

(8)

profonde avec quelque chose de divin et de démonique (cf. Apologie de Socrate, 31 d), qui dépasse l’existence quotidienne25.

L’auteur des Fiori e vita se concentre seulement sur cette anecdote (qui amplifie comme la représentation clé de l’attitude paradoxale du philosophe) avant de passer aux sentences, tandis que le Speculum historiale (mais il faudrait voir là les Flores historiarum) continue avec d’autres: celui de la “pluvia socratica” par exemple26, qui donne déjà pourtant une réponse de

Socrate et donc une sentence. Sentence elle même paradoxale, où l’on voit l’humour calme et la tranquille ironie de Socrate sur son propre savoir, un savoir que ne lui a pas permis de se préserver d’une pluie désagréable: “sciebam inquit futurum, ut ista tonitrua imber sequeretur”. Selon Juliusz Domaski l’atopia des philosophes, chez les doxographes anciens, surtout Diogène Laërce (qui n’utilise pourtant jamais le mot), se présente non seulement dans des détails biographiques mais, “de façon encore plus claire, à travers leurs apophtegmes”: “Le noyau de l’apophtegme, surtout de l’apo-phtegme philosophique, c’est le paradoxe, inséparable de l’atopia des philosophes”27. C’est en effet la direction que prennent souvent les sentences

de Socrate et des autres philosophes dans les Fiori.

Mais, comme nous le disions, notre auteur se concentre d’abord, avec une attention narrative nouvelle, sur l’anecdote relative aux rapports de Socrate

25

Cf. Banquet, 215a–b; 216d. Sur l’atopia de Socrate cf. P. HADOT, Exercices spirituels

et philosophie antique, Paris 1987, p. 95–96 et 102–104 et également la lecture nietzschéenne de U. GALIMBERTI, introduction à PLATONE, Simposio, Milan, Feltrinelli, 1998, p. 11–16. Sur la représentation de Socrate laid et sous le masque de Silène dans l’art ancien cf. I. SCHEIBLER, “Zum ältesten Bildnis des Sokrates“, in Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, s. 3, XL (1989), pp. 7–33 et surtout P. ZANKER, Die Maske des Sokrates. Das Bild des

Intellektuellen in der antiken Kunst, München, Beck, 1995 (trad. it. Turin, Einaudi, 1997): cf.

notamment, dans ce dernier, le dernier paragraphe du chap. I (trad. it. p. 35–44), avec entre autres le renvoi à Tersite (Iliade, II, 212 suiv.) et les images d’Esope, d’un philosophe et d’un Silène.

26

“Quodam autem tempore cum infinita conuitia ex superiori loco ingerenti Xantippae restitisset, aqua persusus immunda, nihil amplius respondit, quam capite deterso, sciebam inquit futurum, ut ista tonitrua imber sequeretur.”. Présent également dans le Liber de vita et moribus

philosophorum, l’épisode se transmet de façons différenciées dans la tradition des Vite dei filosofi: deux manuscrits le sautent; les éditions Florence et Venise 1480 et Venise 1526

donnent: “E ritornando poi Xantippa, una delle moglie, gli buttò in sulla testa (éd. 1526: sopra della testa) una quantità de acqua sporca; per la quale essendo Socrate tutto imbratato, scuotendosi niente altro disse se non: Io sapeva bene che naturalmente dopo gli tuoni viene l’acqua.”; tandis que le manuscrit A 196 inf. de la Bibliothèque Ambrosiana explique de la sorte: “E un’altra volta essendo la decta Santipe su uno solaro e Socrate era di sotto la detta Santipe, cominciaro a trare di grande petti e dietro ai petti conminciaro a pissiare in sul capo al detto Socrate. El decto Socrate avendo tuto il capo bagnato di pissio, non disse altro se non: Io sapeva bene che drieto a tai troni doveva seguire cotal rosata.” (cf. éd. d’Agostino, p. 53, note).

