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Letteratura e cultura francese ii — Portale Docenti - Università  degli studi di Macerata

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Academic year: 2022

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LE FABULEUX DESTIN DE CHARLES BOVARY

PATRIZIA OPPICI

Fabuleux destin celui de « Charbovary », le garçon ridicule , le mari trompé, le lourdaud qui pèse de toute sa bêtise sur l’existence d’Emma ? Ce titre, je le sais, a de quoi surprendre. Et pourtant c’est bien ce personnage « vide » dont le roman de formation à peine esquissé se laisse remplir tout entier par l’histoire d’une femme qui a pris son nom, qui a inspiré, à la fin du XXe siècle, une série de réécritures du roman de Flaubert. Le premier en date est Charles Bovary, médecin de campagne.

Portrait d’un homme simple de Jean Améry, publié en allemand en 1978, et traduit en français en 1991 ; la même année où Laura Grimaldi publie en italien Monsieur Bovary (qui sera traduit en français en 1995) ; en 2006 le titre est à nouveau repris par Antoine Billot. Ce glissement de la femme si célèbre au mari si obscur frappe et séduit les écrivains. En effet il a été utilisé également pour une pièce de théâtre, Monsieur Bovary ou mourir au théâtre., publiée en 2001 par Robert Lalonde.1 Dans ce dernier cas toutefois il ne s’agit pas d’une nouvelle version du roman mais d’une reconstruction globale de l’univers de Flaubert où l’existence du romancier fusionne en quelque sorte avec les vies fictives qu’il a créés.

On pourrait s’interroger sur les raisons de cet intérêt soudain porté à l’anti-héros du roman, d’autant plus que les trois textes ont des points en commun : avec des nuances différentes, ils expriment tous la même volonté de « venger » Charles, de le soustraire à la cruauté que Flaubert manifeste à son égard. Ce curieux désir de réhabilitation d’un personnage fictif donne aux trois œuvres une dimension métanarrative qui s’exprime non seulement dans la réécriture de l’intrigue et des caractères, mais aussi dans des architectures textuelles complexes qui combinent la narration avec un discours critique explicite.2

Je montrerai donc d’abord la structure des romans, et ensuite le discours critique qui, selon différents points de vue, vise à remettre en cause « le roman type » du « romancier des romanciers ».3 La preuve, s’il en était besoin, qu’après cent-cinquante ans Madame Bovary est loin d’être devenu un classique intouchable et canonisé, et qu’il garde au contraire son pouvoir corrosif : si ce n’est plus Madame qui scandalise, la bêtise de Charles continue d’agacer…

Le texte de Jean Améry avoue dès le frontispice son caractère de « roman/essai » qui contient sa propre théorie : quatre chapitres narratifs où Charles s’exprime à la première personne, en débutant par un impératif « je veux » qui marque immédiatement la différence avec la faiblesse du personnage de Flaubert, alternent avec deux chapitres critiques où l’auteur développe ses argumentations qui visent d’abord Sartre et son « extravagante étude consacrée à Flaubert »,4 mais qui finissent par investir directement le réalisme flaubertien. Laura Grimaldi réécrit le roman à la troisième personne, mais elle place au début, au milieu et à la fin de son ouvrage trois lettres où le narrateur s’adresse directement à Flaubert, et lui lance un plaisant défi : « Eccellentissimo Monsieur

1 J. AMERY, Charles Bovary, médecin de campagne .Portrait d’un homme simple , roman/essai traduit de l’allemand par F. WULLMART, postface d’I. HEIDELBERGER-LEONARD, Arles, Actes Sud, 1991 (éd. Or. Stuttgard, Ernst Klett, 1978). L. GRIMALDI, Monsieur Bovary, Milano, Leonardo, 1991 (trad . française Métaillé, 1995). A. BILLOT, Monsieur Bovary ,Paris, Gallimard, 2006. R. LALONDE, Monsieur Bovary ou mourir au théâtre , Montréal, Boréal, 2001. On peut rattacher à cette série l’ étude critique de M. GIRARD La passion de Charles Bovary, Paris , Imago , 1995, qui attribue au personnage un rôle crucial dans le roman, celui de « créer » la beauté d’Emma : « Il signe son acte créateur d’un mariage qui donne son nom au livre et à celle pour laquelle les autres vont désormais brûler » (p.123).

