Cas particulier des genoux flottants
J.-C. Bel
Le terme de « genou flottant » s’applique aux fractures ipsilatérales du fémur et du tibia : les fractures diaphysaires du tibia et du fémur définissent le type I ; si au moins un des traits de fractures atteint l’articulation du genou, il s’agit d’un type II.
Ces fractures graves touchent surtout des sujets jeunes, de sexe masculin, conducteurs ou passagers de deux roues. Elles sont associées à un délabrement des tissus mous, à des atteintes ligamentaires du genou et à des lésions dues au polytraumatisme (lésions vasculaires du membre, lésions viscérales, lésions neurologiques) responsables d’une mortalité de 5 à 15 %.
Ces fractures se caractérisent par leur difficulté de prise en charge et leurs complications : embolie graisseuse, amputation, infection, retard de consoli- dation, cals vicieux, raideur et instabilité du genou.
La prise en charge thérapeutique, d’autant qu’il s’agit de polytraumatisés, est controversée : elle comprend, pour nous, une stabilisation chirurgicale précoce des deux fractures pour éviter l’immobilisation prolongée et permettre une rééducation précoce, garante d’un meilleur résultat fonctionnel. Les tissus mous devraient être épargnés et des procédures minimalement invasives de réduction et de fixation de ces fractures, utilisées pour diminuer le taux de complications habituellement constaté.
Nous avons mené une étude prospective, pour évaluer les résultats d’une telle attitude et établir les indications optimales de cette approche chirurgi- cale.
Matériels et méthodes
Entre 1996 et 1998, 17 patients représentant 18 genoux flottants, ont été traités selon le même protocole. Huit (45 %) étaient des genoux flottants de type II avec atteinte articulaire. Il s’agissait de 16 hommes et de 1 femme.
L’âge moyen était de 34 ans (15-60). Le score de gravité ISS était en moyenne de 32 (17-59).
L’ouverture cutanée était fréquente : 10 (55 %) fractures fémorales (90 % d’entre elles étaient de grade II ou III) et 14 (78 %) fractures tibiales (60 % d’entre elles étaient de grade II ou III selon la classification de Gustillo). Une atteinte de l’artère poplitée a été constatée deux (18 %) fois.
En urgence, les fractures ouvertes ont été lavées par jet pulsé et débridées.
Cinq (28 %) fractures ouvertes du tibia de grade élevé et une (5 %) fracture ouverte de fémur ont été traitées par fixation externe. Cinq (28 %) fractures du tibia et 2 (10 %) fractures du fémur avec une fracture articulaire ont été ostéosynthésées par plaque. Huit (44 %) fractures du tibia et 15 (55 %) frac- tures du fémur ont été traitées par enclouage centromédullaire antérograde.
Cinq (28 %) fractures du fémur avec fractures articulaires ont été traitées par enclouage fémoral rétrograde verrouillé à foyer fermé.
Les lésions vasculaires ont été traitées d’emblée, ainsi que les lésions liga- mentaires.
La rééducation fut immédiate.
Tous les patients ont été suivi au moins douze mois après consolidation.
Résultats
Six (16 %) retards de consolidation, 4 (11 %) pseudarthroses guéries par une deuxième intervention chirurgicale ont été observés. Aucune rupture de maté- riel, aucune ostéite, aucune amputation, aucun décès n’ont été relevés.
Le délai moyen de consolidation a été de 32 semaines (12 à 50).
Cinq cals vicieux (2 en valgus, 2 en varus, 1 raccourcissement) ont été notés.
La mobilité moyenne du genou obtenue à consolidation, était de 110 degrés (60 à 130).
Les résultats fonctionnels ont été 5 (30 %) excellents, 5 (30 %) bons, 4 (24 %) moyens et 3 (16 %) médiocres.
Conclusion
Une attitude chirurgicale précoce et systématique permet d’obtenir un bon résultat fonctionnel final sans complications significatives. La fixation interne rigide permet une bonne évaluation des atteintes ligamentaires du genou et leur réparation ; elle permet de simplifier le traitement des lésions des tissus mous.
Le traitement du fémur en premier nous semble préférable.
L’enclouage fémoral rétrograde verrouillé est une technique chirurgicale ver- satile qui s’applique à de multiples fractures du fémur chez les polytrauma- tisés. De plus, le fémur et le tibia peuvent être traités par un même abord chirurgical en décubitus dorsal.
Nous corrélons les faibles taux de morbidité, d’infection, de consolidation, de mobilité articulaire au fait que la prise en charge a toujours été chirurgi- cale, minimalement invasive et biologique.
332 Fractures du genou