27

(9)

avec ses deux femmes28. Ce que l’on remarquera alors, en deuxième lieu, c’est

l’importance de cette opposition entre le philosophe et la femme, qui est un autre trait jouissant d’une “longue durée” dans la représentation du philosophe. Ce qui est significatif (on le retrouvera encore, au XVIème siècle, chez Casti-glione) c’est le caractère non verbal mais “physique” des expressions et du comportement des femmes. Déjà au début, elles “garriano”, avec les cris aigus des oiseaux (et, plus bas: “le trovava garrire”), mais aussi elles “vengon” entre elles “a’ capelli” et encore, plus bas, “si traeano i capelli”. Surtout, elle réagissent physiquement et non verbalement, littéralement comme des furies, à la dérision de Socrate, d’abord avec une tonsure radicale (“e vengorli indosso e méttolosi sotto e pélallo, sì che di pochi capelluzzi ch’egli avea no li ne rimase uno in capo”), après avec une cure énergique de coups de bâton (“E quelli lievasi e viene fuggendo e quelle co li bastoni battendolo tante li diedero che per morto il lasciaro”). Quant à Socrate, il est remarquable, là aussi, par l’ironie sur lui–même (“faceasine beffe, veggendo ch’elle contendeano per così sozzissimo uomo”) et par le caractère de son intelligence et de son savoir, qui non seulement n’est pas en mesure de lui éviter des mésaventures mais, bien au contraire, est tout à fait apte à les provoquer.

Le troisième aspect à considérer concerne le rapport du philosophe avec la civitas. La conclusion du récit des Fiori est en harmonie avec ce que le même recueil dit de Platon: “Si partìo e andonne con suoi discepoli in Academia, in una villa di lungi a città, non solamente diserta, ma pestilente, acciò che l’asperità del luogo rompesse la volontà de la lussuria de la carne”29. Comme l’a bien dit F. Bruni: “Questi nomi della lontana antichità

[c’est–à–dire Socrate et Platon] finivano per adattarsi a un diverso codice di comportamenti, quello monastico della Tebaide, remoto ma ravvivato almeno dalle arti figurative”30. En d’autres termes, le philosophe ancien est

interprété par l’auteur des Fiori, qui participe désormais d’une culture qui, avec l’efflorescence des villes, a vu la naissance d’un intellectuel urbain, comme un clericus d’antan, sinon comme un ascète31

.

28

Sur la bigamie de Socrate cf. Socrate. Tutte le testimonianze da Aristofane e Senofonte

ai padri cristiani, Bari, Laterza, 1971, p. 285 et p. 545. 29

Cf. éd. cit., p. 124.

30

Cf. F. BRUNI, “La prosa volgare e la narrativa in Toscana dalle origini ai primi decenni del Trecento”, in Storia della civiltà letteraria italiana, diretta da G. BÁRBERI SQUAROTTI, vol. I, t. I, Turin, Utet, 1990, p. 372.

31

Mais là il faudrait rappeler justement, à côté de la représentation du philosophe, celle des pères du désert et de toute la sagesse monastique transmise dans les Vitae Patrum. De là la Legenda aurea de Jacopo da Varagine (1230–1298) et les Vite dei Santi Padri de Domenico Cavalca (1270–1342). Une tradition bien présente, même au niveau populaire, dans la culture italienne, si le “sarto” des Fiancés pouvait encore compter parmi ses lectures le Leggendario de’santi (qui est une traduction de la Legenda aurea). Cette tradition conjugue d’une façon renouvelée l’opposition “haut”/“bas”, “ciel”/“terre“ propre à l’anecdote sur Thalès, comme dans cette épisode de la vie d’abba Poemen: “Un anachorète vint de l’étranger

(10)

La figure de Thalès, et l’anecdote originelle, revient dans le premier recueil narratif d’‘auteur’ de la littérature italienne, le Novellino, à la nouvel-le XXXVIII. Voici ce que l’on lit dans sa source, nouvel-le De vita et moribus philosophorum: “Fertur de ipso [Thalès] quod, cum nocte duceretur extra domum a vetula ut astra consideraret, incidit in foveam, eoque lugente, dixit vetula: ‘Tu quidem, o Thales, que ante pedes sunt videre nequis, quo modo que in celi sunt posses agnoscere?’ ”32. Et voici la nouvelle:

Uno lo quale ebbe nome Melisus, grandissimo savio in molte scienzie; e spezialmente in istrologia, secondo che si legge in libro sesto di

Civitate Dei, e conta che questo savio albergò una notte in una casetta

d’una feminella. Quando andò la sera a letto, disse a quella feminella: “Vedi, donna, l’uscio mi lascerai aperto stanotte, perch’io mi sono costumato di levare a provedere le stelle.” La femina lasciò l’uscio aperto. La notte piovve; e dinanzi [da la casa] avea una fossa, ed empiessi d’acqua. Quando elli si levò, sì vi cadde dentro. Quelli cominciò a gridare aiutorio. La femina domandò: “Che hai?” Que’ rispuose: “Io sono caduto in una fossa.” “Ohi cattivo!” disse la femina “or tu badi nel cielo, e non ti sai tener mente a’ piedi?” Levossi questa femina, e aiutollo: che periva in una fossatella d’acqua per poca e per cattiva providenza.