2 Marc Girard souligne justement dans son essai l’ouverture du personnage de Charles : « Bovary concentre sur lui un maximum d’incertitude, l’éventail des possibles s’avérant extrêmement étendu entre, d’une part, les opinions tranchées des divers personnages et, d’autres part, l’exceptionnelle discrétion du narrateur à son égard » (ouv. cit., p. 126).

3 Selon les célèbres définitions respectivement de Zola (Gustave Flaubert dans Les romanciers naturalistes, Paris, Charpentier, 1890, p. 125) et de Henry James (Gustave Flaubert in Notes on Novelists, New York, Scribner, 1914, p.

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Flaubert, passati centoquarant’anni dalla nascita di Monsieur Bovary, (…) è finalmente tempo di dare una più logica conseguenza ai fatti da lei cosi’ magistralmente narrati ».5 L’architecture conçue par Antoine Billot est la plus subtile des trois, et marquée par l’esthétique post-moderne du collage et de la citation ; le texte est d’abord fondé sur un stratagème classique, celui du manuscrit retrouvé dans un grenier : il nous donne à lire dix cahiers, dont chaque page est parafée d’un énigmatique B., où l’histoire de Charles et d’Emma est racontée selon le point de vue du premier : « lorsque Flaubert décide de se tenir derrière Emma, (…) un autre que lui – en l’occurrence « B » - peut aussi bien choisir Bovary pour référence ».6 Mais le narrateur des cahiers possède des connaissances qui dépassent l’univers de Madame Bovary : il connaît toutes les œuvres de Flaubert, il cite sa correspondance, et il lui arrive de signaler, en véritable critique littéraire, quelques inadvertances dans la chronologie du roman. On feint de s’interroger sur l’identité de B : on n’évoque d’abord le nom de Louis Bouilhet que pour écarter ensuite cette hypothèse et en suggérer une autre : il pourrait s’agir d’ « un des acolytes silencieux du narrateur de Madame Bovary, … qui, (…) fait entendre sa voix diluée dans le ‘nous’ d’un sujet pluriel ».7 Il s’agirait donc d’un camarade de Charles et de Gustave. A la voix du narrateur fait écho une autre voix, celle de Charles lui-même, qui parle à travers son journal (qui ne fait pas partie des cahiers) : le résultat est un texte double, ou à chaque cahier l’histoire de Charles selon la version B .est suivie par le commentaire pseudo- autobiographique du protagoniste, un jeu de miroirs où la version de B(illot) et celle de B(ovary) se reflètent mutuellement, tout en représentant « une existence en miroir du livre de Flaubert » comme l’écrit Jacques Neefs.8

Créations littéraires au deuxième degré, ces trois œuvres partagent une attitude critique sur la conception du personnage de Charles. « Les mari trompés qui ne savent rien savent tout, tout de même . » Le texte d’Améry s’ouvre sur cet exergue, une phrase de La prisonnière de Proust qui a la force percutante d’une maxime, et pose d’emblée la question que tout lecteur du roman s’est posé au moins une fois, à propos du mari: comment peut-il ne se douter de rien? Les trois romans que nous allons examiner constituent autant de réponses à cette question. Des trois, Améry est celui qui réagit avec la réplique la plus argumentée du point de vue critique. Tant sa réécriture narrative que ses deux essais (La réalité de Gustave Flaubert et La réalité de Charles Bovary) soulèvent le problème d’un réalisme qui, par rapport à Charles, bute contre une intrigue et un personnage invraisemblables : « Charles a carrément favorisé les deux histoires d’adultère de son Emma, avec une complaisance étrange, que l’on s’explique mal. D’accord, sa bonté touchait à la bêtise, ainsi qu’on nous l’assure, et plus d’une fois ! Mais en amour la bêtise a ses limites.»9 Si Charles est un homme sensé – et le médecin de campagne devait bien l’être, sans quoi il n’aurait même pas pu parvenir à la fonction d’officier de santé – il ne peut avoir agi comme le récit le prétend. Dans au moins deux épisodes la conduite du personnage paraît complètement dénuée de sens:

l’évanouissement d’Emma devant la corbeille d’abricots et ses questions à propos de la lettre de Rodolphe : « - Qu’est-ce que cela signifie que cette angoisse pour une lettre ? Qui lui écrit des lettres qu’elle réclame dans son délire ? » voilà comme il aurait dû réagir ».10 « l’histoire absurde des leçons de piano d’Emma »11 est confrontée avec la réaction qu’il aurait dû avoir : «- Tu n’a pas été chez Mlle Lempereur, Emma, prends garde ! Je te suivrai à la trace et je vous tuerai de mes mains nues, toi et ton amant, si tu ne romps pas sur-le-champ avec ce petit hypocrite ! » ;12 et Améry conclut « Il n’était pas d’un naturel jaloux, nous dit-on. Doux Jésus ! Le réalisme baisse pavillon, la psychologie fait faillite devant la réalité du pauvre homme ».13 Le ton d’Améry est

5 L. GRIMALDI, ouv.cit. pp. 7-8.

6 A. BILLOT, ouv.cit., p. 13.

7 Ibidem, pp. 11-12.

8 J. NEEFS, Un Bovary pas si bête, « Le Magazine Littéraire », n. 458, novembre 2006, p. 63.

9 J. AMERY, op.cit., p. 64.

10 Ibidem, p. 143.

11 Ibidem, p. 64.

12 Ibidem, p. 125.

13 Ibidem, p. 145.

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particulièrement véhément, l’accusation grave, mais il faut reconnaître que ces deux scènes posent en effet un problème d’interprétation de la psychologie de Charles sur lequel s’arrêteront également Grimaldi et Billot. Mais l’écriture vengeresse d’Améry va plus loin et nous offre un échantillon des

« bonnes » réponses du mari-type « C’en est assez de tes excursions à cheval avec cet aigrefin de la Huchette de la-haut ! », et du médecin bourgeois louis-philippard « Les sous-pieds vont me gêner pour danser. Tant pis ma chère ! Je danserai » ; « J’ai raté l’opération. E alors ? C’est ainsi dans notre métier, auquel tu n’entends rien ».14 Ce Charles grossier et sûr de lui n’est qu’une des possibilités qui s’offraient à Flaubert : car l’essentiel pour Améry est la liberté refusé au personnage, le parti pris d’une fatalité qu’on lui impose. Charles est un garçon issu d’une famille modeste, parvenu à une certaine position sociale, malgré l’indifférence méchante de ses camarades et la solitude de ses années de jeunesse. Grâce à ses efforts, il est devenu un bon médecin de campagne qui sait soigner et réconforter les pauvres gens. Il incarne de véritables valeurs humaines, faites de dévouement et de compassion. Enfin dans sa vie se produit un miracle, la rencontre avec Emma qui accepte de l’épouser. Il y a là la trajectoire typique du roman de formation, le genre qui naît de la mobilité sociale rendue possible par la Révolution. Mais Charles n’aura pas le droit d’en être le héros : il est ridicule dès la première page, marqué par le sceau de la bêtise. Il n’y aura donc ni amour partagé ni réussite sociale, et même, « son inventeur ne lui a pas accordé le droit humain de penser ».15 On comprend mieux le ton passionné d’Améry lorsqu’on comprend que la défense de Charles Bovary (et du pharmacien Homais) est en réalité la défense des valeurs des Lumières et de la démocratie bourgeoise où chacun doit avoir sa chance. Cet acharnement de Flaubert à vouloir détruire son personnage vient de sa haine pour le bourgeois-citoyen, ce gardien modeste des conquêtes de la Révolution. Autrement dit, Charles est borné à cause de l’idéologie de son créateur, qui n’a pas su voir « que les Homais de toute sorte étaient les précurseurs de ceux qui allaient prendre la défense du capitaine Dreyfus ».16 Voilà donc Charles qui, à la fin de son roman, se transforme en Zola, et lance son « J’accuse »

Je Vous accuse, Monsieur Flaubert

Je vous accuse d’avoir violé le pacte que vous aviez conclu avec la réalité…car j’étais plus que ce que j’étais, comme tout être humain

La liberté : vous me l’avez refusé.