À partir d’une trace schématique, l’auteur a développé un récit attentivement construit, tant au plan du contenu qu’au plan du style33

. Laissant tomber le fait que Thalès était accompagné dehors par la vieille dame (pourquoi une vieille dame?), le récit doit faire en sorte que l’accident

en Egypte pour voir abba Poemen. Celui–ci le reçut avec joie. Ils se saluèrent l’un l’autre et ils s’assirent. L’étranger commença, à partir de l’Écriture, à parler de choses spirituelles et célestes. Mais abba Poemen détourna son visage et ne répondit rien. Voyant qu’il ne parlait pas avec lui, l’autre s’en alla attristé … Le frère qui l’avait conduit entra chez abba Poemen et lui dit: ‘Abba, ce grand homme est venu à cause de toi, pourquoi ne lui as–tu pas parlé?’ Le vieillard dit: ‘Lui, il est d’en haut et parle de choses célestes, et moi je suis d’en bas et parle des choses terrestres. S’il m’avait parlé des passions de l’âme, je lui aurais répondu; mais s’il me parle des choses spirituelles, moi je n’y connais rien’…[Instruit de la réponse] le visiteur retourna chez le vieillard et lui dit: ‘Que faire, abba, car les passions de l’âme me dominent?’ Se tournant vers lui, le vieillard lui répondit joyeusement: “Cette fois, tu viens comme il le faut; et maintenant, ouvre ta bouche au sujet de ces choses, et je la remplirai de biens”. Grandement édifié, l’autre lui dit: ‘Vraiment, telle est la véritable voie’ ” (cf. les deux volumes Sentences des Pères du désert, éd. par les bénédectins de Solesmes et, en italien, les choix Detti e fatti dei Padri del deserto, a cura di Cristina Campo e Piero Draghi, Milan, Rusconi, 1999 [19751]).

32

Éd. H. Knust cit., p. 6 (cf. pp. 2–13). Je ne comprends pas sur quelle base Blumenberg peut affirmer, à propos de cette page, que le philosophe, vieux, aurait perdu la vue et donc que l’anecdote ferait réfléchir sur la limite que le temps (la vieillesse) impose à l’homme (cf. Il

riso della donna di Tracia, p. 68). 33

Sur cette nouvelle cf. L. MULAS, Lettura del Novellino, Roma, Bulzoni, 1984, p. 183– 184 et F. BRUNI, “La prosa volgare e la narrativa in Toscana dalle origini ai primi decenni del Trecento”, cit., p. 375–376.

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se passe devant la maison, afin que la femme puisse entendre les cris du malheureux. D’où l’indication de la “fossa” devant la maison, et de la pluie nocturne: pour la vraisemblance, mais en même temps pour le plaisir de la narration… Plaisir qui se manifeste également dans les dialogues qui prennent vie, bien au delà de la seule question sentencieuse de la source, et même dans la mise en scène stylistique. Par rapport au “grandissimo savio” la femme, dans la première période, est une “feminella” qui habite une “casetta”. Au milieu de la page, il s’agit d’une “femina”, d’une “casa” et d’une “fossa”, tandis que le personnage masculin est désigné désormais seulement par des pronoms. À la fin, une fois le renversement des rapports entre les personnages advenu, le narrateur, pour dénigrer encore plus Mélisus — qui continue à n’être évoqué ni avec le nom ni, bien entendu, avec la désignation de savant, mais seulement avec des pronoms — transforme la “fossa” en “fossatella”. Surtout, il reprend l’affirmation prétentieuse de qui se complaisait à dire qu’il avait l’habitude de “provedere le stelle”, pour nous dire, d’une façon âprement caricaturale, “che periva in una fossatella d’acqua per poca e per cattiva providenza”34.