L’égalité : vous n’avez pas toléré que moi, petit-bourgeois, je sois le semblable du grand-bourgeois Gustave Flaubert.

La fraternité : vous n’avez pas voulu être mon frère dans la détresse, vous avez préféré vous octroyer le rôle du juge tolérant.

L’histoire commence comme si c’était la mienne. Mais par la suite, j’y suis méprisé, outragé, parce que celui qui n’était qu’un pauvre type au début est condamné à le rester …Vous m’avez refusé les chances qui sont inscrites dans les principes de 1789.17

Charles est bête, et condamné à le rester La bêtise fige le personnage et empêche toute évolution psychologique. Ce même problème se posera dans la création de Bouvard et Pécuchet, qui, eux aussi, malgré toutes les compétences acquises dans l’ascension de la pyramide des savoirs, répètent inlassablement les mêmes erreurs. Puisqu’il ne peut changer Charles mourra bêtement, tandis que, grâce à ces compétences médicales, il aurait pu facilement se prescrire un somnifère en dose mortelle et accéder au moins à une fin digne, et décidée par lui. Pour Améry, qui se suicidera l’année de la publication de son roman, c’est la preuve ultime de l’injustice de Flaubert, de sa position a priori dans la conception de Charles.18 Mais il faut bien reconnaître que si cet être fictif,

14 Ibidem, p. 125.

15 Ibidem, p. 141.

16 Ibidem, p. 75.

17 Ibidem, p. 162.

18 M. CONTAT , dans son compte-rendu de l’ouvrage (“Le Monde”, 20 décembre 1991) le définit « un texte qui est la

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en sa qualité de victime, a pu inspirer une si profonde empathie chez un écrivain qui a survécu à Auschwitz, il doit posséder une extraordinaire force de suggestion, et une vérité qui dérange, malgré toute sa bêtise, où peut-être à cause de cette bêtise.

Après le Charles Bovary révolté tragique, Monsieur Bovary de Laura Grimaldi a l’apparence d’un divertissement littéraire, fondé sur le principe du renversement des valeurs et des sexes : « Monsieur Bovary, c’est moi. Il mio non vuol essere un processo di riabilitazione, ma un atto di dovuta giustizia. Colui che a causa del suo romanzo passò alla storia come un incurabile zotico, non merita forse che gli si offra una via d’uscita? ».19 L’alternative naît d’une constatation : Charles est un homme qui tout au long de sa vie est victime des femmes, à commencer par sa mère, qui lui impose ses études et un mariage avec une femme vieille et laide. Grimaldi observe que Flaubert transpose dans cette situation romanesque une oppression familiale qui avait été un peu la sienne : il s’en libère ainsi en condamnant son personnage. En effet l’écrivain a pu se soustraire à l’emprise étouffante de sa mère grâce à son génie de créateur d’univers romanesques. Mais quelle issue pouvait s’offrir à Charles, qui n’était qu’un médecin de campagne ? Lui aussi pouvait renverser la contrainte, en changeant de signe à son savoir médical : il pouvait tuer. On se rappellera la mort subite de sa première femme, décrite très rapidement « Mais le coup était porté » écrit Flaubert.

C’est que Charles a brisé un verre et en a caché les morceaux dans cette tasse de chocolat qu’Héloïse aime tant prendre le matin. Après avoir coupé la gorge à sa première femme, il peut s’unir à la belle Emma, mais finit par réaliser « che razza di sgualdrina aveva sposato ».20 Comme dans le texte d’Améry, à partir de l’histoire avec Rodolphe l’ignorance de Charles n’est plus acceptable. Charles a tout compris, l’infidélité conjugale comme la ruine financière : une colère sourde monte en lui, tandis qu’en apparence il se montre indifférent : c’est qu’il prépare son deuxième coup, son chef-d’œuvre. Car il doit attendre que la situation précipite et qu’Emma, humiliée d’avoir été découverte (« guarda che so tutto ») joue la carte du faux suicide qui lui permettra de l’empoisonner pour de bon :« Charles resto seduto ad aspettare che lei tornasse.

Sapeva bene che la moglie avrebbe finto di avvelenarsi, ingerendo solo una piccola dose insignificante di qualcosa…magari di arsenico. Charles ne aveva un certo quantitativo nello studio…preparò due cialde, inzeppandole della micidiale polvere bianca.” De cette façon, lorsqu’

Emma rentre pour lui jouer la scène de l’agonie: “Tieni cara, prendi queste. Calmeranno il dolore.

Emma scosse la testa. Non voglio niente. Voglio solo morire. Appunto, bisbiglio Charles.”21

La stratégie de Grimaldi profite des interstices du texte de Flaubert pour y insérer sa propre version, sans toucher aux péripéties de l’histoire originale. Elle s’applique à détecter les passages qui peuvent supporter, ou ne pas contredire de manière trop flagrante, le roman criminel qu’elle construit. Après la disparition d’Emma, au contraire, le récit s’éloigne résolument de l’intrigue de Flaubert, pour donner au roman une fin heureuse, à travers un dernier renversement, bien logique, au fond. Si les femmes ont eu une influence si néfaste sur la vie de Charles, il vaudra mieux se tourner de l’autre côté : « Un uomo non l’avrebbe mai tradito come l’avevano tradito le donne.

Justin aveva lo sguardo leale e…si sorprese a pensare Charles…era anche molto bello”.22

La subversion ironique est la clé de ce Monsieur Bovary. Sous l’apparence d’un simple jeu Laura Grimaldi a su nous suggérer par ce texte qui renverse toutes les idées reçues sur Madame Bovary , une piste intéressante, celle du canular, de l’énorme blague jouée au lecteur qui ne doit pas savoir « si on se fout de lui oui ou non », On pourrait penser que cette phrase de Flaubert

réflexion autobiographique sur la condition humaine confrontée aux pires réalités de l’univers concentrationnaire qui caractérise toute la pensée d’Améry. On retrouve le même appel aux Lumières dans Par-delà le crime et le châtiment.

Essai pour surmonter l’insurmontable , traduit de l’allemand par F. WUILMART, Arles, Actes Sud, 1995 (ed.or. 1966) où Améry s’interroge sur la notion de dignité des victimes de l’horreur nazie : « qu’en est-il exactement de cette dignité que l’on me retira pour la première fois en 1935, dont on me priva officiellement jusqu’en 1945, que l’on ne veut peut- être pas encore me reconnaître aujourd’hui et qu’il me faut donc regagner moi-même de haute lutte ? Qu’est-ce que finalement que la dignité ? » (p.187)

19 L. GRIMALDI, op. cit., p. 8.

20 Ibidem, p. 61.

21 Ibidem, pp. 96-99.

22 Ibidem, p. 103.

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s’applique non seulement au Dictionnaire mais aussi au personnage de Charles; en créant un mari qui est la quintessence de l’idiotie conjugale il construit un mécanisme analogue à celui qui opère dans le Dictionnaire : le lecteur peut tomber dans le piège et avaler le poncif sans s’en apercevoir : donc il est stupide ; mais il sera encore stupide s’il prétendra trouver une explication à ce qui n’en a pas. Charles est un être d’imagination ; a l’instar de Charles, le lecteur est condamné à se trouver toujours dans une position fausse : « ridiculus sum ».Ce dilemme insoluble du personnage, son insupportable bêtise, est un mystère qui dérange et qui défie toutes les interprétations.