Mais là, pour mieux comprendre les raisons qu’a notre narrateur de s’en prendre ainsi à son personnage, il faut relire l’incipit de l’histoire: “Uno lo quale ebbe nome Melisus, grandissimo savio in molte scienzie; e spezial-mente in istrologia, secondo che si legge in libro sesto di Civitate Dei…”. Même dans la condition dégradée dans laquelle il se présente (Mélisus à la place de Thalès, avec un échange entre le nom du lieu de provenance et le nom personnel35; livre six à la place du livre huit), le renvoi à saint Augustin

ne doit pas être négligé. Le deuxième chapitre du livre huit du De civitate Dei renseigne sur l’existence, à l’intérieur de la culture grecque la plus ancienne, de deux traditions philosophiques, l’italique et l’ionienne, fondées respectivement par Pythagore et par Thalès:

L’école italique eut pour fondateur Pythagore de Samos, qui aurait créé aussi, dit–on, le nom même de philosophie. Avant lui, on appelait “Sages” ceux qui semblaient s’élever au–dessus des autres hommes

34

La “providenza” bien comprise est naturellement une vertu. Dans la vulgarisation toscane la plus ancienne des Disticha Catonis (in La prosa del Duecento, Milan–Naples, Ricciardi, 1959, p. 192–194) l’on peut lire: “Antivédeti de le cose che ti puono avenire, perché piò lievemente danna quello che dinanti è proveduto” et: “Quelle cose che puono avenire considera, e quelle che sono prezente antevede, seguitando quello Domenedio che considera quello che vae dinansi e quello che viene dirieto”. Cf. également le Fiore di virtù (ibid, p. 886–889) sur la prudence qui se compose de trois parts: mémoire, intelligence et “providentia” et, déjà, le Senèque des Fiori e vita: “A tre tempi dispensa l’animo tuo: le cose presenti ordina, le cose future provedi, le cose passate ricorda.” (éd. d’Agostino, p. 180).

35

Le même type d’échange s’était produit, dans la réception de l’anecdote, à propos de la fille de Thrace: cf. IPPOLITUS, Philosophumena, I, 1 (“…eumque deridens quaedam famula, Thratta nomine…”).

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par une vie digne de louanges; Pythagore, lui, interrogé sur sa profession, répondit qu’il était philosophe, c’est–à–dire un admirateur, un ami de la sagesse, car se déclarer “sage”, ç’eût été, à son gré, de la présomption.

L’école ionienne commence avec Thalès de Milet, l’un de ceux qu’on appela “les sept Sages”. Mais les six autres ne se distinguaient que par leur genre de vie, par certains préceptes pratiques destinés à régler une vie bonne. Thalès, lui, désireux de s’assurer des successeurs, inter-rogea la nature et consigna ses vues dans des ouvrages qui firent sa gloire. Là où il fut le plus admirable, c’est que, grâce à sa con-naissance des calculs astronomiques, il sut annoncer à l’avance les éclipses de soleil et de lune. Il considérait l’eau comme le principe des choses: tous les éléments du monde et le monde même, avec ses productions, en seraient sortis. Mais il ne fit pas dériver ce processus, si admirable à qui le contemple, de l’intelligence divine.36

Si, de Pythagore (qu’Augustin estime beaucoup, surtout pour sa recon-naissance de l’immortalité de l’âme: cf. Contra Academicos, 17, 37) est relatée l’histoire selon laquelle il serait l’inventeur du mot même de “philosophe” (les Fiori qui, comme on l’a vu, parlent de lui en premier, l’appellent “lo primo filosofo”, et expliquent, en coïncidence parfaite avec Augustin: “In questo Pittagora sì cominciò il nome de la filosofia, ché in prima erano apellati savi quelli ch’erano innanzi alli altri per costumi e per nobile vita. E Pittagora, adomandato quello ch’elli si tenesse, rispuose ch’era filosofo, cioè studioso e amadore di sapienza, ché nominarsi l’uomo savio è vizio di grande arroganza”37), de Thalès saint Augustin nous dit que, à la

différence des six autres sages et vraisemblablement du même Pythagore, il s’intéressait non à bien vivre mais à découvrir la nature extérieure, et notamment s’intéressait à l’astronomie et savait, grâce au calcul de cette science, prédire même les éclipses. D’une façon symptomatique Augustin ajoute qu’il ne faisait pas dépendre de Dieu le processus vital du monde. Dans le discours d’Augustin on a clairement là un détournement par rapport à ce qui devrait être l’intérêt principal et la bonne disposition du vrai

36

Cf. SAINT AUGUSTIN, La cité de Dieu, texte latin et traduction française, avec une introduction et des notes, 2 tomes, Paris, Classiques Garnier, 1941 suiv. (le premier tome est dû à Pierre de Labriolle, le deuxième à Jacques Perret), t. II, p. 187–189 (mais, comme le dit Jacques Perret dans l’avant–propos, la traduction du livre huitième est encore de Pierre de Labriolle). J’ai changé la traduction de la phrase finale, ainsi traduite par de Labriolle: “Mais, au–dessus de cet univers, si admirable à qui le contemple, il ne plaça rien qui procédât de l’intelligence divine”. Le texte latin est le suivant: “Nihil autem huic operi, quod mundo considerato tam mirabile aspicimus, ex divina mente praeposuit”.

37

Cf. éd. D’Agostino, cit., p. 103–105: p. 104. L’anecdote, présente entre autres chez Isidore (Etym., VIII 6), Vincent de Beauvais, Uguccione, souligne l’humilité propre au vrai philosophe, d’où la conclusion claire que Dante en tire à propos du mot “filosofo”: “per che notare si puote che non d’arroganza, ma d’umilitade è vocabulo” (cfr. DANTE, Convivio, in

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philosophe. Celui ci, comme l’indiquait clairement le premier chapitre du même livre du Civitate, doit être “amateur de Dieu” (“Rien que leur nom [de philosophes], à le traduire en latin, est une profession d’amour pour la sagesse. De plus, si la sagesse c’est Dieu, créateur de toutes choses — ainsi que l’autorité, la vérité divine l’a montré — le véritable philosophe est celui qui aime Dieu. Mais la chose elle–même que désigne ce nom n’habite pas chez tous ceux qui se glorifient dudit nom. On peut s’intituler philosophe et n’aimer pas, pour cela, la vraie sagesse”38). Mais le troisième chapitre,

consacré à l’enseignement de Socrate, est également très significatif: C’est donc Socrate qui, le premier, d’après la tradition, tourna toute la philosophie vers l’amélioration et l’aménagement de la morale: tous les philosophes qui l’avaient précédé dépensaient leur principal effort à scruter les problèmes physiques, c’est–à–dire les problèmes de la nature. Ce que selon moi on ne peut tirer au clair, c’est si Socrate fut amené à ce faire par le dégoût que lui inspiraient des questions obscures et incertaines et qui orienta sa pensée vers une enquête limpide et positive, vers la recherche des conditions nécessaires de la vie heureuse, but visé par les veilles et le labeur zélé de tous les philosophes; ou si, selon l’interprétation bienveillante de quelques– uns, il ne voulait pas que des esprits souillés de passions terrestres essayassent d’accéder aux choses divines. Il les voyait pousser leurs recherches sur les causes de l’univers: or ces causes premières, les plus hautes de toutes, il croyait qu’elles ne peuvent résider que dans la volonté d’un Dieu unique et suprême; aussi ne pouvait–on, à son gré, les comprendre qu’avec une intelligence purifiée. Voilà pourquoi il jugeait bon d’insister sur le devoir d’épurer sa vie par des mœurs bonnes: ainsi l’âme exonérée des passions avilissantes retrouverait sa vigueur naturelle pour s’élever vers les choses éternelles, elle contemplerait, grâce à cette pureté intellectuelle, l’essence de la lumière incorporelle et immuable où résident de façon stable les causes de tous les êtres créés.39

Le texte qu’on vient de citer est très riche et il faudra y revenir. Il suffit pour l’instant à nous faire comprendre que, même pour l’auteur du Novel-lino, Thalès est critiqué parce qu’il est un “grandissimo savio”, “spezial-mente in istrologia” mais non un philosophe intéressé à la morale. Comme pour cet Arnaldo Catalano dont nous parle une nécrologie de maestro Terrisio de Atina40, sa science naturelle et son astrologie ne pourront lui

servir pour prévoir le moment de sa mort …

38 Cf. trad. citée, p. 185 39 Ibid., p. 191–193 40

Cf. F. TORRACA, “Maestro Terrisio di Atina”, dans Aneddoti di storia letteraria

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S’il est vrai que, comme le rappelle le laudario Urbinate, Devemo pensar de nui,

Per l’exemplora d’altrui41

la meilleure morale de ce récit est constituée, peut–être, par les “buone sentenze” d’Origène, comme nous les transmettent les Fiori:

Troppo è folle chi contende di passare là ove vede che l’altro sia caduto e via è più folle chi non ha paura là ove vede l’altro perire. Ma quelli è savio che diviene sollecito e maestro per la caduta delli altri.42

41

Cf. R. BETTARINI, Jacopone e il laudario Urbinate, Florence, Sansoni, 1969, p. 206.

42

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