En effet, le dernier Monsieur Bovary d’Antoine Billot est un nouveau coup de sonde dans les profondeurs inexplorées du visage d’un imbécile, pour suivre l’expression de Flaubert. On y suit de très près l’intrigue de Madame Bovary en y opérant une sorte de « translation parallèle »23 selon le regard de Charles. Billot reprend et élargit la stratégie de Grimaldi, en exploitant les trous et les silences de l’œuvre originale, pour donner substance au personnage vide de Charles ; le protagoniste est ainsi reconstruit de l’intérieur, à partir du moment crucial de l’entrée au collège :

« il comprend en un instant …que pour survivre ici il va devoir apprendre à se dissimuler ». La feinte, la dissimulation deviennent une seconde nature pour Charles, qui s’invente le rôle de

« l’idiot tranquille au front bas »24 pour vivre et observer les autres derrière cette doublure protectrice. Encore une fois, il n’est pas bête, il fait semblant, pour avoir le plaisir de « connaître secrètement l’envers des choses ».25 Ce comportement a des répercussions profondes sur sa sexualité, et à partir de là ses singulières complaisances pour les amants de sa femme pourraient trouver une explication : « Tapi derrière le masque du mari trompé, il demeurerait ainsi le pourvoyeur privilégié du plaisir d’Emma, il en serait tacitement l’instigateur ».26 A la différence de Grimaldi, le texte s’insinue dans les replis de la narration flaubertienne et rend explicites des scènes, certes impensables à l’époque de Flaubert, mais qui virtuellement existent dans l’original.

L’accouchement d’Emma par son mari, par exemple, fait l’objet d’un épisode saisissant (« il se disait que le vicomte au buste d’athlète… ne saurait jamais rien de l’intimité totale qu’elle lui offrait ce soir - sans afféterie »27) fondé sur une seule ligne du roman, mais qui certifie sa présence au moment de la naissance de l’enfant. La scène finale où il trouve son plaisir avec Félicité habillée des robes de sa maîtresse s’appuie sur un passage précis du texte de Flaubert. Cette version cachée du roman force les silences du récit de Flaubert en nous faisant découvrir, à côte de la sensualité d’Emma, la puissance du désir de Charles, qui n’est peut-être pas seulement le « mari béat » d’une femme dissolue. Même le dédoublement de Charles, qui est la véritable clé du personnage dans l’interprétation de Billot, correspond non seulement a ce système binaire qui gouverne Madame Bovary, mais possède aussi un écho bien précis dans le texte de Flaubert. Lorsque Charles visite pour la première fois la ferme des Bertaux , il somnole sur sa monture et commence à rêver qu’il est deux Charles à la fois :« lui-même se percevait double, à la fois étudiant et marié, couché dans son lit comme tout à l’heure, traversant une salle d’opérés comme autrefois. »28 Dans cette dernière version, il ne s’agit plus de mettre en question certains aspects de l’œuvre, mais plutôt de vérifier

23 A. BILLOT, op. cit., p. 13.

24 Ibidem, pp. 27-28.

25 Ibidem, p. 213.

26 Ibidem, p. 251.

27 Ibidem, p. 167.

28 L’épisode est signalé et commenté par M. VARGAS LLOSA, L’orgie perpétuelle (Flaubert et Madame Bovary), Paris, Gallimard, 1978 (éd .or. 1975) p. 157. Le texte de Vargas Llosa est une des sources critiques utilisées par Billot dans sa création du personnage, de même que les textes écartés de la version définitive, Madame Bovary nouvelle version précédée des scénarios inédits, par J. POMMIER et G. LELEU, Paris, Corti, 1949. Dans l’édition italienne qu’elle a procuré en se fondant en grande partie sur cette version, Rosita Copioli remarque justement que le personnage possédait dans ces versions écartées une exceptionnelle richesse de nuances : « Flaubert non gli negava la propria compassione. Ora Charles era « madre » (…) ora era “sacrificio” (…) ora era lo stesso Flaubert (…) ora infine, era l’unico personaggio vero, l’unico che aveva provato la passione assoluta e pura del cuore (…) Charles anticipava qui Félicité del Cœur simple, senza averne la storia. » G. FLAUBERT, La prima Madame Bovary, Milano, Medusa,

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l’ouverture du texte à une lecture multiple. Charles y retrouve une épaisseur psychologique. La bêtise, ou ce que nous considérons comme telle, a aussi sa profondeur, Flaubert l’avait bien dit.

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